Pour retrouver toutes les informations sur cette pièce, cliquez ici.
Cléopâtre captive
- Pré-édition
- Transcription : Wikisource et Nina Hugot
- Modernisation, Annotation et Encodage : Nina Hugot
- Relecture technique du XML : Milène Mallevays
- Relecture : Nina Hugot
Notes
--- 223 r° ---
CLEOPATRECLÉOPÂTRE
CAPTIVE
TRAGEDIE D’ESTIENNE
JODELLE PARISIEN.
Prologue.
Puis quePuisque la terre (ô RoyRoi des Rois la crainte),
Qui ne refuse estreêtre à tes loixlois estrainteétreinte,
De la grandeur de ton sainctsaint nom s’estonneétonne,
Qu’elle a gravé dans sa double colonne ;
Puis que la mer, qui te fait son Neptune,
Bruit en ses flots ton heureuse fortune,
Et que le ciel riant à ta victoire
Se voit mirer au parfait de ta gloire,
PourroyentPourraient vers toytoi les Muses telles estreêtre,
De n’adorer et leur perepère et leur maistremaître ?
PourroyentPourraient les tiens nous celer 1[1] cacher. tes loüangeslouanges,
Qu’on oit 2[2] entend. tonner par les peuples estrangesétranges 3[3] étrangers. ?
Nul ne sçauroitsaurait tellement envers toytoi
Se rendre ingrat, qu’il ne chante son RoyRoi.
Les bons esprits que ton perepère forma,
Qui les neuf Soeurs en France ranima,
Du perepère et fils se pourroientpourraient -ils bien taire,
Quand à tous deux telle chose a peupu plaire,
--- 223 v° ---
Lors queLorsque le temps nous aura presentéprésenté
Ce qui sera digne d’estreêtre chanté
D’un si grand Prince, ains 4[4] mais, et même. d’un Dieu dont la place
Se voit au Ciel ja 5[5] déjà. monstrermontrer son espace ?
Et si ce temps qui toute chose enfante,
Nous eusteût offert ta gloire triomphante,
Pour assez tosttôt de nous estreêtre chantée
Et maintenant à tes yeux presentee,
Tu n’orrois 6[6] entendrais. point de nos bouches sinon
Du grand HENRY le triomphe et le nom,
Mais pour autant que ta gloire entendue
En peu de temps ne peut estreêtre rendue,
Que dis-je en peu ? mais en cent mille anneesannées
Ne seroyentseraient pas tes louanges bornées,
Nous t’apportons (ô bien petit hommage)
Ce bien peu d’oeuvre ouvré de ton langage,
Mais tel pourtant que ce langage tien
N’avoitavait jamais dérobbédérobé ce grand bien
Des autheursauteurs vieux 7[7] anciens. : c’est une TragedieTragédie,
Qui d’une voix et plaintive et hardie
Te presenteprésente un Romain, Marc-Antoine,
Et CleopatreCléopâtre, EgyptienneÉgyptienne Roine 8[8] Nous maintenons cette forme pour la rime. :
Laquelle apresaprès qu’Antoine son ami
EstantÉtant desjadéjà vaincu par l’ennemi,
Se fustfût tué, ja 9[9] déjà. se sentant captive,
Et qu’on vouloitvoulait la porter toute vive
En triomphe avecques ses deux femmes,
S’occit 10[10] Se tua. . Ici les desirsdésirs et les flammes
Des deux amans amants; d’Octavian aussi
L’orgueil, l’audace et le journel 11[11] journalier, quotidien. souci
--- 224r° ---
De son tropheetrophée emprainsempreint tu sonderas,
Et plus qu’à luylui le tien egaleraségaleras :
VeuVu qu’il faudra que ses successeurs mesmesmêmes
CedentCèdent pour toytoi aux volontezvolontés suprémessuprêmes,
Qui ja 12[12] déjà. le monde à ta couronne voüentvouent,
Et le commis de tous les Dieux t’avoüentavouent.
RecoyReçois donc (SIRE) et d’un visage humain
PrensPrends ce devoir de ceux qui sous ta main
Tant les esprits que les corps entretiennent,
Et devant toytoi agenouiller se viennent,
En attendant que mieux nous te chantions,
Et qu’à tes yeux sainctementsaintement presentionsprésentions
Ce que ja 13[13] déjà. chante à toytoi, le fils des Dieux,
La terre toute, et la mer, et les Cieux.
Les personnages
L’Ombre d’Antoine CleopatreCléopâtre Eras Charmium Le choeur des femmes alexandrines Octavien Agrippe Proculée SéleuqueACTE I
L’Ombre d’Antoine.
Dans le val tenebreuxténébreux, où les nuictsnuits eternelleséternelles
Font eternelleéternelle peine aux ombres criminelles,
CedantCédant à mon destin je suis volé n’aguerenaguères,
Ja ja 14[14] déjà. fait compagnon de la troupe legerelégère,
5MoyMoi (dydis-je) Marc -Antoine horreur de la grand’ RommeRome,
Mais en ma triste fin cent fois miserablemisérable homme.
Car un ardent amour, bourreau de mes mouëlles 15[15] Nous maintenons cette forme pour le compte syllabique. ,
Me devorantdévorant sans fin sous ses flamesflammes cruelles,
--- 224v° ---
AvoitAvait estéété commis par quelque destineedestinée
10Des Dieux jaloux de moymoi, à finafin que terminée
FustFût en peine et malheur ma pitoyable vie,
D’heur, de joyejoie et de biens paravant 16[16] auparavant. assouvie.
OÔ moymoi desdès lors chetifchétif, que mon oeil trop folastrefolâtre
S’égara dans les yeux de cestecette CleopatreCléopâtre !
15Depuis ce seul moment je senti bien ma playeplaie,
Descendre par l’oeil traistretraître en l’ameâme encore gayegaie,
Ne songeant point alors quelle poison extremeextrême
J’avoisavais ce jour receureçu au plus creux de moymesmemoi-même :
Mais helashélas ! en mon dam, las ! en mon dam et perte
20CesteCette playeplaie cacheecachée en fin fut découverte,
Me rendant odieux, foulant ma renommeerenommée
D’avoir enragément 17[17] avec rage. ma CleopatreCléopâtre aimée :
Et forcené aprésaprès comme si cent furies
ExerçansExerçant dedans moymoi toutes bourrelleries 18[18] actions du bourreau (tortures, donc). ,
25EmbrouillansEmbrouillant mon cerveau, empestransempêtrant mes entrailles,
M’eussent fait le gibier des mordantes tenailles :
Dedans moymoi condamné, faisans sans fin renaistrerenaître
Mes tourmenstourments journaliers, ainsi qu’on voit repaistrerepaître
Sur le Caucase froid la poitrine empieteeempiétée,
30Et sans fin renaissante, à son vieil PrometheeProméthée.
Car combien qu’elle fustfût RoyneReine et race royale,
Comme tout aveuglé sous cette ardeur fatale,
Je luylui fis les presensprésents qui chacun estonnerentétonnèrent,
Et qui ja 19[19] déjà. contre moymoi ma RommeRome eguillonnerentaiguillonnèrent :
35MesmeMême le fier CesarCésar, ne taschant tâchantqu’à deffairedéfaire 20[20] tuer.
CeluyCelui qui à CesarCésar compagnon ne peultpeut plaire,
S’embrasant pour un crime indigne d’un Antoine,
Qui tramoittramait le malheur encouru pour ma Roine 21[21] Nous maintenons cette forme pour la rime. ,
--- 225r° ---
Et qui encor au val des durables tenebresténèbres
40Me va renouvellantrenouvelant mille plaintes funebresfunèbres,
EschauffantÉchauffant les serpensserpents des soeurs echeveleeséchevelées,
Qui ont au plus chetifchétif mes peines egaleeségalées :
C’est que ja ja 22[22] déjà. charmé, enseveli des flamesflammes,
Ma femme Octavienne, honneur des autres Dames,
45Et mes mollets enfansenfants je vins chasser arrierearrière,
Nourrissant en mon sein ma serpente meurdrieremeurtrière,
Qui m’entortillonnant, trompant l’ameâme ravie,
Versa dans ma poitrine un venin de ma vie,
Me transformant ainsi sous ses poisons infuses,
50Qu’on seroitserait du regard de cent mille MedusesMéduses.
Or pour punir ce crime horriblement infameinfâme
D’avoir banni les miens, et rejettérejeté ma femme,
Les Dieux ont à mon chef la vengeance avancée,
Et dessus moymoi l’horreur de leurs bras élanceée,
55Dans la sainctesainte equitééquité, bien qu’elle soit tardive,
Ayant les pieds de laine, elle n’est point oisive,
Ains 23[23] Mais. dessus les humains d’heure en heure regarde,
Et d’une main de fer son trait enflammé darde.
Car tosttôt apresaprès CesarCésar jure contre ma testetête,
60Et mon piteux exil de ce monde m’appresteapprête.
Me voilavoilà ja 24[24] déjà. croyant ma RoineReine, ains 25[25] mais, ou plutôt. ma ruine,
Me voilavoilà bataillant en la plaine marine,
Lors queLorsque plus fort j’estoisétais sur la solide terre,
Me voilavoilà ja 26[26] déjà. fuyant oublieux de la guerre,
65Pour suivre CleopatreCléopâtre, en faisant l’heur des armes
Ceder Céderà ce malheur des amoureux alarmes.
Me voilavoilà dans sa ville ou j’yvrongneivrogne et putaceputasse,
Me paissant des plaisirs, pendant que CesarCésar trace
--- 225v° ---
Son chemin devers nous, pendant qu’il a l’armeearmée
70Que sussur terre j’avoisavais, d’une gueule affamée,
Ainsi que le LyonLion vagabond à la questequête,
Me voulant devorerdévorer, et pendant qu’il s’appresteapprête
Son camp devant la ville, où bientostbientôt il refuse
De me faire un parti, tant que malheureux j’use
75Du malheureux remederemède, et poussant mon espeeépée
Au travers des boyaux en mon sang l’ayai trempeetrempée,
Me donnant guarisonguérison par l’outrageuse playeplaie.
Mais avant que mourir, avant que du tout j’ayeaie
Sangloté mes esprits, las, las ! quel si dur homme
80EustEût peupu voir sans pleurer un tel honneur de RommeRome,
Un tel dominateur, un Empereur Antoine,
Que ja 27[27] déjà. frappé à mort sa miserablemisérable Roine 28[28] Nous maintenons cette forme pour la rime. ,
De deux femmes aidée, angoisseusement pallepâle
TiroitTirait par la fenestrefenêtre en sa chambre royale.
85CesarCésar mesmemême n’eusteût peupu regarder CleopatreCléopâtre
Couper sur moi son poil 29[29] ses cheveux, dans un geste de deuil. , se deschirerdéchirer et battre,
Et moi la consoler avecques 30[30] Nous maintenons cette forme pour le compte syllabique. ma parole,
Ma pauvre ameâme soufflant qui tout soudain s’en voleenvole,
Pour aux sombres enfers endurer plus de rage
90Que celuycelui qui a soif au milieu du breuvage,
Ou que celuycelui qui roüeroue une peine eternelleéternelle,
Ou que les pallespâles Soeurs, dont la dextre 31[31] main droite. cruelle
EgorgeaÉgorgea les maris, ou que celuycelui qui vire
Sa pierre, sans porter son faix 32[32] fardeau. où il aspire.
