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MedeeMédée
- Edition de Nina Hugot
- Transcription, Modernisation, Annotation et Encodage : Nina Hugot
- Relecture : Nina Hugot, Milène Mallevays, Julien Muller et Isabelle Pignone
La
Médée, Tragédie.
et autres diverses
Poésies, par I.J. de
La Péruse.
L’homme est forcé par la Parque, la Mort
Par les écrisécrits : mais le puissant effort
Du Temps vainqueur, les écrisécrits mesmemême force.
L’IMPRESSION, plus forte que pas un
Force le Temps, qui forceoitforçait un châcunchacun
RandantRendant égalleégale aux immortels la force.
À Poitiers,
Par les MarnefzMarnefs, et BouchetzBouchets, frères.
1555
--- Aiv° ---
Marc Anthoine de Muret 1
Bons DieusDieux, qu’est-ce que j’oi 2 ? quel éclatant tonnerre
Vient étonner mes sens, plus fierementfièrement grondant
Que celui qui s’émeut quand de son foudre ardant
Jupiter acablaaccabla les enfansenfants de la Terre ?
Mais quel homme ou quel Dieu voivois-je qui si grand erre 3
Un char tout emperlé par le Ciel va guidant ?
Et quelle est ceste femme horrible regardant,
Qui d’un glaive émoulu deusdeux enfançons enferre ?
Celui (me dit Foebus) qui se sied triumphanttriomphant,
C’est ton grand La Peruse, et celle échevelée
Qui le suit pas à pas, MedéeMédée Tu’enfant ;
Par les vers Perusins ores renouvelée :
Et voici le rameau verdoïantverdoyant que j’aprêteapprête,
Pour de ton La Peruse environner la tête.
--- Aii ---
G. BOUCHET À J. BOICEAU,
Seigneur de la Borderie 4
C’EST UN dire assésassez vulgaire, que les choses precieusesprécieuses communément sont rares : et cela vraiment se trouve vrai en beaucoup d’endroits, mais principalement en l’amitié, cellecette amitié didis-je, qui meritemérite le nom de vraie. Beaucoup aiment, mais peu aiment parfaitement. CeusCeux qui aiment en la personne, le corps ou les biens, qui sont beaucoup) quand par la Mort ou par quelque accidantaccident ilzils perdent ou bien la veuevue du corps, ou bien le moienmoyen d’en pouvoir plus avoir, ils perdent aussi par même moienmoyen toute leur belle amitié : mais ceusceux qui ont fondé leur amour sur le seul esprit (qui sont bien peu) ils ont une telle affection que la Mort n’iy sauroitsaurait mordre. J’ai fait tout ce petit discours, pour tomber sur le propos de nous, et de feu J. de la Peruse : car je puis dire sans vanterie, que si d’aucun de nous lui haa êté porté quelque amitié, elle haa êtéété de cêtecette façon dont j’ai parlé au dernier lieu, veuvu que jamais elle ne s’est tant montrée durant sa vie
--- Aiiv° ---
(bien que par avantureaventure il ne l’aieait passée sans recevoir de nous quelque plaisir) comme nous l’avons evidemment témoignée apresaprès sa mort. C’étoitétait peu que nôtrenotre Peruse eût emploiéemployé son bon esprit à entreprendre beaucoup de beausbeaux ouvrages, si apresaprès sont trépas, trop subit, tous ses monumensmonuments fussent demeurés tumultueusement enclos dedans un avaricieusavaricieux coffre, sans que vous eussiéseussiez emploiéemployé peine à ramasser en un ce qui étoitétait confusément épandu, et à decouvrir ce qui nous étoitétait caché, qui joignésjoignez tant heureusement à la severesévère sciancescience des LoisLoix, les Muses plus douces, comme vous avésavez fait apparoistreapparaître par vos escritsécrits. Or la peine que vous avésavez prise, correspondante à l’amitié que portiésportiez à la Peruse, à ce que ses œuvres fussent mises en lumierelumière 5 , et reduictesréduites en tel estatétat qu’elles fussent dinesdignes d’estreêtre leueslues, doibtdoit suffire pour la recommendationrecommandation de l’ouvrage. Et ne veoivois point pourquoi on se doibvedoive travailler d’avantagedavatange : car pour qui seroitserait-ce ? Pour les bons esprits ? Et qui ne sçaitsait qu’on leur feroitferait tort, veuvu qu’euseux-mêmes par la lecture du Livre pourront cognoistreconnaître ce qui en est. Pour les ignoransignorants ? Et qui ne sçaitsait que ce seroitserait perdre son ancre, veuvu qu’à l’endroit de telles gens, ce qui est le mieusmieux fait, est tousjourstoujours
--- Aiii ---
le moins bien venu. ParquoiPar quoi appuiéappuyez dessus vôtrevotre advisavis et jugement, et veuvu l’amitié qu’il m’a portée, comme il appertapparaît par ses escritsécrits, n’ai voulu lui deffaillirdéfaillir, en adjoustantajoutant mon labeur au vôtre, tel qu’un chascunchacun sçaitsait, par le moienmoyen duquel Peruze reçoit un tel bien-fait, que sa vie esteinteéteinte est ravie. Ce que j’ai bien voulu tesmoignertémoigner par cestecette EpistreÉpître. PremierementPremièrement, afin qu’on entende combien nous doibtdoit la Peruse : et que si quelques uns prenentprennent profit ou plaisir à lire ses œuvres, ils sachent à qui en rendre le deudû grand merci : secondement, afin que quiconque lira ceci, il prenne esempleexemple sur la Peruse, et ce pendant qu’il lui est permis, il se depeschedépêche de perfaireparfaire ce que même devant le coup le puisse vangervenger des outrages de la trop incertaine Mort, et arracher vif du Tombeau.
L’ARGUMENT DE LA TRAGEDIETRAGÉDIE
MedéeMédée abandonnée de son Jason, se prit à faire de si furieuses menaces, qu’elle donna occasion au Roi Creon de la banirbannir. Impatiente de déloger sans se voir vangéevengée, tant fait envers le Roi, qu’elle impetreimpètre 6 le delaidélai d’un petit jour, pour pourvoir à son departdépart, et durant ce jour charme, par son art, une riche couronne, qu’elle avoitavait choisie entre ses joiausjoyaux pour en faire un presentprésent à Glauque, faignantfeignant de ce faire en intention qu’elle traitasttraitât plus humainement ses EnfansEnfants qu’elle laissoitlaissait en ce lieu. La pauvre nouvelle épouse à peine s’en étoitétait parée, qu’elle et son PerePère, qui s’étoitétait approché pour la secourir, avec tout leur Palais, se prenentprennent à brûler ; MedéeMédée poursuivie par les armes de Jason, apresaprès avoir en sa presenceprésence cruellement mis à mort les deusdeux EnfansEnfants qu’elle avoitavait eu de lui, se sauve parmi l’air en un Chariot à ailes, que le Soleil son aieul lui avoitavait envoiéenvoyé.
--- Aiiiv° ---
N. L. R De la BoiciereBoicière 7
Peruse discourant en sa Tragique histoire,
Or âpre, ore piteuspiteux, Médée et sa fureur,
Jason et sa pitié, se traçoittraçait un honneur
Qui déjà l’enserroitenserrait au sein de la MemoireMémoire :
Mais son œuvre entrepris, et sans fruit et sans gloire
DemouroitDemeurait imparfait, si ton docte labeur,
Cher mignon des neuf Sœurs, d’une vive couleur
N’eût embelli l’obscur de sa trassuretraçure noire.
Qu’as tu donc fait, Scevole, achevant cet ouvrage ?
Que Peruse revit, revangérevengé de l’outrage
Qu’il receutreçut de la Mort : assuré, maugrémalgré elle,
Qu’il revivra par toi heureusheureux et immortel,
Toi par un mémemême fait ransrends ton lozlos 8 eterneléternel :
Ainsi donc de vous deusdeux soit la vie immortelle.
Mort, ou merci.Ch. Toutain 9
Comme saigneuse encor ma plume je tiroistirais
De la parjureperjure mort du couronnécolonel Atride 10 :
Et de la serve avec Sibile Priamide
Par la divine ardeur leurs meurtriers j’épeuroisapeurais,
Pour tirer de l’oubli du vainqueur des AngloisAnglais
Le tragique dépit sussur sa femme homicide,
Des larmes de laquelle est encore humide
Le Mans, son monastere, et la Pleureuse-croiscroix :
Je voivois sussur le Tombeau du fameusfameux la Peruse,
Implorer, avortive, une Tragique Muse
Le vent d’un Sainte-Marthe à son vol aspiré :
Sans toi, mieusmieux m’eût valu enterrant, ce dit elle,
Au cercueil de ses os son Cothurne esperéespéré,
Vivre plus que par moi par mon bruit immortelle.
