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Le MalladeMalade

par Marguerite de Navarre (1535)
  • Pré-édition
  • Transcription et Modernisation : Isabelle Garnier
  • Annotation : Isabelle Garnier et Nina Hugot
  • Encodage : Nina Hugot
  • Relecture technique du XML : Milène Mallevays
  • Relecture : Nina Hugot


Notes
 
 

LES PERSONNAGES

LE MALADE LA FEMME LA CHAMBRIÈRE LE MÉDECIN

--- 80r° ---
 

LE MALLADEMALADE 1[1] Nous pouvons restituer ici une séquence 1, même si le découpage ne se trouve pas dans le manuscrit.

Ma femme, que je suis mallademalade !

Je sens au coustécôté grantgrand’ doulleurdouleur.

J’ayai le goustgoût amer, le cueurcœur faddefade.

LA FEMME

On le veoitvoit à vostrevotre coulleurcouleur :

5Mais vueillezveuillez donqdonc prandreprendre bon cueurcœur


--- 80v° ---
 

Et vous efforcer de manger.

LE MALLADEMALADE

MengerManger, qui n’a plus de saveur ?

Vous me faictesfaites vif enraigerenrager.

MengerManger ! Je vous promectzpromets, m’amyema mie,

10Que je n’ayai goustgoût nyni appetitappétit,

Et nul morceau ne sçauroissaurais myemie

AvallerAvaler, tant fust fût-il petit.

LA FEMME

Il vous faultfaut donqdonc mectremettre en ungun lictlit,

Vous y serez plus à vostrevotre aise.

LE MALLADEMALADE

15Puis qu’Puisqu’en rien je ne pransprends delictdélit,

MyeulxMieux suis ainsi, ne vous desplaisedéplaise.

LA FEMME

Où vous tient vostrevotre passion ?

LE MALLADEMALADE

Au coustécôté droit, soubssous la mamelle.

Et sens une alterationaltération,

20Qu’il n’en fut jamais une telle.

LA FEMME

La dent de sanglier blanche et belle

Vous donneraydonnerai, c’est ma coustumecoutume ;

Et d’une herbe, je sçaysais bien quelle,

Je vous ferayferai un cathaplumecataplume 2[2] Probablement une déformation comique de "cataplasme". .

LE MALLADEMALADE

25M’amyeMa mie, ce n’est pas le poinctpoint

Par où il me convient guerirguérir.

Allez bien tostbientôt, ne tardez poinctpoint,

UngUn bon medecinmédecin me querirquérir.

LA FEMME

TousjoursToujours à eulxeux voullezvoulez courir,

30Mais leur patte est trop dangereuse ;

Car l’autre jour feirentfirent mourir


--- 81r° ---
 

La fille de la proculeuse 3[3] La femme du procureur ? .

Entre nous, pouvrespauvres femmellettesfemmelettes,

Avons bien quelque experianceexpérience,

35Et congnoissonsconnaissons les herbelettes

Ainsi qu’eulxeux, par ma conscience

Pensez -vous que leur grantgrand’ science

Puisse toutes choses sçavoirsavoir ?

LE MALLADEMALADE

HaÿAïe ! Je persperds ma pasciencepatience !

40Allez tosttôt, faictesfaites bon debvoirdevoir.

LA FEMME

Et bien doncques, je le voysvais querre 4[4] chercher (cf. le moderne quérir). ,

Puis qu’Puisqu’en luylui seul vous voullezvoulez croire.

Si vouldroys voudrais-je bien, par Sainctsaint Pierre,

Qu’il fustfût hors de vostrevotre memoiremémoire,

45Car, si seullementseulement voulliezvouliez boire

Cinq germes d’oeufzœufs tant seullementseulement,

Vous verriez bien changer l’histoire,

Et guariguéri seriez seurementsûrement.

JeJ’y voysvais donqdonc pour vous satisfaire,

50Et, s’il est besoingbesoin, je j’y courraycourrai. 5[5] La femme part chercher le médecin.

LE MALLADEMALADE 6[6] On peut restituer ici le début d’une deuxième séquence.

Las ! Mon Dieu, je ne sçaysais que faire !

Je croycrois qu’à la fin je mourraymourrai.

