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La Tragédie du sac de Cabrières
Notes
Pour tres-illustre PRINCE Monsieur Christophle Duc de Bavieres, filz tres-aimé De Mon Seigneur l’Electeur, et Comte Palatin et ca.
LES PERSONNAGES
D'Opede Catderousse Poulin Le Maire Le Syndic Le choeurTRAGEDIE DU SAC DE CABRIERE
D’Opede Poulin et CatderousseD’Opede
Un cœur vaillant mourra plustostplutôt qu’estreêtre vaincu
Et moymoi las malheureux auray aurais-je tant vescuvécu
Qu’à vaincre ou à mourir je preferepréfère la fuite !
Poulin
Le Lion fuit s’il a un Cerf pour sa conduite
5Ainsi le camp auquel commande un bonnet rond1[1] un homme de loi
Comme Neige au Soleil devant l’ennemi fond.
Catderousse
Vous vous entendez trop aux procesprocès et enquestesenquêtes
À faire fouetter à faire couper testestêtes
Ou à faire souffrir quelque plus dure mort.
Poulin
10Encor2[2] Nous conservons cette forme pour le compte syllabique. scavez savez-vous bien du droit faire le tort
Mais comme il faut donner chaudement les alarmes
Vous vous y entendez comm’commeun clerc fait aux armes.
Catderousse
Si nous eussions suivysuivi et redoublé l’assaut
N’eussions eussions-nous pas franchi le remparrempart de plainplein saut
15N’eussions eussions-nous pas desjadéjà l’enseigne sur la breschebrèche
Poulin
Nos ennemysennemis voyansvoyant que rien ne les empescheempêche
Ont seurementsûrement leur lieu Imprenable rendu
Et nous l’avons couards trop lachementlâchement perdu
Catderousse
Quiconque se veoitvoit chef d’une puissante armée
20S’il a profond au cœur la vertu imprimée
Jamais fortifier ne laisse l’Ennemi
Poulin
Si du tout il ne peut il le rompt à demi
TantostTantôt par fausse alarme et tantosttantôt de grand3[3] Nous conservons cette forme pour le compte syllabique. force
L’assaut à l’improviste et rudement le force
Catderousse
25Le Cœur glacé de peur ne sait jamais pouvoir
Poulin
Ô le grand bien que c’est que de rien ne savoir
L’homme le plus rusé en procesprocès et querelequerelle
En la guerre n’eut onc4[4] jamais une once de cervelle
D’Opède
Bien qu’homme je ne soyesois à nul de vous pareil
30En force et hardiesse, aussi peu qu’en conseil
Les Conseils de la main en moymoi pourtant se treuventtrouvent
Tels que quelques amysamis quelquesfoisquelquefois les appreuventapprouvent.
Catderousse
Qui vous empescheempêche donc ayant si bons souldarssoudards5[5] soldats
D’encor les hazarderhasarder au dernier sort de Mars ?
D’Opède
35Un songe nuit et jour dormant veillant me bride
Par l’exemple fameux de la chaine d’Alcide6[6] Référence au mythe d'Hercule Gaulois, caractérisé par sa force oratoire.
DelaquelleDe laquelle il tira vers luylui prompts les GauloysGaulois
Par l’oreille enyvrezennivrés du doux miel de sa voix
Tout ainsi cestecette ville à ma langue attachée
40Me semble tomber bas d’elle mesme-même arrachée
Mon DEVIN sur cela enquis m’a respondurépondu
De les vouloir forcer ce n’est que temps perdu
La lance n’y peut rien mais seulement la langue.7[7] Première mention des pouvoirs de la langue, dont la force et l'ambivalence sont démontrées dans la pièce. Sur ce point voir notamment Millet Olivier, « Vérité et mensonge dans la Tragédie du sac de Cabrières : une dramaturgie de la parole en action », dans Australian Journal of French Studies, vol. 31, n° 3, 1994, p. 259-273.
Poulin
J’ayai fait devant le Turc mainte fausse harangue8[8] Polin est en effet allé en Turquie en tant qu'ambassadeur en 1541 et 1542, pour obtenir des bateaux et de l'or du Sultan Soliman.
45Et si l’ayai maintesfoismaintes fois par mon faulxfaux doux parler
Contraint de cinq censcent naux9[9] navires, bateaux faire sur mer voler
Ses Bacchats10[10] Pachas, nobles. s’efforceoientefforçaient de tout m’y contredire
Je l’emportoyemportais pourtant bravement par mon dire.
Catderousse
» 11[11] Les guillemets gnomiques, fréquents dans le théâtre humaniste, marquent un propos à teneur de vérité générale, qui peut même être conservé pour lui-même, en dehors de tout contexte. Mais qui a un bon cœur et les armes au poinpoing
50» Du babil de la langue il n’a aucun besoin
D’Opede
» La langue (croyez) prend et ravit plus de ville
» Que la pique ou canon neni tous efforts hostiles.
Catderousse
» Une bonne entreprise on ne doit retarder
D’Opede
Bien mais apresaprès faudra la langue hazarderhasarder
55De moymoi en attendant l’incertain de fortune
Je me retire à part sans compaigniecompagnie aucune
Poulin
Quel chef ! que gouverneur ! quel hardi combattant
Qui jusqu’à veoirvoir ses gens en bataille n’attend
Mais sur tous les poltrons12[12] lâches le poltron est si lache
60Qu’en lieu des premiers estreêtre il s’enfuit et se cache13[13] Qu'au lieu de se placer parmi les premiers combattants, il s'enfuit et se cache.
Catderousse
Pensez qu’ainsi faisoitfaisait le superbe vainqueur14[14] Référence à Alexandre le Grand
Duquel un monde seul ne contentoitcontentait le cœur.
Poulin
Allons poulserpousser nos gens que ces forts on canonne.
Catderousse
Que le dernier assaut de toutes parsparts on donne
Poulin
65Ou vivons y-y vainqueurs ou mourons y-y vaincuzvaincus
Catderousse
Si nous n’y entrons vifs mourons sous nos escusécus.
[On peut supposer que les trois personnages sortent. Le choeur qui était peut-être en fond de scène, s'avance.]LE CHŒUR
Du sac de MerindolMérindol15[15] Le sac de Mérindol précède celui de Cabrières. cruellement funeste
Troupe captive au Camp de ces brigansbrigands je reste.16[16] Le singulier n'est pas rare pour le choeur, conçu comme un seul personnage collectif
Les autres sont heureux qui errent par les champs
70Encor plus heureux sont ceux à qui ces meschansméchants
Ont esteintéteint les tormenstourments en esteignantéteignant la vie
La nostrenôtre aà petit feu nous doit estreêtre ravie
Si faut il-il constamentconstamment tenir pour resolurésolu
Que c’est pour nostrenotre bien puis quepuisque DIEU l’a voulu.
75CabriereCabrières17[17] A prononcer en 3 syllabes : Ca-briè-res. cependant redouble son courage
Et d’Opede affoibliaffaibli de plus en plus enrage
PourceParce que contre Dieu n’y a force neni conseil
»Qu’il ne desrompedérompe ainsi que les nerfs d’un sommeil
Comme ces assiegezassiégés travaillent tous ensemble !
80Ce gros amas de peuple aux abeilles ressemble
Lesquelles pour se faire à part nouveau canton
S’entresuivent au son d’un clairsonnant laittonlaiton.
Ou quand pour reparerréparer leur utile dommage
ApresAprès qu’on a brisé l’orgueil de leur ouvrage
85Toutes devant les yeux de leur RoyRoi honnoréhonoré
Chambrittent18[18] Reconstruisent les chambres au compas leur palais tout doré
Un regimentrégiment des champs les richesses apporte
Qu’une autre troupe prend et deschargedécharge à la porte.
Maint scadron19[19] Escadron au dedans les porte sur son flanc
90Dont les autres refont leurs salessalles rancrang à rancrang
Et ne cesse jamais cestecette race aeréeaérée
Tant que leur grand maison soit du tout reparéeréparée
Ceux de la ville ainsi travaillent aux remparsremparts
La terre sous leurs piezpieds fume de toutes parsparts
95L’un porte des fagots et l’autre force laine
L’autre tant de gazons qu’il en est hors d’alainehaleine
Force pierres ceux cy-ci ceux là-là force fumier
Cestui cyCelui-ci des grands bois marchant tout le premier
Et ceux là-là plus hastezhâtés y jettent leurs lits mesmesmêmes
100Mais cestui làcelui-là y fourre (ô mon Dieu) les corps blesmesblêmes
De leurs souldarssoudards occis20[20] Tués, morts. pour encor s’en servir
Voyez descendre l’un voyez l’autre gravir
À grands coups de mouton21[21] bêlier les autres tant terrassent
Que leurs remparsremparts levés toute breschebrèche surpassent.
105Voyez vous l’ennemy contre le mur courir
Ô Dieu qui es leur fort vueillesVeuille22[22] Il s'agit ici d'un impératif de deuxième personne. les secourir
Dieu par qui à ton peuple estoientétaient defensesdéfenses faites
De combattre devant que23[23] Avant de sonner les trompettes.
Nous enseignant par là pour ne combattre en vain
110Qu’il faut que nous prenions les armes de ta main
Arme donques les tiens d’une hardiesse sainte
Et saisisaisis ces meschansméchants d’une mortelle crainte
Qu’ils ne soyentsoient jamais veusvus de ce lieu triomphanstriomphants
Pour avoir massacré ô PerePère tes enfansenfants
[Le choeur passe peut-être en fond de scène. Entre d'Oppède.]D’Opede
24[24] Les doutes exprimés ici par d'Oppède sont capitaux pour l'interprétation du personnage, ainsi que pour l'interprétation de la pièce : d'Oppède comprend qu'il va contre sa conscience et contre la volonté de Dieu en massacrant les Vaudois. Voir notamment sur ce point Charles-Louis Morand Métivier, « La Construction de la Masculinité dans la Tragédie du Sac de Cabrières : Le Cas d’Opède », revue en ligne Modern Languages Open, 1, 22 mars 2018. [URL : https://modernlanguagesopen.org/articles/10.3828/mlo.v0i0.171]115Est il-il donc arrestéarrêté qu’une heure en patience
Vivre ne me lairras25[25] Laisseras maudite conscience
PourquoyPourquoi veux je-je ce peuple estreêtre tout massacré
Ce peuple tout fidelefidèle et à Dieu consacré !
Ce peuple dont la vie est si saintement pure
120Que pour l’amour de luylui Dieu encor nous endure
France seroitserait en proyeproie et les FrançoisFrançais captifs
Ou serviroientserviraient au Turc ou esclaves craintifs
SeroientSeraient ja26[26] déjà transporteztransportés au profond des Hespaignes27[27] Espagnes
Sans le vœu d’oraison que fait en ces montaignesmontagnes
125Ce saint tropeautroupeau tousjourstoujours pour le RoyRoi exaucé
Que fera donc ce camp qu’ici je tiens dressé ?
Le ciel leur favorise et m’est de tout contraire
Dieu prend leur cause en main et je les veux defairedéfaire
Si faut il-il passer outre ou mourir où je suis
130DesisterDésister je ne veux et aussi je ne puis
» Car l’homme qui du tout acheveachève un meschantméchant acte
» N’apparoitapparaît si meschantméchant qu’un sot qui s’en retracterétracte
» Cestui cyCelui-ci luy mesmelui-même est le Juge de son fait
» PourcePour ce28[28] Pour cette raison le condamnant qu’il le laisse imparfait
135» Mais l’autre qui poursuytpoursuit jusqu’à la fin son œuvre
» Semble estreêtre vertueux quand tout son mal il coeuvre29[29] Couvre. Nous conservons la forme originale pour la rime.
» D’une perseverancepersévérance entiereentière sous espoir
» D’une agreableagréable issue à ses desirs avoir
Ô que si jamais donc je romps mon entreprise
140La roüe d’Ixion pour Ixion me brise30[30] référence à Ixion, l'un des suppliciés des Enfers.
Que me serviroit servirait-il qu’au lieu d’un bonnet rond
De cestcet armet doré je me couvre le front ?
Au lieu de ma grand robberobe avoir cestecette cuirasse ?
Pour la plume en la main cestecette pesante masse ?
145Suis je-je quictantquittant ma mule armé sur ce roussin
Pour m’enfuir en lieu d’attendre et veoirvoir la fin
Ay Ai-je bruslébrûlé Pepin la Motte Saint Estienne
Lormarin, Valelaure et la Roche prochaine
Foudroyé Cabrieretteabysméabîmé MerindolMérindol
150Saccagé Saint Martin 31[31] Référence à toute une série de lieux du sud de la France : Pépin d'Aigues, La Motte d'Aigues, Saint-Étienne de Gerson, Lourmarin, La Roque d'Anteron, Cabrières d'Aigues (la petite Cabrières), Mérindol, Saint Martin de la Brasque. ay ai-je ravi d’un vol
Vingt bourgs villes chasteauxchâteaux les ayai mis en braise
Comme n’ayansayant servi jamais que de fournaise
Ay Ai-je donques32[32] Nous maintenons cette forme pour le compte syllabique. destruitdétruit tant d’hommes et de lieux
Pour estreêtre pitoyable en lieu de furieux
155Afin qu’en espargnantépargnant ce reste de Canailles
Je leur quictequitte le fruit de toutes mes batailles
Seroit Serait-ce bien à fin que ce que j’ayai gaignégagné
Soit à mon ennemyennemi pour l’avoir espargnéépargné !
