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CesarCésar

par Jacques Grévin (1562)
  • Pré-édition
  • Transcription, Modernisation et Encodage : Mailys Bott
  • Annotation : Mailys Bott et Nina Hugot
  • Relecture : Nina Hugot et Milène Mallevays


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Entreparleurs

CesarCésar. Marc Antoine. Marc Brute. Cassius. Decime Brute.
Calpurnie. La nourrice. Le messager. La troupe des soldats de CesarCésar

ACTE PREMIER

CesarCésar

Quel mal va furetant aux moüellesmoelles de mes os ?

Quel soucysouci renaissant empescheempêche mon repos ?

Quel presageprésage certain d’horreur, d’ennuis, de flâmeflamme,

D’ennemis, et de mort se mutine en mon ameâme ?


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5Quel souspeçonsoupçon 1 me tourmente ? quelle frayeur me suit,

Et regeleregèle tousjourstoujours mon sang à demi cuictcuit ?

CesarCésar, non plus CesarCésar, mais esclave de crainte,

Vainqueur, non plus vainqueur, mais serf qui porte emprainteempreinte

La honte sur le front. OÔ premier Empereur !

10Mais que dydis-je Empereur, puis qupuisqu’il faultfaut vivre en peur ?

QuoyQuoi ! qu’au cueurcœur de CesarCésar la crainte prenne place !

Non, il n’en sera rien : car cela seul efface

» L'honneur de mes beaux faictsfaits. Il vaultvaut bien mieux mourir

» AsseuréAssuré de tout point, qu’incessamment perirpérir

15» FaulsementFaussement par la peur. Mais apresaprès les victoires

Acquises à grand' peine, et apresaprès tant de gloires,

Ne serayserai-je obeyobéi ? Ne donneraydonnerai-je fin

Au vouloir obstiné de ce peuple mutin ?

C’est trop vivre paoureuxpeureux, c’est par trop vivre en doute,

20C’est suyvresuivre trop long tempslongtemps celuycelui que je redoute.

» Ainsi le plus souvent on se rend serviteur,

» De ceux desquels on doit estreêtre le seul seigneur.

Mais n’est-ce pas assez vescuvécu pour de ma gloire

Ensuyvreensuivre heureusement une longue memoiremémoire ?

25Mais n’est-ce pas assez qu’avoir par mes vertus

RengéRangé dessous mes loixlois les vainqueurs des vaincus ?

N’est-ce donc pas assez d'estreêtre craint de ceux mesmemême

Devant qui de frayeur tout le monde vient blesmeblême ?

Ce m’est assez de voir la Romaine hauteur

30Ores 2 estreêtre bornée avecque ma grandeur.

Ce m’est, ce m’est assez que de la terre et l’onde

J'ayai vainqueur limité et Rome et tout le monde :

Vienne quand elle vouldravoudra, vienne la mort trenchertrancher

Le long fil de mes ans, ell' ne me peultpeut fascherfâcher.

35CesarCésar qu’un chascunchacun craint, ne craint point ce passage,


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Ayant avant mourir contenté son courage.

Je suis prestprêt, je suis prestprêt, si le cruel Destin

M’a ja 3 promis en proyeproie à ce peuple Latin,

Qui a veuvu malgré soysoi dessus son chef reluire

40L’heureux avancement de mon premier empire.

Mais ne me fayfais-je tort, me bastissantbâtissant en vain

Le dangereux assaultassaut d’une traistressetraîtresse main ?

Si fayfais, je me fayfais tort, en me faisant entendre

Ce qu’un peuple ennemi n’oseroitn’oserait entreprendre.

45Aborder un CesarCésar, qui n’eut jamais haineur

Qui soudain ne sentit l’effort de la fureur 4 !

Aborder un CesarCésar, à qui n’est eschappeeéchappée,

Sans d’elle se vangervenger, l’audace de PompeePompée !

CesarCésar, qui a domtédompté tout cela que le Ciel

50EnclostEnclôt sous sa vouturevoûture, et s’est faistfait immortel

Par la mort d’un rebelle, accravantant 5 l’audace

De son gendre orgueilleux, et de toute sa race :

Et qui pour n’avoir veuvuau monde qu’un Soleil,

Ne l’a voulu souffrir nyni plus grand nyni pareil !

55Aborder un CesarCésar, qui comme les tempestestempêtes

FoudroyentFoudroient à l’instant et mille et mille testestêtes,

Emmorcelant d’un coup le front plus orgueilleux

Des plus braves chasteauxchâteaux qui menacent les Cieux,

S’est faictfait voyevoie au travers de cette masse ronde,

60Arrondissant son heur par la rondeur du monde !

Aussi CesarCésar estoitétait seul digne d’un tel heur 6 ,

Que de tout l’univers il fustfut le seul seigneur.

L’Itale 7 en scaitsait que dire, aussi font des EspaignesEspagnes

Les peuples basanezbasanés, et toutes les campaignescampagnes

65Ou Garonne, la Seine, et le Rhin desbordédébordé

Ressemblent au courir un cheval desbridédébridé.


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Tu as vécu pour toytoi et ce point te demeure,

CesarCésar, que par ta mort la mesmemême audace meure

De ceux à qui tu as librement pardonné ;

70S’il est cruellement du Destin ordonné,

Au meschefméchef de CesarCésar, qu’en ce grand mal extremeextrême

Un qui a tout vaincu soit vainqueur de soysoi-mememême.

Ces murs audacieux, ces gransgrands palais Romains,

Maintenant seulseule horreur du reste des humains,

75SçaurontSauront après ma mort de combien ma présence

Sert pour contregarder leur antique puissance.

ToyToi Rome qui as fait tout un monde trembler,

À ce monde tremblant tu pourras ressembler,

HeritantHéritant le Destin de la grand’ Phrygienne :

80Et comme despitantdépitant l’altesse Olympienne,

Malgré l’arrestarrêt du Ciel, l’horreur de ton fardeau

A ton heur et ton nom servira de tombeau :

Et ne restrarest'ra sinon que ton idole errante

Pour servir d’une fable à l’aageâge survivante,

85Dont tu seras la proyeproie, et le riche butin

D’un grand peuple ennemi plus farouche et mutin.

Alors les gransgrands tresorstrésors en publiques rapines

Serviront pour un temps aux nations voisines :

Et toytoi pauvre, trop tard, trop tard regreterasregretteras

90Les Guerriers que pour lors au secours tu n’auras :

Te sentant atterrer, defauldradéfaudra ton courage 8

Parmi tous les soldats, ainsi que d’un orage,

Ou d’un éclat de fouldrefoudre on voit souventesfois

DesracinerDéracinerles pins au milieu des gransgrands bois.

95Tu verras malgré toytoi de tes poinctespointes hautaines,

Et de tes nourrissons ensemencer les plaines,

Sans qu’il en sorte après un seul pour te vangervenger,


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Comme il feitfit de ces densdents que l’on veitvit eschangeréchanger

Sur la rive estrangereétrangère, à l’heure que la terre

100Enfanta tout subit 9 la fraternelle guerre.

Mais je prypri' tous les dieux d’estreêtre estimé menteur,

PlustotPlutôt que de prédire un estrangeétrange malheur

A ceux qui survivront, ou que pour la malice

De quelques envieux, la cruelle justice

105Des dieux juste-vangeursvengeurs desserre son effort

Sur ceux-là qui n’auront jamais causé ma mort.

Hé ! quel bien leur vient-il, si bruslansbrûlants d’une envie

Ils font mourir celuycelui qui leur donna la vie ?

Quel honneur, quel proffitprofit, quel plaisir, quel bien faictbienfait

110SuyvraSuivra l’auteur premier d’un si cruel mesfaictméfait ?

Mais plus tostplutôt un remorsremords, un remorsremords miserablemisérable

De la mort désireux talonnant ce coupable

Viendra ramentevoir 10 un antique desirdésir

AllonguissantAlanguissant ses jours 11 , lors qulorsqu’il vouldravoudra mourir,

115Se sentant trop heureux, si pour mieux luylui complaire,

On avance la mort ainsi qu’il ne veultveut faire.

MARC ANTOINE

La GreceGrèce entre les heurs vanteuse publirapubli'ra

Un Achille, un Hercule, et TroyeTroie n'oubliran'oubli'ra

La race de Priam : mais Rome pourra dire

120Que de ces devanciers le los ne peultpeut suffire

Pour atteindre aux honneurs qu’un CesarCésar s’est acquis,

Ayant plus bravement tout un monde conquis,

Qu’Achille son Hector, qu’Alcide son AntheeAnthée,

Que Francus l’AlemagneAllemagne et Gaule surmonteesurmontée.

125Heureuse Rome, heureuse ores d’avoir receureçu

L’heur du Ciel qu’un CesarCésar en tes bras fustfut conceuconçu.

Heureux aussi CesarCésar maintenant je te nomme,


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Heureux cent mille fois d'estreêtre né dedans RommeRome.