--- Aivr° ---
R. Maiss. 11
Quand les fizfils de la Terre armerentarmèrent tous leurs bras
Contre les fizfils du Ciel, de leur lance rebelle,
Mortels ils pensoientpensaient bien avoir gloire immortelle,
Et dessus les trois monts couronner leurs combascombats :
Quand Jupin foudroïantfoudroyant les culbuta en bas,
Il faut, dit-il, avoir une meilleure échelle
À celui la qui veût colercoller une bonne aeleaile
À son nom, pour vollervoler immortel au trépas.
Mais or montant au Ciel, crains tu point, mon Scevole,
Tomber comme euseux ? non, non, car ta plume dorée
Te tient pour iy monter une échelle assurée,
E’crivant ja ton nom dans l’un et l’autre PolePôle :
Laisse moi donc la lance, et pranprends au gré des DieusDieux
La plume, qui te trace un chemin dans les CieusCieux.
JA. Bouchet 12
Je t’ai taillé Peruse, un tombeau eterneléternel
Dans mon Imprimerie, et là la Muse mienne,
La muse imprimerie a ravivé la tienne,
Qui te font l’une et l’autre à jamais immortel.
Ton tombeau, c’est ton Livre, et peu en ont de tel,
Et peu ont meritémérité la Presse Musienne
Comme toi, qui as fait d’une facile veine
Maintenant Amour dousdoux et maintenant cruel.
Tu ne seras pressé de la charg’antechargeante 13 pierre :
Ton tombeau volera parmi toute la terre,
Qu’a l’envienvie un châcunchacun voudra voir et revoir.
Et j’iy avoisavais pansépensé graver ta TragedieTragédie
En sanglant vermillon, signe de la furie,
Mais mon deüildeuil n’a permis iy mettre que du noir.
G. Bouchet
Ton sanglant échafautéchafaud, Peruse, autant m’étonne
Que les coins martelés du bourdonnant tonnerre,
Trançonnans 14 les GeansGéants ausaux DieusDieux faisansfaisant la guerre,
Quand Jupin leur rampartrempart superbe demassonnedémaçonne.
Et Medee ses vers charmés si haut cleronneclaironne
Qu’ils semblent au canon qui chargé se desserre :
Puis je la voivois pleurer quand ses fizfils elle enserre,
Tout ainsi que tu faits lors qu’Amour t’époinçonne.
ConteComte Alsinois 15 , qui peuspeux les ombres avier 16 ,
Comme au vif pourras-tu Peruse enfurier,
Et nous le paindrepeindre aimant mignardant sa geolieregeôlière ?
Et horribler si fort le visage à Médée,
Qu’il ne sis’y puisse veoirvoir de pitié quelque idée,
VeuVu qu’ell’tue ses fizfils, se vang’antvengeant de leur perepère ?
L’un apresaprès l’autre.SONETSONNET PAR R. MAISSONNIER.
Jason voïantvoyant déjà se lever le donjon
De ChorinteCorinthe, et Colchos se cacher en nuée,
Médée il veûtveut quiter, mais elle échevelée
Invoquant en un cerne enchante une poison,
Qui en cendres fait cheoirchoir et Creuse et Creon :
Puis sacquant par trois fois la dague redressée
MeurdritMeurtrit 17 ses deusdeux enfansenfants, et apresaprès pourchassée,
Elle s’en fuitenfuit en l’air, vangéevengée de Jason.
La Peruse dépuisdepuis trompetanttrompettant la victoire,
Des Grecs Arge-Nochers, hausse encore la voile
D’Argon, et de ses vers, pour la marine étoile,
Il la guide en la Mer de l’immortelle gloire.
N’eût été la Peruse ils avoientavaient beau ramer,
Leur Nom eût demeuré ausaux borsbords de l’autre Mer.
Les personnages
Médée La Nourrice Le Messager Le Choeur Le Gouverneur Créon Jason--- 1 ---
LA MEDEEMÉDÉE DE J. DE LA PERUSE
ACTE PREMIER
MEDEEMÉDÉE
DieuxDieus, qui avezavés le soin des lois de mariage 18 ,
Vous aussi qui bridezbridés des vents émusvans émeus la rage,
Et quand libres vous plaîtplaist les lâcher sur la Mer,
Faites hideusement flots sur flots écumer :
5Dieu vengeurvangeur des forfaitsforfets, qui raidementroidement desserres 19
Sur le chef desdês méchantsméchans testês éclatantsesclatans tonnerres 20 ;
Dieu qui, chassant la nuit, testês clairs rayonsraïons épars
Dessus tout l’univers, luisantsluisans de toutes partspars 21 :
Dieu des profondsprofons manoirs 22 , toi, sa chèrechere rapine 23 ,
10Coupable de mes mauxmaus, déesse Proserpine ;
Vous, ô DieuxDieus, que jura le parjureperjure Jason,
Par moi, méchante, hélashelas! seigneur de la Toison :
Je vous attesteateste 24 tous, tous, tous je vous appelleappele
Au spectacle piteuxpiteus 25 de ma juste querellequerele 26 .
15Et vous ombres d’Enfer, témoinstêmoins de mesmês secretssecréts,
OyezOîés ma triste voixvois, oyezoîès mes durs regretsregréts.
Furies, accourezacourés, et dans vosvoz mains sanglantes
Horriblement portezportés vosvoz torches noircissantes :
VenezVenés en tel état, tel’ horreur, tel émoi,
20Que vîntesvintes à l’accord de Jason et de moi :
Les yeuxîeus étincelantsétincelans, la monstreuse 27 crinièrecriniere
SifflanteSiflante sur le dos d’une horrible manièremaniere.
MettezMettés le déloyaldéloïal en si grande fureur
--- 2 ---
Par vosvoz serpents-cheveuxserpens-cheveus que, vengeantvang’ant son erreur,
25Lui-même de ses mains bourrellementbourréllement 28 meurtrisse 29
Ses filsfiz, le roi, sa femmefame, et que tou-jours ce vice
Becquette ses poumons, sans qu’il puisse mourir :
Mais, par lieux inconnuslieus inconneus, enragémant courir,
Pauvre, banni, craintif, odieuxodieus, misérablemiserable,
30Ne trouvant homme seul qui lui soit favorable;
Qu’il pensepanse en moi toujours, toujours cherche à m’avoir,
Et toutefoistoutesfois jamais il ne me puisse voir :
Mais tanttans plus il vivra, plus de mauxmaus il endure :
Encor 30 sera -ce peu pour punir telle injure.
35Ainsi comme inoüi est ce forfait ici,
Un inoüi tourmenttourmant il doit souffrir aussi. 31
LA NOURRICE
Mais que sert-il, ô cherechère nourriture 32 ,
De rechercher 33 par tant de fois l’injure
Que vous a fait ce déloyaldéloïal Jason?
40Mais que sert- il rafraîchir l’occasionrafrêchir l’achoison,
Dure occasionachoison, qui tant d’ennui 34 vous porte,
Et hors de vous, MedéeMédée, vous transporte,
Seigneuriant brusquement vos espritsespris 35 ?
EspritsEspris, hélashelas! d’une fureur surpris,
45Fureur qui a dans votrevôtre fantaisiefantasie
Enraciné l’ardenteardante jalousie
Qui tant vous pointpoingt 36 , qui cause la douleur,
Qui causera, aprèsaprês douleur, malheur,
AprèsAprês malheur, malheur encore pire, 37
50Si n’aprenésapprenez à dissimuler l’ire 38
Qu’avezavés à droit contre ce déloyaldéloïal.
Où est ce coeur, coeur constant, coeur royalroïal,
Coeur tou-jours un, coeur fort, coeur immuable,
--- 3 ---
Coeur que Fortune, ou dure ou favorable,
55N’a jusqu’ici pu faire balancer?
Voulez-Voulés vous donc maintenant commencercommancer
De vous soumettre à Fortune contraire
Quand la vertu vous est plus nécessairenecessaire? 39
Et que plutôtplus tôst cette grièvegrieve douleur
60DevriezDevriés tenir secrètesecrette en votrevôtre coeur,
Dissimulant la prendre en patience ?