Plus porter cecyceci ne pourraypourrai,

Car ma doulleurdouleur tousjourstoujours augmente.

55GueresGuères au monde ne demourraydemeur’rai.

Que vous en semble, ma servante ?

LA CHAMBRIERECHAMBRIÈRE

Si je j’osoysosais la veritévérité dire,

Et qu’il vous pleustplût en gré la prandreprendre,


--- 81v° ---
 

Bien tostBientôt seriez hors de martiremartyre,

60Sans au medecinmédecin vous attendre 7[7] Sans compter sur le médecin. .

LE MALLADEMALADE

Je ne sçaysais à quel sainctsaint me rendre,

Mais à tous ensemble me voue.

LA CHAMBRIERECHAMBRIÈRE

UngUn seul vous en peultpeut bien desfendredéfendre,

Qui est digne que l’on le loue.

LE MALLADEMALADE

65Qui est celluycelui qui peultpeut osterôter,

Comme vous dictesdites, tous mes maulxmaux ?

LA CHAMBRIERECHAMBRIÈRE

C’est ungun, si le pouvez goustergoûter,

Qui feroitferait valloirvaloir vos travaulxtravaux,

Et jamais plus n’yrieziriez aux faulxfaux

70MedecinsMédecins, vous y confiant,

Mais malladyemaladie et ses assaulxassauts

Avec luylui iriez desfiantdéfiant.

LE MALLADEMALADE

Qui est ce sainctsaint ? qui peult peut-il estreêtre ?

Je vous prie, nommez -le moy-moi.

LA CHAMBRIERECHAMBRIÈRE

75C’est le sainctsaint des sainctzsaints, le grantgrand maistremaître

Qui sanctifie pappepape et royroi.

C’est Dieu, lequel fermement croycrois

Que tous vozvos maulxmaux vous ousteraôtera

QuantQuand, par une assurée foyfoi,

80VostreVotre cueurcœur là s’arresteraarrêtera.

Y a -t-il medecinmédecin plus saigesage

Que Dieu, ou meilleur, ou plus doulxdoux,

NeNi qui tant aymeaime humain lignaigelignage,

NeNi si puissant – m’entendez -vous ?

85NeNi qui aytait sousfertsouffert tant de coups,


--- 82r° ---
 

NeNi la mort, pour vous rendre sain

Et pour tirer dehors des loups

VostreVotre ameâme et la mectremettre en son sainsein ?

Si à lui tout droictdroit vous allez

90LuyLui compterconter vostrevotre pouvrepauvre affaire,

Et que franchement vous parlez

Ainsi qu’un bon chrestienchrétien doit faire,

SoubdainSoudain vous sentirez deffairedéfaire

Le lyenlien par qui tant souffrez,

95Et, s’il ne luylui plaistplaît ainsi faire,

A souffrir pour luylui vous offrez.

Si vous regardiez vos merittesmérites

Et vozvos pechezpéchés bien clairement,

VozVos doulleursdouleurs trouveriez petittespetites

100Au prisprix de vostrevotre jugement.

MectezMettez en vostrevotre entendement

Que riensrien il ne vous appartient

Que peine, doulleurdouleur et tourment,

Et que pechépéché en mal vous tient.

105Mais en regardant ce pechépéché

Et vous consentant à la peine,

SoubdainSoudain en seriez destachédétaché

Par une gracegrâce souveraine

Qui du porfondprofond d’Enfer ramaineramène

110L’ameâme qui est humiliée,

La rendant claire, belle et seinesaine,

Et de tout pechépéché deslyéedéliée.

Mon maistremaître, mectezmettez tout à rien

VostreVotre desirdésir et vouluntévolonté.

LE MALLADEMALADE

115En bonne foyfoi je congnoisconnais bien

Que de Dieu vient toute santé :


--- 82v° ---
 

Mon cueurcœur s’est si fort contantécontenté

De vous oyrouïr de luylui parler,

Que le mal qui m’a tourmenté

120J’ayai sentysenti tout soubdainsoudain aller.

ParquoyPar quoi en ces plaisansplaisants propozpropos

Il est temps que je me repose.

LA FEMME 8[8] Le Mallade et la Chambrière sortent. On retrouve alors la femme, une fois qu’elle a rejoint le médecin. Nous proposons donc l’ouverture d’une nouvelle scène ou séquence.