De Rome la grandeur un CesarCésar meritoitméritait,

130La grandeur de CesarCésar entre toutes estoitétait

Seule digne de Rome : et CesarCésar et la ville

Sont dignes de tenir cette masse servile.

CesarCésar.

Si l’un et l’autre est digne, et que le lieu plus beau

De Rome, soit pour faire à CesarCésar un tombeau,

135Il faultfautque de CesarCésar la mort qu’elle procure

LuyLui serve quant-et-quant de mesmemême sepulturesépulture :

Et s’il est ordonné par un arrestarrêt fatal,

Que cil 12 dont les desseins, et le pouvoir esgalégal

Mesure son pouvoir par la mesmemême puissance

140De la terre et du Ciel, usant trop de clemenceclémence,

Soit massacré des siens, il fauldra pour ce tort

Que la mort de CesarCésar soit de Rome la mort.

M.Marc Antoine

Hé, ne l’est-ce pas ci qui songeart sepromeinepromène ?

Il ne sera faschéfâché de voir son Marc Antoine.

145Mais dites Empereur, seul honneur des Romains,

Qui le monde tenez paisible entre vos mains,

Quel desirdésir, quel malheur dedans vous se mutine,

ApresAprès avoir rangé tout ce que la courtine

De ce Ciel environne, et tout ce qu’Apollon

150EsclaircitÉclaircit aux flambeaux du journalier brandon ?

CesarCésar

C’est peu d’avoir vaincu, puis qupuisqu’il faultfaut vivre en doute. 13

M.Marc Antoine

Mais s’en peultpeut-il trouver un qui ne vous redoute ?

CesarCésar

» CeluyCelui qu’un chascunchacun craint se doit garder de tous,


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Car un chascunchacun voudroitvoudrait le massacrer de coups.

M.Marc Antoine

155Qui voudroitvoudrait vous garder de regnerrégner et de vivre,

Vous qui avez rendu toute Rome delivredélivre 14 ,

LuyLui redonnant la vie avecque la seurtésûr'té ?

CesarCésar

» Ha ! qu’il est malaisé de regirrégir liberté !

» Le chavalcheval gallopantgalopant par la plaine sans bride,

160» Ne se laisse domterdompter par celuycelui qui le guide,

» Les renesrênes et le mors ne le tiennent subjet,

» Et n’haa que son vouloir seulement pour objectobjet.

M.Marc Antoine

Il faultfaut tant seulement, il faultfaut votre presenceprésence,

Qui servira de frainfrein à leur outrecuidance,

165Et si quelques desirsdésirs en leurs cueurscœurs allumezallumés

Les rend audacieux encontre vous armezarmés,

Vous ferez derechef le fer de vos batailles

Bravement destramperdétremper en leurs propres entrailles,

Là ou tout le pouvoir de ce peuple Latin

170Se verra pour jamais de CesarCésar le butin.

CesarCésar

» La douceur sied bien mieux pour finement combattre

» Le cueurcœur audacieux d’un peupleopiniastreopiniâtre :

» Car d’autant que l’on pense user de cruauté,

» D’autant en son orgueil se rend-il incité.

M.Marc Antoine

175OuyOui, mais si la douceur n’y est la bien venuebienvenue,

La puissance sera par force maintenue :

Ainsi a devant vous le monarque GregoisGrégois

Rangé dessous sa main, la puissance des Rois :

Et or' vostrevotre grandeur ne peultpeut-elle suffire


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180Pour dessus les Romains esleverélever un empire ?

CesarCésar qui avez faictfait tout un camp assembler,

Devant qui lonl’on a veuvu tout le monde trembler,

Vous qui avez borné vostrevotre grandeur acquise

Par le cours du Soleil, et par la froide bizebise ?

CesarCésar

185Laissons là ma grandeur, et l’effort de ma main,

Puisque je suis subjectsujet à un peuple Romain,

Qui se resentressent tousjourstoujours de son premier ancestreancêtre.

M.Marc Antoine

Que demandoitdemandait-il mieux sinon vous recognoistrereconnaître

PerePère de la patrie, et vous porter honneur,

190Comme vous estesêtes seul cause de la grandeur 15 ?

CesarCésar

Cela fait seulement qu’ores plus je m’asseureassure

En ce discours douteux, depuis que je mesure

L’honneur et les biens-faitsbienfaits qu’il a receureçus de moymoi.

M.Marc Antoine

Non, non, n’estimez rien, n’estimez rien la foyfoi

195Que je vous jurayjurai lors, que sortant d’Italie

En habit desguisédéguisé, au dangierdanger de ma vie

Je m’en allayallai vers vous, vous monstrantmontrant le moyen

De domterdompter aisément ce peuple Italien :

Non, ne l’estimez rien, s’il se treuvetrouve un seul homme

200Qui ne vous recognoissereconnaisse estreêtre seul, qui de Romme

MeritezMéritez entre tous l’entier gouvernement,

Et qui ne soit tout prestprêt à presterprêter le serment

Ainsi qu’il appartient à son RoyRoi, à son Prince,

Et digne gouverneur d’une telle province.

CesarCésar

205Advienne quique pourra, quand CesarCésar sera mort,


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Quelque CesarCésar sera le vangeurvengeur d’un tel tort.

M.Marc Antoine

Antoine ne veultveut vivre apresaprès si grande injure

Sans en estreêtre vangeurvengeur, desdès cette heure il s’asseureassure

De mourir quelque jour sous le luisant harnois,

210Pour défendre le droictdroit du domteurdompteur des Gaulois.

CesarCésar

Mais laissons ces devis, et parlons de l’affaire,

Qui plus que tout cela se montre nécessaire :

Vous allez au SenatSénat.

M.Marc Antoine

Ja le Soleil est haulthaut,

Ce qui me fait hasterhâter puis vous sçavezsavez qu’il faultfaut

215S’assembler aujourdhuyaujourd’hui, et que vostrevotre presenceprésence

Est requise surtout.

CesarCésar

Je ferayferai diligence,

Allez vous en devant, et proposez tousjourstoujours

Mon dessein, tout ainsi qu’en sçavezsavez le discours.

La troupe des soldats de CesarCésar

Le premier

Braves soldats, ou est le temps ?

220Où est la fureur de nos ans ?

Où sont les premierespremières tempestestempêtes

DevancieresDevancières de nos conquestesconquêtes ?

Où est l’orage tournoyant ?

Où est le froissis abboyant aboyant

225Le sein de TethysTéthys courrouceecourroucée,


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Lors que d’un Aquilon chasseechassée

AguisoitAiguisait ses ondes aux cieux

EmmontaigneesEmmontagnées en cent lieux ?

Où est la bataille trampeetrempée

230A la poursuytepoursuite de PompeePompée ?

Le second

Je resenressens encor’ dedans moymoi

L'esguillonaiguillon du premier esmoyémoi.

Faire renaistrerenaître cette envie

De remettre encoresencore ma vie

235Au hazardhasard du premier danger :

Je me resensressens encourager,

Tout prestprêt de r’essayer la peine

Qui ensuit la poudreuse plaine :

Je sensens rallumer derechef 16

240Ce qui nous feitfit lever le chef 17

Entre les triomphes de gloire,

Qui ensuyvirentensuivirent la victoire.

Le premier

» Ce n’est seulement que l’honneur

» Qui resusciteressuscite la grandeur,

245» EsguillonnantAiguillonnantla brave audace

» D’une noble et premierepremière race.

» L’honneur est le seul nourricier

» De la prouesse d’un guerrier,

» C’est l'esperonéperon qui seul le pique

250» DefendantDéfendant une République :

TousjoursToujours par luylui se sont esprisépris,

PremierementPremièrement les bons esprisesprits,

Pour premiers oser entreprendre

Le chemin foulé d’Alexandre.


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Le troisiemetroisième.

255» La force ne vient d’autre part :

» Car incontinent 18 qu’un soldart 19

» S’est mis devant les yeux la gloire,

» Il tient à demi la victoire :

La force luylui double, et le cueurcœur

260Se sentant ja 20 presque vainqueur,

LuyLui enfle dedans la poictrinepoitrine,

Qui d’honneur et de gloire pleine

En luylui fait apparoistreapparaître encor’

Les vaillantises d’un Hector,

265Et les prouesses dont Alcide

Vengea le GeantGéant homicide.

Le quatriemequatrième.

Pendant que les premiers GregoisGrégois

Furent gouvernezgouvernés par les Rois

Jaloux de cestecette belle gloire,

270Ils estendirentétendirent leur victoire

Sur les plus farouchesdomtezdomptés,

Et de ces peuples surmontezsurmontés

Se faisant maistresmaîtres, par le monde

S'epanditépandit leur gloire fecondeféconde.

275Ainsi le brave fils d'AesonEson 21

Rapporta la riche toison,

Et d’une audace plus hautaine

Rama premier l’humide plaine 22 .

Le troisiesmetroisième.