95Encore en mon tourment tout seul je ne puis estreêtre :
Avant que ce Soleil qui vient ore de naistrenaître,
Ayant tracé son jour chez sa tante se plonge,
CleopatreCléopâtre mourra : je me suis ore en songe
--- 226r° ---
À ses yeux presentéprésenté, luylui commandant de faire
100L’honneur à mon sepuchresépulcre et apresaprès se deffairedéfaire,
PlutostPlutôt qu’estreêtre dans RommeRome en triomphe portée,
L’ayant par le desirdésir de la mort confortée,
L’appellantappelant avec moi, qui ja ja 33[33] tout de suite. la demande
Pour venir endurer en nostrenotre pallepâle bande,
105Or se faisant compagne en ma peine et tristesse,
Qui s’est faite long tempslongtemps compagne en ma liesse.
CleopatreCléopâtre.
QUE gaignezgagnez-vous, helashélas ! en la parole vaine ?
Er.Eras
Que gaignezgagnez-vous, helashélas ! de vous estreêtre inhumaine ?
Cl.Cléopâtre
Mais pourquoypourquoi perdez-vous vos peines ocieusesotieuses 34[34] vaines, oiseuses. ?
Ch.Charmium
110Mais pourquoypourquoi perdez-vous tant de larmes piteuses ?
Cl.Cléopâtre
Qu’est-ce qui adviendroitadviendrait plus horrible à la veuëvue ?
Er.Eras
Qu’est-ce qui pourroitpourrait voir une tant depourveuëdépourvue ?
Cl.Cléopâtre
Permettez mes sanglots mesmemême aux fiers Dieux se prendre.
Ch.Charmium
Permettez à nous deux de constante vous rendre.
Cl.Cléopâtre
115Il ne faut que ma mort pour bannir ma complainte.
Er.Eras
Il ne faut point mourir avant sa vie esteinteéteinte.
Cl.Cléopâtre
Antoine ja m’appelle, Antoine il me faut suivre.
Ch.Charmium
Antoine ne veut pas que vous viviez sans vivre.
Cl.Cléopâtre
OÔ vision estrangeétrange ! ô pitoyable songe !
Er.Eras
120OÔ pitoyable RoineReine, ô quel tourment te ronge ?
Cl.Cléopâtre
OÔ Dieux à quel malheur m’avez-vous allecheealléchée ?
Ch.Charmium
OÔ Dieux ne sera point votre plainte estancheeétanchée ?
--- 226v° ---
Cl.Cléopâtre
Mais (ô Dieux) à quel bien, si ce jour je deviedévie 35[35] meurs (le contraire de vivre). !
Er.Eras
Mais ne plaignez donc point et suivez vostrevotre envie.
Cl.Cléopâtre
125Ha ! pourroispourrais-je donc bien, moymoi la plus malheureuse
Que puisse regarder la voûte radieuse,
PourroisPourrais-je bien tenir la bride à mes complaintes,
Quand sans fin mon malheur redouble ses attaintesatteintes,
Quand je remascheremâche en moymoi que je suis la meurdrieremeurtrière,
130Par mes trompeurs apastsappâts, d’un qui sous sa main fierefière
FaisoitFaisait croûlercrouler la terre ? Ha Dieux, pourroispourrais-je traire 36[36] tirer.
Hors de mon coeur le tort qu’alors je luylui peupus faire,
Qu’il me donna Syrie, et Cypres, et Phenice,
La JudeeJudée embasmeeembaumée, Arabie et Cilice,
135Encourant par cela de son peuple la haine ?
Ha ! pourroispourrais-je oublier ma gloire et pompe vaine
Qui l’apastoitappâtait ainsi au mal, qui nous talonne
Et malheureusement les malheureux guerdonne 37[37] récompense. ,
Que la troupe des eaux en l’apastappât est trompée ?
140Ha l’orgueil, et les ris, la perle destrempéedétrempée,
La delicatedélicate vie effeminantefféminant ses forces,
EstoyentÉtaient de nos malheurs les subtiles amorces !
QuoyQuoi ? pourroispourrais-je oublier que par roideraide secousse
Pour moymoi seule il souffrit des Parthes la repousse,
145Qu’il eusteût bien subjuguezsubjugués et rendus à sa RommeRome,
Si les songearssongeards amours n’occupoientoccupaient tout un homme,
Et s’il n’eusteût eu desirdésir d’abandonner sa guerre
Pour revenir soudain hyvernerhiverner en ma terre ?
Ou pourroispourrais-je oublier que pour ma plus grand’gloire,
150Il trainatraîna en triomphe et loyer de victoire,
Dedans Alexandrie un puissant Artavade,
RoyRoi des ArmeniensArméniens, veuvu que telle bravade
--- 227r° ---
N’appartenoitappartenait sinon qu’à sa ville orgueilleuse,
Qui se rendit alors d’avantagedavantage haineuse ?
155PourroisPourrais-je oublier mille et mille et mille choses,
En qui l’amour pour moymoi a ses paupierespaupières closes,
En cela mesmementmêmement que pour cestecette amour mienne
On luylui veitvit delaisserdélaisser l’Octavienne sienne ?
En cela que pour moymoi il voulut faire guerre
160Par la fatale mer, estantétant plus fort par terre ?
En cela qu’il suivit ma nef au vent donnée,
Ayant en son besoin sa troupe abandonnée ?
En cela qu’il prenoitprenait doucement mes amorces,
Alors que son CesarCésar prenoitprenait toutes ses forces ?
165En cela que feignant estreêtre presteprête à m’occire 38[38] me tuer. ,
Ce pitoyable mot soudain je luylui feisfis dire :
« OÔ Ciel faudra-t-il donc que, CleopatreCléopâtre morte,
Antoine vive encor ? Sus, sus, Page, conforte
Mes douleurs par ma mort. » Et lors, voyant son page
170SoySoi-mesmemême se tuer : « Tu donnes tesmoignagetémoignage,
OÔ Eunuque (dit-il), comme il faut que je meure ! »
Et, vomissant un cri, il s’enferra sur l’heure.
Ha Dames aaah ah faut-il que ce malheur je taise ?
Ho ho retenez-moymoi, je …je.…
Ch.Charmium
Mais quel mal-aisemalaise
175PourroitPourrait estreêtre plus grand ?
Er.Eras
Soulagez votre peine,
Efforcez vos esprits.
Cl.Cléopâtre
Las las !
Ch.Charmium
Tenez la resnerêne
Au dueildeuil empoisonnant.
Cl.Cléopâtre
Aah grand Ciel, que j’endure !
Encore l’avoir veuvu cestecette nuictnuit en figure !
180Hé !
Er.Eras
Hé, rien que la mort ne ferme au dueildeuil la porte.
Cl.Cléopâtre
Hé hé Antoine estoitétait…
Ch.Charmium
Mais comment ?
Cl.Cléopâtre
En la sorte.
Er.Eras
En quelle sorte donc ?
Cl.Cléopâtre
Comme alors que sa playeplaie…
--- 227v° ---
Ch.Charmium
Mais levez-vous un peu, que gesnergêner on essayeessaie
185Ce qui gesnegêne la voix.
Er.Eras
OÔ plaisir, que tu meinesmènes
Un horrible troupeau de deplaisirsdéplaisirs et peines !
Cl.Cléopâtre
Comme alors que sa playeplaie avoitavait ce corps tractable
Ensanglanté par tout.
Ch.Charmium
OÔ songe espouvantableépouvantable !
Mais que demandoitdemandait-il ?
Cl.Cléopâtre
Qu’à sa tumbetombe je facefasse
190L’honneur qui luylui est deudû.
Ch.Charmium
QuoyQuoi encor ?
Cl.Cléopâtre
Que je trace
Par ma mort un chemin pour rencontrer son ombre.
Me racontant encor…
Ch.Charmium
La basse porte sombre
Est à l’aller ouverte, et au retour fermée.
Cl.Cléopâtre
Une eternelleéternelle nuictnuit doit de ceux estreêtre aimée,
195Qui souffrent en ce jour une peine eternelleéternelle.
OstezÔtez-vous le desirdésir de s’efforcer à celle
Qui libre veut mourir pour ne vivre captive ?
Er.Eras
Sera donc celle -là de la Parque craintive
Qui, au deffautdéfaut de mort, verra mourir sa gloire ?
Cl.Cléopâtre
200Non, non, mourons, mourons, arrachons la victoire,
Encore que soyons par CesarCésar surmontées.
Er.Eras
Pourrions -nous bien estreêtre en triomphe portées ?
Cl.Cléopâtre
Que plus tostplutôt cestecette terre au fond de ses entrailles
M’engloutisse à presentprésent, que toutes les tenailles
205De ces bourrelles Soeurs, horreur de l’onde basse,
M’arrachent les boyaux ; que la testetête on me casse
D’un foudre inusité, qu’ainsi je me conseille,
Et que la peur de mort entre dans mon oreille.
Choeur de femmes Alexandrines.
QUAND l’Aurore vermeille
210Se voit au lictlit laisser
Son Titon qui sommeille,
Et l’ami caresser :
--- 228r° ---
On voit à l’heure mesmemême
Ce pays coloré,
215Sous le flambeau suprémesuprême
Du Dieu au char doré :
Et semble que la face
De ce Dieu variant,
De cestecette ville facefasse
220L’honneur de l’Orient,
Et qu’il se mire en elle
Plus tostPlutôt qu’en autre part,
La prisant comme celle
Dont plus d’honneur departdépart,
225 De pompes et delicesdélices
AttrayansAttrayant doucement,
Sous leur gayesgaies 39[39] prononcer gai-es. blandices,
L’humain entendement.
Car veitvit -on jamais ville
230En plaisir, en honneur,
En banquets plus fertile,
Si durable estoitétait l’heur 40[40] le bonheur. ?
Mais ainsi que la force
Du celestecéleste flambeau
235Tirer à soysoi s’efforce
Le plus legerléger de l’eau ;
Ainsi que l’aimant tire
Son acier, et les sons
De la marine Lyre
240AttiroyentAttiraient les poissons.
Tout ainsi nos delicesdélices,
La mignardise et l’heur 41[41] le bonheur. ,
--- 228v° ---
AllechemensAllèchements des vices,
Tirent notre malheur,
245 PourquoyPourquoi, fatale TroyeTroie,
Honneur des sieclessiècles vieux,
Fus -tu donneedonnée en proyeproie
Sous le destin des Dieux ?
Pourquoi n’eus -tu, MedeeMédée,
250Ton Jason ? et pourquoypourquoi,
AriadneAriane, guidée
Fus -tu sous telle foyfoi ?
Des delicesdélices le vice
À ce vous conduisoitconduisait :
255Puis après sa malice
SoymesmeSoi-même destruisoitdétruisait.
Tant n’estoitétait variable
Un ProtheeProtée en son temps,
Et tant n’est point muable
260La course de nos vents :
Tant de fois ne se change
ThetisThétis, et tant de fois
L’inconstant ne se range
Sous ses diverses loixlois,
265 Que nostrenotre heur, en peu d’heure
En malheur retourné,
Sans que rien nous demeure,
ProyeProie au vent est donné.
La rose journalière,
270Quand du divin flambeau
Nous darde la lumierelumière
Le ravisseur taureau,
--- 229r° ---
Fait naistrenaître en sa naissance
Son premier dernier jour :
275Du bien la jouissance
Et ainsi sans sejourséjour.
Le fruictfruit vengeur du perepère
S’est bien esvertuéévertué
De tuer sa viperevipère,
280Pour estreêtre apresaprès tué.