, au medecinmédecin.

HellasHélas, Monsieur, mon bon espouxépoux

Par moymoi sa doulleurdouleur vous expose.

125Tant mal est que dire ne l’ose :

S’il vous plaistplaît de le venir veoirvoir.

LE MEDECINMÉDECIN

Ma commerecommère, vouldroisvoudrais savoir

Quel mal il a.

LA FEMME

SoubzSous le tetintétin.

LE MEDECINMÉDECIN

QuantQuand lui print prit-il ?

LA FEMME

Ce fut arsoirhier soir,

130Mais il ne s’est plainctplaint qu’au matin.

Monseigneur, bien que du latin

Vous ayez parfaicteparfaite science,

ArsoirHier soir m’apprintapprit la grantgrand’ Cathin

Une bien bonne experianceexpérience :

135Monsieur, de merde d’un tout blanc

Pigeon, me dictdit que bon bruvaigebreuvage

J’en feissefisse, qui ne coustecoûte ungun blanc 9[9] Un blanc est une pièce d’argent, qui vaut cinq deniers, c’est-à-dire peu. ,

Et si ne peultpeut faire dommaigedommage.

LE MEDECINMÉDECIN

Par ma foyfoi, vous n’estesêtes pas saigesage,

140Et vostrevotre commerecommère tant pouc 10[10] aussi peu. Nous maintenons cette forme pour la rime.

Car la façon de ce potaigepotage

Est deffenduedéfendue en Languedoc.


--- 83r° ---
 

Or, puis quepuisque je suis en la voyevoie,

Bien tostBientôt remedderemède y donneraydonnerai,

145Mais premier faultfaut que je le voyevoie,

Puis de son cas j’ordonnerayordonnerai.

Mais vous et autres garderaygarderai

Que vous n’y mectezmettiez jà la patte :

Ou congé je demanderaydemanderai,

150Laissant aller au lard la chatte.

LA FEMME 11[11] On suppose que la femme et le médecin se sont déplacés pour rejoindre le devant de la maison. On retrouve alors la chambrière. Nous proposons donc l’ouverture d’une quatrième séquence.

VoicyVoici l’huyshuis de nostrenotre maison.

Et puis, que fait fait-il, chambrierechambrière ?

LA CHAMBRIERECHAMBRIÈRE

Il a dormydormi longue saison,

Sans se plaindre en nulle manieremanière.

LA FEMME

155Ce seroitserait guarisonguérison planiereplénière

S’il prenoitprenait ainsi son repos.

LE MEDECINMÉDECIN

Le parler icyici ne vaut gueresguère.

Entrons que je touche son poulxpouls.

IcyIci touche le poulxpouls, et le mallademalade s’esveilleéveille.

LE MALLADEMALADE 12[12] Le malade rejoignant le dialogue, une nouvelle séquence, la dernière, s’ouvre ici.

Qui est cella-ce là ?

LE MEDECINMÉDECIN

C’est moymoi, mon comperecompère,

160Qui viens pour santé vous donner.

LE MALLADEMALADE

Je ne vous voyoisvoyais pas, mon perepère :

Plaise -vous le me pardonner.

Las, je sens mon mal retourner,

Que m’avoitavait oustéôté le dormir.

165En ungun lieu ne puis sejournerséjourner.

Il me faut suer et gemirgémir.


--- 83v° ---
 

LE MEDECINMÉDECIN

Mon amyami, nous vous guarironsguérirons,

Nous n’aurons plus gueresguère de mal.

Avez -vous mangé potirons

170PrinsPris auprès de fer ou metalmétal ?

Va poinctpoint trop dur vostrevotre cheval ?

Avez -vous prinspris froictfroid ou bruynebruine ?

Çà, baillez -moymoi cestecet urinal,

Que je regarde son uryneurine.

Il regarde, et puis dictdit

175VrayementVraiment, nous sommes beaucoup mieuxmyeulx,

CompereCompère, que je ne pensoispensais.

Notre uryneurine est bonne, et noznos yeulxyeux

Bien clairs. Or, pour parler françoysfrançois 13[13] Nous maintenons cette forme pour la rime. ,

SeignerSaigner il vous fauldrafaudra, ainçoysainçois 14[14] avant.