Du mal caché l’on peut prendre vengeancevang’ance,
Mais qui ne saitscait tenir son dueil 40 enclos,
Ains 41 le témoignetêmoigne avecaveq’ pleurs et sanglotssanglos,
65Pour se vengervanger celui n’a autres armes
Que pleurs, soupirs, regretsregrês, ennuis et larmes.
Le mal venu, il le faut endurer
Bon gré, mal gré, rien n’yi sert murmurer :
Mais paravant qu’il vienne, l’homme sage
70Peut par conseil devancer son dommage. 42
MEDEEMÉDÉE
Trop légerleger est le mal où conseil est reçureceu:
CourrouxCourrous tel que celuicetui ne peut qu’il ne soit susceu. 43
Sus doncdoncq, MédéeMedée, sus : je veuxveus que tous le sachent, 44
Il est bien mal-aisé que les grandsgrans mauxmaus se cachent,
75II est bien mal-aisé que les humaines lois
Empêchent le destin de la race des Rois.
Le sort fatal régitrégît les Rois et leur emprise 45 ,
Conseil n’a point de lieu où Fortune maîtrisemaitrise.
Non, non Nourrice, non : ni conseil, ni raison,
80Ne me sauraientsauroient vengervanger du parjureperjure Jason.
LA NOURRICE
Mais veuillezvueillés doncdonq’ un peu cetteceste fureur refraindre 46 :
L’ire 47 d’un Roi, MedéeMédée, est grandementgrandemant à craindre.
--- 4 ---
MEDEEMÉDÉE
Mon pere étaitétoit aussi hautain et puissant Roi,
Et son courrouxcourrous pourtant n’a rien gagnégaigné sur moi. 48
LA NOURRICE
85Souvent Fortune auxaus hommes favorise
Pour renverser puis aprèsaprês leur emprise 49 .
MEDEEMÉDÉE
Qui se sent favori de Fortune et des CieuxCieus
Doit oser davantaged’avantage, espérantesperant tou-jours mieuxmieus.
CeuxCeus qui osent beaucoup sont craintscrains de la Fortune :
90Mais les hommes couardscoüars tou-jours elleell’ importune.
LA NOURRICE
Je ne voisvoi point que puissiezpuissiés espéreresperer.
MEDEEMÉDÉE
Cil qui n’espèreespere rien, ne doit rien desperer 50 .
LA NOURRICE
Qui ne despere rien, follementfolement tout hasarde.
MEDEEMÉDÉE
AdvienneAvienne que pourra : un seul point je regarde,
95Je ne puis avoir mieuxmieus: c’est mon dernier recours,
C’est l’espoir des vaincus, n’attendre aucun secours.
LA NOURRICE
Ô mal-heureuse, et mal-heureuse amante,
De qui le mal de jour en jour s’augmenteaugmante!
Ô pauvre femmefame! ô douleur ! ô pitié !
100Ô fausse fause-foi ! ô ingrate amitié !
Ô cruauté ! ô rigueur rigoureuse !
Ô NourricièreNourriciere amante mal-heureuse !
N’étaitétoit-ce assezassés qu’il te fallûtfalût ranger
Dessous les loisloix de ce peuple étranger?
105N’étaitétoit-ce assezassés que d’avoir asservie
Au vueil 51 d’autrui ta misérablemiserable vie,
Abandonnant père, parentsparans, amis,
--- 5 ---
Pour demeurer entre testês ennemis ?
N’étaitétoit-ce assezassés, ô fait trop inhumain !
110D’avoir occis 52 Absirthe ton germain? 53
D’avoir laissé ton pèrepere Roi, pour suivre
Un inconnuinconneu? d’avoir mieuxmieus aimé vivre
Loin des tiens, pauvre, ô trop légère foi !
Qu’en ton payspaïs avec un riche Roi ?
115N’étaitétoit-ce assezassés que tu fusses sujettesugette
Au Roi CréonCreon, fille du Roi AEete,
Sans que Jason, Jason rempli d’injures,
AccrûtAcreût encor le mal que tu endures?
Sans que Jason infidèleinfidele menteurmanteur,
120De tous ces mauxmaus seul moyenmoïen, seul auteurautheur,
Anonchalant 54 cetteceste main pitoyablepitoïable,
Qui tant lui fut au besoin favorable,
Te dédaignât ? et cruel, sans pitié,
Cruellement fît nouvelle amitié ? 55
125N’ayantaïant point craint, tant a lâche courage,
De violer les droits de mariage ;
N’ayantaïant point craint d’oublier celle là
De qui il tient le mieuxmieus de ce qu’il a ;
N’ayantaïant point craint, ô inhumaine chosechôse!
130D’abandonner ses filsfiz et son épôse 56 .
Ainsi, ainsi, misérablemiserable, celui
Qui te devraitdevroit estimer plus que lui,
Qui de toi tient sa fortune et sa vie,
Est le premier qui a sur toi envie 57 .
135Ainsi tu es ja-ja 58 prêtepréte à mourir
Par ce Jason qui te dûtdeût secourir.
Ainsi Jason, trop ingrat, te moleste,
Ainsi des biens un seul bien ne te reste.
--- 6 ---
MEDEEMÉDÉE
Je reste encor, Nourrice, et en moi tu peuxpeus voir
140AssemblésAssamblés tous les mauxmaus que le Ciel pûtpeût avoir,
Pour punir grièvementgrievemant les énormesenormes injures
Des amantsamans fausse-fois 59 et des maris parjuresperjures.
Non, non, Nourrice, non : ne crainscrain point qu’en danger
Tu me voiesvoïes tomber, sans m’en pouvoir vengervanger.
145Voici, voici la main, main forte et vengeressevangeresse,
Main qui nous vengeravangera des Heröes 60 de GrèceGrece.
LA NOURRICE
BaillezBaillés 61 un peu à votrevôtre esprit repos
Et délaissezdélaissés ces menaçantsmenaçans propos.
N’irritezirrités plus contre vous la Fortune,
150Ne soyezsoïés plus à vous- même importune ;
RompezRompés l’ennui qui vous consomme et ard 62 ,
RompezRompés le deuildueil, rompezrompés le soin rongeardrong’ard 63 ,
RompezRompés, MedéeMédée, et l’amitié et l’ire 64
Qui votrevôtre coeur diversement martyremartire 65 .
155OubliezObliés tout ; oubliezobliés et le Roi,
Et Glauque aussi, et Jason fausse fause-foi :
AyezAïés, sans plus, de vous- même mémoirememoire,
Sans tant chercher sur vosvoz haineuxhaineus victoire :
AyezAïés, sans plus, et la vie et l’honneur
160De vosvoz enfantsenfans empreinteemprainte en votrevôtre coeur.
MEDEEMÉDÉE
Ni l’amour de mes filsfiz, ni l’amour de ma vie,
Ne sauraientsauroïent empêcher ce de quoidequoi j’ai envie.
Mais que je puisse perdre et Jason et le Roi,
Peu de perte ferai perdant mes filsfiz et moi.
LA NOURRICE
165Je crainscrain beaucoup, las! que votrevôtre langage
VosVoz ennemis n’aigrisse davantaged’avantage.
--- 7 ---
Je crainscrain beaucoup que ce vôtre courrous
N’irrite encor la GrèceGrece contre vous,
Et que de vous votrevôtre malheur ne sorte.
170Mais j’ai ouï quelqu’unquelcun ouvrir la porte : 66
FasseFacele Ciel que soit tel messager
Qui vous et moi mette hors de danger. 67
LE MESSAGER
Le Roi CréonCreon vous fait commandementcommandemant
De déloger hors d’ici promptementpromptemant,
175Vous et vos filsfiz, et qu’en cette contrée
Vous ne soyezsoïés, hui 68 passé, rencontréerancontrée.
AllezAllés ailleurs pour demeure choisir,
VidezVuidés 69 soudain, car tel est son plaisir.
LA NOURRICE
Est-ce le Roi qui la fuitefuitte commande ?
180Ou si c’est Glauque ? ou Jason qui le mande,
ÉpoinçonnéEpoinçonné par nouvelles amours
De lui jouerjoüer, ingrat, ces lâches tours ?