La gloire feitfit premierementpremièrement

280Bienheurer leur commencement :

Mais quant-et-quant que la paresse

Se feitfit de leurs neveux 23 maistressemaîtresse,


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La couardise des derniers

Vint desmentirdémentir les devanciers :

285» Car un champ voire plus fertile

» Se rend en la fin inutile,

» Si le soc n’est souvent caché

» Au plus creux de son dos tranché.

Le quatriemequatrième.

» Jamais la semence fecondeféconde

290» De ceux qui ont domtédompté le monde

» Ne tint le loisir paresseux

» Avecque les biens des ayeuxaïeux :

» Jamais de l’Aigle genereusegénéreuse

» Ne vint la colombe paoureusepeureuse.

Le premier.

295Mais il faut craindre les malheurs

Qui suyventsuivent souvent les vainqueurs,

C’est, que n’ayant plus resistancerésistance,

Eux-mememême contre leur puissance

Prennent les armes, encor’plus

300Se font esclaves des vaincus.

ACTE SECOND.

Marc Brute.

Rome, jusques à quand, jusques à quand sera-ce,

Que tu pourras souffrir une nouvelle audace

EsleverÉlever par sur toytoi le bras imperieuximpérieux,

Avec l’impiété d’un chef presomptueuxprésomptueux ?

305Quel souvenir te point ? Quel honneur t’esguillonnet’aiguillonne

Des ayeuxaïeux, des neveux ? quelle franchise ordonne

Que tu craignes celuycelui que soigneuse tu as

D’un soing plus curieux nourri entre tes bras ?


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Encores plus, malheur ! qu’il te tienne contrainctecontrainte

310Sans qu’à tes nourrissons tu en facesfasses complainctecomplainte :

Qui pour te racheter du servage inhumain,

Remettent sus l’honneur du vieil peuple Romain.

Rome, n’as -tu assez cogneuconnu la convoitise

Que CesarCésar va cachant dessous une feintise 24 ?

315Ce traistretraître, ce cruel, cet ingrat eshontééhonté 25 ,

De qui la trahison avec la cruauté

Oncques ne sceutsut cacher par menteur artifice

L’infameinfâme volonté de ton infameinfâme vice.

Et toytoi, ô Dieu Guerrier, de qui nos devanciers

320En bon heurbonheur et grandeur furent les heritiershéritiers,

S’il te souvient de Rhée, et de tes fils bessons 26 ,

Que tu as elevéélevé du milieu des buissons

Pour rebastirrebâtir encor'encore une nouvelle Asie,

Souviennetoytoi du sort de cestecette tyrannie :

325Remets devant tes yeux les sages Fabiens,

Les Metelles vaillansvaillants, et les Fabriciens,

Et ces deux qui premiers pour le salut publiquepublic

Se mirent au danger d’une meurtrieremeurtrière picquepique,

Et oserentosèrent mourir de propre volonté,

330PourveuPourvu que par leur mort l’honneur fustfût racheté.

Mais nous abastardisabâtardis, trop indignes de naîtrenaitre

Du moindre successeur du moins vaillant ancestreancêtre,

Nous endurons encor’ au plus beau de nos ans

ResusciterRessusciter l’orgueil des sept premiers Tyrans.

335Brute,resouvienressouviens- toytoi (puis quepuisque seul je demeure

Qui veultveut plutôt mourir que le Tyran ne meure

ResouvienRessouviens toytoi du nom que tu hasas, et retiens

Encor’ de la vertu de tous tes anciens :

Hé, Brute ! retiens-en, tout au moins, le courage


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340Et ne te souille ainsi d’un infameinfâme servage.

Hé Brute ! ton pays ne te peultpeut-il mouvoir ?

La voix des citoyens n’ha a-t-elle le pouvoir

De t'enflamerenflammer le cueurcœur trop abject et servile,

Te reprochant que Brute est absent de la ville ?

345Et, pauvre ! ce pendantcependant tu la vois endurer,

Sans luylui donner moyen de pouvoir espererespérer,

Ny des siens, nyni de toytoi qui contemne 27 l’audace,

La noblesse et vertu de ton antique race.

Non, qu’un tel deshonneurdéshonneur ne me soit reproché,

350Que d’avoir patient trop longuement caché

Le vouloir qu'ayait receureçu de ma premierepremière race,

Pour un jourestouferétouffer cestecette royale audace.

» Non, on ne veitvit jamais un homme de grand-ameâme

» S'estreêtre faictfait serviteur : car l’honneur qu’il enflâmeenflamme

355» Fait qu’il ne veultveut jamais servir à son pareil.

Et or’ la liberté servira de Soleil

À Brute, pour prouver à chascunchacun qu’il est homme,

Descendu de celuycelui qu’on regrette dans RommeRome.

» Le lyonlion que Lybie esleveélève entre ses bras,

360» Le taureau, le cheval ne prestentprêtent le col bas

» À l'appetitappétit d’un joug, si ce n’est par contrainctecontrainte :

FauldraFaudra-t-il donc que Rome abbaisseabaisse sous la crainctecrainte

De ce nouveau Tyran le chef de sa grandeur,

Et facefasse malgré soysoi ce qu’ils ont en horreur ?

365Rome effroyeffroi de ce monde, exemple des provinces,

Laisse la tyrannie entre les mains des Princes

Du Barbare estrangerétranger, qui honneur luylui fera,

Non pas Rome, pendant que Brute vivera 28 .

Rome ne peultpeut servir Brute vivant en elle,

370Et cachant dedans soysoi cestecette antique querelle.


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Ce n’est assez que Brute aistait arraché des mains

D’un Tarquin orgueilleux l’empire des Romains,

» S’il n’est contregardé. Le neveu ne meritemérite

» EstreÊtre heritierhéritier des biens, si l'ayeulaïeul ne l’excite

375» À suyvresuivrela vertu, et si avec les biens

» Il ne monstremontre le cueurcœur de tous ses anciens.

Brute, monstre montre-toytoi donc, et d’une belle gloire

VoüeVoue aujourdhuyaujourd’hui ta vie à la longue memoiremémoire :

Autrement tu n’es pas digne d’avoir vescuvécu,

380Si apresaprès toytoi ne vistvit l’honneur d’avoir vaincu.

Brute, fais aujourdhuyaujourd’hui, fayfais, fayfais que CesarCésar meure,

AfinÀ fin qu’à tout jamais ta memoiremémoire demeure

Ennemie du nom de ce Tyran cruel,

Comme vivant je suis son ennemi mortel.

385Et quand on parlera de CesarCésar et de RommeRome,

Qu’on se souvienne aussi qu’il a estéété un homme,

Un Brute, le vangeurvengeur de toute cruauté,

Qui aura d’un seul coup gaignégagné la liberté.

Quand on dira, : «CesarCésar fut maistremaître de l’empire, »

390Qu’on die quant-et-quant 29 , Brute le sceutsut occire 30 .

Quand on dira, : «CesarCésar fut premier Empereur, »

Qu’on die quant-et-quant Brute en fut le vangeurvengeur.

Ainsi puisse à jamais sa gloire estreêtre suyviesuivie

De celle qui sera sa mortelle ennemie.

395Puissent à tout jamais ceux qui viendront de nous

Sentir, en tel besoingbesoin, en leur cueurcœur le courroux

Que je couve dans moymoi, et dont ja l’estincelleétincelle,

Trop long tempslongtemps patiente, aujourd’hui se décelledécèle :

Puissent, puissent-ils voir reflorirrefleurir quelquefois

400L’ennemi des Tyrans et des iniques Rois.


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CASSIUS.

OÔ main trop otieuse 31 ! ô fureur patiente!

Voire trop patiente, apresaprès si longue attente.

Hé ! que n'ayai-je desjadéjà faictfait esprouveréprouver la mort

À ce Tyran cruel, pour nous venger du tort

405Qu’il a faictfait aux Romains ? que n'ayai-je en ses entrailles

Enterré le loyer de toutes les batailles,

Dont aux champs Espagnols il se veitvit le vainqueur ?

Que n'ayai-je, desdès quatre ans, faictfait faire de son cueurcœur

Un galliongalion flottant dedans le fleuve mesmemême

410Que le sang auroitaurait faictfait delaissantdélaissantle corps blesmeblême ?

Mais ce n’est rien perdu, si encoresencore l’amour

Que je porte au pays se remontre à ce jour,

À ce jour bien heureuxbienheureux, qui aura jouissance

De revoir entre tous l’entiereentière delivrancedélivrance

415Du pouvoir, de l’honneur que toute antiquité

AvoitAvait si bien acquis à sa postérité :

De revoir les tresorstrésors que ce meschantméchant desrobedérobe,

EstreÊtre remis aux mains du peuple à longue robberobe.

Et vous Brute, c’est or qu’il faultfaut que la vertu,

420Qui a si longuement dedans vous combatucombattu

Pour le montrer encore, vous facefasse dedans RommeRome

Bravement esprouveréprouver si vous estesêtes tel homme

Que vostrevotre nom tesmoignetémoigne, et si avec le nom

Vous cachez dans le cueurcœur de ce premier brandon

425Dont vos vaillansvaillants ayeuxaïeux eurent l'ameâme eschaufeeéchauffée.