180Que de prandreprendre autre medecinemédecine,

Car, si autrement commençoiscommençais,

MedecinMédecin seroisserais trop indigne.

LE MALLADEMALADE

Las, je crains tant cestecette seignéesaignée

Et veoirvoir ainsi mon sang respandrerépandre,

185Que ma peau est toute baignée

De sueur. Je n’y puis entendre.

LE MEDECINMÉDECIN

ResolutionRésolution vous faultfaut prandreprendre.

QuoyQuoi ! Vous avez si bon esprit,

Et faictesfaites comme ungun enfant tendre,

190Qui de crainte veinevaine peritpérit !

LA FEMME

, au médecin.

Monsieur, sans seignersaigner, j’en ayai veuvu

Qui sont guarizguéris parfaictementparfaitement,

Pour avoir ungun breuvaigebreuvage beubu

De justjus de pavot seullementseulement.


--- 84r° ---
 

LE MEDECINMÉDECIN

195Vous me troublez l’entendement.

Taisez -vous, folle que vous estesêtes !

D’icyici au jour du Jugement,

N’y auroictaurait fin en vozvos receptesrecettes.

Je ne veizvis jamais malladyemaladie,

200Tant difficile en soit la cure,

Que quelque femme à l’estourdyeétourdie

Mille remeddesremèdes n’y procure,

Et s’il advient, par adventureaventure,

Que quelcunquelqu’un en puisse guarirguérir,

205Cent mil, ignoransignorant leur nature,

De cestecette herbe font mourir. 15[15] Il faut prononcer le "e" final de "ceste/cette", sinon le vers est fautif.

Or bien, avec l’appothicaireapothicaire,

VostreVotre cas je voysvais ordonner

Ce qu’il vous conviendra faire 16[16] Il faut faire la diérèse sur con-vi-en-dra.

210Pour à vous soubdainsoudain retourner.

LA FEMME

Monsieur, pour plus ne sejournerséjourner,

Declairez Déclarez-moymoi vostrevotre ordonnance.

Pour le mallademalade n’estonnerétonner,

Ne bougez poinctpoint de sa presenceprésence.

LE MEDECINMÉDECIN

215Vous n’entendez goumesgommes nyni herbes :

ParquoyPar quoi ne les vous veulxveux nommer.

LA FEMME

Si ayai-je bien leulu les ProuverbesProverbes

Et le VoyaigeVoyage d’oultreoutre-mer.

Puis ne debvezdevez ainsi blasmerblâmer

220NozNos recettes et noznos moyens,

Mais les debvezdevez bien estimer,

Car ilzils viennent des BoumyensBoumiens 17[17] Les Bohémiens. .

Or escripvezécrivez tout doulcementdoucement,


--- 84v° ---
 

Qu’il vous plaistplaît que mon marymari facefasse :

225Il fera tout entieremententièrement,

Car vous estesêtes trop en sa gracegrâce.

Aussi d’ouyrouïr ne serayserai lasse

Tout ce qu’il vous plaira me dire.

Or, s’il vous plaistplaît, en cestecette place,

230VueillezVeuillez pour son affaire escripreécrire.

LA CHAMBRIERECHAMBRIÈRE

18[18] S’engage ici un dialogue en aparté entre le malade et la chambrière.

Mon maistremaître, que vous dictdit le cueurcœur ?

Qu’avez -vous aux hommes trouvé ?

Le medecinmédecin est -il vainqueur

Du grantgrand mal qu’avez esprouvééprouvé ?

LE MALLADEMALADE

235Non, mais j’ayai tresbientrès bien approuvé

Que le mal fuytfuit par pasciencepatience,

Lequel bien tostbientôt j’ayai retrouvé,

Me confiant à sa science.

LA CHAMBRIERECHAMBRIÈRE

DonqueDoncques, puis quepuisque vous congnoissezconnaissez

240D’où tout le bien vous peultpeut venir,

Tous faulxfaux remeddesremèdes delaissezdélaissez

Pour au seursûr et vrayvrai vous tenir.

La foyfoi vous fera maintenir

Et sain et joyeulxjoyeux en tout temps.