LE MESSAGER
C’est le Roi même : il faut qu’elle obéisseobeisse,
Il connaîtconnoit trop MedéeMédée, et sa malice :
185II connaîtconnoit trop que de rien ne lui chaut, 70
Qu’elle est cruelle, et qu’elle a le coeur haut 71 ,
Qu’elle menace, et d’une fièrefiere audace
Quelque mal-heur contre la GrèceGrece brasse.
Qu’el’ 72 fasseface donc, qu’el fasseface sans tarder,
190Ce qu’il a plupleu au Roi lui commander. 73
MEDEEMÉDÉE
SoleilSouleil luisant, qui vois toutes choses humaines,
Et toi, soeur de Jupin, coupable de mes peines ; 74
Neptune Dieu marin, et toi qui le premier
De voguer sur la mer fis Tiphe 75 coutumiercoûtumier;
--- 8 ---
195Toi HécateHecate auxaus trois noms 76 , par les cantons hurléehullée,
Quand l’horreur de la nuit a la terre voilée :
Vous, Rages, qui mettezmettés les méchantsméchans en émoi ;
Et vous aussi les DieuxDieus qui eûtes soin de moi,
Je vous supplie tous que mon deuildueil vous incite
200À la juste pitié que mon malheur méritemerite.
Si entre vous là- haut se loge la Pitié,
Si vous n’approuvezapprouvés pas une ingrate amitié 77 ,
Si vous vengezvangés le tort qu’on fait en mariage,
Si sur les fauxfaus amantsamans vous dardezdardés 78 votrevôtre orage,
205Si des amantsamans déçusdeceus 79 vous avezavés quelque soin,
Tous et chacunchâcun de vous j’appelle pour témointêmoin
OyezOïés, oyezoïés mes cris, DieuxDieus entendezentendés mes plaintes,
Et ne permettezpermettés pas que vos lois soientsoïent enfreintesenfraintes
Par ce traître méchant, qui en son esprit feint
210Que vous ne pouvezpouvés rien, et nul de vous ne craint ;
Mais en dépit de vous et de votrevôtre justice,
Délaissant la vertu, s’abandonne à tout vice.
VengezVangés, vengezvangés ce tort, punissezpunissés ce méchefmeschef 80 ,
DardezDardés 81 , ô DieuxDieus, dardezdardés vos foudres sur son chef.
LA NOURRICE
215Tant et tant plus que le malheureux-heureus songe
En son mal-heur, plus son mal-heur le ronge ;
Plus il se fâche, et moins se peut cacher
L’occasion qu’il a de se fâcher :
Et par -autant 82 , ma chèrechere nourriture 83 ,
220Si j’ai jamais eu de vous quelque cure 84 ,
Si tout le temps qu’avec vous j’ai été
AvezAvés en moi trouvé fidelité,
Je vous suppliesuppli, oubliezobliés la tristesse,
Qui votrevôtre coeur ja trop malade blesse
--- 9 ---
225Si grièvementgrievemant 85 , que je doute 86 bien fort
Qu’elle ne soit cause de votrevôtre mort.
MEDEEMÉDÉE
Mort ! laslâs, je veuxveu mourir, la mort m’est agréableagreable,
Ores la seule mort me seraitseroit favorable.
Je veuxveu, je veuxveu mourir, j’ai trop longtempslong tans vécu,
230PuisquePuis que par avarice Amour je voisvoi vaincu.
ÔO déloyaldéloïal Jason ! quelle étaitétoit mon offenseoffence,
Qui t’a pupeu émouvoir à faire autre alliancealiance?
Qui t’a pupeu inciter à me laisser ainsi
En tourmentstourmans et ennuis, en peinepéne et en souci,
235Pauvre, lasse, éplorée ? ÔO que follesfoles nous sommes
De croire de légerleger auxaus promesses des hommes !
Nulle dorénavantd’orenavant ne croiecroïe qu’en leur coeur,
Quoiqu’Quoi qu’ils jurent beaucoup, se trouve rien de seür 87 .
Nulle dorénavantd’orenavant ne s’attende auxaus promesses
240Des hommes déloyauxdéloïaus, elles sont menteressesmanteresses :
S’ils ont quelque désirdesir, pour en venir à bout
Ils jurent Terre et Ciel, ils promettent beaucoup,
Mais, tout incontinentincontinant qu’ils ont la chose aimée,
Leur promesse et leur foi s’en vont comme fumée.
245ÔO déloyaldéloial Jason ! où est ores la foi
Qu’en Colches me promis, quand me donnai à toi ?
Où est l’amour constant, où est le mariage
Dont ta langue traîtresse alléchaitallechoit mon courage ?
ÔO infidèleinfidele foi! ô grand’ déloyautédéloïauté!
250ÔO langue menteresse ! ô dure cruauté !
ÔO Jason trop ingrat ! ô maudit HyménéeHimenée 88 !
ÔO moi sous le SoleilSouleil la plus défortunée !
Mais puisquepuis que de toi vient la cause des malheurs,
Je te ferai sentir douleurs dessus douleurs.
--- 10 ---
255EmployantEmploïant le savoir qui t’a mis hors de peinepéne
À te violenter et à t’être inhumaine :
Autant que te fusfu douce en ferme loyautéloïauté,
Autant serai cruelle en dure cruauté. 89
LE CHŒUR 90
Trop hardi fut celui
260Qui premier sur la Mer
AssuraAsseura son appui,
Et premier sutsceut ramer :
Plusieurs en ont depuisdépuis
Enduré maints ennuis.
265L’homme a sursus soi envie
Qui, jalouxjalous de ses ans,
AbandonneAbbandonne sa vie
À la merci des ventsvans :
Et semble qu’il veuillevueille chercher
270À perdre ce qu’il a plus cher.
ÔO combien l’homme ambitieuxambicieus
Est à son mal ingénieuxingenieus!
Combien l’avarice rongearderong’arde
Et l’insatiable désirdesir,
275Cruels bourreauxbourreaus de tout plaisirplésir,
À cent mauxmaüs nosnoz vies hasarde !
ÔO que nosnoz pèresperes vieuxvieus
VivaientVivoîent heureusementheureusemant
Quand, sans désirerdesirer mieuxmieus,
280AvaientAvoîent contentementcontentemant,
Ne connaissantconnoissans encor
La richesse de l’or !
--- 11 ---
ÔO que celui est sage
Qui vit chezchés soi contentcontant,
285Et l’étranger rivage
ConnaîtreConnoître ne prétendpretant !
ÔO bienheureus qui, en ses chantschans,
Passe ses vieuxvieus et jeunes ans !
DepuisDépuis l’invention des nefsNaus 91 ,
290Un infini nombre de mauxmaus
Est survenu au monde.
C’est à l’homme légèretélegereté
De penserpanser trouver fermeté
Sur l’inconstant de l’onde 92 .
295Quand la Navire prophèteprophette 93 ,
Qui des GrecsGrécs chargée étaitétoit,
Apres l’emprise 94 parfaite 95 ,
Vers la GrèceGrece reflottaitreflotoit,
Même Tiphe devint blême,
300Sur son luth Orphée même
Ne pouvaitpouvoit mouvoir les doigtsdoits,
Quand la monstrueuse ChienneChiene 96 ,
Sur la Mer SicilienneSiciliene,
Lâcha ses hideuxhideus aboisaboïs.
305Les filles d’Achelois 97 ,
AuxAus gorges nonpareillesnompareilles,
AvaientAvoïent ja par leurs voix
AlléchéAleché les oreilles
Des princes étrangers,
310Ja ja mis auxaus dangers
--- 12 ---
Sans le Luth résonnantresonnant
D’Orphée mieuxmieus sonnant.
Quand les Cianées montsmons 98 ,
Comme TaureauxToreaus furieuxfurieus,
315S’entre-heurtaienthurtoïent frontfrons à frontfrons,
Haussant les eauxeaus jusqu’auxaus CieuxCieus,
Argon la Barque prophèteprophette,
De frayeurfraïeur devint muette :
Et le filsfiz d’AlcmèneAlcmene 99 eut peur
320Quand les humides campagnescampaignes
RessemblaientRessembloient millemile montagnesmontaignes
Effraîement du plus sûrseur.
Ains que de cirée toile
Tiphe trop audacieuxaudacieus,
325EûtEut fait porter mainte voile
AuxAus mâts voisinantvoisinans les CieuxCieus,
YI réglantreglant à son usage
Des ventsvans forcenés la rage :
Nul lors ne savaitsavoit nommer
330Les ventsvans soufflantsoufflans sur la Mer,
Nul aussi n’eût lors suseu dire,
Des clairs flambeauxflambeaus de la Nuit,
Lequel bon ou mauvais luit
À la vogante Navire.