M.Marc Brute.

Tant que l’impiété et l’audace estoufeeétouffée

De ce tyran injuste ayentaient pris fin par nous,

Le somme distillant ne me peultpeut estreêtre doux,

Tant m’est à contrecueurcontrecoeur le sort de ce servage.


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Cassius.

430Je sensens mon cueurcœur, mon sang, mes esprits, mon courage,

Et rompre et bouillonner, et bruslerbrûler, et bondir,

Tous conjuransconjurant en un, à finafin de m’enhardir

À espuiserépuiser son sang, et de plus grand'grande audace

Et de pieds et de mains l’aborder face-à-face.

435Armé d’un tel vouloir je veulxveux, je veulxveux cacher

La dague en sa poitrine, et ne l’en arracher

Sinon avec la vie, à fin que puisse dire,

Qu'aurayaurai tué d’un coup et CesarCésar et l’Empire.

Tout ainsi qu’un lion qui descendant d’un bois,

440ApresAprès avoir oui une buglantebeuglante voix,

Vient sur l’herbe affronter avecque sa furie

Le taureau, dont à l’heure il desrobedérobe la vie :

Ainsi je veux sur luylui ma fureur attiser,

Et par un mesmemême coup cestecette guerre appaiserapaiser.

445Ce traistretraître ravisseur de la franchise antique,

Ce larron effronté de tout le bien publique,

Ne doit-il pas vomir sa rage avec le sang

Par une mesmemême playeplaie ? Et estreêtre mis au rang

Des haineurs du pays ? il faultfaut, il faultfaut qu’il meure

450Par ma main vangeressevengeresse, et ores qu’en mesmemême heure

Je hazardehasarde ma vie esaux mains des ennemis :

» Car celuycelui meurt heureux qui meurt pour son pays.

Mais qui vous entretient en si longue penseepensée,

Puis qu’il faultfaut mettre fin à l’affaire presseepressée ?

455Si le soleil levant vous a veuvu tormentétourmenté,

Il faultfaut qu’à son coucher il voyevoie liberté

Remise par vos mains en sa vigueur plus forte :

Je suis appareillé pour vous y faire escorte,

Et mettre le premier, quand il sera besoingbesoin,


--- 18 ---
 

460Le courage en mon sang, et la dague en mon poing.

Parlez que tardez -vous ? encore que je sçachesache

Le but de nos desirsdésirs, et qu’en vous ne se cache

Un cueurcœur dissimulé, si veux-je bien sçavoirsavoir

Encore par la voix quel est vostrevotre vouloir.

M.Marc Brute.

465Que demandez -vous plus ? voulez -vous d’avantage ?

Puisque vous cognoissezconnaissez de Brute le courage

C’est assez, c’est assez puisque avons arrestéarrêté

Mourir ou rachepterracheter l’antique liberté.

DECIME BRUTE.

Que demeurons nous tant ? où est nostrenotre asseuranceassurance ?

470Abusera-il 32 encor de nostrenotre patience ?

Ce jour, ce jour heureux qu’avons tant desirédésiré

Ores se rend à nous, et le bien esperéespéré

Est encore à venir ! voycivoici l’heure presenteprésente,

Et retenez encore vostrevotre main patiente 33 !

M.Marc Brute.

475» Nous l’aurons assez tosttôt, pourveupourvu que l’ayons bien.

D.Decime Brute.

» Il ne faultfaut point attendre, en ce pendant qu’un bien

» Commun aux citoyens et à toute la patrie 34

» S’offre dans nostrenotre main, et à soysoi nous convie.

» Ne scavezsavez-vous pas bien que le plus grand seigneur

480» Familier d’un Tyran, deviendra serviteur

» Encore qu’il soit libre ? et vous si d’avantage

Vous hantez sous son toicttoit, vous perdrez le courage,

Et deviendrez son serf : Mettons donques la fin,

Sans d’avantage attendre, à son vouloir mutin.

485N’endurons plus sur nous regnerrégner un GanymedeGanymède,

Et la moitié du lit de son royroi NicomedeNicomède :


--- 19 ---
 

Dont le jour est tesmoingtémoin, où lon ne veitvit monté

En triomphe celuycelui qui l’auroitaurait surmonté :

Lors queLorsque la voix des siens enseigna la premierepremière

490Qu’il se falloitfallait garder de ce chauve adultereadultère,

D’un EgisteEgisthe public, d’un commun ravisseur,

Qui ne pardonneroitpardonnerait voire à sa propre sœur.

La Gaule le scaitsait bien, et l’en maudit encore :

L’AegypteÉgypte en est certaine, et sur la rive more

495Enoé le tesmoignetémoigne, et encor ce meschantméchant

Vit entre les Romains !

Cassius.

Il scaurasaura qu’un trenchanttranchant

PeultPeut par un mesmemême coup mettre fin à la vie,

À son heur et malheur, sa force et son envie.

D.Decime Brute.

Qu’attendez-vous donc plus ?

M.Marc Brute.

Qu’il s’en vienne au Senat,

500Là nous pourrons avoir matierematière de débat,

Comme avons arrestéarrêté 35 .

Cassius.

Encore qu’il demeure

Plus long tempslongtemps à venir, si faultfaut-il bien qu’il meure.

D.Decime Brute.

Je m’en vayvais au-devant, sans plus me tormentertourmenter,

Et trouveraytrouverai moyen de le faire hasterhâter.

M.Marc Brute.

505Et nous en-ce-pendant d’une audace commune

Nous nous tiendrons tous presprès d’essayer la fortune,

Et trouverez à l’œuvre un chacunchascun attentif.


--- 20 ---
 

Cassius.

Mais j'ayai je ne sçaysais quoyquoi qui me detientdétient pensif.

N’estes êtes-vous pas d’advisavis que de force pareille

510Nous abordions Antoine, à finafin qu’il ne resveilleréveille

L’orgueil de ce Tyran en ses nouveaux amis ?

M.Marc Brute.

Je vous ayai toujours dit que ce n’est mon advisavis.

Cassius.

Si seroitserait-ce bien faictfait, arrachansarrachant la racine

Avecque le gros tronc de tout’ cestecette vermine,

515De peur qu’ell' ne revienne, ou que le pied laissé

Ne ressemble celuycelui qui l'auroitaurait devancé.

M.Marc Brute.

C’est assez, soyez prestprêt pendant que je regarde

Que chascunchacun de mes gens se tienne sur sa garde.

Cassius.

Tu verras aujourdhuyaujourd’hui, antique Palatin,

520EschineÉchine Saturnale, et toytoi mont Avantin,

OÔ croupe Quirinale, ô grandeur Celienne,

OÔ Vimal ancien, et haultehaute Exquilienne,

Et vous arcs de triomphe, honneur d’antiquité,

Vous verrez aujourdhuyaujourd’hui renaistrerenaître liberté.

LA TROUPE.

Le premier soldat.

525C’est ores 36 que la terre toute

La grandeur de CesarCésar redoute :

Soit cette part où le Soleil

Retire son beau teint vermeil,

Et l’or de sa perruque blonde

530Hors les bras de la prochaine onde,


--- 21 ---
 

Qui se ridant en mille plis,

Ore en oeillets et ore en lis,

Et ore en roses vermeillettes,

Et mille petites fleurettes,

535Semble qu’elle facefasse l’amour

À PhebusPhébus le dieu porte-jour :

Soit cellecette part où la carrière

Qu’il a ta 37 delaissédélaissé derrière

Est esgaleégale à celle qui suit,

540Dont il voit un peuple tout cuit,

Qu’il chasse à flammeschesflammèches ardantesardentes

Dans les cavernes noircissantes :

Soit cellecette part, où l'abbaissantabaissant

Il va nostrenotre monde laissant,

545Et à testetête courbe il s'eslanceélance,

S’absentant de nostrenotre presenceprésence,

Afin d’abreuver ses chevaux,

Dedans le ventre des gransgrands eaux.

Le Second.

Les campaignescampagnes Thessaliennes,

550Et les bouches EgyptiennesÉgyptiennes

À l’aborder de sa fureur

ChangerentChangèrent leur blanche couleur :

Le Nil encoresencore le redoute,

Ou ceux qui souloyentsoulaient 38 mettre en route

555Les plus forsforts et plus avancezavancés

Furent eux-memesmêmes repoussezrepoussés,

Et chassezchassés hors de leurs provinces :

Ou de la chair des plus gransgrands Princes,

Qui s’estoyentétaient contre luylui bandezbandés

560Furent les chiens aviandezaviandés.


--- 22 ---
 

Le premier.

Mais n’avez-vous point souvenance

De quel cueurcœur, de quelle constance

Il aborda les plus felonsfélons,

Et les plus braves esquadronsescadrons,

565Quand d’une diligente suytesuite

Il meitmit les ennemis enfuytefuite ?