Et qu’on distdit de D’Opede il obtient bien victoire
160Mais il n’en scaitsait user à son profit neni gloire
Je les ayai condamnezcondamnés à perdre biens et corps
Qu’ils ne vivent donc plus ils m’enrichissent morts
Sus sus sus que pour moymoi leur arrestarrêt j’exequuteexécute
CesteCette grand’Courtisane 33[33] L'Église, bien sûr. à qui mon bien j’impute
165Ayant de don du RoyRoi leur confiscation
M’a fait pour petit pris de son droit cession
Avec tout plainplein pouvoir de lever des gendarmes
Gens de pied et souldarssoudards bien exercezexercés aux armes
Enseignes desployerdéployer estendarsétendards, gomphanonsgonfanons
170Mener artillerie et braquer gros Canons
Voilà comme je suis generalgénéral capitaine
De tout ce camp lequel où il me plaitplaît je meine
Tous mourront du premier jusques au dernier rancrang
Ou je mettraymettrai Cabriere34[34] Nous maintenons cette forme pour éviter la liaison, ce qui modifierait le compte syllabique. au jour d’huyaujourd'hui toute en sang.
LE CHŒUR
175L’eterneléternel a ouyouï nostrenotre ardanteardente priereprière
Faisant que ces vilains ont tourné le derrière
[Le sens des propos du choeur semble indiquer qu'il n'a pas entendu D'Oppède ; peut-être faudrait-il alors le faire entrer avec Catderousse, qui rapporte en effet la nouvelle de la défaite des catholiques. Cependant, on peut également supposer qu'il n'entend pas Catderousse, lequel annonce la trahison de Polin.] [Entre Catderousse.] Catderousse et D’opede
Catderousse
Nos ennemysennemis nous ont si vaillansvaillants repoussezrepoussés
Qu’ils ont de nos gens morts remplis tous leurs fossés
Poulin à cest’cette heure est pour vous tenir promesse
180Avecques35[35] Nous conservons cette note pour le compte syllabique un herauthéraut presprès de leur forteresse
Nous voicyvoici vostrevotre gendre et saint Romain aussi36[36] Comme l'explique Daniela Boccassini dans son édition, le gendre de d'Oppède est soir Antoine de Glandèves, seigneur de Pourrières, soit François de Perussis, baron de Lauris, puisqu'ils ont tous les deux participé au sac. Saint-Romain renvoie à Louise d'Ancézune-Cadart, seigneur de Saint-Romain de Malegarde.
Et autres principaux qui retournons icyici
Nous avons d’un accord par Poulin fait la trevetrêve
Attendant que couvert son œuvre il paracheveparachève
185Il a ja37[37] déjà fait sortir les gouverneurs vers luylui
Croyez qu’il les rendra captifs dans ce jour d’huyjourd'hui.
D’Opede
Si Poulin envers moymoi ne se monstremontre fidelefidèle
La peine de la mort ne m’est assésassez cruelle
Ô jour trop malheureux ! quelles gens se sont mis
190Pour renfort dans la ville avec nos ennemis
Catderousse
Autres qu’eux n’ont defautdéfaut tant de nos vaillansvaillants hommes
D’Opede
Contr’Contreun d’eux neantmoinsnéanmoins vingt ou trente nous sommes.
Catderousse
Le plus foiblefaible souvent surmonte le plus fort
D’Opede
Ainsi ballotte Mars le hazardhasard de son sort
Catderousse
195ToutesfoisToutefois comme ayant en ma main la victoire
J’enflamboyenflambai nos souldarssoudards ainsi du feu de gloire
SouldarsSoudards si vous avez tels cœurs qu’aviez devant38[38] avant, auparavant
Ils sont vaincus c’est fait piquez donques avant
Le premier qui mettra les piezpieds sur la muraille
200Aura outre l’honneur cestecette riche medaillemédaille
Et le second aura ma chainechaîne de pur or
Le troisiesmetroisième un beau repris et le quatriesmequatrième encor
HarquebusiersArquebusiers tirez -vous trainanstraînant sur le ventre
Poulin, crioitcriait aussi : si le soleil y entre
205N’y entrerons -nous pas ? Courage là dedans
Les poltrons prient Dieu comme ja se rendansrendant
Je crie au canonnier qu’il redouble la breschebrèche
Qu’est du jour d’hyerhier encore toute freschefraîche
À grands coups de canon qu’il batte leurs remparsremparts
210Et ceux qui sont dessus fonce de toutes parsparts
Mais un plus asseuréassuré nostrenotre Canonnier perseperce
Par le milieu du corps et tout mort le renverse
De tout nostrenotre ScadronEscadron qui se serroitserrait de presprès
Les plus forts sont blessés et repoulsezrepoussés apresaprès
215Si dru ne chet39[39] tombe la greslegrêle au giron de la Terre
Comme tombent espés nous40[40] Faut-il lire nos ? vaillansvaillants gens de guerre
Panisse41[41] Claude Panisse, conseiller au Parlement de Provence. alors crioitcriait : comment vous reculez
Et si en avez tant massacrés et bruslésbrûlés
Bon cœur souldartsoudard bon cœur sus entre monte tue
220Cependant qu’un chascunchacun combattant s’esvertueévertue
Ce Canonnier nous bat sans cesse et si adroit
Qu’il ne pourroitpourrait faillir quand faillir il voudroitvoudrait
Tout ce qu’on a escritécrit des cent mains de Briaire42[42] Briarée, titan de la mythologie.
Et cent bouches à feu est chose trop vulgaire
225Au prisprix de cestui cycelui-ci qui tirant bas et haut
Ne cesse de tuer tant que dure l’assaut
Pour les cent mains de l’autre et cent bouches ou forges
CestuiCelui a mille bras et mille ardentes gorges
Dont il vomit le feu si espésépais foudroyansfoudroyant
230Qu’en routteroute43[43] déroute et fuite il met le reste de nos gens
Mais quoyquoi pour eviteréviter une entiereentière defaitedéfaite
Ils n’ont point attendu qu’on sonnastsonnât la retraite
D’Opede
» L’experience auzaux folsfous mais c’est trop tard apprend
» Qu’avant le coup le sage escouteécoute et conseil prend
235» Qui peut estreêtre vainqueur sans hazarderhasarder sa vie
» S’il la hazardehasarder il n’a de la garder envie
Mais puis quepuisque Poulin est allé parlementer
À eux devant le temps ne le faut tourmenter
Durant la trevetrêve allons au tour de la muraille
240PrenansPrenant garde que nul de ces meschantsméchants n’en saille44[44] sorte .
Car j’ayai juré que vif nul n’en eschapperaéchappera
Hommes femmes enfansenfants tout meurtrymeurtri y sera
Catderousse
Adieu donc car Poulin aux vilains fait entendre
Que Je veux contre vous pour eux les armes prendre
[Catderousse et d'Oppède sortent. Le choeur entre ou passe sur le devant de la scène]Le Chœur
245La victoire
Ne vient pas
NeNi la gloire ! par le pas
Ni compas
Du mortel
250L’immortel45[45] Dieu
Qui l’ordonne
Seul la donne
De nature l’escorceécorce est
Bien peu dure
255La forestforêt
Pourtant naistnaît
S’espessitépaissit
Se grossit
Et renforce
260Sous l'escorceécorce
L’arbre elle arme
Contre l’air
Et l’alarme46[46] Mot masculin.
Rouge et clair
265De l’esclairéclair
Pour le fruit
Qu’il produit
De fleurs belles
Annuelles.
270De l’escailleécaille
L’ast47[47] écrevisse de mer
Fait sa maille
Pour s’armer
Et de l’äerair
275Les legiers48[48] Nous maintenons cette forme pour la rime.
Chevaliers
Font rondelesrondelles
De leurs ailes.
La LimasseLimace
280Dans son fort
Se ramasse
Et n’en sort
Ains49[49] Mais tient fort
D’ongles grands
285Corne et densdents
Mainte bestebête
Se font testetête.
ChasqueChaque sorte50[50] espèce animale
En ses droits
290Se tient forte
Mais des Rois
Nul harnois51[51] Nous maintenons cette forme pour la rime.
Tant soit fort
Que la mort
295Ne les darde
Ne les garde52[52] Mais nul harnais, quelle que soit sa force, n'empêche que les rois soient atteints par la mort.
Quelque ruse
Ou scavoirsavoir
Dont l’homme use
300Quelque avoir
Ou pouvoir
Qu’il fait sien.
Ce n’est rien
Quand Dieu contre
305Fait sa monstremontre53[53] se montre .
Rien le nombre
Des souldarssoudards
De l’encombre et hazardshasards
Du dur Mars
310Quand Dieu veut
Rien ne peut
Tout en somme
Sauver l’homme
Ains54[54] Mais la dextre55[55] la main droite
315Du seul Dieu
Et seul maistremaître
En tout lieu
Au milieu
Du combat
320Seule abbatabat
Mort sur l’herbe
Le superbe.
Elle seule
À la mer
325Fait la geulegueule
Defermer56[56] Refermer
Puis ramer
À beau pied
Dans le gué
330Son armée
Pourchassée
Or l’Egypte
Pour cela
Plus s’irrite
335Dont par là
DevallaDévala
Au tombeau
Dessous l’eau
Qui l’engorge
340Dans sa gorge57[57] L'épisode du passage de la mer rouge (Exode, 14 : 15-31)
La gent sainte
Puis58[58] Ensuite eut peur
D’un camp ceinte
Quand l’horreur
345Du GeantGéant
MaugreantMaugréant
La defiedéfie
De sa vie
Elle pleure
350Et David
Tout sur l’heure
Elle veitvit
Qui seul feitfit
Ce rocher
355TrebuscherTrébucher
Bas à terre d’une pierre59[59] Episode du combat de David et Goliath (I Samuel 17), qui illustre la puissance de Dieu.
Qui s’appuyeappuie
Au Seigneur
Et s’y fie
360Aura l’heur60[60] le bonheur
Et l’honeurhonneur
Et le prisprix
D’avoir pris
Ses contraires
365Adversaires
[Le choeur reste en scène tandis qu'entrent les autres personnages.] Poulin le Maire le Chœur et le Syndique [Polin est à part : il entend les Vaudois de loin tandis qu'eux-mêmes "consultent ensemble" et n'entendent pas ses commentaires.]
Poulin
Ces captifs m’ont suivysuivi. Ils consultent ensemble
J’ayai peupu d’icyici ouyrouïr leurs propos dont je tremble
Le Maire
CeluyCelui qui parlemente à l’ennemyennemi se vend
Le chœur
L’asiégéassiégé par l’oreille en la prestantprêtant se prend
Le Maire
370Ce n’est pas en la guerre où derechef on pechepèche
La premierepremière faute est une mortelle breschebrêche
Le chœur
La la premierepremière faute est d’un encombre tel
Qu’amender ne se peut par l’esprit du mortel.
Le Maire
Quelle rage vous a privezprivés d’intelligence !
375Quelle fureur vous osteôte insensés cognoissanceconnaissance !
Qui vous a hors du sens si brutalement mis
Que de capituler avec nos ennemis !
Le Chœur
Si Cabriere61[61] Nous maintenons la forme pour le compte syllabique. en avoitavait encore dix semblables
Ses murailles seroientseraient pour jamais imprenables
380L’appasappât et trahison de l’endormant flateurflatteur
Sans leur nuire cherroitchoirait62[62] tomberait sur le chef63[63] la tête de l’autheurauteur
Le Maire
Estimeriez -vous bien que vers vous Poulin sorte
De ce gouffre d’Opede et qu’il vous en apporte
Mot qui ne soit le fiel de douloureuse mort
Poulin
385C’est fait de moymoi c’est fait je suis pris je suis mort.
Le Maire
N’apercevez -vous point le venin de d’opede !
Ou bien l’appercevantapercevant nyn'y mettez -vous remede
Helas cognoissez connaissez-vous si peu ce faux Poulin
Ce faux Poulin remplyrempli du faux esprit malin
390Ce faux Poulin duquel les Turcs sont les nourrices64[64] Transparaît une image négative de l'empire ottoman, objet de fascination mais aussi de peur, ici associé à la tromperie.
Ce faux Poulin qui fait de toutes vertus vices
Ce faux Poulin qui croit en Dieu comm’comme un cheval
Le meschantméchant (croyez -moy) nostrenotre ruyneruine forge
Venant pour nous couper de nos cousteauxcouteaux la gorge
Le Syndique
395» Quand d’espererespérer la paix quelqu’quelque heureux signe luit
» SeditionSédition n’a lieu qu’entre les furieux65[65] Prononcer en 3 syllabes fu-ri-eux.
Pourtant doit l’eviteréviter quiconque sa charrue
Veut veoirvoir de halecrets en coutres revestuerevêtue66[66] Quiconque veut voir sa charrue revêtue d'une armure (c'est-à-dire, quiconque a le tempérament belliqueux, ce dont le Maire accuse le Syndique)
Maire retirez -vous pour n’empescherempêcher tel heur67[67] bonheur, sort favorable.
Le Maire
400C’est bien dit, car la mort aux ChrestiensChrétiens n’est malheur
Le chœur
Le feu celestecéleste rapt qu’on feint de PromethéeProméthée
Est le don de prudence heureusement entée.
Au cerveau de ce Maire : ô que s'il estoitétait creu68[68] Nous maintenons la forme pour la rime, même si la prononciation moderne aurait peut-être du mal à la conserver.
Jamais Ils ne seroientseraient consumés par le feu.
Le Maire
405Adieu et vous gardez de vous livrer en proyeproie
Pour dire mais trop tard helashélas je n’y pensoye69[69] Nous maintenons la forme pour la rime.