245Si vous y pouvez parvenir,

Vous serez du rancrang des contanscontents.

Si en vous pouvez concepvoirconcevoir

Que Dieu est vostrevotre seulleseule vyevie,

BesoingBesoin vous n’aurez d’y pourveoirpourvoir

250NeNi peur qu’elle vous soit ravyeravie,

NyNi n’aurez desirdésir nyni envyeenvie,

De malladyemaladie nyni santé.


--- 85r° ---
 

CesteCette vie poinctpoint ne desvyedévie

Quoy queQuoique le corps soit tourmenté.

255Tous joursToujours vous vous tourmenterez,

Ne regardant que vostrevotre corps.

Jamais ne vous contanterezcontenterez

Que ne soyez au rancrang des morts,

Mais vous aurez repos alors

260Quand à vous mesmes-même serez mort.

Lors seront en paix les discords

Par ungun doulxdoux et nouvel accord.

Pour ce que l’âme humiliée

En congnoissanceconnaissance de son riensrien,

265EstantÉtant de son corps deslyéedéliée,

Qu’elle estime moingsmoins que fiens,

SoubdainSoudain remplyeremplie de tous biens

Sera, et reunyeréunie en Dieu,

Si fort lyéeliée à ses lyensliens

270Que le diable n’y aura lieu.

Or, quantquand vous serez depeschédépêché

Du mallinmalin et de ses tourmenstourments,

VostreVotre mal, qui vient de pechépéché,

DesnuéDénué de ses vestemensvêtements

275Verrez, et tous ses instrumensinstruments

BruslerBrûler au feu de charité :

À l’heure sçaurezsaurez si je mentsmens,

Car sainctsaint serez en veritévérité.

LE MALLADEMALADE

À vostrevotre parler me consens,

280Possible n’est d’y contredire :

Je le croycrois ainsi et le sens

Tant, que je persperds tout mon martiremartyre.


--- 85v° ---
 

OÔ Dieu, qui pour veritévérité dire

VostreVotre filzfils nous avez transmis,

285HeureulxHeureux est qui seul vous desiredésire

Et en vous seul son cueurcœur a mis !

19[19] Fin de l’aparté : la femme et le médecin reviennent, une fois l’ordonnance rédigée, dans le dialogue.

LE MEDECINMÉDECIN

VoylàVoilà par escritécrit vostrevotre cas.

Je m’en voysvais jusques à demain.

Or sus, baillez moy-moi les ducatzducats. 20[20] Donnez-moi l’argent.

LA FEMME

290Voy les cyLes voici, tendez moy-moi la main.

LE MALLADEMALADE

Monsieur, ce seignersaigner inhumain

Pour riensrien je ne veulxveux endurer.

LE MEDECINMÉDECIN

Si ferez.

LE MALLADEMALADE

Monsieur, je suis sain;

GrantGrand mal ne peultpeut tousjourstoujours durer.

LE MEDECINMÉDECIN

295Si tosttôt guarirguérir ungun plureticquepleurétique

Sans grande evacuationévacuation,

Je n’ayai poinctpoint veuvu en ma pratique.

N’avez-vous plus de passion ?

LE MALLADEMALADE

Non, mais de consolation

300J’en ayai assez pour vous en vendre.

LE MEDECINMÉDECIN

VostreVotre dictdit n’est que fiction,

Car la seignéesaignée vous faultfaut prandreprendre.

LE MALLADEMALADE

Touchez mon poulspoulx, mon bon comperecompère ;

Voyez en quel estatétat je suis.

LE MEDECINMÉDECIN


--- 86r° ---
 

305Il n’y a fiebvrefièvre qui m’appere 21[21] qui m’apparaît. :

CecyCeci entendre je ne puis 22[22] Je ne peux pas le comprendre. .

UngUn rien n’y a qu’estiezétiez au puits

De doulleurdouleur, dont j’estoysétais marrymarri :

Je n’ayai faictfait que passer cestcet huis 23[23] cette porte. ,

310Et je vous treuvetrouve tout guaryguéri !

Quelque herbe luylui avez baillée 24[24] Vous lui avez donné quelque herbe. :

Dictes Dites-le -moymoi, ne le cellezcelez 25[25] ne le cachez pas.