Le troisiemetroisième.

Chose estrangeétrange ! d’avoir batubattu

Un PompeePompée, dont la vertu

AvoitAvait faictfait preuve suffisante

570De sa prouesse renaissante.

Le quatriemequatrième.

Et plus estrangeétrange d’avoir veuvu

Un tel Guerrier estreêtre deceudéçu,

ApresAprès avoir acquis la gloire

De la Palestine victoire.

Le second.

575» Fortune qui entre ses mains

» Va pesle-meslantpêle-mêlant les humains,

» EnyvreEnivre de pareils breuvages

» En la parfin les gransgrands courages.

Le quatriemequatrième.

» Le plus souvent les vertueux,

580» Les guerriers plus chevaleureux,

» Font essayessai de la main puissante

» De cestecette DeesseDéesse inconstante,

» Dont le vouloir est plus legierléger

» Que les fleichesflèches qui fendent l’air.

Le troisiemetroisième.

585Xerxe ce vaillant capitaine


--- 23 ---
 

FleauFléau de la Gregeoise plaine,

Qui premierepremière osa faire un pont

Sur les vagues de l’HelespontHellespont,

Pour passer sa gendarmerie

590En l’Europe joinctejointe à l’Asie,

LuyLui grand Monarque et de grand cueurcœur,

Après avoir estéété vainqueur

Aux plaines et devant les villes,

FeitFit essayessai 39 dans les Thermopyles

595» Que fortune n’a pas tousjourstoujours

» Favorisé un heureux cours.

Le premier.

Pensez-vous pourtant si nous sommes

L’horreur du demeurant des hommes,

Et que CesarCésar ayant domtédompté

600Tout le monde, soit redouté,

Que soyons seurssûrs de nostrenotre vie ?

Pensez-vous point que quelque envie

Ne se couve secretementsecrètement

Après l’heureux avancement

605De ses desirsdésirs ? Si fait, Fortune

Ne luylui peultpeut estreêtre tousjourstoujours une,

Et craincrains bien qu’en nostrenotre malheur

Ell'ne desserre sa fureur.

Le second.

Ainsi meitmit-elle la puissance

610Des premiers Rois hors d’esperanceespérance

De jamais remettre la main

Sur le col du peuple Romain.


--- 24 ---
 

ACTE TROISIEMETROISIÈME.

Calpurnie.

Las ! qu'ayai-je souspeçonnésoupçonné ! Nourrice, qu'ayai-je veuvu !

Quel malheur poursuyvantpoursuivant ayai-je aujourdhuyaujourd’hui preveuprévu !

615De perdre mon CesarCésar ! qu’un autre le menace !

Qu’il soit cruellement meurtri devant ma face !

Tué entre mes bras ! las ! je sens eslancerélancer

Pesle-meslePêle-mêle une peur au fond de mon penser.

Las ! le cueurcœur me defaultdéfaut, et je sensens dans mes veines

620Le poison englacé dont elles sont ja pleines :

L’air m’est tout ennuyeux, et ne puis retirer

Le vent en l’estomac pour me faire parler :

Je sensens par tout le corps mes forces amoindries,

Serve, trop serve, helashélas ! des craintes ennemies.

625OÔ vous dieux familiers, si quelque soingsoin vous tient,

Et si quelque amitié des hommes vous detientdétient,

Ou vous peultpeutinciter à estreêtre favorables

Pour le secours heureux des pauvres miserablesmisérables :

Ne permettez, bons dieux, que le jour resemblantressemblant

630Soit en nostrenotre malheur à ce songe sanglant :

Ne permettez, bons dieux, en luylui quelque puissance,

Et que de l’adveniravenir il facefasse demonstrancedémontrance.

Le cueurcœur, helashélas ! me tremble, et la froide sueur,

Qui coule de mon corps me fait naistrenaître une horreur,

635Quand je me resouvienressouviens de ce qu'ayai veuvu en songe.

Je sensens dans ma poitrine un' humeur qui se plonge

Aux mouellesmoelles de mes os, et puis s’en va glissant,


--- 25 ---
 

Tout ainsi qu’un serpent, par le corps pallissantpâlissant :

Et ne scaysait souspeçonnersoupçonner quel malheur plus estrangeétrange

640Mon esprit me preditprédit. Hé ! quel destin se range

À l’encontre de moymoi ! Hé ! pauvrette, je suis

Femme du grand CesarCésar, et vivre je ne puis

Libre de passions, libre de toute crainte,

Qui me detientdétient ainsi qu’une geennegêne contrainctecontrainte.

645» Heureux et plus heureux l’homme qui est content

» D’un petit bien acquis, et qui n’en veultveut qu’autant

» Que son train le requiert : las ! il vit à sa table

» TousjoursToujours accompagné d’un repos desirabledésirable :

» Il n’haa soucysouci d'autruyautrui, l’espoir des gransgrands tresorstrésors,

650» Ne luylui va martelant nyni l'ameâme nyni le corps :

» Il se rit des plus gransgrands, et leurs maux il escouteécoute,

» Il n’est crainctcraint de personne, et personne il ne doute 40 :

» Il voit les gransgrands seigneurs, et contemplant de loingloin

» Il rit leur convoitise et leurs maux et leur soingsoin :

655» Il rit les vains honneurs qu’ils bastissentbâtissent en testetête,

» Dont les premiers de tous ils sentent la tempestetempête,

» Si le Ciel murmurant les voit d’un mauvais œil

» Accablant tout d’un coup le bonheur et l’orgueil :

Comme je prevoyprévois bien nostrenotre proche ruine,

660Si le peuple Romain une fois se mutine.

La Nourrice.

Comment, mon cher esmoyémoi, que veultveut ce nouveau dueildeuil ?

Que veulent tant de pleurs escoulansécoulant de vostrevotre œil ?

Quelle subite peur vous surprend et martiremartyre ?

Quelle frayeur, helashélas ! vostrevotre beau teint empire ?

665Que peultpeut-il advenir, pour lamenter si fort,

À la femme de cil 41 qui gouverne le sort ?

Calpurnie.


--- 26 ---
 

Nourrice, je ne scaysais quel destin me menace :

Mais une peur tremblante en ma poitrine efface

Tous les plaisirs passezpassés, et ce subit effroyeffroi

670Semble quelque malheur predireprédire contre moymoi.

La Nourrice.

Mais pourquoypourquoi craignez -vous ? n'estesêtes-vous pas aimeeaimée

De vostrevotre grand CesarCésar, dont la puissance armeearmée

Fait craindre Rome mesmemême, et qui haa sous sa main

Paisible gouverné tout ce peuple Romain

675L’espace de quatre ans ?

Calpurnie.

Je n’en suis plus heureuse,

» Nourrice, car la crainctecrainte est plus imperieuseimpérieuse,

» Que le pouvoir d’un RoyRoi.

La nourrice.

» Vous scavezsavez que la peur

» Ne trouva jamais lieu sinon en petit cueurcœur.

Si donc vous resentezressentez un feu de vostrevotre ancestreancêtre,

680Ne la laissez paoureusepeureuse en vostrevotre cueurcœur renaistrerenaître :

Mais dites, je vous pryprie, qui vous cause ces pleurs ?

Calpurnie.

Tant seulement un songe enaigrit mes douleurs.

Déjà sur nostrenotre polpôl' cette estoilleétoile argentine,

Qui annonce le jour, entroitentrait dans la courtine,

685Dont se distille en nous le somme qui la suit,

Et ja s’estoyentétaient passezpassés les deux tiers de la nuictnuit,

Quand je sentysentis couler au plus creux de mes mouellesmoelles

Le somme gracieux, flatantflattant de ces deux aellesailes

Le plus fort de mon soingsoin, et voycivoici, ô bons dieux !

690Un estrangeétrange malheur presentprésentdevant mes yeux.


--- 27 ---
 

Nourrice, tenez moy-moi, la force me delaissedélaisse,

Je sensens mon cueurcœur estrainctétreint ainsi qu’en une presse.

La nourrice.

Madame, reprenez le courage laissé,

Et suyvezsuivez le propos comme avez commencé.

Calpurnie.

695VoyciVoici entre mes bras, helashélas ! le cueurcœur me tremble,

Mon CesarCésar massacré, ainsi comme il me semble,

Le sang en toutes parsparts luylui couloitcoulait de son corps,

Ne luylui restant sinon la place entre les morsmorts :

Je m'esveilleéveille en sursaultsursaut, et or' que je le touche,

700Si ne croycrois-je pourtant qu’il soit dedans la couche :

Je luylui tastetâte le bras, la poitrine et le flanc,

Et semble que toujours je me mouille en son sang :

Je regarde entour moymoi, et ce qui plus m'estonneétonne,

Je voyvois ma chambre ouverte où il n’y a personne.

705Nourrice, de ceci que pourroispourrais-je penser,

Sinon que quelque mal nous veuille devancer ?