JoyeJoie, qui dueildeuil enfante,
Se meurdrist ; puis la mort
Par la joye plaisante
Fait au dueil mesmemême tort.
285 Le bien qui est durable,
C’est un monstre du Ciel,
Quand son vueil 42[42] sa volonté. favorable
Change le fiel en miel.
Si la sainctesainte ordonnance
290Des immuables Dieux
Forcluse d’inconstance
Seule incogneuëinconnue à eux,
En ce bas hemispherehémisphère
Veut son homme garder,
295Lors le sort improspereimprospère
Ne le peut retarder
Que, maugrémalgré sa menace,
Ne vienne tenir rang,
MaugréMalgré le fer qui brasse
300La poudre avec le sang.
On doit seurementsûrement dire
L’homme qu’on doit priser,
--- 229v° ---
Quand le Ciel vient l’eslireélire
Pour le favoriser,
305 Ne devoir jamais craindre
L’OceanOcéan furieux,
Lors queLorsque mieux semble atteindre
Le marche-piedmarchepied des Dieux ;
Plongé dans la marine 43[43] la mer. ,
310Il doit vaincre en la fin,
Et s’attend à l’espineépine
De l’attendant DaulphinDauphin.
La guerre impitoyable,
Moissonnant les humains,
315Craint l’heur espouventableépouvantable
De ses celestescélestes mains.
Tous les arts de MedeeMédée,
Le venin, la poison,
Les bestesbêtes dont gardée
320Fut la riche toison :
NyNi par le bois estrangeétrange
Le LyonLion outrageux,
Qui sous sa patte range
Tous les plus courageux :
325 NyNi la loyloi qu’on revererévère,
Non tant comme on la craint,
NyNi le bourreau severesévère,
Qui l’homme blesmeblême estraintétreint :
NyNi les feux qui saccagent
330Le haut pin molestansmolestant,
Sa fortune n’outragent,
RendansRendant les dieux constansconstants,
--- 230r° ---
Mais ainsi qu’autre chose
Contraint sous son effort,
335Tient sous sa force enclose
La force de la mort ;
Et maugrémalgré cestecette bande
TousjoursToujours en bas filant,
Tant que le Ciel commande,
340En bas n’est devallantdévalant 44[44] ne dévalle en bas (en enfer). ;
Et quand il y devalledévale,
Sans aucun mal souffrir,
D’un sommeil qu’il avalleavale,
À mieux il va s’offrir.
345 Mais si la destinée,
Arbitre d’un chacun,
À sa chance tournée
Contre l’heur de quelqu’un :
Le sceptre, sous qui ployeploie
350Tout un peuple submissoumis,
Est force qu’il foudroyefoudroie
Ses mutins ennemis.
La volage richesse,
AppuyAppui de l’heur mondain,
355L’honneur et la hautesse
Refuyant tout soudain :
Bref, fortune obstinée,
NyNi le temps tout fauchant,
Sa rude destineedestinée
360Ne vont point empeschantempêchant.
Des hauts Dieux la puissance
TesmoigneTémoigne assez ici,
--- 230v° ---
Que nostrenotre heureuse chance
Se precipiteprécipite ainsi.
365 Quel estoitétait Marc -Antoine ?
Et quel estoitétait l’honneur
De nostrenotre brave Roine 45[45] Nous maintenons cette forme pour la rime. ,
Digne d’un tel donneur ?
Des deux l’un miserablemisérable,
370CedantCédant à son destin,
D’une mort pitoyable
Vint avancer sa fin :
L’autre encore craintive
TaschantTâchant s’évertuer,
375Veut, pour n’estreêtre captive,
Librement se tuer.
CesteCette terre honnorablehonorable,
Ce pays fortuné,
HelasHélas ! voit peu durable
380Son heur importuné.
Telle est la destineedestinée
Des immuables Cieux,
Telle nous est donnée
La defaveurdéfaveur des Dieux.
ACTE II.
Octavien.
385EN la rondeur du Ciel environnée
À nul, je croycrois, telle faveur donnée
Des Dieux fauteurs ne peut estreêtre qu’à moymoi :
Car outre encor que je suis maistremaître et RoyRoi
--- 231r° ---
De tant de biens, qu’il semble qu’en la terre
390Le Ciel qui tout sous son empire enserre
M’ait tout exprésexprès de sa voûte transmis
Pour estreêtre ici son generalgénéral commis,
Outre l’espoir de l’arrierearrière memoiremémoire
Qui aux neveux rechantera ma gloire,
395D’avoir Antoine, Antoine, dis-je, horreur
De tout ce monde, accablé la fureur,
Outre l’honneur que ma RommeRome m’appresteapprête
Pour le guerdon 46[46] la récompense. de l’heureuse conquesteconquête,
Il me semble ja que le Ciel vienne tendre
400Ses bras courbezcourbés pour en soysoi me reprendre,
Et que la boule entre ses ronds enclose
Pour un CesarCésar ne soit que peu de chose ;
Or’ je desiredésire, or’ je desiredésire mieux,
C’est de me joindre au sainctsaint nombre des Dieux.
405Jamais la terre en tout advantureuseaventureuse
N’a sa personne entieremententièrement heureuse :
Mais le malheur par l’heur 47[47] le bonheur. est acquitéacquitté,
Et l’heur se paye par l’infelicitéinfélicité.
Ag.Agrippe
Mais de quel lieu ces mots ?
Oct.Octavien
410 Qui eusteût peupu croire
Qu’apresaprès l’honneur d’une telle victoire,
Le dueildeuil, le pleur, le souci, la complainte,
MesmeMême à CesarCésar eusteût donné telle atteinte ?
Mais je me voyvois souvent en lieu secret
415Pour Marc -Antoine estreêtre en plainte et regret,
Qui aux honneurs receusreçus en nostrenotre terre
Et compagnon m’avoitavait estéété en guerre,
Mon allié, mon beaufrerebeau-frère, mon sang,
Et qui tenoittenait ici le mesmemême rang
--- 231v° ---
420Avec CesarCésar : Nonobstant par rancune
De la muable et traistressetraîtresse fortune,
On veitvit son corps en sa playeplaie moüillémouillé
Avoir ce lieu piteusement soüillésouillé,
Ha cher ami !
Pr.Proculée
L’orgueil et la bravade
425Ont fait Antoine ainsi qu’un AnceladeEncelade,
Qui se voulant encore prendre aux Dieux,
D’un trait horrible et non lancé des Cieux,
Mais de ta main à la vengeance adextre,
Sentit combien peut d’un grand Dieu la dextre 48[48] main droite. .
430Que plaignez-vous si l’orgueil justement
À l’orgueilleux donne son payementpaiement ?
Ag.Agrippe.
L’orgueil est tel, qui d’un malheur guerdonne 49[49] récompense.
La malheureuse et superbe personne.
MesmesMêmes ainsi que d’un onde le branle,
435Lors queLorsque le Nord dedans la mer l’ébranle,
Ne cesse point de courir et glisser,
Virevolter, rouler, et se dresser,
Tant qu’à la fin dépiteux il arrive,
Bruyant sa mort, à l’ecumeuseécumeuse rive :
440Ainsi ceux -là, que l’orgueil trompe ici,
Ne cessent point de se dresser ainsi,
Courir, tourner, tant qu’ils soyentsoient agitezagités
Contre les bords de leurs felicitezfélicités.
C’estoitétait assez que l’orgueil pour Antoine
445PrecipiterPrécipieter avec sa pauvre Roine 50[50] Nous maintenons cette forme pour la rime. ,
Si les amours lascifs et les delicesdélices
N’eussent aidé à rouërrouer leurs supplices,
Tant qu’on ne sçaitsait comment ces dereiglezdéréglés
D’un noir bandeau se sont tant aveuglezaveuglés
--- 232r° ---
450Qu’ils n’ont sçeusu voir et cent et cent augures,
PrognostiqueursPronostiqueurs de miseresmisères futures.
Ne veitvit -on pas Pisaure l’ancienne
PrognostiquerPronostiquer la perte Antonienne,
Qui des soldats Antoniens armée
455FustFût engloutie et dans terre abysmeeabîmée ?
Ne veitvit -on pas dedans Albe une image
Suer long temps ? Ne veitvit -on pas l’orage
Qui de Patras la ville environnoitenvironnait,
Alors qu’Antoine en Patras sejournoitséjournait,
460Et que le feu qui par l’air s’eclataéclata
HeraclionHéraclion en piecespièces escartaécarta ?
Ne veitvit -on pas, alors que dans AthenesAthènes
En un theatrethéâtre on luylui monstroitmontrait les peines ?
Ou pour neantnéant les serpen-piésserpents-pieds se mirent,
465Quand aux rochers les rochers il joignirent,
Du Dieu Bacchus l’image en bas poussée
Des vents qui l’ont comm’comme à l’envi cassée,
VeuVu que Bacchus un conducteur estoitétait,
Pour qui Antoine un mesmemême nom portoitportait ?
470Ne veitvit -on pas d’une flameflamme fatale
Rompre l’image et d’EumeneEumène et d’AtaleAttale,
À Marc -Antoine en ce lieu dedieesdédiées ?
Puis maintes voix fatalement criées,
Tant de gesiersgésiers, et tant d’autres merveilles,
475Tant de corbeaux, et senestres corneilles ?
Tant de sommets rompus et mis en poudre,
Que monstroyentmontraient -ils que ta future foudre ?
Qui ce rocher devoitdevait ainsi combattre ?
Qu’admonnestoitadmonestait la nef de CleopatreCléopâtre,
--- 232v° ---
480Et qui d’Antoine avoitavait le nom par elle,
Où l’hirondelle exila l’hirondelle,
Et toutesfoistoutefois, en sillant leur lumierelumière,
N’y voyoyentvoyaient point ce qui suivoitsuivait derrierederrière ?
Vante toytoi donc les ayansayant pourchassezpourchassés
485Comme vengeur des grands Dieux offensezoffensés ;
EsjouyÉjouis -toytoi en leur sang et te baigne,
De leurs enfansenfants fais rougir la campagne,
Racle leur nom, efface leur memoiremémoire :
PoursuyPoursuis poursuypoursuis jusqu’au bout ta victoire.
Oct.Octavien
490Ne veux -je donc ma victoire poursuivre,
Et mon tropheetrophée au monde faire vivre ?
PlustostPlutôt plustostplutôt le fleuve impetueuximpétueux
Ne se rengorge au grand sein fluctueux.
C’est le souci qui avecqavec la complainte,
495Que je faisais de l’autre vie esteinteéteinte,
Me ronge aussi ; mais plus grand tesmoignagetémoignage
De mes honneurs s’obstinansobstinant contre l’aageâge,
Ne s’est point veuvu, sinon que cestecette Dame,
Qui consuma Marc - Antoine en sa flameflamme,
500Fut dans ma ville en triomphe menée.
Pr.Proculée
Mais pourroitpourrait -elle à RommeRome estreêtre trainéetraînée,
VeuVu qu’elle n’a sans fin autre desirdésir
Que par sa mort sa liberté choisir ?
SçavezSavez-vous pas, lors quelorsque nous échellasmeséchelâmes
505Et que par ruse en sa courtcour nous allasmesallâmes ?
Que tout soudain qu’en la courtcour on me veitvit,
En s’écriant une des femmes dit :
« OÔ pauvre RoineReine ! es-tu donc prise vive ?