335EncoreEncores les tourbillons,
VirevoltantVirevoltans pêle mêle
Sur les humides sillons
Martelés de grosse grêle,
Et l’impétueuximpetueus orage,
--- 13 ---
340TémoinTêmoin du futur naufrage,
Les coeurs effrayéseffraïés n’avaientavoïent
De nosnoz pèresperes, qui, sans vice,
VivaientVivoïent, exemptsexans d’avarice,
ContentsContans de ce qu’ils avaientavoïent.
345Mais ores la convoitise,
Qui nosnoz coeurs ne laisse point,
Sur notrenôtre poitrine aiguiseaguise
Un aiguillonéguillon qui la point ;
Mais ores une avarice,
350Seule mèremere de tout vice,
Nous manie 100 tellement,
Que nous laissons, tant fous sommes,
La terre laissée auxaus hommes
Pour chercher l’autre élémentelement 101 .
355Médée, trop heureuse
Et hors de tous regretsregréts,
Si par Mer fluctueuse
N’eusse suivi les GrecsGrécs.
Encore plus heureuse
360Si ton malheureux-heureus sort
Ne t’eûteut fait amoureuse
De l’auteuraucteur de ta mort.
Encor plus fortunée
Si, sans plus long séjoursejour,
365Tu fusses morte et née
En un et même jour. 102
Fin.
--- 14 ---
Acte II
Le Gouverneur des EnfansEnfants 103
J’ai peur, je craincrains, je prévoiprévois le danger
Où cette famefemme, en se voulant vangervenger,
Se jettera et DieusDieux, bons DieusDieux, j’ai crainte
370 Qu’elle ne soit d’une fureur attainteatteinte :
OÔ DieusDieux, quels môtsmots, quels propos, quel maintien,
Quels ïeusyeux flambansflambants : tout asseuréassuré je tien
Que si son mal violent ne s’alante, 104
VeuVu ses regrésregrets et sa fureur ardanteardente,
375Elle fera au Roi CreonCréon sentir,
Que d’un tort fait on se doit repentir :
Je la connoiconnais, je l’ai veüevue 105 marrie 106
Par plusieurs- fois, je l’ai veüevue en furie
Remurmurant ses vers : mais maintenant
380Elle a trassétracé je ne saisais quoi plus grand,
Mais maintenant une rage felonne 107
Plus que devant 108 ses esprisesprits époinçonne,
Plus que devant par ses cris furieusfurieux
La miserablemisérable importune les DieusDieux.
385Ombre n’iy a, ne 109 Rage échevelée
Dans les Enfers qui n’iy soit appelléeappelée.
Le grand Serpent en neusnoeuds tortillonné,
OïantOyant ses vers, se tait, tout étonné :
Puis en siflantsifflant, sa triple langue tire,
390Prêt à vomir au gré d’elle son ire 110 :
Hecate iy est, et tout ce que les CieusCieux
Et les Enfers tiennent de furieusfurieux.
BriefBref, il n’iy a venin dessus 111 la terre
--- 15 ---
Que par son art diligemment ne serre,
395EntremellantEntremêlant tant effroîablemanteffroyablement
Je ne saisais quel furieusfurieux hurlemanthurlement,
Qu’il semble à voir que Corinthe perissepérisse. 112
Dieu qu’est ce-ci ! je craincrains qu’el’ 113 ne meurdrisse
Ses propres fizfils, je craincrains que ce tourmanttourment
400Ne la maitrisemaîtrise, et furieusemantfurieusement
Arme ses mains d’une brutale audace
Contre le sang de sa plus proche race 114 .
Qui eût pansépensé, bon Dieu, ce que je voivois ?
Ha ! que je suis en grand et grand émoi
405Pour ces enfansenfants, et leur âge trop tandretendre
Ne peut encor 115 son grand malheur entandreentendre 116 .
Que plût ausaux Dieu 117 (mais de ce qui est fait,
Bien peu nous vaut le contraire souhait),
Plût ausaux gransgrands DieusDieux que la GréqueGrecque noblesse
410 Ne futfût jamais sortie de la GreceGrèce,
Et que Jason, ce fausfaux Jason, fût mort
Premier 118 qu’aller en Colches 119 prandreprendre port.
Plût ausaux gransgrands DieusDieux que la Barque féée 120
Ne fût jamais en Colches arrivée,
415Mais, s’abismantabîmant ausaux gouffres plus profonsprofonds,
N’eût point passé les Simplegades monsmonts 121 .
Jamais Médée, au fond du coeur blessée,
N’eût follemantfollement sa terre délaissée,
Jamais, jamais elle n’eût de legerléger 122
420Laissé les siens pour suivre un étranger.
Son frère Absirte et le veillant Pélie 123 ,
Sans ces malheurs, eussent encores vie.
Et vous enfansenfants, enfansenfants mon dur souci 124 ,
Vous n’eussiéseussiez veuvu ce triste jour ici :
--- 16 ---
425Ou pour le moins quelque étoile meilleure
Vous eût veuvu naître à quelque plus douce heure.
Car que vous sert, ainsi abandonnés,
Du noble sang des gransgrands Rois être nés ?
Au Diamant, et à la pierre dure
430Celui seroitserait semblable de Nature
Qui de vous deusdeux n’auroitaurait compassion.
Que pleûtplût ausaux DieusDieux que mon intention
Sortît effet, vous porteriésporteriez couronne
Comme l’honneur de vôtrevotre sang l’ordonne.
435Mais cetuicelui-là qui plus deûtdût avoir soin
De vous aider, vous defautdéfaut 125 au besoin 126 . 127
Le Choeur
Ces pleurs, ces plaints 128 , dont MedéeMédée dolante 129
Mouille ses ïeusyeux, sa poitrine tourmantetourmente,
D’où viennent ils ? EsseEst-ce point pour autant
440Que son Jason ainsi la va quittant ?
Ô, si ses esprisesprits
Elle avoit repris
Pour iy penser bien,
Elle auroitaurait aprisappris
445Que ses pleurs et cris
Ne servent de rien.
Le Gouverneur
Non seulemantseulement pour être delaissée
De son Jason, Médée est offensée :
Mais, Dames, lâslas, mais, trop cruellemantcruellement,
450Le Roi CreonCréon a fait commandemantcommandement
Qu’ell’ printprît ses fizfils, et delaissât grand’ erre 130
(Si mieusmieux n’aimoitaimait souffrir mort) cette terre.
--- 17 ---
Voire ce Roi felonfélon contre elle est tant dépit
Qu’il ne lui veut laisser une heure de répit :
455 Ains 131 veut que, tout soudain et sans aucune guide,
La pauvre abandonnée, avec ses enfans vuidevide 132 .
Le Choeur
Las-helas hélas, qu’un deul 133
Ne vient jamais seul,
Las que la Fortune
460De divers travaustravaux 134 ,
De mausmaux suivans mausmaux,
Tous-jours importune.
FameFemme miserablemisérable,
Ton sort pitoïablepitoyable
465Me crevecrève le coeur.
Ô amitié feinte,
Ô Roi de CorinteCorinthe,
Ô grande rigueur. 135
MedéeMédée
OÔ Terre, ô Mer, ô Ciel, ô Foudres pleins d’encombres,
470 OÔ Déesses, ô DieusDieux, ô Infernales ombres,
OÔ Lune, ô Jour, ô Nuit, ô FantaumesFantômes volansvolants,
OÔ DaimonsDémons, ô EsprisEsprits, ô chiens d’Enfer hurlanshurlants,
VenésVenez, couréscourez, volésvolez : et, si avésavez 136 puissance
De prendre d’un méchant execrableexécrable veng’ancevengeance,
475MontrésMontrez-l’àlà cette fois : arme-toi Jupiter
Contre ce déloïaldéloyal qui ne craint t’irriter 137 .
Le Gouverneur
FuïonsFuyons enfansenfants, je craincrains qu’en sa furie
Mêmes à vous elle fît fâcherie.