La nourrice.

» Laissez cela, Madame, et pensez que la crainctecrainte

» Ne se doit appuyer sur une chose feinctefeinte :

» Le songe est un menteur, tout prestprêt pour tormentertourmenter

710» Cil 42 qui facilement se laisse espouvanterépouvanter.

Et quand il seroitserait vrayvrai ce qu’il vous representereprésente,

Si est-ce qu’il ne faultfaut s’en montrer mal contente.

» Les dieux souventesfois nous veulent advertiravertir

» De ce qui nous menace, et y faultfautconsentir,

715» PlustotPlutôt que desdaignerdédaigner leur divine puissance.

» Il vauldroitvaudrait beaucoup mieux par une obeissanceobéissance

» AppaiserApaiser leur courroux, que plorerpleurer plus long tempslongtemps :

» Se prensenterprésenter à eux, et avecque l’encens


--- 28 ---
 

» Parfumer les autels des temples honorables :

720» Car, Madame, les dieux ne sont inexorables.

Non, que je soy'sois de ceux qui ont opinion

Que veritévérité s’assemble avec la fiction,

Et qu’on doive penser estreêtre une chose vrayevraie,

Ce qui en songes vains plus souvent nous effraye.

725Et quantquand est de l'effroyeffroi qu’en songeant avez eu,

Comme vous racomptezracontez, moins doit-il estreêtre creucru :

Car qui est celuycelui là qui porteroitporterait envie

Au perepère tant humain de toute la patrie ?

Mais qui est celuycelui-là, fustfût-il audacieux

730Ainsi que les GeansGéants, prestprêt d'escheleréchelerles Cieux,

Qui est-il celuycelui-là qui osastosât entreprendre

D’affronter corps-à-corps le second Alexandre ?

Laissez donc là ces pleurs, et comme un vent legerléger

Mettez esvanouirévanouir tous vos songes en l’air.

Calpurnie.

735Dieu vueilleveuille qu’ainsi soit, ma fidelefidèle nourrice,

Mais si faultfaut-il pourtant, qu’aujourd’huyaujourd’hui je jouissejouïsse

Du don que je demande, et dont je l'ayai prié :

ToutesfoisToutefois il se rend tant serrément lié

Au profit du pays, qu’ores que je le prie,

740Si ne veultveut-il pourtant contregarder sa vie.

Je luylui ayai racomptéraconté ce qui m’est advenu,

Mais sans en faire cas, il se sent plus tenu

Aux Romains qu’à soysoi-mememême, et chetivechétive je doubtedoute,

Que le trop grand amour qu’il leur porte, ne coustecoûte

745La vie à mon CesarCésar. Mais ne le voyvois-je pas ?

Si est-ce qu’il me faultfaut l’arresterarrêter de ce pas.

Mes prières, helashélas ! n’ont -elles la puissance

De vous tenir un jour ?

CesarCésar .


--- 29 ---
 

Que je mette asseuranceassurance

En ces songes menteurs ! non, de CesarCésar le cueurcœur

750Ne sera vainement arrestéarrêté par la peur.

Calpurnie.

Au moins si ne voulez asseurerassurer votre vie,

Faites à tout le moins pour celle qui vous prie.

Mettez devant vos yeux les presagesprésages certains,

Qui sont depuis n'aguerenaguère apparus aux Romains,

755La testetête de Capys, et les chevaux sans brides

PlongezPlongés incessamment en leurs plainctesplaintes humides.

CesarCésar .

Bien, puis quepuisque je ne puis appaiserapaiser autrement

Le vouloir obstiné de ce fascheuxfâcheux tormenttourment,

Laissons pour ce jourd’huy nos desseins à parfaire :

760Prenez que je luylui donne un jour pour luylui complaire.

D.Decime Brute.

Magnanime CesarCésar, vous est-il advenu

Ores d'estreêtre dompté ? vous qui avez tenu

Les guerres par dix ans contre l’audace fierefière

D’un Barbare estrangerétranger, et or' par la priereprière

765Qu’une femme vous fait, je vous voyvois surmonté !

Chose estrangeétrange ! de voir CesarCésar qui adomtédompté

Les plus braves du monde, estreêtre serf d’une femme.

Ce n’est plus ce CesarCésar, qui d’une plus grand’ameâme

Foula dessous les pieds et la gloire et l’honneur

770Des sept bouches du Nil, et qui domtadompta l’honneur

Des nourrissons du Rhin, et de cestecette grand’plaine

Qui suit l’eau doux-coulante au gravier de la Seine.

Les peuples ennemis pourront en ce pendant 43

DespiterDépiter les Romains à leur aise, attendant


--- 30 ---
 

775Les songes plus heureux d’une femme paoureusepeureuse.

» On dit, on dit bien vrayvrai, la femme imperieuseimpérieuse

» Fait plus avec les pleurs qu’un guerrier furieux

» Depuis qu’elle a caché un venin en ses yeux.

CesarCésar .

Je me sens agité, ainsi qu’on voit au vent

780Un navire forcé, que le North va suyvantsuivant :

Madame d’un costécôté me retient, et me prie

Que j'eviteévite aujourdhuyaujourd’hui le hazardhasard de ma vie :

Brute d’autre costécôté me propose l’honneur :

Et je sen dedans moymoi un magnaninemagnanime cueurcœur,

785Qui m'empescheempêche de croire aux songes d’une femme.

Mais j’aime mieux la mort qu’endurer un tel blasmeblâme.

Croire en un songe vain ! qu’il me soit reproché

Que j'ayeaie trop paoureuxpeureux dedans mon cueurcœur caché

Un vouloir affoibliaffaibli ! non pas tant que je vive,

790Le TybreTibre ne verra CesarCésar dessus la rive

Amoindri de courage, et si j’aime bien mieux

Mourir tout en un coup, qu'estreêtre tousjourstoujours paoureuxpeureux

Ne m’en parlez donc plus, et pensez que la vie

Ne m’est tant que l’honneur.

Calpurnie.

Hé ! pauvre Calpurnie !

795Tu dois bien maintenant levant les mains aux cieux

Appuyer ton secours sur la pitié des dieux,

Puis quPuisqu’il n’en reste aucun en tes humbles prieresprières.

La nourrice.

Non non, si le pouvoir des nations plus fieresfières

Ne l’ont sceusu estonnerétonner, ne pensez pas qu’il soit

800Facile d'empescherempêcher les desseins qu’il conçoit.

Calpurnie.


--- 31 ---
 

Hélas ! Je le scaysais bien : mais allons, ma nourrice,

Pour appaiserapaiser les dieux par un humble service.

La troupe

Le premier soldat.

Soldats, j'ayai encor' souvenance

Qu’avez parlé de l’inconstance

805De la deessedéesse aux yeux bandezbandés :

Mais je vous prie regardez

S’il est possible qu’elle facefasse

Tomber sur CesarCésar son audace :

LuyLui qui n’eut jamais un haineur

810Qui n’ait esprouvééprouvé sa fureur.

Vous veistesvîtes de quelle puissance

Il s’est acquis la jouissance

De ce grand empire Romain :

Puis vous le veistesvîtes plus humain

815Redonner librement la vie

À tout’ cestecette troupe bannie,

Qui avoitavait mis tout son effort

Pour luyluifaire sentir la mort.

Le second.

Mais j'ayai souvent entendu dire

820» Que cil 44 qui arrache un empire

» D’entre les mains de liberté,

» Se voit en la fin tormentétourmenté :

» Et que tousjourstoujours la mort sanglante

» Suit une force renaissante.

Le premier.

825» TousjoursToujours, tousjourstoujours l’estat des Rois

» Est plein de perils et d’effrois,


--- 32 ---
 

» De meurtres, de sang et querelle,

» Et jamais de mort naturelle

» Ils n’allerentallèrent paisiblement

830» Dans le ventre d’un monument.

Soldats, tout ce que je propose

Ne se dit point pour autre chose,

Sinon que je scaysais de long tempslongtemps,

Que quelques-uns sont aspiransaspirants

835À une franchise premierepremière :

Et cela me donne matierematière

De souspçonnersoupçonner quelques malheurs,

ConsiderantConsidérant aussi les pleurs

Et la crainte de Calpurnie.

Le second.

840La pauvrette craint que la vie

Ne luylui soit inhumainement

Avecque le gouvernement

En un mesmemême jour arrachée.

Le premier.

Elle s’en-va toute faschéefâchée

845Tordant ses bras, la larme à l’œil,

Et demeinedémène un estrangeétrange dueildeuil

De ce qu’il ne l’a voulu croire.

Le quatriemequatrième.

Si j'ayai encor’ bonne memoiremémoire,

J'ayai entendu que les Troyens

850Ne feirentfirent compte des moyens

Dont les advertissoitavertissait Cassandre,

Pour ne se voir reduictsréduits en cendre,

Dont les menaçoyentmenaçaient les Gregeois.


--- 33 ---
 

Le second.