Vis -tu encor pour trespassertrépasser captive ? »
--- 233r° ---
510Et qu’elle ainsi, sous telle voix ravie,
VouloitVoulait trenchertrancher le fil de sa vie,
Du cimeterre à son costécôté pendu,
Si saisissant je n’eusse deffendudéfendu
Son estomachestomac ja desjadéjà menassémenacé
515Du bras meurdriermeurtrier à l’encontre haussé :
SçavezSavez-vous pas que depuis ce jour mesmemême
Elle est tombée en maladie extremeextrême,
Et qu’elle a feint de ne pouvoir manger,
Pour par la faim à la fin se rengerranger ?
520Pensez-vous pas qu’outre telle finesse
Elle ne trouve à la mort quelque addresseadresse ?
Ag.Agrippe
Il vaudroitvaudrait mieux dessus elle veiller,
Sonder, courir, espierépier, travailler,
Que du berger la veuevue 51[51] prononcer vu-e. gardienne
525Ne s’arrestoitarrêtait sussur son Inachienne.
Que nous nuira, si nous la confortons,
Si doucement sa foiblessefaiblesse portons ?
Par tels moyens s’envolera l’envie
De faire change à sa mort de sa vie :
530Ainsi sa vie heureusement traitée
Ne pourra voir sa quenouille arrestéearrêtée :
Ainsi, ainsi jusqu’à RommeRome elle ira ;
Ainsi, ainsi ton souci finira.
Et quant aux plains 52[52] plaintes. , veux -tu plaindre celuycelui
535Qui de tout temps te brassa tout ennuyennui,
Qui n’estoitétait né, sans ta dextre 53[53] main droite. divine,
Que pour la tienne et la nostrenotre ruine ?
Te souvient -il que, pour dresser ta guerre,
Tu fus hayhaï de toute nostrenotre terre,
--- 233v° ---
540Qui se piquoitpiquait mutinant contre toytoi
Et refusoitrefusait se courber sous ta loyloi,
Lors queLorsque tu prinspris pour guerroyer Antoine
Des hommes francs le quart du patrimoine,
Des serviteurs la huictiemehuitième partie
545De leur vaillant : tant que ja divertie
Presque s’estoitétait l’Italie troublée ?
Mais quelle estoitétait sa peine redoublée,
Dont il taschoittâchait embrasser les RommainsRomains,
Pour ce LepideLépide exilé par tes mains ?
550Te souvient-il de cestecette horrible armeearmée
Que contre nous il avoitavait animée ?
Tant de Rois donc qui voulurent le suivre,
Y venoyentvenaient -ils pour nous y faire vivre ?
PensoyentPensaient-ils bien nous foudroyer exprésexprès,
555Pour deplorerdéplorer nostrenotre ruine aprésaprès ?
Le RoyRoi Bocchus, le RoyRoi Cilicien,
Archelaus, RoyRoi Capadocien,
Et Philadelphe et Adalle de Thrace,
Et Mithridate usoyentusaient -ils de menace
560Moindre sussur nous, que de porter en joyejoie
NostreNotre despoüilledépouille et leur guerriereguerrière proyeproie,
Pour à leurs Dieux joyeusement les pendre
Et maint et maint sacrifice leur rendre ?
VoilaVoilà les pleurs que doit un adversaire
565ApresAprès la mort de son ennemyennemi faire.
Oct.Octavien
OÔ gent Agrippe, ou pour te nommer mieux,
FidelleFidèle Achate, estoitétait donc de mes yeux
Digne le pleur ? CeluyCelui donc s’effemineeffémine
Qui ja 54[54] déjà. du tout l’effeminéefféminé ruine.
--- 234r° ---
570Non, non, les plains 55[55] plaintes. cederontcèderont aux rigueurs,
Baignons en sang les armes et les coeurs,
Et souhaitons à l’ennemi cent vies,
Qui luylui seroientseraient plus durement ravies ;
Quant à la RoineReine, appaiserapaiser la faudra
575Si doucement que sa main se tiendra
De forbannir 56[56] bannir. l’ameâme seditieuseséditieuse
Outre les eaux de la rive oublieuse.
Je voisvais desordès or’ 57[57] dès maintenant. en cela m’efforcer,
Et son desirdésir de mort effacer :
580Souvent l’effort est forcé par la ruse.
Pendant 58[58] Cependant. , Agrippe, aux affaires t’amuse,
Et toytoi, loyal messager ProculeeProculée,
Sonde partout ce que la fame 59[59] la Fama, la réputation, déesse ailée. aisleeailée
Fait s’acouster dedans Alexandrie
585Qu’elle circuit 60[60] dont elle fait le tour. , et tantosttantôt bruit et crie,
TantostTantôt plus bas marmotemarmotte son murmure,
N’estantétant jamais loin de telle aventure.
Pr.Proculée
Si bien par tout mon devoir se fera
Que mon CesarCésar de moymoi se vantera.
590 61[61] César laisse Proculée seul.
OÔ ! S’il me faut ores 62[62] maintenant. un peu dresser
L’esprit plus haut et seul en moymoi penser,
Cent et cent fois miserablemisérable est celuycelui
Qui en ce monde a mis aucun appuyappui :
595Et tant s’en faut qu’il ne faschefâche de vivre
À ceux qu’on voit par fortune poursuivre,
Que moymoi, qui suis du sort assez contantcontent,
Je suis faschéfâché de me voir vivre tant.
Où es -tu, Mort, si la prosperitéprospérité
600N’est sous les cieux qu’une infelicitéinfélicité ?
--- 234v° ---
Voyons les grands, et ceux qui de leur testetête
Semblent desjadéjà deffierdéfier la tempestetempête :
Quel heur 63[63] bonheur. ont -ils pour une freslefrêle gloire ?
Mille serpensserpents rongearsrongeards en leur memoiremémoire,
605Mille soucis meslezmêlés d’effroyementeffraiement,
Sans fin desirdésir, jamais contentement :
DésDès que le Ciel son foudre pirouëttepirouette,
Il semble ja 64[64] déjà, sur-le-champ. que sur eux il se jette :
DésDès lors que Mars presprès de leur terre tonne,
610Il semble ja leur ravir la couronne ;
DésDès que la peste en leur regnerègne tracasse,
Il semble ja que leur chef 65[65] leur tête. on menasseemance ;
Bref, à la mort ils ne peuvent penser,
Sans souspirersoupirer, blesmirblêmir, et s’offenser,
615Voyant qu’il faut par mort quitter leur gloire,
Et bien souvent enterrer la memoiremémoire,
Où celuycelui-lalà, qui solitairement
En peu de biens cherche contentement,
Ne pallit pas si la fatale Parque
620Le fait penser à la derniere barque,
Ne pallitpâlit pas, non, si le Ciel et l’onde
Se rebrouilloyentrebrouillaient au vieil Chaos du monde.
Telle est, telle est la mediocritémédiocrité 66[66] sens positif : le juste milieu.
Où gistgît le but de la felicitéfélicité :
625Mais qui me fait en ces discours me plaire,
Quand il convient exploiter mon affaire ?
Trop tosttôt, trop tosttôt se fera mon message,
Et toujours tard un homme se fait sage.
--- 235v° ---
LE CHOEUR.
DE la terre humble et basse,
630Esclave de ses cieux,
Le peu puissant espace
N’a rien plus vicieux
Que l’orgueil, qu’on voit estreêtre
HayHaï du Ciel, son maistremaître.
635Orgueil, qui met en poudre
Le rocher trop hautain,
Orgueil pour qui le foudre
Arma des Dieux la main,
Et qui vient pour salaire
640LuymesmeLui-même se deffairedéfaire.
À qui ne sont cogneuësconnues
Les races du Soleil,
Qui affrontoyentaffrontaient aux nuësnues
Un superbe appareil,
645Et montagnes portées
L’une sussur l’autre entées ?
La tombante tempestetempête,
Adversaire à l’orgueil,
EscarbouillaÉcrabouilla leur testetête,
650Qui trouva son recueil
ApresAprès la mort amereamère
Au ventre de sa meremère.
--- 235v° ---
Qui ne cognoistconnaît le sage
Qui trop audacieux,
655Pilla du feu l’usage
Au chariot des cieux,
Cherchant par arrogance
Sa propre repentance.
Qu’on le voise voir ore 67[67] Qu’on aille le voir maintenant.
660Sur le mont Scythien,
Où son vautour devoredévore
Son gesiergésier ancien ;
Que sa poitrine on voyevoie
EstreÊtre eternelleéternelle proyeproie. 68[68] Ces deux strophes étaient consacrées à Prométhée.
665Qui ne cognoistconnaît Icare,
Le nommeur d’une mer,
Et du Dieu de Pathare
L’enfant, qui enflammer
Vint sous son char le monde,
670Tant qu’il tombasttombât en l’onde ?
De ceux-là les ruines
Tesmoignenttémoignent la fureur
Des sainctessaintes mains divines,
Qui doivent faire horreur
675A l’orgueil, digne d’estreêtre
Puni de telle dextre 69[69] Main droite, celle de la puissance. .
A -t’-on pas veuvu la vague
--- 236r° ---
Au giron fluctueux,
Alors qu’Aquilon vague
680Se fait tempestueuxtempêtueux,
Presque dresser ses crestescrêtes
Jusqu’au lieu des tempestestempêtes ?
Qu’on voyevoie de l’audace
PhebusPhoebus se courroussantcourrouçant,
685EsclarcissantÉclaircissant la trace
Qui son char va froissant,
Dessous ses flechesflèches blondes
Presque abysmerabîmer les ondes.
A -t’-on pas veuvu d’un arbre
690Le couppeaucopeau chevelu,
Ou la maison de marbre
Qui semble avoir voulu
Dépriser trop hautaine
L’autre maison prochaine ?
695Qu’on voyevoie un feu celestecéleste
CesteCette simecime arrachant,
Et par mine moleste
Le palais tresbuchanttrébuchant,
La plante au chef punie,
700L’autre au pied demuniedémunie.
Mais Dieux (ô Dieux) qu’il vienne
Voir la plainte et le dueildeuil
De cestecette RoineReine mienne,
--- 236v° ---
Rabaissant son orgueil,
705RoineReine, qui pour son vice
Reçoit plus grand supplice.
Il verra la DeesseDéesse
À genoux se jetterjeter,
Et l’esclave MaistresseMaîtresse,
710Las son mal regretter !
Sa voix à demi morte
Requiert qu’on la supporte.
Elle, qui orgueilleuse
Le nom d’Isis portoitportait,
715Qui de blancheur pompeuse
Richement se vestoitvêtait,
Comme Isis l’ancienne,
DeesseDéesse EgyptienneÉgyptienne,
Ore presque en chemise
720Qu’elle va dechirantdéchirant,
Pleurant aux pieds s’est mise
De son CesarCésar, tirant
De l’estomachestomac debiledébile 70[70] faible.
Sa requesterequête inutile.
725Quel coeur, quelle penseepensée,
Quelle rigueur pourroitpourrait
N’estreêtre point offenseeoffensée,
Quand ainsi l’on verroitverrait
Le retour miserablemisérable
--- 237r° ---
730De la chance muable ?
CesarCésar, en quelle sorte,
La voyant sans vertu,
La voyant demi-morte,
Maintenant soustienssoutiens-tu
735Las assauts, que te donne
La pitié, qui t’estonneétonne ?
Tu vois qu’une grand’Roine 71[71] Nous maintenons cette forme pour la rime. ,
Celle -là qui guidoitguidait
Ton compagnon Antoine,
740Et par tout commandoitcommandait,
Heureuse se vient dire,
Si tu vouloisvoulais l’occire.