Mais, ô mon Dieu ! quelle nouvelle ardeur
480De plus en plus renforce sa fureur. 138
MedéeMédée
CiclopesCyclopes courageus, horribléshorriblez vôtrevotre ouvrage,
MartelansMartelant d’ordre égal un rougissant orage,
Poli d’éclairs brillansbrillants, et de coins tout-fandans fendant 139 ,
--- 18 ---
EntremêlésEntremêlez parmi des tonnerres grondansgrondant,
485ForgésForgez des darsdards aigus à la pointe étoffée,
Comme ceux que Jupin foudroïoitfoudroyait sussur Tifée 140 :
TrampésTrempez-les au profond des Avernales eauseaux 141 ,
Et que les pennes 142 soïentsoient de Stimphales oiseaus 143 ,
Ou bien des Chiens ailés, Harpies ravissantes,
490Le péché de Phinée horriblement vang’antesvengeantes 144 .
Et vous DieusDieux des Enfers, Ixion 145 dêliés,
Et avéque 146 Junon encor le r’aliésralliez :
LaissésLaissez hausser les eauseaux à l’altéré Tantale 147 ,
Et du fruit désiré permettéspermettez qu’il avale,
495PermettésPermettez que SisipheSisyphe hausse sa pierre au mont,
Sans que du haut encore elle retombe au fond, 148
Et ne permettéspermettez plus qu’en vain les Danaïdes
Dans le tonneau percé jettent les eauseaux humides 149 :
RelâchésRelâchez encor tous ceusceux qui dans vozvos Enfers
500Les tourmanstourments meritésmérités ont jusqu’ici soufferssoufferts :
Et, de tous ces tormanstourments, faites-en un terrible
Qui seul soit plus que tous cruel et plus horrible :
Puis vueilleveuille Jupiter ce tormanttourment envoîerenvoyer
SusSur Créon et Jason, pour leur juste loïerloyer :
505Mais c’est peu pour fournir à ma juste querelle,
Je veusveux encor’ trouver vang’ancevengeance plus cruelle. 150
Le Choeur
De flameflamme allumée
Des vansvents animée,
Du trait décoché
510Et du foudre vîte 151 .
Maint et mainte eviteévite
Qu’il ne soit touché.
Et quand la riviererivière
Hors de ses borsbords, fierefière,
515Son cours libre a pris,
Le voisin s’absanteabsente
Pour de l’eau courante
N’être point surpris :
--- 19 ---
Mais quand une famefemme,
520Jalouse, s’enflameenflamme
Contre son mari,
Sa fureur est pire
Que feu, qu’eau, que l’ire 152
De Juppin marri 153 .
525MedéeMédée, insensée,
Couve en sa pensée
Dix mille sanglôssanglots:
Un feu la consume,
Et dedans, lui hume
530L’humeur de ses ôsos.
Comme la prétresseprêtresse,
Que la fureur presse
Sou’Sous le devin Dieu,
SecoüeSecoue la teste
535En vain, et n’arrête
Jamais en un lieu : 154
Avec telle mine,
MedéeMédée chemine,
Et n’arrête point :
540Ainsi la furie
Qui la seigneurie
Sa poitrine époint.
La mere felonnefêlonne,
Toutesfois sœur bonne,
545Revang’antRevengeant la mort
Des siens, plénepleine d’ire 155 ,
Osa bien occire
Maleagre à tort. 156
Mainte meremère encore
550 SoufreSouffre qu’on dévore
Ses fizfils, sans merci :
Nulle en son courage,
N’a eu telle rage
Comme cette celle-ci.
555Sa face ternie,
Son pas de furie,
M’épouvantent fort : 157
Semblable détresse
À grand’ pénepeine cesse
560Sans suite de mort. 158
Déités clamées,
Qui noznos destinées
TenésTenez en vozvos mains,
De ces folles rages
565Faites les presagesprésages
Devenir tous vains.
Fin.
--- 20 ---
ATCEACTE III
CreonCréon
HeureusHeureux celui qui peut, connoissantconnaissant les Augures,
EviterÉviter les dangers des fortunes futures,
Et plus heureusheureux encor 159 , qui des DieusDieux liberauslibéraux
570À eu l’heur 160 de connôitreconnaître et les biens et les mausmaux :
Mais nous, gens aveuglés et en noznos faits mal sages,
Nous ne connoissonsconnaissons pas de noznos mausmaux les presagesprésages.
D’où vient, que je me semble être toutes les nuisnuits,
Loin des miens separé, en un lieu plein d’ennuis ?
575Et que sussur mon Palais le Hibou se lamantelamente,
Et de son triste chant toute nuit m’épouvante ?
D’où vient encor 161 , qu’offrant mes dons sur les autels
À Junon la Nociere 162 , et ausaux DieusDieux immortels,
J’ai veuvu, ô cas hideushideux et difficildifficile à croire,
580L’eau sacre 163 se changer, et prandreprendre couleur noire,
Et le vin sur l’Autel saintemantsaintement épanché,
Se chang’antchangeant, m’a semblé de sang meurtri taché ?
Tout cela m’épouvante, et j’ai peur que ces signes
Me soîentsoient avant-coureurs de quelques mausmaux insignes 164 .
585J’ai peur, je craincrains, je doute, et mes troublés esprisesprits 165
Sont de nouvelle horreur effraîement 166 surpris.
MedéeMédée me fait craindre, Absirte et le Roi Pele
M’enseignent que je dois tou-jours avoir peur d’elle.
Qui une fois à vice a voulu s’adonner,
590Une et une autre- fois ne craint d’iy retourner.
Des Rois et gransgrands seigneurs la Fortune se joüejoue
Et tourne à leur malheur le plus souvent la rouëroue.
--- 21 ---
Le foudre 167 rue bas les plus superbes tours,
Mais le toit du berger, sans peur, dure ses jours. 168
595Si mes voisins vouloïentvoulaient contre moi faire guerre
J’en seroisserais averti et deffendroisdéfendrais ma terre :
Mais cestecette furieuse a moïenmoyen de vangervenger
Ce qui lui semble bon, ains 169 qu’on le peûtpût songer,
J’avoiavais délibéré 170 , pour ôter toute crainte,
600De la faire mourir, sans la juste complainte
Que m’en a fait Jason. Or je lui ai mandé,
Et de pouvoir RoïalRoyal encore commandé,
Que, prenant ses deusdeux fizfils, elle vuidâtvidât 171 grand’ erre 172 ,
DelivrantDélivrant de danger, moi, les miens, et ma terre.
605ToutesfoisToutefois, comme on dit, son cœur est endurci
Contre mon mandemantmandement 173 : encorencore elle est ici.
J’ai crainte que sur nous quelque malheur ne brasse 174 ,
Car on m’a raportérapporté que sa fureur menassemenace
Moi, ma fille, et Jason, appellantappelant les esprisesprits
610Du Ciel, et des Enfers, par effroïableseffroyables cris.
ParquoiPar quoi 175 j’ai envoïéenvoyé lui commander qu’ell’ vienne
Soudain par devers moi, de peur qu’il ne survienne
Sur nous quelque méchef 176 . Je jure par les DieusDieux
Qu’avant qu’il soit demain, ell’ 177 vuideravidera ces lieus.
615Mais la voici venir grumellantgromelant sa furie,
Qui ne brasse rien moins que meurtre et tuerie. 178
Horrible, forcenée, ennemie des CieusCieux,
Furieuse Médée, et fureur des haushauts DieusDieux,
T’ai-je pas commandé que, sans aucune suittesuite
620Fors de 179 tes deusdeux enfansenfants, soudain prinsesprisses la fuittefuite ?
Es-tu encorencore ici ? ne fais-tu cas de moi ?
Dédaignes-tu ainsi le mandement d’un Roi ?
--- 22 ---
Je jure par le Ciel de n’aller autre voïevoie
Qu’en misérable exil premier je ne t’envoïeenvoie. 180
MedéeMédée
625Qu’ai-je commis, CreonCréon? En quoi ai-je forfait ?
Quel horrible pechépéché, quel énorme meffaitméfait
Me condamne à fuir ?
CreonCréon
OÔ la famefemme innocente !
On lui fera grand tort, s’il faut qu’elle s’absanteabsente!
C’est trop peu de fuir un étouffant noïernoyer 181 ,
630Un brûler en seroit le mérité loïerloyer 182 ,
Ores 183 de ton partir juste raison demandes.