CesteCette prophète quelquefois

855S’en courut toute escheveleeéchevelée,

Et d’une fureur esbranleeébranlée

PredisoitPrédisait à tout son païspays,

Que la ravie de ParisPâris 45

PortoitPortait une commune playeplaie

860Pour toute la ville de TroyeTroie.

Le premier.

Ell’ne fut creuecrue, et sur leur port

Ils veirentvirentle prochain effort

De toute l’Europe embraseeembrasée,

Leur ville tout soudain raseerasée,

865Les palais, les murs, et les forts

ProyeProie des plus cruels efforts

De mille devorantesdévorantes flamesflammes.

Le quatriemequatrième.

Et puis on pense que les femmes

Ne soyentsoient pourveuespourvues de conseil,

870Et je craincrains qu’un mesmemême soleil

Ne l’aistait veuevue un malheur predireprédire,

Et qu’il ne voyevoie cestecet empire

Cruellement ensanglanté

Sous l’ombre d’une liberté.

ACTE QUATRIEMEQUATRIÈME.

Calpurnie.

875Mais dont 46 me peultpeut venir ce subit tremblement ?

CestCet effroyeffroi redoublé, et cestcet estonnementétonnement ?

Le messagiermessager.

Quel tourbillon de vent me ravira de terre ?

Quelle espesseépaisse nueenuée, et quel aspreâpre tonnerre


--- 34 ---
 

Me boucheront d’un coup et l’oreille et les yeux,

880Pour ne voir nyni ouirouïr un faictfait si malheureux ?

OÔ trop cruel destin ! horrible, detestabledétestable !

OÔ maison de CesarCésar et pauvre et miserablemisérable !

Calpurnie.

Hé ! nourrice, il est mort.

La nourrice.

PrestezPrêtez icyici la main,

Elle est esvanoüyeévanouie.

Calpurnie.

OÔ desastredésastre inhumain !

La nourrice.

885Ne craignez rien, Madame, il est encor’encore en vie.

Calpurnie.

Ne me celez 47 plus rien, aussi bien ayai-je envie

De m’en aller apresaprès : messagiermessager, poursuyvezpoursuivez

À racompterraconter ces maux ainsi que les sçavezsavez.

Le messagiermessager.

Hé ! faultfaut-il que je sois d’un malheur tant estrangeétrange

890Le rapporteur ? Je sensens une voix qui se change

Trembloyante 48 en ma bouche, ainsi qu’on voit souvent

Les roseaux se ployer sous le souspirsoupir du vent.

Mais puisqu’il est ainsi, et que la mort celeecélée 49

N’est que pour enaigrir une fureur meleemêlée

895Avecque le souspeçonsoupçon, je diraydirai ce qu'ayai veuvu :

VostreVotre CesarCésar sortant d’avec vous a receureçu

Un livre pour presentprésent, avecque la priereprière

De le lire sur l’heure, ô l’asseurancel’assurance entiereentière !

Il n’en a faictfait grand compte : et en ce mesmemême état

900Sans faire sacrifice est entré au SenatSénat :

tousjourstoujours importun Cimbe Tulle s’oppose

À son chemin, feignant luylui vouloir quelque chose,


--- 35 ---
 

LuyLui présente un placet, et tousjourstoujours le poursuit,

Tout ainsi qu’un poullainpoulain quand la poutre 50 s’enfuit.

905Or le pressant ainsi en sa requesterequête feinctefeinte,

VostreVotre CesarCésar a dit, c’est bien plus tostplutôt contrainctecontrainte

Que priereprière, et alors Casca tout furieux,

La dague dans la main, la fureur dans les yeux

Qu’il rouilloitrouillait çà et là, luylui a cestecette meurtrieremeurtrière

910Caché dedans la gorge, et d’audace plus fierefière

Brute le secondant la' d’un coup arrestéarrêté,

LuyLui faisant esprouveréprouver la mesmemême cruauté :

Mais le pauvre CesarCésar voyant la resistancerésistance

Ne luylui pouvoir servir contre telle puissance,

915S’est caché de sa robberobe, et en ce grief tormenttourment

A prinspris garde sur toutsurtout de choir honnestementhonnêtement.

Calpurnie.

OÔ changement estrangeétrange ! ô cruelle journeejournée !

OÔ songe, non plus songe, ains 51 veritévérité donneedonnée

Trop veritablementvéritablement ! que mon CesarCésar soit mort

920Par le glaive de Brute ! OÔ miserablemisérable sort !

Est-ce ainsi que le ciel nos fortunes balance ?

Est-ce ainsi qu’un bien-faictbienfait le bien-faictbienfait récompense ?

Ceux qu’il a maintenus, ceux qu’il a eslevezélevés,

AusquelsAuxquels il s’est fié, sont les premiers trouveztrouvés

925CoulpablesCoupables de sa mort. Que maintenant la terre

Se départisse en deux, à finafin qu’elle m’enserre

Au plus creux de son ventre, et qu’en un mesmemême jour

Le gendre de CeresCérès nous voyevoie en son sejourséjour.

Venez doncques à moymoi, venez faux homicides

930DestramperDétremper vostrevotre rage en mes veines humides,

VienViens, vienviens d’un mesmemême fer percer mon pauvre cueurcœur,

Brute : car autrement tu ne seras vainqueur


--- 36 ---
 

De mon mari CesarCésar, j’en suis une partie

Qui reste encor’ vivante : arrache donc ma vie

935CoronnantCouronnant ton mesfaictméfait, puis qu’puisqu'une même main

A massacré celuycelui qui te fut tant humain :

Ne refuse la mort : fais, helashélas ! que je meure,

À finAfin que plus long tempslongtemps pauvre je ne demeure

Entre mille malheurs, que desjadéjà je prevoyprévois

940En mille et mille parsparts s’esleverélever contre moymoi.

La nourrice.

Madame, entrons dedans, craignant que la furie

N’enaigrisse tousjourstoujours leur audace ennemie

Contre vostrevotre maison : n’arrestonsarrêtons plus icyici.

Calpurnie.

Je veux bien que la mort arrestearrête mon souci :

945Car aussi bien la mort seulement me contente,

Puisque CesarCésar mourant tient en soysoi mon attente,

Et mon espoir heureux.

Le messagiermessager.

C’est or’, c’est or’ qu’il faultfaut

Que les cercles dorezdorés qui tournoyenttournoienthaulthaut

Sur les pivots du monde, et tout ce que la terre

950Douce meremère de tous en son giron enserre

PlorePleure dessus la mort de ce grand Empereur,

Portant que ce desastredésastre est un commun malheur.

Et toytoi, Flambeau des jours, compasseur des anneesannées,

RetienRetiens pour quelque temps tes flammes ordonneesordonnées,

955Et ne les soüillesouille ainsi, couvre d’obscurité

Les raysrais estincellansétincellants de ta belle clarté.

Et vous traistrestraîtres ingrats, vous ennemis publiques,

Vous qui resuscitezressuscitez les pauvretezpauvretésantiques,

Puissiez-vous à jamais dechassezdéchassés d’un chascunchacun,


--- 37 ---
 

960MendiansMendiants de secours,estreêtre argument commun

De toute impietéimpiété : puissiez-vous par le monde

Vivre piteusement la vie vagabonde :

Puisse cestecette fureur qui arma les ThebainsThébains

Vous mettre derechef le glaive dans les mains

965Pour vous entretuer : qu’il ne se treuvetrouve Prince

Qui vous vueilleveuille endurer vivre dans sa province :

Que le pouvoir des dieux, et leur juste courroux,

Pour un si grand mesfaictméfait, redouble contre vous.

En puissiez-vous chanter la victoire CadmeeCadmée,

970Captifs en la parfin d’une plus forte armeearmée.

La troupe

Le premier soldat.

Quand je remets devant mes yeux

L’estatétat des hommes soucieux,

» Et qu’il faultfaut apresaprès tant de peines,

» Tant de destressesdétresses inhumaines

975» Laisser couler le plus souvent

» La vie, ainsi comme un grand vent

» Se laisse choir, si quelque nue

» Distille la pluyepluie menue :

Quand je voyvois qu’apresaprès tant de maux,

980Il faultfaut aller goustergoûter les eaux,

Qui d’une inegalleinégale cadence

Roulent au fleuve d’oubliance,

Je sens une pitié dans moymoi,

Qui redouble un fascheuxfâcheux esmoyémoi

985Jusques au plus creux de mes mouellesmoelles.

Le troisiemetroisième.

» C’est le sort des choses mortelles,


--- 38 ---
 

» Et qui plus est, de prendre fin

» Incontinent que le Destin

» Les tient au haulthaut de l’esperanceespérance :

990» Telle est la divine ordonnance,

» Et avons ces malheurs receusreçus

» DesDès l’heure que fumes conceusconçus.

Le quatriemequatrième.