Las, helashélas ! CleopatreCléopâtre,
Las, helashélas ! quel malheur
745Vient tes plaisirs abbattreabattre,
Les changeant en douleur ?
Las, las, helashélas, (ô Dame),
Peux -tu souffrir ton ameâme ?
PourquoyPourquoi, pourquoypourquoi, fortune,
750OÔ fortune aux yeux clos,
Es -tu tant importune ?
PourquoyPourquoi n’a point repos
Du temps le vol estrangeétrange,
Qui ses faits brouille et change ?
--- 237v° ---
755Qui en volant sacagesaccage
Les chasteauxchâteaux sourcilleux,
Qui les princes outrage,
Qui les plus orgueilleux,
RoüantRouant sa faulxfaux superbe,
760Fauche ainsi comme l’herbe ?
À nul il ne pardonne,
Il se fait et deffaitdéfait,
Luy mesmesLui-mêmes il s’estonneétonne,
Il se flatte en son fait,
765Puis il blasmeblâme sa peine,
Et contre elle forceneforcène.
Vertu seule à l’encontre
Fait l’acier reboucher ;
Outre telle rencontre
770Le temps peultpeut tout faucher :
L’orgueil qui nous amorce
Donne à sa faulxfaux sa force.
ACTE III.
Octavien.
VOULEZ-vous donc votre fait excuser ?
Mais dequoyde quoi sert à ces mots s’amuser ?
775N’est-il pas clair que vous tachieztâchiez de faire
Par tous moyens CesarCésar vostrevotre adversaire,
--- 238r° ---
Et que vous seule attirant vostrevotre ami,
Me l’avez fait capital ennemi,
Brassant sans fin une horrible tempestetempête,
780Dont vous pensiez écerveler ma testetête ?
Qu’en dites-vous ?
ClCléopâtre
OÔ quels piteux alarmes !
Las, que diroisdirais-je ! hé, ja pour moymoi mes larmes
Parlent assez, qui non pas la justice,
Mais de pitié cherchent le beneficebénéfice.
785Pourtant, CesarCésar, s’il est à moymoi possible
De tirer hors d’une ameâme tant passible
CesteCette voix rauque à mes souspirssoupirs mesleemêlée,
EscouteÉcoute encor 72[72] Nous maintenons cette forme pour le compte syllabique, ici et plus bas. l’esclave desoleedésolée,
Las ! qui ne met tant d’espoir aux paroles
790Qu’en ta pitié, dont ja tu me consoles.
Songe, CesarCésar, combien peultpeut la puissance
D’un traistretraître amour, mesmemême en sa jouyssancejouïssance :
Et pense encor que mon foiblefaible courage
N’eusteût pas souffert sans l’amoureuse rage,
795Entre vous deux ces batailles tonantestonnantes,
Dessus mon chef 73[73] Sur ma tête. à la fin retournantes.
Mais mon amour me forçoitforçait de permettre
Ces fiers debatsdébats, et toute aide promettre,
VeuVu qu’il falloitfallait rompre paix et combattre,
800Ou separerséparer Antoine et CleopatreCléopâtre.
SeparerSéparer, las ! ce mot me fait faillir,
Ce mot me fait par la Parque assaillir.
AaAh ah aaah CesarCésar, aaah.
Oct.Octavien.
Si je n’estoisétais ore
Assez beningbénin, vous pourriez feindre encore
805Plus de douleurs, pour plus beningbénin me rendre :
Mais quoyquoi, ne veux-je à mon merci vous prendre ?
--- 238v° ---
Cl.Cléopâtre
Feindre,helashélas ! ô.
Oct.Octavien.
Ou tellement se plaindre
N’est que mourir, ou bien ce n’est que feindre.
LE CHOEUR.
La douleur
810Qu’un malheur
Nous rassemble,
Tel ennuyennui
À celuycelui
Pas ne semble,
815Qui exempt
Ne la sent ;
Mais la plainte
Mieux bondit,
Quand on dit
820Que c’est feinte.
CleopatreCléopâtre
Si la douleur en ce coeur prisonniereprisonnière
Ne surmontoitsurmontait cestecette plainte dernieredernière,
Tu n’auroisaurais pas ta pauvre esclave ainsi :
Mais je ne peux égaler au souci,
825Qui petillantpétillant m’écorche le dedans,
Mes pleurs, mes plaints et mes soupirs ardensardents.
T’esbahisébahis -tu, si ce mot separerséparer
A fait ainsi mes forces retirer ?
SeparerSéparer (Dieux !), separerséparer je l’ayai veuvu,
830Et si n’ayai point à ces debatsdébats pourveupourvu !
Mieux il te fustfût (ô captive ravie)
Te separerséparer mesmemême durant sa vie !
--- 239r° ---
J’eusse la guerre et sa mort empescheeempêchée,
Et à mon heur quelque atteinte lascheelâchée,
835VeuVu que j’eusse eu le moyen et l’espace
D’espererespérer voir secrettementsecrètement sa face :
Mais mais cent fois, cent cent fois malheureuse,
J’ayai ja souffert cestecette guerre odieuse :
J’ayai, j’ayai perdu par cestecette estrangeétrange guerre,
840J’ayai perdu tout, et mes biens et ma terre :
Et si ayai veuvu ma vie et mon support,
Mon heur, mon tout, se donner à la mort,
Que tout sanglant, ja tout froid et tout blesmeblême,
Je rechauffoisréchauffais des larmes de moymesmemoi-même,
845Me separantséparant de moymesmemoi-même à demi
Voyant par mort separerséparer mon ami.
Ha Dieux, grands Dieux ! Ha, grands Dieux !
Oct.Octavien.
Qu’est-ce ci ceci ?
QuoyQuoi ? la constance estreêtre hors de souci ?
Cl.Cléopâtre
Constante suis ; separerséparer je me sens,
850Mais separerséparer on ne me peultpeut long tempslongtemps :
La pallepâle mort m’en fera la raison,
Bien tostBientôt Pluton m’ouvrira sa maison,
Où mesmemême encor l’éguillonaiguillon, qui me touche,
FeroitFerait rejoindre et ma bouche et sa bouche :
855S’on me tuoittuait, le dueildeuil qui creveroitcrèverait
Parmi le coup plus de bien me feroitferait,
Que je n’auroisaurais de mal à voir sortir
Mon sang pourpré et mon ameâme partir.
Mais vous m’ostezôtez l’occasion de mort,
860Et pour mourir me deffautdéfaut mon effort,
Qui s’allentitalentit d’heure en heure dans moymoi,
Tant qu’il faudra vivre maugrémalgré l’esmoyémoi :
--- 239v° ---
Vivre il me faut, ne crains que je me tue :
Pour me tuer trop peu je m’esvertueévertue.
865Mais puis qupuisqu’il faut que j’allonge ma vie,
Et que de vivre en moymoi revient l’envie,
Au moins CesarCésar voyvois la pauvre foiblettefaiblette,
Qui à tes pieds et de rechefderechef se jette ;
Au moins CesarCésar des gouttes de mes yeux
870AmolliAmollis toytoi, pour me pardonner mieux :
De cestecette humeur la pierre on cave bien,
Et sussur ton coeur ne pourront -elles rien ?
Ne t’ont donc peupu les lettre esmouvoirémouvoir
Qu’à tes deux yeux j’avoisavais tantosttantôt fait voir,
875Lettres je dydis de ton perepère receuesreçues,
Certain tesmointémoin de nos amours conceuësconçues ?
N’ayai-je donc peupu destournerdétourner ton courage,
Te descouvrantdécouvrant et maint et maint image
De ce tien perepère à celle-lalà loyal,
880Qui de son fils recevra tout son mal ?
CeluyCelui souvent trop tosttôt borne sa gloire,
Qui jusqu’au bout se vangevenge en sa victoire.
PrensPrends donc pitié ; tes glaives triomphanstriomphants
D’Antoine et moymoi pardonnent aux enfansenfants.
885PourroisPourrais-tu voir les horreurs maternelles,
S’on meurdrissoitmeurdrissait ceux que ces deux mammellesmamelles,
Qu’ores tu vois maigres et dechireesdéchirées
Et qui seroientseraient de cent coups empireesempirées,
Ont allaictéallaité ? OrroisOrrais-tu 74[74] Entendrais-tu (oïr). mesmementmêmement
890Des deux costezcôtés le dur gemissementgémissement ?
Non non, CesarCésar, contente -toytoi du perepère,
Laisse durer les enfansenfants et la meremère
--- 240r° ---
En ce malheur, où les Dieux nous ont mis,
Mais fusmesfûmes -nous jamais tes ennemis
895Tant acharnezacharnés que n’eussions pardonné,
Si le tropheetrophée à nous se fustfût donné ?
Quant est de moymoi, en mes fautes commises,
Antoine estoitétait chef de mes entreprises,
Las qui venoitvenait à tel malheur m’induire ;
900Eussé-je peupu mon Antoine esconduireéconduire ?
Oct.Octavien.
Tel bien souvent son fait pense amender,
Qu’on voit d’un gouffre en un gouffre guider :
Vous excusant, bien que vostrevotre advantageavantage,
Vous y mettiez, vous nuisez davantage,
905En me rendant par l’excuse irrité,
Qui 75[75] Moi qui. ne suis point qu’ami de veritévérité.
Et si convient qu’en ce lieu je m’amuse
À repousser cestecette inutile excuse ;
Pourriez-vous bien de ce vous garentirgarantir
910Qui fit ma soeur hors d’AthenesAthènes sortir,
Lors queLorsque, craignant qu’Antoine son espouxépoux,
Plus se donnastdonnât à sa femme qu’à vous,
Vous le paissiez de ruse, et de finesses,
De mille et mille et dix mille caresses ?
915TantostTantôt au lictlit exprésexprès emmaigrissiez 76[76] maigrissiez. ,
TantostTantôt par feinte exprésexprès vous pallissiezpâlissiez ?
TantostTantôt vostrevotre oeil vostrevotre face baignoitbaignait,
DésDès qu’un jectjet d’arc de luylui vous esloignoitéloignait,
Entretenant la feinte et sorcelage 77[77] sorcellerie, enchantement. ,
920Ou par coustumecoutume, ou par quelque breuvage :
MesmeMême attiltrant vos amis et flatteurs
Pour du venin d’Antoine estreêtre fauteurs,
--- 240v° ---
Qui l’abusoyentabusaient sous les plaintes frivoles,
Faisant cedercéder son proffitprofit aux paroles.
925« QuoyQuoi ? disoientdisaient-ils, estesêtes -vous l’homicide
D’un pauvre esprit, qui vous prend pour sa guide ?
Faut-il qu’en vous la Noblesse s’offense,
Dont la rigueur à celle -lalà ne pense,
Qui fait de vous le but de ses penseespensées ?
930OÔ qu’ils sont mal envers vous addresseesadressées !
Octavienne a le nom de l’espouseépouse,
Et cestecette -ci, dont la flameflamme jalouse
EmpescheEmpêche assez la vistevite renommeerenommée,
Sera l’amie en son pays nommeenommée :
935CesteCette divine, à qui rendent hommage
Tant de pays joints à son heritagehéritage. »
Tant peurentpurent donc vos mines et addressesadresses,
Et de ceux -lalà les plaintes flatteresses 78[78] flatteuses. ,
Qu’Octavienne et sa femme et ma soeur,
940Fut dechasseedéchassée 79[79] chassée. , et dechassadéchassa votre heur.
Vous taisez-vous, avez-vous plus desirdésir,
Pour m’appaiserapaiser d’autre excuse choisir ?