[Le Maire sort ou passe en fond de scène (parce qu'il ne veut pas d'un accord avec Poulin).]Le Syndique
» Il faut par tous moyens plustostplutôt que par effort
» Faire que l’ennemyennemi cognoisseconnaisse qu’il a tort
AppellezAppelez donc Poulin. CaÇà70[70] Là, ici. venez capitaine
410Dites -nous s'il vous plaistplaît la cause qui vous meinemène71[71] amène
Poulin
La cause vrais ChrestiensChrétiens vostrevotre bien seulement
Et à fin qu’asseurezassurés n’en doubtiezdoutiez nullement
PremierementPremièrement le Dieu que vous priez j’invoque
Qu’il vueilleveuille presiderprésider sur ce presentprésent colloque
415Qu’il n’y soit dit neni fait rien contre son honneur
Rien contre vous enfansenfants du ToutpuissantTout-puissant Seigneur
Ce fondement bien mis au nom de vostrevotre PerePère
Tel que vous me voyez tenez -moy vostrevotre frerefrère
D’autant que du profond gouffre d’iniquité
420Mon Dieu m’a fait surgir au port de vérité
Pour le glorifier je n’ayai honte de dire
MeschantMéchant ! que j’ayai osé de ma mère mesdiremédire
Comme d’une putain pour estreêtre par tel art
Du seigneur de Grignan reputéréputé le bastardbâtard
42572[72] L'auteur en profite pour rappeler les origines bâtardes de Poulin, né de l'union adultérine de Louise Adhémar de Grignan et de l'épouse de Louis Escalin, comme le rappelle Daniela Boccassini, tout en les faisant nier par le personnage. Plus tostPlutôt que d’estreêtre au vrayvrai dit le fils legitimelégitime
De mon perepère un pouvrepauvre hostehôte homme de nulle estime
VrayVrai est qu’entre les Turcs j’ayai aprisappris à mentir
Mais pleurant je ne fayfais las que m’en repentir
Christ ne m’a pas instruit en sa vérité sainte
430Qu’il ne m’ait fait hayrhaïr toute parolleparole feinte
Bien que tousjourstoujours Poulin bastardbâtard on jurera
Poulin pourtant menteur trouvé plus ne sera
VostreVotre tant bon seigneur est poulsépoussé d’un tel zelezèle
Qu’il m’a rendu en Christ la gracegrâce à Dieu fidelefidèle
435Ce qu’estreêtre je ne puis sans vous delivrerdélivrer tous
Ou bien que je ne meure aujourd’huyhui avec vous
Le Syndique
Le Sieur de Catderousse et sieur de cestecette ville
Pourrroit Pourrait-il bien entendre et aimer l’Evangile
Poulin
Pour vous en asseurerassurer d’un grand cœur il m’a dit
440Que plustostplutôt que souffrir à cestcet homme maudit
Toucher du bout du doigt une seule personne
À mille morts pour vous sa vie il abandonne
De moymoi voicyvoici le point sachez que quand Je voyvois
Si constante envers Dieu et envers vous sa foyfoi
445Je luylui baise la main et hautement m’escrieécrie
Mourons pour eux ou bien sauvons -les je vous prie
Il respondrépond qu’il est prestprêt demande seulement
Que je luylui vueilleveuille ouvrir le moyen et comment
Il faut que nous allons73[73] Il faudrait "allions" en français moderne, mais nous maintenons cette forme pour le compte syllabique. (luylui di dis-je) expresexprès defendredéfendre
450À ce sot presidentprésident de rien plus entreprendre
Sur nul de vos subjectssujets neni sur leur bien aussi
Que dans demain il vuidevide et tout ce camp d’icyici
Autrement il scaurasaura qu’un Gentilhomme en guerre
Des mains d’un AdvocatAvocat scaitsait bien garder sa terre
455Quant est du differentdifférent pour vostrevotre foyfoi esmeuému
Qu’il en soit par le RoyRoi chrestiennementchrétiennement cogneuconnu
Le tout ainsi conclu nous allons à D’Opede
LuyLui d’un front refrongnérenfrogné d’une grimace laide
Et d’un regard hideux nous cuide espouventerépouvanter74[74] croit nous épouvanter
460Vous l’eussiez veuvu crier se battre et tourmenter
Et qui pis est vomir blasphemesblasphèmes execrablesexécrables
Mais nonobstant ses cris si fermes et si stables
Persister il nous veoitvoit ou qu’il luylui faut mourir
Ou à son barreau d’Aix vistementvitement recourir
465Car j’avoyavais pratiqué souldarssoudards75[75] soldats et capitaines
Qui contre luylui jestoientjetaient la rage de leurs haines
Criant que ce larron ce vieil asneâne cassé
Tout à cest’cette heure soit par les piques passé
Luylui (comme de deux maux on doit prendre le moindre)
470À l’accord de vuidervider76[76] vider les lieux, partir contraint est venu joindre
« Car l’homme qui ne peut faire ainsi comm’commeIl veut
« Contraint est de vouloir seulement ce qu’il peut
Le Syndique
Quel accord s’il vous plaistplaît dites -le en sa substance77[77] Pour que le vers soit juste, il faut bien faire l'élision du "e" : dites-l(e) en sa substance.
Poulin
C’est que pour sa deschargedécharge et pour son asseuranceassurance
475Sans laisser un seul point vous mettrez par escritécrit
La ffoyfoioy que vous avez au PerePère en JesuchristJésus-Christ
Au saint Esprit aussi ; qu’à d’Opede à cestecette heure
Le tout clos soit porté à fin qu’il ne demeure
Pour quatre mille escusécus c’est sa dernieredernière main
480VostreVotre seigneur pour vous s’est monstrémontré si humain
Qu’il a promis payer la somme toute entiereentière
Regardez regardez fidelesfidèles de Cabriere
Comme le Dieu vivant vostrevotre unique secours
Vous retire au jourd’huyaujourd'hui des pattes de cestcet ours
485À fin qu’ici tousjourstoujours vous chantiez les louanges
De Dieu qui seul a fait merveilles si estrangesétranges
En delivrantdélivrant les siens qu’il rend leurs ennemysennemis
Par son esprit changezchangés en leurs plus grands amis
Ainsi changé par luy autheurauteur de ma venue
490Je ne cerchecherche sinon que ma foyfoi soit cognueconnue
Entre vous par les fruits de Sainte Charité
TesmoignageTémoignage certain de ma fidelitéfidélité
Maintenant c’est à vous de veoirvoir sur cestcette affaire
Et si je puis encor78[78] Nous maintenons la forme pour le compte syllabique. quelqu’autre chose faire
495Vous ne m’espargnerezépargnerez, l’effet vous fera veoirvoir,
Que j’aurayaurai comm’comme amyami fait du tout79[79] Formule positive (qui signifie "complètement"). mon devoir
Pour la fin Je vous pri80[80] Nous maintenons la forme pour le compte syllabique. de faire en telle sorte
Que ce vilain s’en aille tenir ailleurs escorte
Le Syndique
Si là avec le Maire il vous plaistplaît deviser
500Nous pourrons entre nous plus libres adviseraviser
Ou si nous vous devons à poursuyvrepoursuivre semondre81[81] inviter
Et vous remercier ou autrement respondrerépondre
Poulin
Je m’en vayvais avec luylui faites tout à loysirloisir
Et vous gardez du mal en lieu du bien choisir
[Le syndic sort, le choeur passe en fond de scène ou sort. Poulin rejoint le Maire, qui a pu entrer en scène à la fin de la réplique, ou qui est resté en scène, mais éloigné du centre.] Le Maire et PoulinLe Maire
505Voici venir Poulin Poulin nostrenotre ruine
Poulin
Contre ce fin rusé faut que je contremine
Le Maire
Mon Dieu tu me retiens qu’à ce traistretraître menteur
Je ne donne du plomb droitement dans le cœur
Ô maudite harquebusearquebuse ô maudites plombées
510Tant de personnes sont mortes par vous tombées.
Hélas ! estoit était-ce à finafin maintenant d’espargnerépargner
Ce meschantméchant pour le faire en nostrenotre sang baigner
Ah ! que n’est -il permis de bien faire en tuant
Et le sang estancherétancher du sang d’un sanguinaire
515Que tu n’y serves rien malheureux pistolet !
Rien malheureux Canon ! rien malheureux boulet !
Ô malheureux salpestresalpêtre, ô malheureuse poudre
Puis quePuisque ce traistretraître à Dieu vous ne bruslezbrûlez en foudre
Poulin
[Poulin prononce les deux premiers vers en aparté : il comprend qu'il va devoir mettre en place une autre stratégie (en l'occurrence, se désolidariser franchement des chefs catholiques) pour convaincre le Maire.]Garde qu’à cestui celui-ci tu ne sois descouvertdécouvert
520Poulin ou tu seras percé à jour ouvert
Mon frère voyez -vous ces sept qui se pourmeinentpromènent
Et couplezcouplés deux à deux grand suite apresaprès eux meinentmènent
Le Maire
Si je les voyvois ? Oui il y a jajà long tempslongtemps
Poulin
Ô qu’ils sont de me veoirvoir en ce lieu malcontensmal contents !
525Car ils n’ignorent pas qu’à chacun je racompteraconte
Leurs vies82[82] Prononcer en deux syllabes : vi-es qui feroyentferaient SathanSatan rougir de honte
83[83] S'ensuit le portrait des chefs en monstres.Ce monstre qui la rage escumeécume furieux
Ce premier di dis-je à qui le feu sort par les yeux
Ce visage emprunté cestecette teste pointue
530Ce gros groin de pourceau cestcet aller de tortue
Ces grands oreilles d’asneâne et ces grands densdents de loup
Ce col à vis froncé dans le corps tout à coup
Ces levreslèvres contre Dieu à blasphémer hardies
Ces doigts crochezcrochés ainçois84[84] et même, plus encore ces gryphesgriffes de HarpyesHarpies
535Qui contaminent tout ce qui en est touché
Ces aixellesaisselles fyfi fyfi où le bouc est caché
Ce grand gouffre de ventre estayéétayé sur deux piles
LegièresLégères à destruiredétruire autrement immobiles
Dont le fondement est de deux pieds de gryphongriffon
540CesteCette bestebête puante et de faictfait et de nom
Puante si puant avant qu’elle soit morte
Que d’un mill’la sentant la femme grosse avorte
C’est d’Opede Minier ah le ladre pourri
Par les TygresTigres petit fut de leur sang nourrynourri
545Depuis ses premiers ans ces premiers mets de Thrace
Jusqu'à crever l’on fait ainsi sanglante masse
D’un corps si bien marqué jugez quel est l’esprit
Qui fors que cruauté rien85[85] rien d'autre que cruauté en son temps n’apprit
Tel le corps tel l’esprit homme ne scauroitsaurait dire
550Lequel des deux le plus son compaignoncompagnon empire
Ce monstre si hideux ores86[86] maintenant dans son chasteauchâteau
Bat la fausse monnoyemonnaie or’y tient le bourdeau87[87] bordel
Ouvert à tous venansvenants là cestcet inceste infameinfâme
Fait de sa propre seursoeur sa legitimelégitime femme
555Et pour mieux se monstrermontrer le meschantméchant des meschansméchants
Il a fait là le sang regorger par les champs
Le Maire
Mais qui est cestuy celui-là qui l’accoste et le touche
Et comm’commeun gros matinmâtin tourne vire et se couche ?
Poulin
C’est son vilain de gendre en toute cruauté
560Pire que son beau perepère et en desloyautédéloyauté
Pour scavoirsavoir ses vertus contentez -vous en somme
Que jamais le Soleil ne veidvit si meschantméchant homme
Le Maire
Ces deux qu’on voit apresaprès si braves se marcher ?
Poulin
Ô qu’ils voudroyentvoudraient vous veoirvoir tous en piecespièces hascherhâcher !
565Le plus petit des deux a fait mourir son frerefrère
L’autre a rendu la mort pour sa vie à sa meremère
Le Maire
Et cestcet autre fuyant sçavez savez-vous qui il est ?
Poulin
Je ne le scaysais que trop dont fort il m’en desplaistdéplaît
Il n’est SathanSatan nyni homme ains88[88] mais pire que le diable
570Car la divinité il distdit n’estreêtre que fable
Des autres le premier n’a point aussi de Dieu
Non plus que le second qui se marche au milieu
Le Maire
Le tiers89[89] troisième tant basanné90[90] Nouvelle remarque que notre modernité qualifierait de xénophobe monstremontre bien à sa mine
Que pour estreêtre bourreau homme n’y a plus digne
Poulin
575Croyez qu’on ne pourroitpourrait jamais depeindredépeindre au vif
Les vices malheureux de ce malheureux Juif
Le Maire
Monsieur de Catderousse ou est -il à cestcette heure ?
Poulin
S’il est veuvu avec eux prenez moy-moi que je meure
Car il les a en haine et tant que soufflera
580Du Pole Articq’91[91] Nous maintenons la forme pour le compte syllabique. la bise il ne les aimera
Le Maire
Allons on nous rappelle ô combien je voudroye92[92] Nous maintenons cette forme pour la rime.
Que ce cheval ne feistfît de Cabriere une Troye
[Le Syndic entre.] Le Syndique Poulin et le MaireLe Syndique
Nous remercions Dieu de ce qu’il a usé
De sa gracegrâce envers vous paravant93[93] auparavant abusé
585Aux erreurs de SathanSatan en vous monstrantmontrant sa voyevoie
VoyeVoie94[94] Prononcer voi-e que qui la suit garde n’a qu’il fourvoyefourvoie95[95] Voie telle que celui qui la suit se garde de se fourvoyer
GracesGrâces nous luy rendons de vostrevotre volonté
Pour nous heureusement remettre en liberté
AumoinsAu moins s’il est ainsi que vous venez de dire.
Poulin
590Ah faites moy-moi mourir c’est ce que je desiredésire
Je suis las de tant vivre ô mort mon seul repos
Puis quePuisque ces gens de bien doubtentdoutent de mes propos
Le Syndique
La plus partplupart les croit bien mais jamais n’est si ferme
Ce qu’on dit simplement comme ce qu’on afferme96[96] Nous maintenons cette forme pour la rime (lire "affirme").