MedéeMédée
Si de pouvoir RoïalRoyal ainsi tu le commandes,
C’est à moi, Roi CreonCréon, à tes dits obeirobéir :
Mais si avant juger il te plaisoitplaisait m’ouïr,
635Puis equitablementéquitablement me randrerendre mon meritemérite 184 ,
Comme toute equitééquité à ce faire t’invite 185 ,
Quoi que lors m’en avintadvint ce seroitserait justemantjustement.
CreonCréon
Soit droit, soit tort, il faut que mon commandemantcommandement
Soit fait, c’est trop parlé, soudain qu’on se depêche,
640Et que d’orenavantdorénavant jamais on ne m’en prêche 186 . 187
MedéeMédée
Règne sans équité n’est pas long tanslongtemps durable.
CreonCréon
On ne peut ausaux méchansméchants n’être point equitableéquitable.
MedéeMédée
MechancetéMéchanceté jamais ne log’alogea dans mon coeur.
CreonCréon
Pelie le sceutsut bien, éprouvant ta douceur. 188
MedéeMédée
645Par moi Pelie est mort, mais Jason est coupable :
Celui fait le péché qui le sent profitable.
--- 23 ---
Mais di dis-moi, ô Creon, me vint-il jamais gain
De tant d’actes cruels que j’ai faits de ma main ?
Sinon que j’ai tou-jours, ô folefolle prétandueprétendue,
650Voulu gaignergagner celui par qui je suis perdue.
CreonCréon
Tes mots emmiellés n’auront pas le creditcrédit
De faire, que par euseux, je revoquerévoque mon dit.
Je te commande encor’, que te mettes en voîevoie 189 ,
Et que dans mon paîspays jamais on ne te voïevoie.
MedéeMédée
655Tu m’es tenu 190 , CreonCréon, et pour juste loïerloyer 191 ,
Hors d’ici, sans secours, tu me veusveux envoïerenvoyer.
Ren Rends-moi mon conducteur 192 , encor 193 qu’il me dédaigne;
Qui m’a conduitteconduite ici au retour m’accompaigne 194 .
CreonCréon
Je te suis donc tenu? Mais viença donc 195 , di dis-moi,
660MedéeMédée, en quel moïenmoyen suis-je tenu à toi?
MedéeMédée
Tous les Heroës 196 GrécsGrecs, que la Toison dorée,
De tant d’hommes hardis à l’envi désirée.
Fît mettre sur la mer, ne fussent retournés,
Sans mon secours, au lieu auquel ils estoientétaient nés.
665Ores 197 , par mon moïenmoyen, la fleur de la noblesse
Et la race des DieusDieux, trionfetriomphe dans la GreceGrèce.
Ni les frères jumeausjumeaux 198 , ni Lince cler-voïantclairvoyant,
Ni celui qui vang’a Phinée larmoïantlarmoyant 199 ,
Ni celui qui du son de sa jasarde 200 Lirelyre
670Les touffues forétsforêts et les pierres attire, 201
Ni tous les Miniens 202 , sans avoir mon support 203 ,
Ne fussent revenus en GreceGrèce prandreprendre port.
Je me taitais de Jason, car toute l’autre bande
Comme vôtre, prenésprenez, cetuicelui 204 seul je demande.
--- 24 ---
675VoiVois maintenant, CreonCréon, en quoi j’ai peupu pecherpécher
Et ne l’ai pas voulu ; or me vienviens reprocher
Tout ce que tu voudras : un seul point je confesse,
C’est, que par moi Argon 205 est reflotée en GreceGrèce.
CreonCréon
Ni vertu, ni honneur, te fît les secourir,
680Mais l’impudiq’ 206 amour qui te faisoitfaisait mourir.
MedéeMédée
FainFeins 207 , que je n’eusse point aimé Jason : la GreceGrèce
N’euteût jamais recouvré sa plus grande noblesse,
MêmesMême sans mon amour, ce tien gendre nouveau
Eût été devoré du pié-d’arainpied d’airain toreautaureau 208 .
685AvienneAdvienne que pourra, je ne suis point marrie 209
Que de moi telle gent ait estéété favorie 210 .
VoiVois la force d’Amour, voivois le bien que j’ai fait,
Et compare les deusdeux avéques 211 mon forfait,
Et contrebalançant le bien avec le vice,
690FaiFais moi, à tout le moins, equitableéquitable justice.
Je ne veusveux pas nier qu’il n’iy ait faute en moi,
Je ne veusveux point aussi m’excuser devant toi,
SeulemantSeulement je te veusveux prier par la Fortune,
Qui n’est pas moins ausaux Rois qu’ausaux plus petispetits commune,
695Puis quePuisque de ce lieu-ci il me faut étranger 212 ,
Que tu m’ottroîeoctroies ailleurs un lieu pour me loger :
Ce n’est pas grand’ faveur, Roi, je ne te demande
Ou palais, ou chasteauschâteaux, ou quelque ville grande,
Cela ne veusveux-je point : seulemantseulement donne-moi
700En ta terre, à ton choischoix, une place à requoi 213 .
CreonCréon
Bien que je soîe 214 Roi, pourtant le miserablemisérable
Ne m’a trouvé encor autre que pitoîablepitoyable :
--- 25 ---
Jason en est têmointémoin, et maint autre affligé,
Que j’ai en ses mal-heurs mainte-maintes fois soulagé,
705Quand son mal ne venoitvenait d’une achoisonoccasion méchante,
Mais des effétseffets douteus de Fortune inconstante :
Mais toi, qui de poisons, et de meurtrier 215 pechépéché
As ja 216 la plus grand part de la GreceGrèce taché,
Qui tes meurtrieresmeurtrières 217 mains et ta brutale audace
710As impiteusement emploïéemployé sur ta race,
Va, va chercher pitié, va chercher autres lieuslieux,
Et là de tes beausbeaux arsarts importune les DieusDieux.
MedéeMédée
Où irai-je, CreonCréon, sans aucune conduitteconduite,
Pauvre, seulleseule, éplorée ? où prendrai-je la fuittefuite?
715Bons DieusDieux! qui eût pensé qu’une fille de Roi
PeûtPût quelque-fois 218 tomber en un tel desarroidésarroi ?
OÔ riche Toison d’or, du Dragon mal gardée,
OÔ Fortune, ô Amour, ô Jason, ô MedéeMédée,
OÔ Junon, ô HimenHymen 219 , ô promesses, ô foi!
CreonCréon
720C’est trop parlé, qu’on vuidevide 220 .
MedéeMédée
Au moins ottroie octroie-moi
Que mes fizfils innocensinnocents vivent avec leur perepère.
Le fizfils ne doit souffrir pour le mal de la meremère.
CreonCréon
Va, je les retiendrai.
MedéeMédéeMédée
OÔ Roi plein de pitié,
Encor 221 je te suplisuppli[e], par la même amitié
725De ta fille et Jason, qu’un seul jour tu m’ottroîeoctroies
Pour prevoirprévoir à mon fait, ains que 222 me mettre en voîevoie 223 .
Ainsi puisses-tu voir prospererprospérer tes amis
Et tout malheur tomber dessus 224 tes ennemis.
CreonCréon
Pour brasser quelque mal tu quiers 225 cestcet avantage.
--- 26 ---
MedéeMédée
730Pour faire quelque mal faut du tanstemps d’avantagedavantage 226 .
CreonCréon
Qui pretantprétend faire mal n’a jamais peu de tanstemps
ToutesfoisToutefois pour ce jour faifais ce que tu pretansprétends :
Mais premier que 227 demain la matinallematinale Aurore
De jaune rougissant le Ciel bleu recolore,
735Va-t’en, et de danger delivredélivre cette place.
Je le didis, je le veusveux, et me plaît qu’on le facefasse. 228
MedéeMédée 229
Donques 230 je m’en irai ? donques vivra sans danger
Ce déloîaldéloyal Jason ? donques sans me ranger
Je m’en irai ainsi ? et Glauque glorieuse
740Prendra heur de celui qui me fait malheureuse 231 !
Non, je m’en vangeraivengerai, je ferai que la GreceGrèce
ConnoitraConnaîtra combien peut Médée vangeressevengeresse.
EusseEussé-je bien prié ce tirantyran inhumain,
EusseEussé-je bien voulu le toucher main à main,
745N’eût été sous espoir d’avoir loisible espace
De me vangervenger de lui, et de toute sa race.
Sus donq’, MedéeMédée, sus, repranreprends tous tes esprisesprits,
Pratique maintenant ce que tu as aprisappris,
Recherche les secrétssecrets de la sainctesainte sciancescience
750Dont tu as mainte-maintes fois fait mainte experianceexpérience :
FaiFais que de ton malheur, et ton triste fuir 232
Nul de tes ennemis se puisse réjouir.