Que diriez-vous du tort fait aux RommainsRomains,
Qui s’enfuyoientenfuyaient secrettementsecrètement des mains
945De vostrevotre Antoine, alors que vostrevotre rage
Leur redoubloitredoublait l’outrage sussur l’outrage ?
Que diriez-vous de ce beau testament,
Qu’Antoine avoitavait remis secrettementsecrètement
Dedans les mains des pucelles Vestales ?
950Ces maux estoyentétaient les conduites fatales
De vos malheurs : et ores peu ruseerusée,
Vous voudriez bien encore estreêtre excuseeexcusée.
--- 241r° ---
Contentez-vous, CleopatreCléopâtre, et pensez
Que c’est assez de pardon, et assez
955D’entretenir le fuseau de vos vies,
Qui ne seront à vos enfansenfants ravies.
Cl.Cléopâtre
Ore, CesarCésar, chetivechétive je m’accuse,
En m’excusant de ma premierepremière excuse,
RecognoissantReconnaissant que ta seule pitié
960Peut donner bride à ton inimitié,
Qui ja pour moi tellement se commande.
Que tu ne veux de moymoi faire une offrande
Aux Dieux ombreux, nyni des enfansenfants aussi
Que j’ai tourné en ces entrailles -ci.
965De ce peu donc mon pouvoir est resté
Je rensrends je rensrends gracegrâce à ta majesté,
Et pour donner à CesarCésar tesmoignagetémoignage,
Que je suis sienne et le suis de courage,
Je veux, CesarCésar, te decelerdéceler tout l’or,
970L’argent, les biens, que je tiens en thresortrésor.
LE CHOEUR.
QUAND la servitude,
Le col enschesnantenchaînant,
Dessous le joug rude
Va l’homme gesnantgênant,
975 Sans que l’on menassemenace
D’un sourcil plié,
Sans qu’effort on facefasse
Au pauvre lié,
Assez il confesse,
980Assez se contraint,
--- 241v° ---
Assez il se presse,
Par la crainte estraintétreint.
Telle est la nature
Des serfs déconfits ;
985Tant de mal n’endure
De Japet le fils 80[80] Prométhée, fils de Japet qui est un supplicié des enfers. .
Octavien.
L’AMPLE thresortrésor, l’ancienne richesse
Que vous nommez, tesmoignetémoigne la hautesse
De vostrevotre race ; et n’estoitétait le bon heurbonheur
990D’estreêtre du tout 81[81] terme positif : complètement, parfaitement. en la terre le seigneur,
Je me plaindroisplaindrais qu’il faudra que soudain
Ces biens royaux changent ainsi de main.
Sel.Séleuque
Comment, CesarCésar, si l’humble petitesse
Ose addresseradresser sa voix à ta hautesse,
995Comment peux-tu ce thresortrésor estimer,
Que ma Princesse a voulu te nommer ?
Cuides -tu bien 82[82] Penses-tu bien. , si accuser je l’ose,
Que son thresortrésor tienne si peu de chose ?
La moindre RoineReine à ta loyloi flechissantefléchissante
1000Est en thresortrésor autant riche et puissante,
Qui autant peu ma CleopatreCléopâtre égale,
Que par les champs une case rurale
Au fier chasteauchâteau ne peultpeut estreêtre egaleeégalée,
Ou bien la motte à la roche geleegelée.
1005Celle sous qui tout l’Égypte flechitfléchit,
Et qui du Nil l’eau fertile franchit,
À qui le Juif, et le PhenicienPhénicien,
L’Arabien et le Cilicien,
--- 242r° ---
Avant ton foudre ore tombé sur nous,
1010SouloyentSoulaient 83[83] Avaient l’habitude de. courber les hommagers genoux :
Qui aux thresorstrésors d’Antoine commandoitcommandait,
Qui tout en monde en pompes 84[84] apparat, luxe. excedoitexcédait,
Ne pourroitpourrait elle avoir que ce thresortrésor ?
CroyCrois, CesarCésar, croycrois qu’elle a de tout son or
1015Et autres biens tout le meilleur caché.
Cl.Cléopâtre
AAh faux meurdriermeurtrier ! aah faux traitretraître, arraché
Sera le poil de ta testetête cruelle.
Que pleustplût aux Dieux que ce fustfût ta cervelle !
TienTiens traistretraître, tientiens.
85[85] Elle le bat.Sel.Séleuque
OÔ Dieux !
Cl.Cléopâtre
OÔ chose detestabledétestable !
1020Un serf un serf !
Oct.Octavien
Mais chose émerveillable
D’un coeur terrible !
Cl.Cléopâtre
EtEh quoy,quoi m’accuses -tu ?
Me pensoispensais -tu veufveveuve de ma vertu
Comme d’Antoine ? a aah traistretraître !
Sel.Séleuque
Retiens -la,
Puissant CesarCésar, retiens -la doncqdonc.
Cl.Cléopâtre
VoilaVoilà
1025Tous mes biensfaitsbienfaits. hou ! le dueildeuil qui m’efforce
Donne à mon coeur langoureux telle force,
Que je pourroispourrais, ce me semble, froisser
Du poing tes os, et tes flancs crevasser
À coups de pied.
Oct.Octavien
OÔ quel grinsantgrinçant courage !
1030Mais rien n’est plus furieux que la rage
D’un coeur de femme. EtEh bien, quoyquoi, CleopatreCléopâtre ?
EstesÊtes -vous point ja saoule de le battre !
FuyFuis t’en, ami, fuyfuis t’en.
86[86] Séleuque s’en va : on le revoit bientôt avec le choeur.Cl.Cléopâtre
Mais quoyquoi, mais quoyquoi ?
Mon Empereur, est-il un tel esmoyémoi
1035Au monde encore que ce paillard me donne ?
Sa lachetélâcheté ton esprit mesmemême estonneétonne,
Comme je croycrois, quand moymoi, RoineReine d’ici,
De mon vassal suis accuseeaccusée ainsi,
--- 242v° ---
Que toytoi, CesarCésar, as daigné visiter,
1040Et par ta voix à repos inciter,
Hé si j’avoisavais retenu des joyaux,
Et quelque part de mes habits royaux,
L’auroisaurais-je fait pour moymoi las malheureuse !
MoyMoi, qui de moymoi ne suis plus curieuse ?
1045Mais telle estoitétait cestecette esperanceespérance mienne
Qu’à ta Livie et ton Octavienne
De ces joyaux le presentprésent je feroyferais,
Et leur pitiezpitié ainsi pourchasseroypourchasserais
Pour (n’estantétant point de mes presensprésents ingrates)
1050Envers CesarCésar estreêtre mes advocatesavocates.
Oct.Octavien
Ne craignez point, je veux que ce thresortrésor
Demeure vostrevotre : encouragez-vous or’,
Vivez ainsi en la captivité
Comm’Comme au plus haut de la prosperitéprospérité.
1055Adieu : songez qu’on ne peut recevoir
Des maux, sinon quand on pense en avoir.
Je m’en retourne.
Cl.Cléopâtre
Ainsi vous soit ami
Tout le Destin, comm’comme il m’est ennemi.
87[87] Nous quittons Octave et Cléopâtre pour le choeur et Séleuque : Séleuque a visiblement rejoint l’espace scénique du choeur, à qui il rapporte ce qui vient de se passer.Le Ch.Le Choeur
Où courez-vous, SeleuqueSéleuque, où courez-vous ?
Sel.Séleuque.
1060Je cours, fuyant l’envenimé courroux.
Le Ch.Le Choeur
Mais quel courroux ? hé Dieu si nous en sommes !
Sel.Séleuque
Je ne fuyfuis pas nyni CesarCésar nyni ses hommes.
Le Ch.Le Choeur
Qu’y a -t’-il donc que peut plus la fortune ?
Sel.Séleuque
Il n’y a rien, sinon l’offense d’une.
Le Ch.Le Choeur
1065AuroitAurait -on bien nostrenotre RoineReine blessée ?
Sel.Séleuque
Non, non, mais j’ayai nostrenotre RoineReine offensée.
Le Ch.Le Choeur
Quel malheur donc a causé ton offense ?
Sel.Séleuque
Que sert ma faute, ou bien mon innocence ?
--- 243r° ---
Le Ch.Le Choeur
Mais dydis le nous, dydis, il ne nuira rien.
Sel.Séleuque
1070Dit, il n’apporte à la ville aucun bien.
Le Ch.Le Choeur
Mais tant y a que tu as gaignégagné l’huis 88[88] la porte. .
Sel.Séleuque
Mais tant y a que ja puni j’en suis.
Le Ch.Le Choeur
EstantÉtant puni, en es -tu du tout quitte ?
Sel.Séleuque
EstantÉtant puni plus fort je me dépite,
1075Et ja dans moymoi je sens une furie,
Me menassantmenaçant que telle fascheriefâcherie
Poindra sans fin mon ameâme furieuse,
Lors queLorsque la RoineReine et triste et courageuse,
Devant CesarCésar aux cheveux m’a tiré,
1080Et de son poing mon visage empiré :
S’elle m’eusteût fait mort en terre gesirgésir,
Elle eusteût preveuprévu à mon present desirdésir,
VeuVu que la mort n’eusteût point estéété tant dure
Que l’eternelleéternelle et mordante pointure 89[89] pointe. ,
1085Qui ja desjadéjà jusques au fond me blesse
D’avoir blessé ma RoineReine et ma maistressemaîtresse.
LE CHOEUR.
OÔ Quel heur à la personne
Le Ciel gouverneur ordonne,
Qui contente de son sort,
1090Par convoitise neni sort
Hors de l’heureuse franchise,
Et n’a sa gorge submisesoumise
Au joug et trop dur lien
De ce pourchas terrien,
1095 Mais bien les antres sauvages,
Les beaux tapis des herbages,
--- 243v° ---
Les rejettansrejetants arbrisseaux,
Les murmures des ruisseaux,
Et la gorge babillarde
1100De PhilomelePhilomèle jasarde,
Et l’attente du Printemps
Sont ses biens et passetemps.
Sans que l’ameâme haut volante,
De plus grand desirdésir bruslantebrûlante,
1105Suive les pompeux arrois,
Et puis offensant ses Rois,
Ait pour maigre recompenserécompense
Le feu, le glaive, ou potancepotence,
Ou plustostplutôt mille remorsremords,
1110ConferezConférés à mille morts.
Si l’inconstante fortune
Au matin est opportune,
Elle est importune au soir.
Le temps ne se peut rassoir,
1115À la fortune il accorde,
Portant à celuycelui la corde
Qu’il avoitavait paravant 90[90] auparavant. mis
Au rang des meilleurs amis.
QuoyQuoi que soit, soit mort ou peine
1120Que le soleil nous rameineramène
En nous ramenant son jour,
Soit qu’elle facefasse sejourséjour,
Ou bien que par la mort griesvegriève
Elle se fafacefasse ce plus briesvebrève :
1125Celuy qui ard 91[91] brûle. de desirdésir
S’est tousjourstoujours senti saisir.
--- 244r° ---
Arius de cestecette ville,
Que cestecette ardeur inutile
N’avoitavait jamais retenu :
1130Ce Philosophe chenu,
Qui deprisoitdéprisait 92[92] méprisait. toute pompe
Dont cestecette ville se trompe,
Durant nostrenotre grand’douleur
A receureçu le bien et l’heur.