Poulin
595Ô souverain seigneur qui tient tout sous ta main
Seigneur qui nous defensdéfend de ton nom prendre en vain
Et qui as condamné avecques97[97] Nous maintenons la forme pour le compte syllabique. le perjureparjure
CeluyCelui qui en mesprismépris pour neantnéant ton nom jure
Ô Seigneur qui destruisdétruit les traistrestraîtres et menteurs
600Et vois le plus profond de l’abysmeabîme des cœurs
Je te prie Eternel que sur moymoi tu desserres
Tes foudres tes esclairséclairs, tes esclattanséclatants tonnerres
Qu’à présent J’en soy’soisars98[98] brûlé de tout salut forclos99[99] exclu, interdit
Si pour ce peuple saint que ce camp tient enclos
605Je n’ayai pris le combat et trouvé la manieremanière
Pour sauver aujourd’huyaujourd'hui et delivrerdélivrer Cabriere
Que je soyesois ô mon Dieu comme CainCaïn maudit
S’il n’est ainsi du tout comme je leur ayai dit
Et qu’éternellement de ton fils le meritemérite
610En lieu de t’appaiserapaiser plus contre moymoi s’irrite
Le Ciel me soit fermé la fureur de la mer
Me vienne au plus hideux des gouffres abismerabîmer
L’air pour m’entretenir de tous venins m’emplisse
La terre ne me porte encor moins me nourrisse
615Si du tout je n’ayai dit la pure vérité
N’ayesaie jamais Seigneur de ce Poulin pitié
Le Syndique
A cestcette heure on vous croit toutesfoistoutefois je puis dire
Que mieux on vous eusteût creucru sans ainsi vous maudire
Poulin
Pour affermeraffirmer le vrayvrai est -ce fait meschammentméchamment
620D’en faire juge Dieu qui seul scaitsait si on ment ?
Le Maire
Je crains que vrayvrai ne soit en ce vilain qui jure
Que plus jure vilain plus vilain se parjure
Le Syndique
Nous accordons le tout voicyvoici de nostrenotre part
Les points de nostrenotre foyfoi icyici escritsécrits à part
625Scellez et cachetez nostrenotre foyfoi sera veuevue
Par là telle qu’elle est tousjourstoujours par nous tenue
Le Maire et moymoi l’irons au nom de tous porter
Et à qui vous voudrez hardiment presenterprésenter
Le Maire
À la charge Messieurs qu’y laisserons la vie
630C’est honneur que pour Christ elle nous soit ravie
Poulin
Dieu vous facefasse en sa foyfoi heureux vivre et mourir
Au reste il faut encor100[100] Nous maintenons la forme pour le compte syllabique. pour mieux vous secourir
Que Catderousse ou moymoi expressementexpressément à l’heure
Qu’on leveralèvera le siegesiège en la ville demeure
635A la routteroute d’un camp tousjourstoujours y a danger
Que les souldarssoudards cassezcassés ne courent saccager
Si tosttôt qu’on sonnera. Serre serre bagage
Vous nous aurez tous deux et quelqu’autre en hostageotage
Le Syndique
Nous nous fions en vous croyez que nous ferons
640Ce que nous conseillez et qu’ingrats ne serons
NyNi envers vous monsieur nyni envers nostrenotre maistremaître
Le Maire
Ô mon Dieu s’obliger à bien faire à un traistretraître
Poulin
Ça mes deux freresfrères ça allons et qu’on ne cedecède
Rien de l’honneur de Dieu à ce meschantméchant d’Opede
Le Maire
645JesuchristJésus-Christ m’a donné une si vive foyfoi
Que je confesserayconfesserai l’honneur que je luylui doydois
Le Syndique
Il n’y a glaive ou feu qui m’empescheempêche de dire
Qu’il est mon seul Sauveur neni m’en facefasse desdiredédire
[Le Syndic, Poulin et le Maire sortent. Le choeur entre ou passe au devant de la scène.]LE CHŒUR
101[101] Nouveau discours sur la langue, dont le choeur condamne ici fermement les méfaits.La langue maudite
650En sucre et en miel
MesleMêle et rend confite
Sa102[102] Poison est féminin au XVIe siècle poison de fiel
Poison nonpareille
Qui tant seulement
655En touchant l’oreille
Tue en un moment.
Elle n’a point d’ailes
Et vollevole en tous lieux
Ses fleschesflèches mortelles
660Darde jusqu’aux cieux
De la mort la source
Source de tout mal
N’a roulé sa course
Par autre canal.
665NostreNotre premier perepère
Par elle deceudéçu
Oyant103[103] Entendant la viperevipère
PechePéché a conceuconçu
PechePéché dont le gage
670L’eternelleéternelle mort
Tout l’humain lignage
Lotit sous son sort.
Et quand la traistressetraîtresse
Adam a perdu
675La terre elle engresseengraisse
Du sang espanduépandu
Par le parricide
Qui en taintteint ses mains
Quand le monde il vuidevide
680Du quart des humains104[104] Deux strophes consacrées à l'épisode de la Chute (Genèse, 2 et 3) puis au meurtre d'ABel par son frère Caïn (Genèse, 4).
Toutes phrenesiesfrénésies
Toute fausseté
Toutes heresieshérésies,
Toute impieteimpiété
685La langue fait croire
Pour la veritévérité
Et le Dieu de gloire
EstreÊtre vanité.
Ce que langue on nomme
690Ce feutfut le docteur
Qui feitfit que Sodome
AbysmaAbîma d’horreur 105[105] Allusion à la destruction de Sodome (Genèse, 19)
Elle est la sereinesirène
Qui doux en chantant
695Dans le gouffre meinemène
Quiconque l’entend
Les Juifs tant affole
Que de leur thresortrésor
FondansFondant une idole
700Dressent le veau d’or
LuyLui font sacrifice
Sans aucun remord
Joyeux en leur vice
Y dansent d’accord106[106] Episode de l'adoration du Veau d'or (Exode, 32)
705Et à Samarie
Fausse promet l’heur107[107] le bonheur
De veoirvoir de Syrie
Son prince vainqueur
Qui d’une sagette108[108] flèche
710Tout outre persépercé
CheutChut109[109] Tomba de sa charrette
Mourant renversé110[110] Mort d'Achab, roi d'Israël, tué par les Syriens sur son chariot (I Rois 22).
D’une eau fort petite
L’honneur du torrent
715Commençant sa fuite
Si roideraide la rend
Que les rocs il roule
TirezTirés de leur fort
Ainsi qu’une boule
720Partant d’un bras fort
Ainsi d’une mouche
La langue nous rend
Tant soit peu la touche
Un grand ElephantÉléphant
725D’elle vint la rage
PourquoyPourquoi ce grand tout
Noyé par naufrage
Fut de l’eau en bout111[111] Le Déluge (Genèse, 6).
Et sa fin soudaine
730Viendra par le feu
Que cestecette vilaine
SoufleSouffle peu à peu
Comme d’une amorce
On veoitvoit ondoyer
735La flamme qu’à force
On ne ne peut noyer
Elle calomnie
TousjoursToujours veritévérité
Et tousjourstoujours denie,
740La droite equiteéquité
Par elle le vice
Est nommé vertu
Et droit et justice
Ce qui est tortu.112[112] tortueux, tordu.
745Mais qui rompt les trevestrêves
CouvansCourant trahison
Ou qui fait les vefvesveuves113[113] Ici il faut prononcer "véves" pour conserver la rime.
N’est -ce toytoi tison
Qui langue te nommes
750Langue qui du flanc
Des plus divins hommes
Fais courir le sang
Langue veneneusevénéneuse
Au marymari sa foyfoi
755La plus vertueuse
Viole par toytoi
La vierge pudique
Tu livres en main
Au paillard lubrique
760Lubrique putain
Qui pertperd la jeunesse ?
Tes allechemensallèchements
Qui pertperd la vieillesse ?
Tes enchantemensenchantements
765Du bien tu devises
Lequel te desplaistdéplaît
Car tu te deguisesdéguises
Ainsi qu’il te plaistplaît
Par toytoi la sourcieresorcière
770Murmurant ses vers
Nos corps en poussierepoussière
Anime de vers
La lune ensanglante
Et fait remonter
775L’eau precipitanteprécipitante114[114] Qui tombe
Et les monts sauter
La langue s’asseure115[115] Nous maintenons cette forme pour la rime
De meritermériter lozlos116[116] éloge
Si elle demeure
780Muette en son clos
Clos fait de densdents fortes
Où en serre elle est
Comme entre deux portes
LuyLui servansservant d’arrestarrêt
785La fierefière meurtrieremeurtrière
SecretementSecrètement fait
Que pleine est la bierebière
De ceux qu’ell’defaitdéfait
Le jus qu’elle cache
790En un petit bout
Si elle le crache
Empoisonne tout
Pourtant j’ayai grand doute
Que ton oraison
795Poulin ne soit toute
Toute trahison
Car un mercenaire
Du Turc ne craint point
Pour gain de defairedéfaire
800Le corps à Christ joint.
Si donques ô sire
Ce troupeau te plaistplaît
Ta main le retire
De mort où il est
805Et auzaux bords estrangesétranges
De chascunechacune mer
Tes hautes louanges
FaironsFerons escumerécumer
[Le choeur reste en scène tandis qu'entrent les autres personnages.]
D’opede le chœur le Syndique et le maire
D’Opede
A finAfin que Poulin mieux paracheveparachève son œuvre
810Et que nul de ceux cy-ci oisif ne le descoeuvre117[117] Nous maintenons cette forme pour la rime (comprendre "découvre").
Je les vayvais empescherempêcher à deduire118[118] Je vais les occuper en leur faisant décrire leur foi (ils vont lire leur confession de foi). leur foyfoi
Amis il n’est besoin que nous allions au RoyRoi
Si vous me déclarez ce qui est en ce rolle119[119] Rouleau (de parchemin)
Je vous escouterayécouterai sans dire une parolleparole
Le Chœur
815EscoutezÉcoutez tous souldarssoudards120[120] Soldats Gendarmes regimensrégiments
Comme Dieu par ses faits parolleparole et sacremenssacrements
Qui sont de sa clarté les trois evidensévidents signes
Se manifeste à ceux qui s’en sentent indignes
Le Syndique
L’escuécu de nostrenotre foyfoi nostrenotre victoire est tel
820Qu’au seul Dieu nous croyons qui seul est immortel
Le Maire
Au Dieu qui seul est Dieu distinct en trois personnes
Qui tout de rien a fait et n’a fait qu’œuvres bonnes
Le Syndique
Au Dieu qui de trois doitsdoigts ballançantbalançant ce grand tout
Le roule egalementégalement de l’un à l’autre bout
Le Maire
825Au Dieu qui a lié d’une rondeur egalleégale
De toutes parsparts en soysoi cestecette tant grosse balle
Le Syndique
Au Dieu qui tient unis par accordansaccordants discorsdiscords
Les grands membres qui sont divers en ce grands corps
Le Maire
Au Dieu qui fait virer et sans cesse desvuydedévide
830Au tourAutour de deux pivets le rond de ce grand vuidevide
Le Syndique
Au Dieu qui quand il veut tout le monde estonnerétonner
Ne fait sinon qu’un peu sa voix haute entonner
Le Maire
Au Dieu qui fait nager sur les monts dedans l’onde
Les Dauphins de la mer s’il en levelève la bonde
Le Syndique
835Au Dieu qui la mer change en beaux champs defrichezdéfrichés
Empoudrant dans le fonds les poissons dessechezdesséchés
Le Maire
Au Dieu qui jusqu’au ciel la vallée emmontaigneemmontagne
Et le mont sourcilleux applanitaplanit en CampaigneCampagne
Le Syndique
Au Dieu qui à la fin bruslerabrûlera l’univers
840Et sauvera les siens en perdant les pervers
Le Maire
Au Dieu qui hait péché pour qui la Terre endure
BruslantBrûlant tantosttantôt de chauldchaud et tantosttantôt de froidure
Le Syndique
Soit qu’approchant la Torche il allonge les jours
Ou soit que l’eslongnantéloignant il les rongnerogne plus courts
Le Maire
845Quand la terre est de soif beantebéante et embrasée
Il l’abbreuveabreuve et refait de sa pluyepluie et rosée
Le Syndique
Fait -elle trop la brave ? Il la despouilledépouille aussi
LuyLui ridant l’estomachestomac en glace tout transi
Le Maire
De neige il l’enfarine et la testetête chenue
850Il couvre de frimas où seroitserait toute nue
Le Syndique
Quant au poisson il fait un marbre de son eau
L’empierrant vif dedans ainsi qu’en un tombeau
Le Maire
C’est luylui qui seul refond ce marbre en son mol estreêtre
Et fait d’un tel ChrystalCristal l’eau coulante renaistrerenaître
Le Syndique
855Quand la bise enferrée en mille chants nouveaux
Par Zephire il enchante à l’ennuyennui les oiseaux
Le Maire
C’est luylui qui d’un regard de son grand œil du monde
CesteCette meremère de tous rend chascunchacun an fecondeféconde
Le Syndique
De ses fleurs diaprée en cent mille couleurs
860Puis grosse de tous fruits engendrezengendrés de leurs fleurs
Le Maire
Qu’il garde et fait meurirmûrir jusqu’au vineux Automne
Lors sa main liberalelibérale à tout le monde en donne
Le Syndique
VrayVrai que pour nos meffaitsméfaits quelquefois Souverain
Tu fais le ciel de fer et la terre d’airain
Le Maire
865Bref tes faits ô Dieu sont faits si admirables
Qu’autre n’en feitfit n’en fait n’en fairafera de semblables
Le Syndique
Par les seuls faits pourtant du tout bon toutpuissanttout-puissant
Qui est l’enfant d’Adam de son Dieu cognoissantconnaissant ?
Le Maire
En lieu d’y veoirvoir bien clair de soysoi nostrenotre nature
870(Ignorant animal) pleine est de nuictnuit obscure
Le Syndique
L’aveugle ainsi ne peut du jeu de l’acteur
Bien qu’il soit au theatrethéâtre en estreêtre spectateur
Le Maire
Ainsi ne peut le sourd ce qu’on lui dit entendre
NyNi l’impotent manchot ce qu’on luylui donne prendre
Le Syndique
875Pourtant aussi d’ailleurs Dieu a l’homme esclairééclairé
S’estantétant son createurcréateur et sauveur declairédéclaré
Par le miel distillant de sa divine bouche
Le Maire
Donc si divinement tous ses sens il luylui touche
Qu’il cognoitconnaît comme Dieu l’avoitavait au plus beau lieu
880De la terre en honneur mis comme un demydemi-Dieu
Car quand il eut portrait sur sa divine idée
Sa Corne d’abondance fut en luylui si vuidéevidée
Qu’il n’y avoitavait un tel chef -d’œuvre sous les cieux
Le Syndique
Il l’avoitavait tout comblé des presensprésents de son mieux
885Soit de sa crainte, amour, justice, cognoissanceconnaissance,
Soit de sagesse, force, et vrayevraie obeissanceobéissance.