Nous avons beau nous en debatredébattre :

» Car la nature est plus marastremarâtre

995» Aux hommes, qu’aux aultre’animaux

» Et semble que par les travaux

» Nous payons assez la raison

» Qu’elle nous donna.

Le second.

La saison

Où nous sommes nous en fait sages :

1000Et en voyons bien les presagesprésages

En ceux qui sont les gouverneurs

Du peuple, et qui ont les honneurs.

Le troisiemetroisième.

» Tant seulement pour cette gloire

» Ils sont jaloux de la victoire,

1005Mais le soldat est plus heureux

Encor’ qu’il ne soit glorieux :

Plus content il quiert la fortune,

Et n’est subjectsujet à la commune,

Si l’estatétat n’est bien gouverné.

Le quatriemequatrième.

1010Ainsi le ciel l'a ordonné,

Et ne trouvons-nous guereguère Prince

Qui au plus beau de sa province,


--- 39 ---
 

Et lors qu’il se pense asseuréassuré,

N’aistait la mesmemême mort enduré.

ACTE CINQUIEMECINQUIÈME.

Marc Brute.

1015Le Tyran est tué, la liberté remise,

Et Rome a regaignéregagné sa premierepremière franchise.

Ce Tyran, ce CesarCésar ennemi du Senat,

Oppresseur du pays, qui de son Consulat

AvoitAvait faictfait heritagehéritage, et de la RepubliqueRépublique

1020Une commune vente en sa seule pratique,

Ce bourreau d'innocensinnocents, ruine de nos loixlois,

La terreur des Romains, et le poison des droictsdroits,

Ambitieux d’honneur, qui monstrantmontrant son envie

S'estoitétait fait appeler PerePère de la patrie,

1025Et Consul à jamais, à jamais Dictateur,

Et pour comble de tout, du surnom d’Empereur.

Il est mort ce meschantméchant, qui decelantdécelantsa rage

Se feitfit impudemment esleverélever un image

Entre les Rois, aussi il a eu le loyer

1030Par une mesmemêmemain qu’eut Tarquin le dernier.

Respire donc à l’aise, ô liberté Romaine,

Respire librement sans la crainctecrainte inhumaine

D’un Tyran convoiteux. VoylaVoilà,voylavoilà la main,

Dont ore est affranchi tout le peuple Romain.

Cassius.

1035Citoyens, voyez cyci cestecette dague sanglante,

C’est elle, Citoyens, c’est elle qui se vante

Avoir faictfait son devoir, puisqu’elle a massacré

CeluyCelui qui mesprisoitméprisait l’Aruspice sacré,


--- 40 ---
 

Se vantant qu’il pouvoitpouvait malgré tous les plus sages

1040Changer à son vouloir les asseurezassurés presagesprésages

Nous avons accompli massacrant ce felonfélon,

Ce que le grand Hercul’ accomplit au lyonlion,

Au sanglier d’Erymante, et en l’hydre obstineeobstinée

Monstre sept fois testutêtu 52 , et vangeancevengeance ordonnéeordonnee

1045Par Junon sa marastremarâtre. Allez donc, Citoyens,

Reprendre maintenant tous vos droictsdroits anciens.

D.Decime Brute.

Puissent pour tout jamais ainsi perdre la vie

Ceux qui trop convoiteux couveront une envie

Pareille à celle-là : puissent pour tout jamais

1050Perdre d’un pareil coup leur gloire et leurs beaux faictsfaits.

» Ainsi, ainsi mourront, non de mort naturelle,

» Ceux qui voudront bastirbâtir leur puissance nouvelle

» Dessus la liberté : car ainsi les tiranstyrans

» Finent 53 le plus souvent le dessein de leurs ans.

Cassius.

1055Allons au Capitole, allons en diligence,

Et premiers en prenons l’entiereentière joüissancejouissance.

M.Marc Antoine.

J’invoque des Fureurs la plus grande fureur,

J’invoque le ChaösChaos de l’eternelleéternelle horreur,

J’invoque l’AcheronAchéron, le Styx et le CochyteCocyte,

1060Et si quelque aultreautre Dieu sous les enfers habite

Juste-vangeurvengeur des maux, je les invoque tous,

Homicides cruels, pour sevangervenger de vous.

Hé, TraistresTraîtres ! est-ce donc l’amitié ordonneeordonnée

De desroberdérober la vie à qui vous l'a donneedonnée?

1065Avez-vous sceusu si bien espierépier la saison

Pour mettre en son effecteffet la feinctefeinte trahison


--- 41 ---
 

ConceueConçue desdès long tempslongtemps dedans vostrevotre poictrinepoitrine,

Seule qui nous enfante une orgueilleuse Erynne 54 !

J’atteste icyicile Ciel seul juste balanceur

1070De tout nostrenotre fortune, et liberallibéral donneur

Des victoires, des biens, de l’heur, et de la vie,

Qu’ainsi ne demourrademeur'ra cette faultefaute impunie,

Tant qu’Antoine sera non moins juste que fort.

Et vous, braves soldats, voyez, voyez quel tort

1075On vous a faictfait, voyez cestecette robberobe sanglante,

C’est celle de CesarCésar qu’ores je vous presenteprésente :

C’est celle de CesarCésar magnanime Empereur,

VrayVrai guerrier entre tous, CesarCésar qui d’un grand cueurcœur

S’acquit avecque vous l’entièreentiere jouissance

1080Du monde : maintenant a perdu sa puissance,

Et gistgît mort étendu, massacré pauvrement

Par l’homicide Brute.

Le premier soldat.

Armons-nous sur ce traistretraître,

Armes, armes soldats, mourons pour nostrenotre maistremaître,

Si jamais nous avons croisezcroisé les ennemis

1085Aux froissis des harnois, si nous nous sommes mis

Quelquefois au danger d’une trenchantetranchante espeeépée,

Lors queLorsque nous poursuyvionspoursuivions la route de PompeePompée,

C’est maintenant soldats qu’il nous faultfauthazarderhasarder,

Voire plus promptement que n’est le commander.

M.Marc Antoine.

1090Sus doncques, suyvezsuivez moy-moi, et donnez tesmoignagetémoignage

De vostrevotre naturel, et de vostrevotre courage

Pour CesarCésar, ne craignanscraignant de tomber au danger

De vostrevotre propre mort pour la sienne vangervenger.

MoyMoi, je vayvais remonstrerremontrer à ce peuple de RommeRome


--- 42 ---
 

1095Quels malheurs nous promet la perte d’un tel homme,

Si elle n’est vangeevengée ainsi qu’il appartient.

Le premier.

Voyez -vous bien soldats, encor’encore il me souvient

De nos propos tenus, qui comme un seursûr presageprésage

Et certain messager d’un evidentévident naufrage,

1100Nous ont predictprédit au vrayvrai l’homicide commis,

De long tempslongtemps machiné par ses propres amis,

AumoinsAu moins qu’il pensoitpensait siens.

Le premier. 55

» CesteCette mort est fatale

» Aux nouveaux inventeurs de puissance Royale.

FIN

[1] Dans la version originale,la forme « souspeçon » fait que le vers contient une syllabe de trop : nous maintenons cette forme mais proposons de faire l'apocope à la lecture.
[2] Maintenant.
[3] déjà.
[4] César, dont tous les opposants ont connu la fureur.
[5] étouffant, faisant ployer.
[6] bonheur.
[7] L'Italie.
[8] ton courage fera défaut.
[9] tout soudain.
[10] ramener à la mémoire.
[11] Allongeant.
[12] celui.
[13] avec la peur.
[14] vous qui avez libéré Rome.
[15] Comme vous êtes, vous seul, cause de sa grandeur.
[16] à nouveau.
[17] lever la tête.
[18] dès que.
[19] soldat.
[20] déjà.
[21] Jason.
[22] Alla sur la mer.
[23] descendants.
[24] dissimulation.
[25] dénué de honte.
[26] jumeaux : référence à Romulus et Rémus, enfants de Mars et Rhéa.
[27] dédaigne, méprise.
[28] Vivra. Nous maintenons cette forme pour le compte syllabique.
[29] en même temps.
[30] tuer.
[31] oisive, inactive.
[32] Pour que le vers soit juste, il faudrait faire l'apocope « Abusera'l encor' ».
[33] Et vous retenez encore votre main, trop patiente (alors qu'il faudrait agir, l'heure étant venue).
[34] Ce vers présente treize syllabes.
[35] Comme nous l'avons décidé.
[36] maintenant.
[37] jà.
[38] avaient l'habitude de.
[39] éprouva.
[40] redoute.
[41] celui.
[42] Celui.
[43] pendant ce temps.
[44] celui.
[45] Hélène, enlevée par Pâris (ce qui cause la guerre de Troie).
[46] d'où.
[47] cachez.
[48] tremblante, tremblottante.
[49] cachée.
[50] la jument.
[51] mais.
[52] À sept têtes. Allusion à divers travaux d'Hercule.
[53] Finissent.
[54] Erynnie, furie.
[55] L’imprimé indique bien deux fois le même locuteur ici.