LA FEMME

VrayementVraiment je n’en suis pas taillée,

VeuVu qu’ainsi folle m’appellezappelez.

LE MEDECINMÉDECIN

315Qu’avez -vous faictfait, amyami, parlez.

LE MALLADEMALADE

RiensRien dont je puisse avoir memoiremémoire.

Mais tous mes maulxmaux s’en sont allezallés,

SeullementSeulement pour fermement croire.

LE MEDECINMÉDECIN

Ha pedieupardieu, il y a du charme,

320Ou parolesparolles, ou escripteaulxécriteaux 26[26] Des formules magiques ou sorts, prononcés à l’oral ou écrites. .

LE MALLADEMALADE

Non a, non, c’est ungun propozpropos ferme,

Qui sert plus quequ’herbes neni tourteaulxtourteaux.

LE MEDECINMÉDECIN

ChambriereChambrière, ces cas nouveaulxnouveaux

ViendroientViendraient ilz-ils poinctpoint de vostrevotre testetête ?

LE MALLADEMALADE

325CompereCompère, non. Les siens sont beaulxbeaux,

NyNi à nul charme ne s’arrestearrête.

La chambrierechambrière rit.

LE MEDECINMÉDECIN

Voyez -vous ce visaigevisage fainctfeint,

Qui en derrierederrière faictfait la moue ?


--- 86v° ---
 

Ha, je mectraymettrai qu’à quelque sainctsaint

330L’a voué, comme femme voue.

Mes quatre doidzdoigts dessus sa joue

LuyLui viendroientviendraient ilz-ils pas bien à poinctpoint ?

LA CHAMBRIERECHAMBRIÈRE

Monsieur, le medecinmédecin l’on loue,

QuantQuand il guaristguérit. Ne faict fait-on poinctpoint ?

LE MEDECINMÉDECIN

335Vous l’avez donqdonc guaryguéri, villainevilaine,

Par vostrevotre bel enchantement ?

LA CHAMBRIERECHAMBRIÈRE

Il est guaryguéri, j’en suis certaine,

Mais je ne sçaysais quoyquoi neni comment.

LA FEMME

GuaryGuéri est, mais dictesdites vrayementvraiment

340Que vous luylui avez donné. 27[27] Une syllabe semble manquer ici, sauf à faire la diérèse sur lui.

LA CHAMBRIERECHAMBRIÈRE

Rien, sinon ungun enseignement,

Ainsi que Dieu l’a ordonné.

LA FEMME

EsseEst-ce à dire une patenostrepatenôtre ?

Ou à faire chanter des messes ?

LA CHAMBRIERECHAMBRIÈRE

345CesteCette recette va plus oultreoutre,

Car ousterôter peultpeut toutes tristesses.

LA FEMME

Qu’esseest-ce ?

LA CHAMBRIERECHAMBRIÈRE

Se fier aux promesses

De CelluyCelui qui jamais ne ment.

LE MEDECINMÉDECIN

350Qui vous a apprinsappris ces haultesseshautesses

Et ce gentil jargonnement ?

Ce sont parollesparoles d’enchanteurs,


--- 87r° ---
 

Parler ainsi par parabollesparaboles.

Nous avons de saigessages docteurs

355Qui ont fréquenté les escollesécoles.

IlzIls nous servent de prothocollesprotocoles ;

Ceulx Ceux-là nous debvonsdevons escouterécouter.

LA CHAMBRIERECHAMBRIÈRE

Mais, s’ilzils disent folles parollesparoles,

Font mal les femmes de doubterdouter ?

LE MEDECINMÉDECIN

360Regardez comme elle respondrépond !

Va, va mener tes oysonsoisons paistrepaître

Et veoirvoir si la gelinegéline 28[28] poule. pontpond.

C’est le lieu où il te faut estreêtre.

Pendre à corde ou à chevestrechevêtre

365L’on te doit.

LA CHAMBRIERECHAMBRIÈRE

Mais je m’esbahisébahis

Comme ceulxceux qui rient du maistremaître

VeoirVoir sain, sont de vous tant haÿshaïs.

LE MEDECINMÉDECIN

Or, le feu sainctSaint Antoine-Antoine t’arde !