Le Maire
Ou soit d’authoritéautorité et d’un exquis sçavoirsavoir
Soit d’un pur jugement soit d’un livre pouvoir
De tenir droit le cours de toutes ses pensées,
890Œuvres et volontés saintement compassées121[121] réglées
Le Syndique
Vous comteriezcompteriez plustostplutôt les celestescélestes flambeaux
Les pleurs de l’occeanpcéan et le bords de ses eaux
Que les biens que receutreçut cestecette fange animée
De l’autheurauteur qui l’avoitavait si richement formée
Le Maire
895Ô largesse ! ô faveur ! ô libéralité !
Le Syndique
Ô Adam plus qu’ingrat ! quelle desloyautédéloyauté
D’avoir creucru l’ennemyennemi de tout l’humain lignage
Et sacrilegesacrilège estaintéteint du Dieu vivant l’image !
Le Maire
Il s’est faictfait ignorant esclave du pechépéché
900De son Dieu adversaire à SathanSatan attaché
N’ayant pas seulement du bien la seule envie.
Le Syndique
En tout vice plongé il ne peutput en sa vie
Produire que pechépéché pechépéché le fruit de mort
Comme engendre le vers la charrongnecharogne d’un mort.
Le Maire
905PechéPéché bouillone en luylui et la race il y plonge
Qui s’en emboit122[122] imbibe ainsi comme d’humeur l’espongeéponge
Le Syndique
Tout le parfait change de sa perfection
En la perversité de sa corruption
Il ne retient plus rien de ses divines gracesgrâces
910Sinon (outre tout mal) du bien perdu les traces
Le Maire
Comme quand de l’orgueil d’un superbe ChasteauChâteau
Qui les cieux menaçoitmenaçait d’un haut rocher en l’eau
Ne reste qu’un bourbier sepulchresépulcre de ruines
Couverte d’une horreur de ronces et d’espinesépines
Le Syndique
915Pour s’estreêtre malheureux de tout bien despouillédépouillé
Et pour s’estreêtre meschantméchant en tout pechépéché souillé
Dieu juste l’a jugé à la mort eternelleéternelle
Et si fait gracegrâce encorencore au condamné rebelle
Le Maire
GraceGrâce par JesuchristJésus-Christ qui pour cela s’est fait
920Semence de la femme et a pechépéché defaitdéfait
Et la mort, par la mort satisfaisant au PerePère
Le Syndique
Par la mort qui occit l’homicide viperevipère
Le Maire
Par la mort qui seule est l’acquit de nos forfaits
Le Syndique
Par la mort qui seule est notre rançon et paix
Le Maire
925Par la mort qui seule est de la mort la victoire
Le Syndique
Par la mort qui seule est de tous ChrestiensChrétiens la gloire
Le Maire
Par la mort qui seule est le sacrifice entier
Qui seul l’homme refait des hauts cieux heretierhéritier
Le Syndique
Par la mort qui seule est divinement puissante
930D’abolir et la coulpe123[123] faute et la peine sanglante
Le Maire
Par la mort qui seule est le vrayvrai et seul moyen
PourquoyPourquoi Dieu de son droit fait gracegrâce et n’en perd rien
Le Syndique
Car justice au pechépéché innocemment cruelle
Et la gracegrâce au pecheurpécheur saintement paternelle
935Ont le pechépéché destruitdétruit et le pecheurpécheur sauvé
Par cestecette mort où Dieu juste et bon est trouvé
Le Maire
O divine bonté ! ô sagesse infinie
Ô abysmeabîme d’amour qui par l’ignominie
D’une maudite croix en quittant le forfait124[124] en s'acquittant du forfait
940Au droit de ta justice entiereentière a satisfait
Le Syndique
PerePère tu es la source et la cause premierepremière
Du salut des esleusélus et ton fils la matierematière
La FoyFoi est l’instrument par qui125[125] par quoi, par lequel le S.126[126] Saint Esprit
Nous le fait recevoir de toytoi en JesuschristJésus-Christ
Le Maire
945EstantÉtant ainsi sauvezsauvés par la divine gracegrâce
Il faut qu’à Dieu chascunchacun obeissanceobéissance facefasse
Non pas en la façon que l’enragé bigot
Invente en son cerveau pour se monstrermontrer devotdévôt.
Le Syndique
Tout service forgé est devant Dieu infameinfâme
950Plus que devant nos yeux les draps souillezsouillés de femme
Le Maire
Combien de fois Seigneur as -tu dit en ta loyloi
Si je suis vostrevotre Dieu mon peuple servez moy-moi
Sans rien changer ou mettre à ce que je commande
L’obéir seul me plaitplaît et non pas vostrevotre offrande
Le Syndique
955Je veux dit -il aussi que prompts de cœur et main
Vous secouriez heureux chascunchacun chascunchacun prochain
Vous fait -il mille torts ? pour le mal bien luylui faites
Ce sont de charité mes saintes loixlois parfaites
Le Maire
HelasHélas qui est celuycelui qui en a le pouvoir ?
960Pouvoir ! ains127[127] mais qui en peut le seul desirdésir avoir
PourcePour ce128[128] Pour cela la loyloi condamne equitablementéquitablement l’homme
Debteur129[129] Débiteur à son Seigneur de la totale somme
Que par sa seule faute il ne scauroitsaurait payer
Le Syndique
PourceParce qu’il a perdu jusqu’au dernier denier
965Tout ce qu’il avoitavait eu de la bonté divine
À son œuvre enrichir prodiguement benignebénigne
Le Maire
Comment payrapaiera -t-il donc ? qu’il aille à JesuschristJésus-Christ
Qui cancellant130[130] annulant, effaçant la debtedette et le contractcontrat escritécrit
Mourant l’a dechirédéchiré en la faveur du pouvre131[131] Nous maintenons cette forme pour la rime (lire "pauvre").
970Qui par Christ acquitéacquitté son bien perdu recouvre.
Le Syndique
Sommes -nous derechef sous le pechépéché plongés
Allons à JesuschristJésus-Christ pour estreêtre soulagezsoulagés
Et par son Saint Esprit de nous fiante et ordures
Saintement il fairafera nouvelles creaturescréatures
Le Maire
975Allons allons à luylui et nous y puyseronspuiserons
Mille fois plus de bien que nous ne jugerons
Nous defaillirdéfaillir allons à luylui de bon courage
Car plus que reparéeréparée il a de Dieu l’image
JoingnantJoignant en un corps l’homme et la divinité
Le Syndique
980ArriereArrière donc d’Adam premierepremière dignité
Puisque perdre il t’a peupu par sa cheutechute mortelle
Mais celle que Christ donne est sans fin eternelleéternelle
L’emphyteoseemphytéose132[132] droit de jouissance sur un bien d'autrui (juridique) estantétant en commis expiré
Adam merveilleux gain de sa perte a tiré.
Le Maire
985Pour ne le perdre plus Christ par son sacrifice
Incessamment nous rend Dieu son perepère propice
Nous ayant consacrezconsacrés tous sacrificateurs
Pour offrir en son nom du profond de nos cœurs
A son PerePère non point de bœufs moutons et chievreschèvres
990Mais en Esprit et foyfoi les bouveaux133[133] jeunes boeufs de nos levreslèvres
Le Syndique
Encor’Encore icyici faut -il que le Saint -Esprit soit
CeluyCelui qui dans nos cœurs les prieresprières conçoit
Le Maire
Il nous faut craindre Dieu l’aimant d’amour non vaine
Nous faut aimer le bien le vice avoir en haine
Le Syndique
995Nous met sa loyloi au cœur l’engrave et l’y escritécrit
Nous nettoyenettoie arrousezarrosés du sang de JesuschristJésus-Christ
Le Maire
Et nourrit de son corps nos amesâmes affamées
Pour estreêtre de la mort eternelleéternelle sauvées
Le Syndique
Nous appliquant tout Christ ainsi qu’Il est le corps
1000Des umbresombres de la loyloi pour nous animer morts
Le Maire
À finAfin que conduisions nostrenotre mortelle course
À l’honneur du Seigneur de tous nos biens la source
D'Opede
Mais qui est cestuy celui-là qui s’en vient droit à moymoi ?
Est -ce Poulin ? oui, c’est bien luylui je le voyvois
1005Je vous orrayouïrai134[134] La traduction par "ouïrai" n'est pas parfaite, notamment parce qu'il faut bien prononcer en deux syllabes (ouï-rai) pour garder le compte syllabique. tantosttantôt, si quelque chose reste.
Ô villainsvillains dangereux sept fois plus que la peste
Je vous ferayferai mourir par tourmenstourments si cruels
Que Phalaris135[135] Tyran sicilien du VIe siècle avant Jésus-Christ connu dans l'Antiquité pour sa cruauté jamais n’en inventa de tels.
[D'Oppède voit Poulin arriver et congédie les Vaudois : on doit penser qu'il prononce les trois derniers vers à part, une fois les Vaudois partis. Durant ce mouvement, le choeur passe sur le devant de la scène et livre son chant. On peut donc penser que d'Oppède reste en scène, rejoint par Polin en fond de scène, tandis que le Maire et le Syndic sortent.]Le Cœur
136[136] Choeur consacré aux pouvoirs (positifs) de la parole.Telephe ne peutput onques137[137] jamais
1010Trouver allegementallègement
NeNi remedesremèdes quelconques
Au mal de son tourment
Sinon que de sa lame
Le Grec cruel humain
1015La vieille playeplaie entame
Ja138[138] Déjà faite de sa main
139[139] Télèphe est un roi blessé par la lance d'Achille.Ainsi, ô langue blemeblême
Qui n’a guerenaguère elancoisélançais
Tes dards contre toytoi mesme-même
1020Si fort t’en meurtrissoismeurtrissais
Qu’ores nulle momie
Ne t’en peut secourir
Par ta palinodie
Seule te peux guarirguérir
1025La plante dont Mercure
Arma le fin Gregois140[140]
AvoitAvait cestecette nature
Que Circe de sa voix
Vers remachés neni poudres
1030Malfaire ne pouvoitpouvait
NeNi de jus neni de foudres
À celuycelui qui l’avoitavait
141[141] Allusion au passage d'Ulysse chez Circé dans l'Odyssée (chant X).Tel MolyMoli142[142] précisément la plante utilisée par Ulysse contre Circé que la langue
Ne fut onc sous le Ciel
1035Le fruit de sa harangue
Est un fruit tout de miel
Qui succrantsucrant les oreilles
Faire ouyrouïr voire aux morts
Ô Dieu les grands merveilles
1040Des tes divins thresorstrésors.
Nulle autre ne revelerévèle
Le salut precieuxprécieux
NeNi l’amour paternelepaternelle
Qu’en ton fils glorieux
1045Tu monstresmontres à nous hommes
PlainsPleins de desloyautédéloyauté
Qui tousjourstoujours ingrats sommes
Envers ta grand bonté
Sans elle à l’Evangile
1050Qui le souverain bien
SainctementSaintement nous distille
NeNi croiroitcroirait le chrestienChrétien
Cent mille piperies143[143] tromperies
Des affronteurs caphardscafards
1055NeNi seroientseraient point haïeshaies
NeNi leurs masques ne fards
Un bien petit boysbois guide
CaÇà et là les grands naufs144[144] navires
Un petit mords de bride
1060
Retient les fiers chevaux
Et la foiblefaible tenaille
Le gros barreau de fer
Que le forgeur entaille
1065Et puis fait rechaufferréchauffeur.
La langue ainsi gouverne
Petite qu’elle soit
Tout le monde et prosterne
Quiconque145[145] Quiconq dans le manuscrit : on peut supposer une abbréviation, quoiqu'elle ne soit pas notée. nous deçoitdéçoit
1070Sans elle nulle ville
N’a estéété neni seroitserait
NeNi l’arme en soc utile
Changée on ne verroitverrait
Elle seule discorde
1075MeineMène et les mutins ords146[146] horribles
Tous de chainechaîne et de corde
Les bras liezliés au corps
Par elle ils se bannissent
De toute cruauté
1080Et à la paix s’unissent
Contraints de volonté
L’ire l’homme surmonte
Et le fait furieux
Mais la langue le domtedompte
1085Et le rend gracieuxgrâcieux
Elle à David retire
Les armes de la main
Ja ja147[147] prestprêt à occire
Nabal trop inhumain
148[148] Nabal est sauvé de la colère de David par sa femme Abigaïl (I Samuel 25)1090À la peur couppecoupe l’aile
LuyLui faisant tenir bon
D’une victoire belle
Lui monstrantmontrant le guerdon
Au contraire elle glace
1095Des plus cruels le cœur
Leur palissantpâlissant la face
D’une fuite d’honneur
Qu’au prochain on ne nuysenuise
Violant l’équité
1100Par la langue est apprise
La loyloi de ChariteCharité
D’elle est le mariage
Lien du genre humain
Qui estendétend d’aageâge en aageâge
1105NostreNotre passé demain
Si le corps navré149[149] blessé seignesaigne
En danger de mourir
La langue nous enseigne
Comm’Commeil le faut guairirguérir
1110Par celle d’Hippocrate
S’appliquent tous les jours
Au cerveau foyefoie et rate
Mille presensprésents secours.
La langue outre console
1115Le mortel tourmenté
Du goustgoût de la parolleparole
Le pouvrepauvre est sustenté
Et les cœurs des debilesdébiles150[150] faibles
En sont fortifiezfortifiés.