1135 CesarCésar, faisant son entreeentrée,
À la sagesse monstreemontrée,
L’heur et la felicitéfélicité,
La raison, la veritévérité,
Qu’avoitavait en soysoi ce bon maistremaître,
1140Le faisant mesmemême à sa dextre
CostoyerCôtoyer, pour estreêtre à nous
Comme un miracle entre tous.
SeleuqueSéleuque, qui de la RoineReine
RecevoitRecevait le patrimoine
1145En partie, et qui dressoit 93[93] Nous maintenons cette forme pour la rime.
Le gouvernement, reçoit,
Et outre cestecette fortune
Qui nous est à tous commune,
Plus griesvegriève infelicitéinfélicité
1150Que nostrenotre captivité.
Mais or’ ce dernier courage
De ma RoineReine est un presageprésage,
S’il faut changer de propos,
Que la meurdrieremeurtrière Atropos
1155Ne souffrira pas qu’on porte
À RommeRome ma RoineReine forte,
--- 244v° ---
Qui veut de ses propres mains
S’arracher des fiers RommainsRomains.
Celle -lalà dont la constance
1160A pris soudain la vengeance
Du serf, et dont la fureur
N’a point craint son Empereur,
Croyez que plustostplutôt l’espeeépée
En son sang sera trempée,
1165Que pour un peu moins souffrir
À son deshonneurdéshonneur s’offrir.
Seleuque.Séleuque. »
OÔ sainctsaint propos, ô veritévérité certaine !
Pareille aux dezdés est nostrenotre chance humaine.
ACTE IIIIIV
CleopatreCléopâtre.
PENSEROITPENSERAIT doncqdonc CesarCésar estreêtre du tout 94[94] complètement. vainqueur ?
1170PenseroitPenserait doncqdonc CesarCésar abastardirabâtardir ce coeur,
VeuVu que des tiges vieux cestecette vigueur j’heritehérite,
De ne pouvoir cedercéder qu’à la Parque dépite ?
La Parque, et non CesarCésar, aura sussur moymoi le prisprix,
La Parque, et non CesarCésar, soulage mes esprits,
1175La Parque, et non CesarCésar, triomphera de moymoi,
La Parque, et non CesarCésar, finira mon esmoyémoi :
--- 245r° ---
Et si j’ayai ce jourdhuyjourd’hui usé de quelque feinte,
Afin que ma porteeportée en son sang ne fustfût teinte,
QuoyQuoi ? CesarCésar pensoitpensait-il que ce que dit j’avois 95[95] Nous maintenons cette forme pour la rime.
1180PeustPût bien aller ensemble et de coeur et de voix ?
CesarCésar, CesarCésar, CesarCésar, il te seroitserait facile
De subjuguer ce coeur aux liens indocile :
Mais la pitié que j’ayai du sang de mes enfansenfants,
RendoitRendait sussur mon vouloir mes propos triomphanstriomphants,
1185Non la pitié que j’ayai si par moymoi, miserablemisérable,
Est rompu le filet, à moymoi, ja trop durable 96[96] Le fil de ma vie, qui a déjà trop duré. .
Courag donc, courage (ô compagnes fatales)
Jadis serves à moymoi, mais en la mort égales,
Vous avez recogneureconnu CleopatreCléopâtre princesse,
1190Or’ 97[97] Maintenant. ne recognoissezreconnaissez que la Parque maistressemaîtresse.
Ch.Charmium.
Encore que les maux par ma RoineReine endurezendurés,
Encore que les cieux contre nous conjurezconjurés,
Encore que la terre envers nous courroucée,
Encore que fortune envers nous insensée,
1195Encore que d’Antoine une mort miserablemisérable,
Encore que la pompe à CesarCésar desirabledésirable,
Encore que l’arrestarrêt que nous fismesfîmes ensemble 98[98] La décision que nous prîmes ensemble.
Qu’il faut qu’un mesmemême jour aux enfers nous assemble,
EguillonnastAiguillonât assez mon esprit courageux
1200D’estreêtre contre soymesmesoi-même un vainqueur outrageux,
Ce remederemède de mort, contrepoison de dueildeuil,
S’est tantosttantôt presentéprésenté d’avantage à mon oeil :
Car ce bon Dolabelle ami de nostrenotre affaire,
Combien que pour CesarCésar il soit nostrenotre adversaire,
1205T’a fait sçavoirsavoir (ô RoineReine), apresaprès que l’Empereur
Est parti d’avec toytoi, et apresaprès ta fureur
--- 245v° ---
Tant equitablementéquitablement à SeleuqueSéleuque monstreemontrée,
Que dans trois jours prefixpréfix cestecette douce contreecontrée
Il nous faudra laisser, pour à RommeRome menées
1210Donner un beau spectacle à leurs effeminées.
Er.Eras.
Ha mort, ô douce mort, mort, seule guarisonguérison
Des esprits oppressezoppressés d’une estrangeétrange prison,
PourquoyPourquoi souffres -tu tant à tes droits faire tort ?
T’avons -nous fait offense, ô douce et douce mort ?
1215PourquoyPourquoi n’approches- tu, ô Parque trop tardive ?
PourquoyPourquoi veux- -tu souffrir cestecette bande captive,
Qui n’aura pas plustostplus tôt le don de liberté,
Que cestcet esprit ne soit par ton dard écarté ?
HasteHâte doncqdonc, hastehâte -toytoi, vanter tu te pourras
1220Que mesmemême sussur CesarCésar une despouilledépouille auras :
Ne permets point alors que PhebusPhoebus qui nous luit 99[99] éclaire.
En devallantdévalant sera chez son oncle conduit,
Que ta soeur pitoyable, helashélas ! à nous cruelle,
Tire encore le fil dont elle nous bourrelle :
1225Ne permets que des peurs la pallissantepâlissante bande
EmpescheEmpêche ce jourdhuyjourd’hui de te faire une offrande.
L’occasion est seuresûre, et nul à ce courage
Ce jour nuire ne peultpeut, qu’on ne te facefasse hommage.
CesarCésar cuide pour vrayvrai 100[100] pense pour vrai. que ja nous soyons prestesprêtes
1230D’aller, et de donner tesmoignagetémoignage des questesquêtes.
Cl.Cléopâtre
Mourons donc, chereschères soeurs, ayons plustostplutôt ce coeur
De servir à Pluton qu’à CesarCésar mon vainqueur :
Mais, avant que mourir faire il nous conviendra
Les obsequesobsèques d’Antoine, et puis mourir faudra.
1235Je l’ayai tantosttantôt mandé à CesarCésar, qui veultveut bien
Que Monseigneur j’honore, helashélas ! et l’ami mien.
--- 246r° ---
Abaisse -toytoi donc ciel, et avant que je meure,
Viens voir le dernier dueildeuil qu’il faut faire à cestecette heure ;
Peut -estreêtre tu seras marrymarri de m’estreêtre tel,
1240Te faschantfâchant de mon dueildeuil estrangementétrangement mortel.
Allons donc, chereschères soeurs ; de pleurs, de cris, de larmes,
Venons nous affoibliraffaibilit, à finafin qu’en ses alarmes
NostreNotre voisine mort nous soit ores moins dure,
Quand aurons demi fait aux esprits ouverture.
Le Ch.Choeur.
1245Mais où va dites -moymoi, dites -moymoi, damoysellesdemoiselles,
Où va ma RoineReine ainsi ? quelles plaintes mortelles,
Quel soucysouci meurdrissantmeurtrissant ont terni son beau teint ?
Ne l’avoitavait pas assez la seichesèche fiebvrefièvre atteint ?
Ch.Charmium
Triste elle s’en va voir des sepulchressépulcres le clos,
1250Où la mort a caché de son ami les os.
Le Ch.Choeur
Que sejournonsséjournons nous donc ? Suivons nostrenotre maistressemaîtresse.
Er.Eras
Suivre vous ne pouvez, sans suivre la destressedétresse.
LE CHOEUR.
LA greslegrêle petillantepétillante
Dessus les toits,
1255Et qui mesmemême est nuisante
Au verdvert des bois,
Contre les vins forceneforcène
En sa fureur,
Et trompe aussi la peine
1260Du laboureur :
N’estantétant alors contente
De son effort,
Ne met toute l’attente
Des fruits à mort.
--- 246v° ---
1265 Quand la douleur nous jette
Ce qui nous poindpoint,
Pour un seul sa sagette 101[101] flèche.
Ne blesse point.
Si nostrenotre RoineReine pleure,
1270Lequel de nous
Ne pleure point à l’heure ?
Pas un de tous.
Mille traits nous affolent,
Et seulement
1275De l’envieux consolent
L’entendement.
Faisons cedercéder aux larmes
La triste voix,
Et souffrons les alarmes
1280Tels que ces trois.
Ja 102[102] Déjà. la RoineReine se couche
PresPrès du tombeau,
Elle ouvre ja la bouche :
Sus donc tout beau.
CleopatreCléopâtre.
1285ANTOINE, ô cher Antoine, Antoine, ma moitié,
Si Antoine n’eusteût eu des cieux l’inimitié,
Antoine Antoine, helashélas ! dont le malheur me prive,
EntensEntends la foiblefaible voix d’une foiblefaible captive,
Qui de ses propres mains avoitavait la cendre mise
1290Au clos de ce tombeau, n’estantétant encore prise ;
Mais qui prise et captive à son malheur guidée,
Sujette et prisonniereprisonnière en sa ville gardée,
--- 247r° ---
Ore te sacrifie, et non sans quelque crainte
De faire trop durer en ce lieu ma complainte,
1295VeuVu qu’on a l’oeil sussur moymoi, de peur que la douleur
Ne facefasse par la mort la fin de mon malheur :
Et à finafin que mon corps de sa douleur privé
Soit au RommainRomain triomphe en la fin reservéréservé :
Triomphe, dydis-je, las ! qu’on veultveut orner de moymoi,
1300Triomphe, dydis-je, las ! que l’on fera de toytoi.
Il ne faut plus desordès or 103[103] désormais. de moymoi que tu attendes
Quelques autres honneurs, quelques autres offrandes :
L’honneur que je te fais, l’honneur dernier sera
Qu’à son Antoine mort CleopatreCléopâtre fera.
1305Et bien que toytoi vivant la force et violence
Ne nous ait point forcé d’écarter l’alliance,
Et de nous separerséparer : toutesfoistoutefois je crains fort
Que nous nous separionsséparions l’un de l’autre à la mort,
Et qu’Antoine RommainRomain en Égypte demeure,
1310Et moymoi EgyptienneÉgyptienne dedans RommeRome je meure.
Mais si les puissanspuissants Dieux ont pouvoir en ce lieu
Où maintenant tu es, fais fais que quelque Dieu
Ne permette jamais qu’en m’entrainantentraînant d’ici,
On triomphe de toytoi en ma personne ainsi ;
1315Ains 104[104] Mais. que ce tien cercueil, ô spectacle piteux
De deux pauvres amansamants, nous racouple 105[105] rassemble. tous deux,
Cercueil qu’encore un jour l’EgypteÉgypte honorera
Et peut -estreêtre à nous deux l’epitapheépitaphe fera.
« Ici sont deux amansamants qui heureux en leur vie,
1320D’heur, d’honneur, de liesse, ont leur ameâme assouvie :
Mais en fin tel malheur on les vit encourir,
Que le bon heurbonheur des deux fut de bien tostbientôt mourir ».