J’en suis bien plus joyeulxjoyeux que toytoi.

LA FEMME

370Monsieur, laissez cestecette coquarde.

Mais je vous requiers, dictesdites moy-moi :

PeultPeut ungun homme par seulleseule foyfoi

GuarirGuérir sans prandreprendre medecinesmédecines ?

LE MEDECINMÉDECIN

OuyOui, vrayementvraiement 29[29] Ici nous avons besoin du -e- pour que le vers soit complet. , car je croycrois

375Que Dieu faictfait miracles et signes :

C’estoitétait du temps de JesuchristJésus-Christ

Que tout chascunchacun il guarissoitguérissait.


--- 87v° ---
 

Mais de nous dit le sainctsaint EscriptÉcrit

Que le medecinmédecin, quel qu’il soit,

380FaultFaut honnorerhonorer. PoinctPoint ne deçoitdéçoit

Salomon, duquel par la bouche

La veritévérité de Dieu yssoitissait. 30[30] sortait.

À nostrenotre honneur nullyque nul ne touche.

Dieu, voyant que sa creaturecréature

385Sans malladyemaladie ne peultpeut vivre,

Nous fistfit aÿdeaide de Nature 31[31] Pour que le vers soit juste, il faut en théorie prononcer a-ï-de. ,

Par qui de mal elle est delivredélivre.

Et cestecette science en maint livre

Nous ont laissée noznos docteurs,

390Si sçavanssavants que qu’ungun homme est bien yvreivre

Qui veultveut reprandrereprendre telztels aucteursauteurs.

Les receptesrecettes dont vous usez

Sont bonnes, elles viennent de nous 32[32] Le vers est faux : il faudrait donc ajouter une apocope ("bonn’", ou "ell’") pour rétablir l’octosyllabe. .

ToutesfoisToutefois vous en abusez,

395Car vous voulez bailler 33[33] donner. à tous

Ce qui est pour ungun, oyez -vous.

Or gardez que nul appareil,

BruvaigeBreuvage, amer ou aigre doulx-doux,

Ne baillez sans nostrenotre conseil.

400Et vous, la belle chambrierechambrière,

Qui faictesfaites icyici la bigottebigote,

Et puis vous venez en derrierederrière

Louer vostrevotre oraison devottedévote,

UngUn charme c’est, je le denottedénote.

405Si prinspris l’a ton maistremaître, il mourra.

LE MALLADEMALADE

S’il ne laisse sa gloire sotte,

UngUn grantgrand ignorant demourrademeur’ra.

LE MEDECINMÉDECIN


--- 88r° ---
 

CompereCompère, si le mal revient,

Ne tenez plus les yeulxyeux bandezbandés :

410Lisez cestcet escriptécrit qui contient

VostreVotre santé ; or l’entendez.

QuantQuand vous vouldrezvoudrez, si me mandez,

À venir serayserai diligent.

Santé avez, que pretendezprétendez.

415Et moymoi j’en emporte l’argent.

LE MALLADEMALADE

VrayementVraiment, il a bien besongnébesogné

De ressusciter ungun vivant.

LA FEMME

Si a ila-t-il le ducat gaignégagné

Pour escripreécrire en homme sçavantsavant.

LE MALLADEMALADE

420M’amyeMa mie, ce n’est plus que vent

De toute humaine oppinionopinion.

Plus ne veulxveux qu’estreêtre observant

Le bien, dont foyfoi faictfait l’unyonunion.

Ma femme, ne voyez -vous pas

425Que l’homme veultveut que l’on l’adore,

Et comme parle par compas

Ce medecinmédecin que l’on honnorehonore ?

Mais que les deux mains l’on luylui dore

Souvent reviendra en ce lieu :

430Mais je croycrois qu’il vouldroitvoudrait encoresencore

Que l’on creustcrût en luylui comme en Dieu.

Mais puisque, sans ungun seul moyen,

Dieu m’a mis hors de tout danger,

À luylui seul, où gistgît tout mon bien,


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435DoresnavantDorénavant me veulxveux rengerranger

Sans jamais ce propozpropos changer,

En priant à tous chrestienschrétiens

En CelluyCelui, d’où ne veulxveux bouger,

Tenir telle foyfoi que je tiens.