1120Les vefvesveuves et pupilles
GardezGardés de torts et grief
Par elle un des prophetesprophètes
Multiplie vingt pains
Dont cent bouches refaites
1125Plus en reste en leurs mains
D’elle l’huile regorge
Le rachaptrachat des mineurs
RetirezRetirés de la gorge
Des cruels crediteurscréditeurs
1130La femme Sunamite
Son fils mort vivre voit
Par une voix beneitebénite
De l’hostehôte qu’elle avoit151[151] Nous maintenons cette forme pour la rime. 152[152] Elisée ressuscite le fils de la Sunamite (II Rois 4).
Par famine opressée
1135Ayant erré sept ans
Par la langue adressée
Au royroi receutreçut ses champs
RoyRoi dont David fut perepère
RoyRoi sur tous triomphant
1140A la dolente meremère
Ta voix rend vif l’enfant
Et l’enfant mort à celle
Qui au vif n’avoitavait rien
1145Ayant sous son aisselle
De nuit estaintéteint le sien
Si dru ne court la bise
Les chesneschênes arracher
Qu’à une voix se brise
1150L’audace de la chair
Si qu’en153[153] Si bien qu'en laissant le vice
Le pecheurpécheur n’est plus tel
Ou bien sans qu’il guairisseguérisse
Il chet154[154] tombe d’un coup mortel
1155Quand Nathan vituperevitupère
Au nom de Dieu David
Le meurtrier adultereadultère
Se repentir il vit155[155] (II Samuel 11-12)
La seule voix d’Elie
1160Le double Achab reprit
Les prestresprêtres de Bal lie
Qui le peuple meurtrit
À la parole seulleseule
De Jehu les limiers
1165DetrenchentDétranchent en leur gueule
Jezabel à quartiers156[156] Jehu est le roi d'Israël qui fait tuer Jézabel (II Rois 9, 22-37)
Et à celle de Pierre
L’hypocrite aumosnieraumônier
Tomba tout mort par terre
1170Et ne fut le dernier157[157] Ananie (Actes, 5)
Et contreignantcontraignant sa force
Sa douceur en priant
De rendre à Dieu s’efforce
Tout genouilgenoux bas ployant
1175Jusques aux bords où le more
Plonge ses noirs cheveux
Elle fait qu’on adore
L’eterneléternel par saints vœusvoeux
Elle invite à priereprière
1180Le cœur froid sommeillant
Quand priant la premierepremière
Survient le reveillantréveillant
Comme si premier prie
Le Cœur la langue esmeutémeut
1185Tellement qu’elle crie
Tout ce que le cœur veut
Anne pour estreêtre meremère
Du juste Samuel
Emflambant sa priereprière
1190D’un vœu continuel
D’ardeur ses levreslèvres ouvre
Pour parler maintefoismaintes fois
Son cœur donc se decoeuvredécouvre
Et provoque sa voix158[158] I Samuel 1 (13-36)
1195CestCet accord tant louable
De la langue et du cœur
Le PechierPêcher delectabledélectable
DemonstreDémontre apresaprès sa fleur
Car à son fruit ressemble
1200Le cœur si rondement
Qu’à sa fueillefeuille qui tremble
La langue droitement
Ô personnes heureuses
Des quellesDesquelles pour la mort
1205Les langues non peureuses
Avec le cœur d’accord
De reclamerréclamer ne craignent
JesuschristJésus-Christ pour leur RoyRoi
NeNi pour tyran se feignent
1210De declarerdéclarer leur foyfoi.
C’est ce qu’ont fait sans feinte
Dedans un camp armé
Ces deux d’une voix sainte
Et d’un cœur animé
1215Ô que leur foyfoi tresampletrès ample
Qu’on leur oytoit159[159] entend prononcer
À vous serve d’exemple
Pour JesusJésus confesser
Si160[160] Si bien, ainsi qu’en paix et en guerre
1220Toute langue de cœur
Chante dessus la Terre
La loz161[161] louange de sa grandeur
Qui seul sur soysoi deschargedécharge
Les pecheurspécheurs accablezaccablés
1225Les rendansrendant (douce charge !)
De sa gracegrâce comblezcomblés
[Le choeur passe en fond de scène ou sort tandis que reviennent d'Oppède et Poulin.]
Dopede Poulin
D'Opede
Mais un homme de bien tient tousjourstoujours sa promesse
Poulin
Si elle est contre Dieu de passer outre162[162] poursuivre, persévérer il cesse
D'Opede
Nous sommes resolusrésolus que de Dieu il n’est point
Poulin
1230Sa crainte toutesfoistoutefois les meschansméchants mord et poind
D'Opede
CesteCette crainte j'estime estreêtre des sots le vice
Poulin
AumoinsAu moins craignez le RoyRoi armé de sa justice
D'Opede
Qui jamais luylui feroitferait le tout au vrayvrai entendre
Poulin
Qui ? le sang des martyrs et des bruslezbrûlés la cendre
D'Opede
1235La cendre neni le sang ne peuvent point parler
Poulin
Le sang d’Abel a fait devant Dieu bruire l’air163[163] Genèse 4, 10
D'Opede
Si les ElephansÉléphants sont transformeztransformés en corneilles
Poulin
Les rois ont longues mains grands cœurs bonnes aureillesoreilles
D'Opede
Ce qui est arrestéarrêté doit tenir par raison
Poulin
1240OuyOui164[164] A prononcer en deux syllabes: ou-i. de retourner chascunchacun à sa maison
D'Opede
Retourner on ne doit sans son dessein parfaire
Poulin
PoursuyvrePoursuivre l’on ne doit en un meschantméchant affaire
D'Opede
Tirez donc vostre espéeépée et m’en donnez au cœur
Poulin
Je ne serayserai de vous et moins d’eux le tueur
D'Opede
1245Or sus D’opede sus que toymesmetoi même te tues
QuoyQuoi tu n’oses tu crains sus que tu t’esvertuesévertues
Tu tiens ta dague nue et cela est -ce tout
Tu trembles ô poltron enfonce jusqu’au bout
Tu la laisses tomber or ça je la ramasse
1250Et ne me puis tuer ainçois je me fais gracegrâce [Jeu de scène sur la dague de D'oppède.]
Je ne veux que la mort et si ne puis mourir
Poulin faitezfaites le coup vueillezveuillez me secourir
Poulin
Il ne faut nyni de soysoi nyni d’autre estreêtre homicide
Allons faire sonner que ce camp d’ici vuydevide
D'Opede
1255Je vous requierrequiers un don Poulin un don petit
Poulin
C’est quelque trahison que vostrevotre ire bastitbâtit
D'Opede
Ce que je demande est de nulle consequenceconséquence
Poulin
PourveuPourvu que Dieu ou RoyRoi nullement je n’offense
D'Opede
Aussi ne ferez vous je vous l’asseureassure bien
Poulin
1260Dites que c’est avant que je promette rien
D'Opede
Pour sauver mon honneur d’une façon civile
Faites que m’en allant je passe par la ville
Sans y faire sejourséjour La Composition
Telle que vous voudrez sera sans fiction
1265
En tout de point en point estroittementétroitement gardée
La vie si j’y faux165[165] Si j'y fais défaut me soit subit166[166] subitement, tout de suite ostéeôtée
Poulin
Jurez -vous d’y entrer seulement vous dixiemedixième
D'Opede
Je renonce autrement ma foyfoi et mon baptesmebaptême
Poulin
Et si tosttôt qu’y serez d’incontinent sortir
1270Sans que les habitants s’en puissent ressentir
D'Opede
Ô Terre ô mer ô puissance divine
Si aucune en y a ainsi qu’on le devine
Vous esprits familiers venez courez volez
Et en vostrevotre courrouzcourroux aujourd’huy immolez
1275Sous vostrevotre cruauté celuycelui qui vous invoque
Si tant peu que ce soit sa promesse il revoquerévoque
Poulin
Regardez que soyez constant en vos propos
D'Opede
Pour ma fidelité vous chanterez mon lozlos167[167] éloge
Poulin
Je vais donc faire ouyrouïr168[168] entendre vistemementvitement
1280En haut et clair sonner par le camp la retraite
Monsieur de Catderousse et quelqu’autre avec moymoi
Nous en allons pour vous donner à tous la foyfoi
[Poulin sort, D'Oppède reste seul.]D'Opede
Les Capitaines sont tous de mon entreprise169[169] de mon côté
Qu’en despitdépit de Poulin la ville sera prise
1285Cependant que le camp feindra de s’en aller
Pour amuser mes gens leur faut encor170[170] Nous maintenons la forme pour le compte syllabique. parler
[Entrent le Maire et le Syndique] Dopede le chœur le Maire et Le SyndiqueLe Maire
Loué soit l’Eternel qui a pris à mercymerci
Son peuple le sauvant de ce tyran icyici
Le Syndique
Ô seigneur ta vertu et ta bonté est telle
1290Que chanter ne les peut nulle langue mortelle
D'Opede
AmysAmis vous me voyez ja171[171] déjà prestprêt à departir
Si par les SacremensSacrements me faites convertir
Le Maire
Dieu seul convertir l’homme et renouvelle et change
Si que d’un Diable on fait en un moment un ange
Le Syndique
1295Pour cestcette œuvre il se sert ainsi que d’instruments
De sa parolleparole sainte et des deux sacremenssacrements
Le Maire
DequoyDe quoi la foyfoi en nous il produit et augmente
Le Syndique
La foyfoi nostrenotre ancre et port contre toute tourmente
Le Maire
La foyfoi qui nous fait croire ainsi que Dieu promet
1300Qu’unis à son cher fils de sa maison nous met
Le Syndique
Nous couche en son estatétat et bouche à cour nous donne
Le Maire
Aux fidelesfidèles Christ là sa Sainte Table ordonne
Le Syndique
Christ qui a le mortel si precieuxprécieux si cher
Que nostrenotre ameâme il nourrit de son sang et sa chair
Le Maire
1305Autre nectar n’y a n’y a autre Ambroisie
Pour tousjourstoujours immortels vivre immortelle vie
Le Syndique
Ô viande ô breuvage en la croix appreciezappréciés
Pour donner vie aux morts tant peu soyent soient-ils goustezgoûtés
Le Maire
Ainsi Dieu n’est content de nous avoir fait estreêtre
1310Du rancrang de ses enfansenfants sans aussi nous repaistrerepaître
Le Syndique
Le baptesmebaptême est l’entrée en la maison de Dieu
Signe que plus bannis ne sommes en ce lieu
Comme las ! paravant172[172] auparavant nous estionsétions de nature
La sang du fils de Dieu duquel l’eau est figure
1315Nos ordures de l’ameâme efface entieremententièrement
Ordures qui causoientcausaient nostrenotre bannissement
Le Maire
Encor173[173] Nous maintenons cette forme pour le compte syllabique. ce sacrement nous fait voir à l’œil comme
NostreNotre perversité nostrenotre chair et vieil homme
Est mort ensevelyenseveli par vertu de la mort
1320Et sepulchresépulcre de Christ en ce que comme mort
Le baptisé ayant l’eau jusque sur la testetête
Comme enterré dessous quelque espace y arrestearrête
Le Syndique
De ce qu’il en sort vif cestecette nativité
Seconde le pur don de Christ resuscitéressuscité
1325Est entendue174[174] comprise, perçue. à fin qu’à pechepéché mort il vive
A son Dieu purement et tousjourstoujours mieux poursuyvrepoursuivre
Le S.Esprit175[175] Nous maintenons cette forme pour le compte syllabique. en nous seul ce bien fait valoir
Nous donnant le parfaire avecques176[176] Nous maintenons cette forme pour le compte syllabique. le vouloir
Le Maire
Puis quePuisque cestecette entrée est du tout spirituelle
1330La nourriture aussi n’en peut estreêtre que telle
Or la CeneCène est le signe apparent au dehors
Que JesuschristJésus-Christ nous veut communiquer son corps
Nostre ameâme en substanter en l’espoir de la vie
Qui par mort ne peut estreêtre à ses membres ravie
Le Syndique
1335Comme le pain est propre à nostrenotre corps nourrir
Qu’on ne peut sans manger preserverpréserver de mourir
Le corps du Christ à l’ameâme est la seule viande177[177] nourriture
Qui de la mort d’enfer vivement la defendedéfende
De la mort qu’on ne peut eviteréviter nullement
1340Qu’en mangeant Christ par foyfoi spirituellement
Le Maire
Son sang nostrenotre ameâme aussi abbreuveabreuve et comble en joyejoie178[178] Avant le premier mot du vers apparaît un N barré sur le manuscrit.
Tout ainsi que le vin resjouytréjouit nostrenotre foyefoie
Brief nostrenotre ame recoit pleine refection
De son corps et son sang qui de sa passion
1345Nous rendent jouissansjouissants par une foyfoi certaine
C’est où le S Esprit179[179] Nous maintenons cette forme pour le compte syllabique. par la CeneCène nous meinemène.
Le Syndique
Nous y certifiant que Christ se donne aux siens
Si que le possedantpossédant possedantpossédant tous ses biens
Le Maire
Davantage chascunchacun fait par le saint baptesmebaptême
1350Profession publique et par la CeneCène mesmemême
De sa Religion par tels actes monstrantmontrant
Que Christ pour son sauveur il recognoitreconnaît et prend.