--- 247v° ---
ReçoyReçois, reçoyreçois -moymoi donc, avant que CesarCésar parte,
Que plustostplutôt mon esprit que mon honneur s’écarte :
1325Car entre tout le mal, peine, douleur, encombre,
SouspirsSoupirs, regrets, soucis, que j’ayai souffert sans nombre,
J’estime le plus grief ce bien petit de temps
Que de toytoi, ô Antoine, esloigneréloigner je me sens.
Le ChChoeur.
VoilaVoilà pleurant, elle entre en ce clos des tombeaux.
1330Rien ne voyentvoient de tel les tournoyanstournoyants flambeaux.
Er.Eras.
Est-il si ferme esprit, qui presque ne s’envole
Au piteux escouterécouter 106[106] Verbe substantivé : à l’écoute (c’est-à-dire en entendant). de si triste parole ?
Ch.Charmium
OÔ cendre bien heureuse estantétant hors de la terre !
L’homme n’est point heureux tant qu’un cercueil l’enserre.
Le Ch.Choeur.
1335AuroitAurait donc bien quelqu’un de vivre telle envie,
Qui ne voulustvoulût ici mesprisermépriser cestecette vie ?
Cl.Cléopâtre.
Allons donc chereschères soeurs, et prenons doucement
De nos tristes malheurs l’heureux allegementallègement.
LE CHOEUR.
PLUS grande est la peine,
1340Que l’outrageux sort
Aux amis ameineamène,
Que de l’Ami mort
N’est la joyejoie grande,
Alors qu’en la bande
1345Des esprits heurezheurés,
Esprits asseurezassurés
Contre toute dextre,
Quitte se voit estreêtre 107[107] La forme estre permet peut-être de mieux entendre la rime.
Des maux endurezendurés.
--- 248r° ---
1350Chacune Charite
Au tour de Cypris,
Quand la dent dépite
Du sanglier épris
Occit 108[108] Tua. en la chasse
1355De Myrrhe la race
Ne pleuroitpleurait si fort,
Qu’on a fait la mort
D’Antoine, que l’ire
Transmit au navire
1360De l’oublieux port.
Les cris, les plains 109[109] plaintes.
Des Phrygiennes,
EstansÉtant aux mains
Myceniennes,
1365N’estoyentétaient pas tels,
Que les mortels
Que pour Antoine
Fait nostrenotre Roine 110[110] Nous maintenons cette forme pour la rime. .
Mais ore j’ayai crainte
1370Qu’il faudra pleurer
NostreNotre RoineReine esteinteéteinte,
Qui ne peut durer
Au mal de ce monde,
Mal qui se fecondeféconde,
1375TousjoursToujours enfantant
Nouveau mal sortant :
--- 248v° ---
On la voit delivredélivre 111[111] délivrée, libérée.
Du desirdésir de vivre,
Mille morts portant 112[112] Portant mille morts. .
1380TantostTantôt gayegaie et verte
La forestforêt estoitétait,
La terre couverte
Sa CerésCérès portoitportait :
Flore avoitavait la preeprée
1385De fleurs diapreediaprée,
Quand pour tout ceci
Tout soudain voici
Cela qui les pille,
L’hyverhiver, la faucille,
1390Et la faulxfaux aussi.
Ja la douleur
Rompt la liesse,
La joyejoie, et l’heur 113[113] le bonheur.
À ma Princesse,
1395Reste le teint,
Qui n’est esteintéteint :
Mais la mort blesmeblême
L’osteraotera mesmemême.
Elle vient de faire
1400L’honneur au cercueil :
OÔ qu’elle a peupu plaire
Et deplairedéplaire à l’oeil,
Plaire, quand les roses
--- 249r° ---
Ont estéété declosesdécloses,
1405Avec le CyprésCyprès,
Mille fois aprésaprès
Baisotant la lame,
Qui semble à son ameâme
Faire les aprestsapprêts.
1410Versant la roseerosée
Du fond de son coeur,
Par les yeux puiseepuisée,
Et puis la liqueur
Que requiert la cendre :
1415Et faisant entendre
Quelques mots lachezlâchés,
Bassement machezmâchés,
Pour fin de la festefête
MeslantMêlant de sa testetête
1420Les poils arrachezarrachés.
Elle a depleudéplu,
PourceParce qu’il semble
Qu’elle n’a peupu
Que vivre ensemble,
1425Et que soudain
De nostrenotre main
LuyLui faudra faire
Un mesmemême affaire.
ACTE V
--- 249v° ---
ProculeeProculée.
OÔ JUSTE Ciel, si ce grief maleficemaléfice
1430Ne t’accusoitaccusait justement d’injustice,
Par quel destin de tes Dieux conjuré,
Ou par quel cours des astres mesuré,
A le malheur pillé telle victoire,
Qu’en la voyant on ne la pourroitpourrait croire ?
1435OÔ vous les Dieux des bas enfers et sombres,
Qui retirez fatalement les ombres
Hors de nos corps, quelle pallepâle MegereMégère
EstoitÉtait commise en si rare miseremisère ?
OÔ fierefière Terre à toute heure souillée
1440Des corps des tiens, et en leur sang touillée,
As -tu jamais soustenusoutenu sous les flancs
Quelque fureur de courages plus grands ?
Non, quand tes fils Jupiter eschellerentéchelèrent,
Et contre luylui serpentins se meslerentmêlèrent.
1445Car eux pour estreêtre exempts du droit des cieux,
Voulurent mesmemême embuscherembûcher les grands Dieux,
Desquels en fin fierementfièrement assaillis,
Furent aux creuscreux de leurs monts recueillis.
Mais ces trois -ci, dont le caché courage
1450N’eusteût point estéété mescreumécru de telle rage,
Qui n’estoientétaient point geantesgéantes serpentines,
En redoublant leurs rages femininesféminines,
Pour au vouloir de CesarCésar n’obeirobéir,
Leur propre vie ont bien voulu trahir.
1455OÔ Jupiter ! ô Dieux ! quelles rigueurs
Permets -tu donc à ces superbes coeurs ?
Quelles horreurs as -tu fait ores naistrenaître,
--- 250r° ---
Qui des nepveuxneveux 114[114] descendants pourront aux bouches estreêtre,
Tant que le tour de la machine tienne
1460Par contrepoiscontrepoids balancé se maintienne ?
DictesDites -moymoi donc, vous, brandons flamboyansflamboyants,
Brandons du Ciel toutes choses voyansvoyant,
Avez-vous peupu dans ce val tant instable
Découvrir rien de plus espouventableépouvantable ?
1465Accusez-vous maintenant ô Destins,
Accusez-vous ô flambeaux argentins :
Et toytoi EgypteÉgypte, à l’envie matineematinée,
MaudiMaudis cent fois l’injuste destineedestinée :
Et toytoi CesarCésar, et vous autres Romains,
1470Contristez -vous ; la Parque de vos mains
A CleopatreCléopâtre à cestecette heure arracheearrachée,
Et maugrémalgré vous vostrevotre attente empescheeempêchée.
Le Ch.Choeur
OÔ dure, helashélas ! et trop dure avantureaventure,
Mille fois dure et mille fois trop dure.
Pr.Proculée
1475Ha je ne puis à ce crime penser,
Si je ne veux en pensant m’offenser :
Et si mon coeur à ce malheur ne pense,
En le fermant, je luylui fais plus d’offense.
EscoutezÉcoutez donc, Citoyens, escoutezécoutez,
1480Et m’escoutantécoutant, vostrevotre mal lamentez.
J’estoisétais venu pour le mal supporter
De CleopatreCléopâtre, et la reconforterréconforter,
Quand j’ayai trouvé ces gardes qui frappoyentfrappaient
Contre sa chambre, et sa porte rompoyentrompaient :
1485Et qu’en entrant en cestecette chambre close,
J’ayai veuvu (ô rare et miserablemisérable chose !)
Ma CleopatreCléopâtre en son royal habit,
--- 250v° ---
Et sa couronne, au long d’un riche lictlit
Peint et doré, blesmeblême et morte couchée,
1490Sans qu’elle fustfût d’aucun glaive touchée,
Avecq’Avec Eras sa femme, à ses pieds morte,
Et Charmium vive, qu’en telle sorte
J’ayai lors blasmeeblâmée :« AAh aah, Charmium, est-ce
Noblement faictfait ? »« OuyOui, ouyoui, c’est de noblesse
1495De tant de Rois EgyptiensÉgyptiens venue
Un tesmoignagetémoignage. » Et lors peu soustenuesoutenue
En chancelant, et s’accrochant en vain,
Tombe à l’envers, restant un tronc humain,
VoilaVoilà des trois la fin espouventableépouvantable,
1500VoilaVoilà des trois le destin lamentable :
L’amour ne peut separerséparer les deux corps,
Qu’il avoitavait joints par longs et longs accords :
Le Ciel ne veut permettre toute chose,
Que bien souvent le courageux propose.
1505CesarCésar verra, perdant ce qu’il attentattend,
Que nul ne peut au monde estreêtre contantcontent :
L’EgypteÉgypte aura renfort de sa destressedétresse,
Perdant après son bonheur, sa maistressemaîtresse :
MesmementMêmement moymoi qui suis son ennemi,
1510En y pensant, je me pasmepâme à demi,
Ma voix s’infirme, et mon penser defautdéfaut :
OÔ qu’incertain est l’ordre de là -haut !
Le Choeur.
PEUT -on encores entendre
De toytoi troupe quelque voix ?
1515Peux -tu cestecette seule fois
De ton deuil la plainte rendre,
--- 251r° ---
VeuVu que helashélas ! tant douloureuse,
De ton support le plus fort
Tu ne remets qu’en la mort,
1520Mort helashélas à nous heureuse ?
Mais prensprends, prensprends donc cestecette envie
Sur le plus blanc des oiseaux,
Qui sonne au bord de ses eaux
La retraite de sa vie.
1525 Et en te débordant mesmemême,
DespiteDépite moymoi tous les cieux,
DespiteDépite moymoi tous leurs Dieux,
AutheursAuteurs de ton mal extremeextrême.
Non, non, ta douleur amereamère,
1530Quand j’y pense, on ne peut voir
Si grande, que quelque espoir
Ne te reste en ta miseremisère.
Ta CleopatreCléopâtre ainsi morte
Au monde ne perirapérira
1535Le temps la garantira,
Qui desjadéjà sa gloire porte,
Depuis la vermeille entreeentrée
Que fait ici le Soleil,
Jusqu’au lieu de son sommeil
1540OpposezOpposés à ma contreecontrée,
Pour avoir plustostplutôt qu’en RommeRome
Se souffrir porter ainsi,
Aimé mieux s’occire 115[115] se tuer. ici,
Ayant un coeur plus que d’homme.
Pr.Proculée.
1545Que diraydirai-je à CesarCésar ? ô l’horreur
Qui sortira de l’estrangeétrange fureur !
--- 251v° ---
Que dira-t-il de mourir sans blessure
En telle sorte ? Est-ce point par morsure
Se quelque Aspic ? AuroitAurait-ce point estéété
1550Quelque venin secrettementsecrètement porté ?
Mais tant y a qu’il faut que l’esperanceespérance,
Que nous avions, cedecède à cestecette constance.
Le Ch.Choeur
Mais tant y a qu’il nous faudra rengerranger
Dessous les lois d’un vainqueur estrangerétranger,
1555Et desormaisdésormais en nostrenotre ville apprendre
De n’oser plus contre CesarCésar méprendre,
Souvent nos maux font nos morts desirablesdésirables,
Vous le voyez en ces trois miserablesmisérables.
FIN DE LA TRAGEDIETRAGÉDIE De CleopatreCléopâtre.