Le Syndique
Ainsi porte l’archierarcher le soldardsoudard180[180] le soldat le gend’armegendarme
L’escharpeécharpe de son prince au milieu de l’alarme
1355Pour declarerdéclarer à tous estreêtre telle sa foyfoi
Qu’il est prestprêt de mourir pour l’honneur de son royroi
Par les SacremensSacrements donc tesmoignetémoigne le fidelefidèle
Qu’il est prestprêt de mourir pour Christ et sa querelequerelle
Le Maire
Puis que d’un seul baptesmebaptême on nous a baptisezbaptisés
1360Nous nous monstronsmontrons un corps sans estreêtre divisezdivisés
Aussi un mesmemême pain fait de mesmemême farine
Mais bien de plusieurs grains cestecette union designedésigne
Qu’on voit en ceux qui sont unis en JesuschristJésus-Christ
Comm’Commeau chef est le corps et le corps à l’esprit
D'Opede
1365C’est assesassez Je m’en vayvais ne vous croyant non plus
Que vous croyez au Pape aux prestresprêtres et reclus
C’est assesassez Je ne veux d’avantagedavantage poursuyvrepoursuivre
Il est temps de me joindre à mes gens pour les suivre
[D'Oppède quitte la scène.]Le Chœur
L’on voit bien à cestecette heure ô Dieu ton jugement
1370Lequel ton saint PropheteProphète a crié hautement
Contre tous ceux qui ont ta doctrine haïe
OyesOyez Pervers oyez oyez dit Esaïe
Mais sçavez savez-vous comment oyansoyant n’entendez rien181[181] Savez-vous pourquoi, alors que vous écoutez, vous n'entendez rien
VoyansVoyant et regardansregardant ne cognoissezconnaissez le bien
1375Endurcissez vos cœurs pour obstinezobstinés vous rendre
Sans de vostrevotre salut un jotaiota comprendre
Vous oyez vous voyez et tout vous est scellé
Car le bras du Seigneur ne vous l’haa revelé
Le Syndique
Mais qu'est -ce que je voyvois ? qu’est cela dans la fange ?
1380Ô rencontre incroyable ! helashélas spectacle estrangeétrange !
Le Maire
HelasHélas et qu’est cecyceci ? mon Dieu le cœur me fend
C’est une femme morte embrassant son enfant
Lequel encore vif de sa petite bouche
Veut prendre le tettontéton de peur qu’il ne le touche
1385De l’un des bras la meremère helashélas sans sentiment
Semble le reculer du mortel aliment
Aussi comme craignant que de fainfaim il ne meure
Que signe d’un tel soin apresaprès la mort demeure !
Semble de l’autre bras l’approcher de son sein
1390Pour du sang luylui esteindre et sa soif et sa fainfaim
S’il ne tettetète il mourra et s’il tettetète une morte
Voire la mort aussi par l’une ou l’autre sorte
Il ne peut eschapperéchapper Elle morte en ce point
Veut qu’il la tettetète, veut qu’il ne la tettetète point.
Le Syndique
1395J’en ayai un dont ma femme est la meremère et nourrice
De meremère elle fera vers cestuy cycelui-ci office
Le Maire
Ô puissance divine à qui fais -tu la guerre
Las ! à qui en veux -tu à un seul ver de terre
HelasHélas ! helashélas ! voicyvoici un trop cruel departdépart
Le Syndique
1400Quel ennuyennui vous saisit et vous tourmente à part
Le Maire
C’est icyici mon enfant cestecette morte est ma femme
Le Chœur
Cela n’est rien voyez Cabriere est toute en flamme
Les SoldarsSoldats sont entrezentrés qui mettent tout à feu
Si subit182[182] soudainement que jamais ne l’ayons apperceu183[183] Nous maintenons cette forme pour la rime. !
Le Syndique
1405Voyez la terre et l’air jusques au haut des nues
Forcener en fumée et en flambes aigues
Fut -il jamais ouyouï ou trouvé par escritécrit
Si cruels ennemysennemis que ceux de JesuschristJésus-Christ
[Le choeur passe sur le devant de la scène, mais il n'est sûrement pas besoin d'envisager une sortie des autres personnages.]Le Chœur
Ne chante que pleurs mon Ode
1410CryCri184[184] Nous maintenons l'apocope pour conserver le compte syllabique. que le cruel Herode185[185] Hérode, roi de Judée responsable du massacre des Innocents et de la fuite des Juifs en Egypte (Evangile de Matthieu, 2:16-18)
Ne fut onc186[186] jamais si outrageux
Que d’Opede est furieux
Le payenpaïen juif perepère et perepère
N’occit ne tous leurs enfansenfants
1415N’employant sa main meurtrieremeurtrière187[187] Prononcer en deux syllabes: meur-trière
Sur ceux de plus de deux ans
Mais mon Dieu combien le passe
La cruauté de ce Thrace
Qui destruitdétruit quelle fureur !
1420Quelle rage quelquelle horreur !
Les enfansenfants naisnés et à naistrenaître
Ceux qui engendrezengendrés les ont
Et les ayeulxaïeux de leur estreêtre
Las ! par luylui tous meurtris sont
1425Ô Roy tresheureuxtrès heureux s’il venge
Le rapt meurtre et sac estrangeétrange
Qu’a fait ce loup furieux
Des enfansenfants du Dieu des cieux
Mais si tant peu soit encore
1430Vivre il souffre ce meschantméchant
Qui son sceptre deshonnoredéshonore
Il s’en ira trebuschanttrébuchant
SaulSaül perdit sa couronne
PourceParce que laschelâche il pardonne
1435Pensant se faire valoir
Contre Dieu et son vouloir
Au Roy des Amalechites
Qui par sa grand188[188] Apocope nécessaire pour le compte syllabique cruauté
AvoitAvait de ce monde ostéôté
1440La fleur des IsraelitesIsraélites189[189] Allusion à l'histoire de Saül (I Samuel 15:1-35), mise en scène plus tard dans les deux tragédies de Jean de La Taille.
Mais David tout au contraire
Est heureux faisant defairedéfaire
Les deux qui avoientavaient occis
Isboseth l’unique fils
1445Restant de royale race190[190] II Samuel 12-13.
Ainsi Dieu veut que tout RoyRoi
Des meurtriers191[191] A prononcer en deux syllabes : meur-trier justice facefasse
Ou qu’il tombe en desarroydésarroi
Or le seigneur quoy quoiqu’il tarde
1450Puis que sur tout il prend garde
Rendra le juste paymentpaiement
À ce meschantméchant garnement
Bien que des prisons il sorte
Par les juges corrompus
1455Les clos d’enfer neni la porte
Par luylui ne seront rompus
Cependant sa conscience
Bourreau plainplein de deffiancedéfiance
Le privant de tout sejourséjour
1460Le tuera cent fois le jour
Sans qu’il aytait nulle puissance
De mourir Au demeurant
Toute la resjouyssanceréjouissance
SeroitSerait mourir en mourant
1465Rien n’aura qui tant luylui plaise
NeNi qui redouble son aise
Comme si le dard mortel
Aux maux le livre immortel
La mort est son esperanceespérance
1470Et son plus grand bien seroitserait
Quand pour toute delivrancedélivrance
Sa mort prochaine il verroitverrait
Les foudres et les tempestestempêtes
ParmyParmi un troppeautroupeau de bestesbêtes
1475Si dru n’abattent le corps
À terre tous roidesraides morts
Comme le Ciel se courrouce
Et de dards pleins de venin
VuideVide dessus192[192] sur luylui sa trousse
1480Encor193[193] Nous maintenons cette forme pour le compte syllabique. luylui est trop beninbénin
Cent pestes ja194[194] déjà le saisissent
Mille rages l’envahissent
Mil195[195] Nous maintenons cette forme apocopée pour le compte syllabique. fievresfièvres et feux ardensardents
BrulentBrûlent jà son corps dedensdedans
1485DesjaDéjà je le voyvois sans cesse
S’élancer desesperéDésespéré
Et en sa plus grand destresseDétresse
EstreÊtre du sang alteréaltéré
Pour estaindreéteindre telle rage
1490Ne pouvant trouver breuvage
Il veut boire en un estangétang
Dont les sources soient de sang
Là pour eau desalterantedésaltérante
Dont il seroitserait soulagé
1495Le sang beubu son feu augmente
Tant qu’il devient enragé.
Ja196[196] Déjà de tous costezcôtés qu’il voyevoie
Il n’appercoitaperçoit que l’OrfayeOrfraie
Que les morts et leurs tombeaux
1500Les hiboux et les Corbeaux
Son haleine est plus puante
Que ne pue197[197] Le manuscrit semble indiquer "put" : nous corrigeons. un serpent mort
Ou charoignecharogne se baignante
Au venin qui d’elle sort
1505Puis son sang on luylui fait rendre
Pour Enfer las de l’attendre
Avec syringuesseringues et fers
Hors des veines et des nerfs
De son corps tant deshonestedéshonnête
1510Ains198[198] Mais d’un monstre si puant
Que des piezpieds jusqu’à la testetête
L’hippomainehippomane199[199] fluide trouvé parfois dans le liquide allantoïdien des juments. en est fluant
Que vomiroitvomirait un tel gouffre
Mais plustostplutôt miniereminière à souffre
1515Sinon toute puanteur
Pour empunaisir200[200] infecter de punaises le cœur
Qui est l’homme qui devine
Tout le sang qu’il va beuvantbuvant ?
Tant n’en beutbut d’Agrigentine
1520L’airain sur le feu bramant201[201] Allusion au taureau en airain, instrument de torture conçu par Phalaris, tyran d'Agrigente
Voy Vois-je pas desjadéjà qu’on livre
Son ameâme du corps delivredélivre202[202] délivrée, libérée
Aux enfers et aux tourmenstourments
Et eternelséternels grincements
1525Cependant cestecette famille
De martyrs victorieux
Comm’Commeau perepère plaistplaît la fille
A Dieu plaira dans les cieux
Poulin Le Maire Le Chœur et Le Syndique
Poulin
Ô malheureux d’Opede ! Ô Poulin malheureux !
1530Malheureux Catderousse ! Ô soldarssoldats furieux !
Ô chrestienschrétiens bienheureux ! ChrestiennesChrétiennes bienheureuses !
Ô combien vos morts sont devant Dieu précieuses !
AmysAmis oyez, oyez la barbare fureur
Ô cruautecruauté cruelle ô rigoureuse horreur !
1535Je suis cause du sac : ma langue au moins confesse203[203] Il s'agit ici d'un impératif : "Confesse, ma langue, que tout ce sang.."
Que tout ce sang par toytoi est espanduépandu traistressetraîtresse
Mon delictdélit est trop grand pour en avoir pardon
Le Syndique
Contez -nous le massacre, octroyez -nous ce don
Le Maire
Ouvrez les yeux l’œil peut vous faire tout entendre
1540Cabriere n’est plus rien que feu fumée et cendre
Le Chœur
Reprenez vostrevotre aleinehaleine et nous dites204[204] dites-nous comment
VostreVotre promesse effet n’a nyni vostrevotre serment
Poulin
D’opede ayant cassé ce sembloitsemblait son armée
La porte ne luylui est n’205[205] ni à à dix autres fermée
1545Alors que l’on pensoitpensait loin de là les soldars206[206] soldats. Nous maintenons cette forme pour la rime.
Il entre et à couvert suivysuivi par les pendarspendards
Se saisit de la porte eux entrezentrés à la file
Surprennent le chasteauchâteau ayant surpris la ville
Mettent le feu par toutpar tout. D’opede voit de loin
1550VostreVotre femme Syndicq’ qui cachoitcachait en un coin
VostreVotre petit enfant il y court tout sur l’heure
Le fait cercherchercher à finafin que l’un et l’autre meure
La meremère pour son fils se presenteprésente à la mort
Priant et repriant entre ses bras le sort
1555Et luylui dit le voyant qu’il se prenoitprenait à rire
Si vous ne cognoissezconnaissez vostrevotre prochain martyre
Voyez que vostrevotre meremère en pleurs et larmes fond
HelasHélas ! mignon autant vous petits yeux en font
Faites bas le petit et par vostrevotre innocence
1560Impuissance à parler par vostrevotre contenance
Des larmezlarmes de vos yeux de vos tendrettes mains
Priez messieurs mignons d’estreêtre envers vous humains
Mais quoyquoi ? la cruauté en lieu d’estreêtre arrestéearrêtée
S’enflamma de plus fort par pitié irritée
1565Ce que la meremère obtient premierepremière elle mourra
Puis son enfant le tiers207[207] troisième le perepère souffrira208[208] Ce que la mère obtient : elle mourra la première, puis son enfant, le père souffrira en troisième.
L’enfant pour estreêtre yssuissu de diabolique secte
L’engenceengeance des serpents en l’œuf mesmemême est infecte.
Le Syndique
Nous sommes donc serpensserpents puisqu’en Dieu nous croyons
1570Et nos petits enfansenfants sont œufs de Scorpions
Poulin
On les verroitverrait dit -il qui les laisseroitlaisserait croistrecroître
« MereMère il poursuytpoursuit veux -tu le Pape recognoistrereconnoître209[209] Nous forgeons cette forme pour la rime.
« Pour celuycelui qui nous peut absoudre et condamner
Et ainsi comme Dieu nous sauver et damner
1575Et ton fils ne sera pour ce coup mis en cendre »
Mais vostrevotre femme au lieu d’une telle offre prendre
« Mon fils dit -elle meure210[210] Que mon fils meure et mon marymari et moymoi
PlustostPlutôt que renoncer ô seul sauveur ta foyfoi »
Le meschantméchant forcené de veoirvoir un tel courage
1580Les fait jetterjeter au feu pour esteindreéteindre sa rage
La meremère s’escriantécriant mon fils ô double dueildeuil !
CesteCette flamme fera de nous deux un cercueil
Petit tesmointémoin de Christ dans cestecette flambe horrible
Vous bruslezbrûlez avec moymoi sentant la mort terrible
1585Ainsi tous deux bruslansbrûlant sont morts pour Jesuchrist
Le Maire
Et le Seigneur au ciel a receureçu leur Esprit
Le Syndique
Pour le regnerègne de Christ ô tendre creaturecréature
Mon fils tu as souffert petit la mort bien dure
Ma fidellefidèle compaignecompagne a monstrémontré par effet
1590Que ChrestienneChrétienne elle estoitétait de parolleparole et de fait
Le Maire
Revenez s’il vous plaistplaît à la cruelle histoire
Par laquelle augmenter JesuschristJésus-Christ veut sa gloire
Poulin
ApresAprès ce j’entendientendis les plus grands hurlemenshurlements
J’y cours helashélas ! c’estoyentétaient rapts et violemensviolements211[211] viols
1595Des filles que faisoitfaisait Pannisse dans le temple
Puis vives les brusloitbrûlait. D’Opede à son exemple
Tous ceux -là qu’honnoroithonorait saintement le poil blanc
EsgorgeoitÉgorgeait au chasteauchâteau se baignant en leur sang
Tout ce massacre il fait pour avoir leur substance
1600SoldarsSoldats dit -il soldarssoldats fait nan'a pas qui commence
Ne pensez pas non non qu’il soit temps que cessions
Tuez tuez tuez car leurs possessions
Avoir je ne pourraypourrai si quelqu’un en eschappeéchappe
1605Voudriez -vous espargnerépargner les ennemysennemis du Pape
Tuez souldarssoldats tuez et luylui criant ainsi
Regarde ses meurtriers leur voit le cœur transytransi
Et de crier plus fort que cesse entre les armes
L’esgardégard de l’aageâge ou sexe ou des pleurs et des larmes
1610Ce vaillant Hannibal ce superbe vainqueur
Enflambant212[212] Enflammant par ces cris de ses soldarssoldats le cœur
Luy-mesmeLui-même les enfansenfants avec les meresmères rengerange
Pesle-meslePêle-mêle enfermezenfermés en une mesmemême grange
Craignant qu’un Orphelin eschappantéchappant de bon-heurbonheur
1615Ne feitfît un jour vuydervider de son bien ce voleur
En ce lieu il enserre213[213] enferme avec les femmes grosses214[214] enceintes
Les autres vierges (Las ! quelles heureuses nopcesnoces !)
Puis il y met le feu : Or ainsi que brusloyentbrûlaient
La Là-dedans ces martyrs les MeresMères qui vouloyentvoulaient
1620Bien monstrermontrer que l’amour qu’à tous apprend nature
Ne pourrait estreêtre esteintéteint par une mort si dure
Toutes faisansfaisant chemin par où le feu se fend
PoulsentPoussent et jectentjettent hors chascunechacune leur enfant
« Le trop grand amour nuytnuit car les meresmères bruslantesbrûlantes
1625En pensant les sauver des flammes violentes
Pour une seule mort deux fois les font mourir
Là ce monstre escumantécumant encontr’encontreeux vient courir
Et à grands coups de pique et corps et bras leur perseperce
Et my-rostismi-rôtis sanglanssanglants dans le feu les renverse
1630Ainsi ce petit peuple et doux et tendrelet
Ce petit peuple helashélas petit peuple de lait
Par glaive et feu est mort chascunchacun sur les mammellesmamelles
Qui l’avoyentavaient allaité un petit pouls en elles
Dans la flambe apperceuaperçu monstroitmontrait leurs grands douleurs
1635Non point pour leur mort propre ains215[215] mais pour celle des leurs
Leurs bouches et leurs bras qui dedans la fournaise
EmbrassoyentEmbrassaient leurs petits en gros charbons de braise
Elles ont veuvu changer puis tous leurs corps en feu
Aveques216[216] Nous conservons cette forme pour le compte syllabique. leurs enfansenfants ont plus sentysenti que veu217[217] Nous conservons cette forme pour la rime (comprendre "vu"). .218[218] Voir Jean Crespin, Histoire mémorable de la sécution et saccagement du peuple de Merindol et Cabrières, op. cit., p. 108 et p. 133-134 pour cet épisode de la grange.
Le Chœur
1640PovresPauvres femmes pourquoypourquoi avez -vous estéété meresmères ?
N’ayant jamais conceuconçu vos morts seroyentseraient legiereslégères219[219] Si vous n'aviez jamais conçu (d'enfants), vos morts seraient légères, faciles à supporter.
Car vous n’eussiez point veusvu avec vous dans le feu
BruslerBrûler cruellement vos enfansenfants et neveux
NeNi vos enfansenfants neni vous ne feussiezfussiez morts ensemble.
Poulin
1645La mort de leurs maris à la leur ne ressemble
D’autant que ce brusleurbrûleur pour rechanger d’esbatébat
Fait dresser dans les prezprés double nouveau combat
Là contr’contreune moytiémoitié se tenanstenant (quelle danse) !
Ses vaillansvaillants chevaliers il fait courre la lançe
1650Et au sang de ceux -là enferrezenferrés à la fois
Du fer jusqu’à la main chascunchacun rougir son bois
L’autre moytiémoitié il fait (ô coeur plus dur que marbre !)
AttachezAttacher tous de rancrang chascunchacun à chascunchacun arbre
Du haut des meursmurs220[220] Le "e" de meurs semble être barré sur le manuscrit. les veoitvoit à jour ouvert perserpercer
1655Et sur leurs genoux morts les testestêtes renverser
Ils tirent contre oyez221[221] entendez cent mille harquebousadesarquebusades
Contre un blanc222[222] une cible de ChrestiensChrétiens ils font leurs grands bravades
Le plus presprès en est loin pour le moins de cent pas
Car leur mort sans languir plaisir ne donroit223[223] Nous maintenons cette forme pour le compte syllabique (comprendre "ne donnerait pas"). pas
1660Au reste il fait dresser la dedans-dedans un trophée
Y engrave en airain non pas les vers d’Orphée
Ains224[224] Mais les actes cruels de sa grand cruauté
Qu’il veut perpetuerperpétuer à la posterité
Or Catderousse vient envoyé par Dopede
1665Catderousse qui tous à ce meschantméchant vous cedecède
Scavez Savez-vous quelles sont ses imprecationsimprécations
Ses despitsdépits maugreemensmaugréments et execrationsexécrations
"Ô furies d’Enfer ô infernales umbresombres
Ô tous malins esprits foudroyansfoudroyant les encombres
1670Ô phantosmesfantômes erranserrants avec rage et fureur
Ô vous Diables remplis d’une eternelleéternelle horreur
Ô par mes maudissons225[225] malédictions je vous consacre et voue
Ce Peuple que je quitte et du tout desavouedésavoue
Pour le bien de d’Opede et de luylui et des siens
1675LuyLui renoncantrenonçant le droit de tous mes anciens
Et si ce n'est de cœur je vous pry226[226] Nous maintenons cette forme pour le compte syllabique (comprendre "prie"). qu’à cestcette heure
Devant tous enragé par vos tourmenstourments je meure "
Le Chœur
Du cruel insensé la priereprière aura lieu227[227] se réalisera
Et bien tostbientôt sentira sur soysoi la main de Dieu
1680Les diables l’empliront d’une mortelle crainte
Et frayeurs de tourmenstourments que sentira constrainte
Son ameâme miserablemisérable et à table mangeant
Bien tostBientôt il la rendra furieux enrageant228[228] Catderousse meurt en effet en 1550.
Le Maire
Que sa mort tousjourstoujours soit aux plus grands en memoiremémoire
1685Pour plus ne se dresser contre le RoyRoi de gloire
Le Chœur
Ces ChrestiensChrétiens sont heureux à qui Dieu fait ce bien
Que pour son nom et lozlos229[229] éloge la vie n’est plus rien
Ils ont souffert la mort pour sa sainte querelequerelle
Et il leur donne au ciel la couronne immortelle
1690D’un tel diademediadème il a le juste Abel sacré
Aussi feut fut-il pour luylui le premier massacré
DespuisDepuis tousjourstoujours SathanSatan des meschansméchants l’ire attise230[230] Satan attise la colère des méchants
Et contre JesuchristJésus-Christ et contre son EgliseÉglise
Combien feitfit Jezabel de prophetesprophètes meurtrir231[231] Princesse épouse du roi Achab présentée comme malfaisante et vicieuse (Livres des Rois, I et II)
1695Et combien de martyrs Antioche flestrirflétrir
EscorcherÉcorcher et bruslerbrûler par toute la Judée
Pour avoir saintement la LoyLoi de Dieu gardeegardée232[232] Voir les deux premiers livres des Maccabées, qui rapportent les persécutions puis les révoltes des Juifs à Antioche.
Ne voulansvoulant rien cedercéder à cestecette vanité
Qui se mettoitmettait devant toute divinité
1700Si tostSitôt que JesuchristJésus-Christ est apparu sur terre
L’Ascalonite Herode à mort luylui fait la guerre
Et cuidant233[233] croyant, pensant,voulant le tuer il fait de mesmemême flanc
De mille enfansenfants meurtris sortir le laictlait et sang234[234] Le Christ est né alors que régnait Hérode le Grand, natif d'Ascalon, responsable du massacre des Innocents.
DespuisDepuis tousjourstoujours le monde a redoublé sa rage
1705Contre tes saints ô Christ et contre eux plus enrage
Mais tout est pour ta gloire et tel est ton vouloir
Donne -nous donc pour toytoi de mourir le pouvoir
De Merindol le reste errant pour l’Evangile
Dans les monts et forestsforêts ne le laisse inutile
1710Mourir de faim Seigneur c’est ton troupeau chassé
Entre les loups receureçu des hommes pourchassé
Ton troupeau que dix jours la mortelle famine
Contraint de se nourrir d’escorceécorce et de racine
Où il en trouve il est du crudcru gland se paissant
1715Et est à ton vouloir du tout235[235] complètement acquiesantacquiesçant
Ton troupeau pour te rendre jusqu’à la mort hommage
De ta vertu reçoive invincible courage
Ton troupeau tant defaitdéfait qu’au -dedans de leurs corps
Et au travers l’on veoitvoit le jour comme dehors
1720Ne veux -tu regarder de ton œil amiable236[236] aimant
Ton peuple retranché ton peuple miserablemisérable
Las ! ce loup acharné le mettra tout à mort
Si ta main aujourdhuyaujourd'hui ne rompt tout son effort
Qu’encontre tous Tyrans en toytoi tant ils se fient
1725Qu’en nos cendres ton templ’temple un jour ils n’edifientédifient.
[Entre Catderousse ; Poulin sort ?] Catderousse le Maire le Syndique le ChœurCatderousse
Fut -il donques237[237] Nous maintenons cette forme pour le compte syllabique. plaisir tel que de se venger
De ceux qui tenanstenant bon te faisoyentfaisaient enrager
Comme ce feu me plaistplaît Neron n’en eut telle joyejoie
Quand en Rome il voyoitvoyait derechef238[238] à nouveau (puisque Rome est une nouvelle Troie). bruslerbrûler TroyeTroie
1730Marchez Maire et Syndique pour accomplir mon vœu
Marchez pour estreêtre mis tout à cest’cette heure au feu
Et vostrevotre fils aussi ô captifs miserablesmisérables
Faites leur compaigniecompagnie innocensinnocents et coulpablescoupables
Venez -y volontiers que sert le reculer239[239] verbe substantivé (nous dirions "de reculer").
1735Je vous vayvais faire ensemble à petit feu bruslerbrûler240[240] Le manuscrit comporte ce vers : "Je vous vay ensemble faire à petit feu brusler", mais le chiffre 2 est placé au-dessus de "ensemble", et le chiffre 1 au-dessus de "faire" : nous intégrons donc ici la correction, nécessaire en effet pour l'alexandrin.
Le Maire
La constance des morts la peur en hardiesse
Nous change et fait aller mourir en grand liesse241[241] avec grande joie
Catderousse
Le subjectsujet d’une loyloi autre que son Seigneur
D’estreêtre entre les vivansvivants ne doit avoir l’honneur
Le Syndique
1740Le fidelefidèle reçoit sa mort en patience
Pour ne devoir qu’à Dieu toute sa conscience
Le Maire
Mon cher fils mon enfant Dieu facefasse en nostrenotre mort
Que le meschantméchant cognoisseconnaisse en nos tourmenstourments son tort
Le Chœur
PerePère eterneléternel ô Dieu avec mesm’même essence
1745Est ton fils bien aimé ta seule sapience242[242] sagresse
Ton seul fils engendré de toytoi avant les cieux
Ton cher fils envoyé en ces terrestres lieux
Pour apporter la paix aux mondains incogneueinconnue243[243] inconnue des habitants du monde
Et nous donner la foyfoi que les tiens ont tenue
1750Affranchis et sauvezsauvés par le sang de luylui seul
Du regnerègne de pechépéché et du mortel cercueil
Du lyonlion244[244] A lire en deux syllabes : li-on rugissant de sa patte et sa gueule
Comme toytoi et ton fils n’est qu’une essence seule245[245] Le singulier du verbe se comprend probablement, outre l'accord de proximité, en relation avec le sens d'unité.
PerePère tu es en luylui luylui en toytoi est aussi
1755Je pri’246[246] Nous maintenons l'apocope pour le compte syllabique. qu’il soit en nous qu’en luylui soyons aussi
A finAfin que sa vertu maintenant se parfaceparfasse
En nos InfirmitezInfirmités et nos pechezpéchés efface
Nous gardant à ce coup nostrenotre cœur de faillir
Puis ce combat fini vueillesveuille nous recueillir
Catderousse
1760Ah c’est trop babillé, marchez, tant de foyfoi dire !
Car quand le four est chauldchaud est -il pas temps de cuire
Le Syndique
Nous y allons Monsieur il ne faut tant debattredébattre
Contre le feu chascunchacun tout nudnu s’en va combattre
Catderousse
Comm’Commeils y courent droit ! Ils sont folsfous je le voyvois
Le Maire
1765La victoire mouransmourant nous aurons par la foyfoi
Le Chœur
Ô souverain seigneur ô grand Dieu des alarmes
Puis quePuisque tu as si chers nos soupirs et nos larmes
Que comm’commeen un vaisseau tu te les penspends au col
FayFais pour une Cabriere et pour un Merindol
1770NaistreNaître et fleurir tousjourstoujours mill’milleEglisesÉglises en France
Qui par ta vérité deschassentdéchassent l’ignorance
Des FrançoisFrançais trop seduitsséduits par l’AntechristAntéchrist Romain
Nous entrons en la flambe asseurezassurés sous ta main
D’estreêtre aujourd’huyaujourd'hui receusreçus en ta celestecéleste gloire
1775Si tosttôt qu’avons goustégoûté la coupe qu'il faut boire
Pour tousjourstoujours vivre heureux apresaprès ce court mourir247[247] Verbe substantivé (cette courte mort).
Catderousse
Entrez au feu pour veoirvoir s’il vous peut secourir
FIN