N’as-tu pas autresfoisautrefois arrêté la carrierecarrière
Des fleuves ondoïansondoyants? n’as-tu pas en arrierearrière
755Détourné maintes- fois tous les celestescélestes cours ?
N’as-tu sauvé Jason par ton magiq’ 233 secours,
Charmant les ïeusyeux veillansveillant par ton remâché carme 234
Et armant contre soi le Terre-né gendarme 235 .
--- 27 ---
N’as-tu pas maintesfoismaintes fois par tes vers murmurés
760Tiré des monumansmonuments 236 les esprisesprits conjurés ?
C’est trop peu que cela ; ce sont faits de pucelle :
Tu ne savoissavais pour lors que c’est 237 d’être cruelle :
Hausse-toi maintenant 238 , horrible ta fureur ;
Tes faits 239 facentfassent ausaux Dieus et ausaux hommes horreur. 240
Le Choeur
765Tou-jours le vantvent tempêtant
Sur la mer AEgée 241
Ne va l’onde tourmantanttourmentant
De rage enragée :
Et de l’eau fierefière l’effort
770Qui tansetance sa rive
N’empêche tou-jours qu’au port
La barque n’arrive.
Mais la tranquilité suit
En son rancrang l’orage,
775Et tou-jours sur Mer ne bruit
La vanteuseventeuse rage.
Le Jour chassé de la Nuit
Fait place à la Lune,
Puis encor le Soleil luit
780Chassant la Nuit brune.
Sous le Ciel les choses sont
Toutes inconstantes,
Et par rancrang vont et revont
Leur ordre chang’anteschangeantes 242 .
785Mais, Médée, ta rigueur
Constante demeure,
--- 28 ---
Et prantprend nouvelle vigueur
Croissant d’heure en heure.
Comme famefemme insensée,
790De corps ni de pensée
Elle ne prantprend repos ;
Forcenée de rage,
Soi-même ell’ 243 s’acourage
Par ses mal-sains propos.
795OÔ que je craincrains que la furie,
Ains 244 qu’elle soit d’ici partie,
Au Roi CreonCréon facefasse santirsentir,
Et à sa fille, et à son gendre,
De leurs outrageusoutrageux entreprandreentreprendre 245
800Un miserablemisérable repentir.
Fin.
Acte IIII
La Nourice
DieusDieux, qu’est ceci ! voulés Voulez-vous point cesser ?
Voulés Voulez-vous point ces propos delaisserdélaisser ?
Quelle fureur, quelle manie 246 extrême,
Quel desespoirdésespoir vous met hors de vous-même ?
805LâsLas, ces soupirs, ces arrachés sanglossanglots,
Témoins certains du deuldeuil 247 au coeur enclos,
Et ce marcher 248 d’une hâtée alleureallure,
Ces ïeusyeux ardansardents, et cette cheveleurechevelure
Effraïément 249 hérissée, et ce front
810Que vozvos courrouscourroux ainsi refrongnerrenfrogner font,
--- 29 ---
Menacent fort : tout cela m’épouvante,
Tant j’ai grand peur que le malheur s’augmanteaugmente. 250
Que voulésvoulez-vous? que sert tant se douloir 251 ,
Quand par douleur on ne peut mieusmieux valoir ?
815CessésCessez, MedéeMédée, et de vôtrevotre courage
D’orenavantDorénavant étrangésétrangez cette rage.
MedéeMédée
Cesser, cherechère Nourrice ? avant les luisansluisants jours
Deviendront noires nuisnuits, et les celestescélestes cours
On verra se changer : avant des eauseaux la course
820On verra roidementraidement retourner vers sa source :
Avant la Mer sera sans poissons, et sans eauseaux,
Et ne souffrira plus le voguer 252 des bateausbateaux :
Avant le feu et l’eau ne seront plus contraires :
Avant les vrais amis deviendront aversairesadversaires,
825Avant tout l’univers son ordre changera,
Et ce qui est possible impossible sera,
Que j’oublie le ton et la cruelle injure
De Creon, Roi cruel, et de Jason perjureparjure. 253
Quel ScilleScylla, quel CaribdeCharybde 254 , et quel gouffre profond
830Engloutissant les eauseaux qui bouillonnent en rond,
Et quel AetneEtna 255 brullantbrûlant, pourroïentpourraient devorerdévorer l’ire 256
Qui de mes ennemis la vang’ancevengeance desiredésire ?
Le roideraide cours des eauseaux, ni le feu allumé,
Quand par le soufflement 257 des vansvents est animé,
835Ni le TansTemps devorantdévorant, qui à soi tout attire,
Ne me pourroïentpourraient ôter la rage qui m’empire.
Bref, je me veusveux vangervenger : je veuveux ruiner tout 258 :
Je veuveux que mon savoir soit connu à ce coup.
Je ne puis plus celer 259 le mal qui m’époinçonne,
840Et l’échauffé courrouscourroux qui dans mon coeur bouillonne. 260
--- 30 ---
La Nourrice
Or gardésgardez bien qu’en vous voulant vangervenger
Ne vous mettiésmettiez vous-mêmes en danger.
Mais voivois-je pas Jason ? 261
MedéeMédée
C’est lui, cherechère Nourrice,
Le traitretraître vient vers nous pour farder 262 sa malice.
845Que cherches-tu, Jason ? viens-tu ici pour voir
Celle que par ta faute on met au desespoirdésespoir ?
Jason
Médée, ton courrouscourroux et ton hautain courage 263
Ne t’ont pas seulemantseulement ici porté dommage :
Mais maintefoismaintes fois ailleurs : Je ne le didis pour moi,
850Qui ne te puis haïr ; je le didis pour le Roi,
Que tes propos cruels ont irrité en sorte
Que, sans l’amour de moi, tu fusses déja morte.
Donc, si tu as du mal, tu l’as bien mérité :
FollemantFollement du sugetsujet est son Prince irrité.
MedéeMédée
855OÔ méchant déloïaldéloyal, coeur rempli de faintisefeintise 264 ,
EsseEst-ce la loïautéloyauté que tu m’avoisavais promise ?
As-tu bien eu le coeur, perjureparjure, de laisser
Celle par qui tu vis ? as-tu osé panserpenser
Un si lâche forfait ? as-tu eu le courage
860De violer les droits du sacré mariage ?
Sont-ce les propos fainsfeints qu’en Colches 265 me tenoistenais,
Quand, malheureuse, las ! le moïenmoyen t’aprenoisapprenais 266
D’aqueriracquérir la toison, aimant trop mieusmieux te suivre
Qu’avéqueavecque 267 mes parents honorablement vivre ? 268
Jason
865Ne me reproche plus les biens que tu m’as faisfaits,
Si tu ne veusveux ouîrouïr raconter tes forfaisforfaits.
--- 31 ---
MedéeMédée
Ha, méchant, les forfaisforfaits me rendent miserablemisérable :
Mais tu en es aussi, et plus que moi, coupable :
Je les ai faits pour toi, tu en as le plaisir,
870Et j’en ai le reproche, et j’en ai déplaisir. 269
Bien doidois-je détester la funebrefunèbre lumierelumière
Qui à mes tristes ïeusyeux te montra la premierepremière.
Jason
Médée, il n’est pas tanstemps de parler longuemantlonguement,
Mais il te faut pourvoir à ton departemant 270 .
MedéeMédée
875De mon departemant point ne faut que te chaille 271 ,
J’iy pourvoiroipourvoirai assésassez avant que je m’en aille.
Jason
Encore je te pri’ 272 , Médée 273 , de laisser
Ce courrouscourroux et ce deuldeuil 274 , et à ton fait panserpenser.
MedéeMédée
Mais pense à toi, Jason, et encor 275 te souvienne
880Du Dragon non-dormant, gardant la riche laine 276 :
PansePense encore, Jason, et métsmets devant tes ïeusyeux
Du taureau pié-d’arainpied d’airain 277 le regard furieusfurieux :
Et faifais que dans ton coeur encore soit emprainteempreinte,
Ainsi qu’elle fut lors, la fraïeurfrayeur et la crainte,
885Qui saisit tes esprisesprits, quand des sillons semés
Nâquirent promptement mille freresfrères armés 278 :
Lesquels incontinantincontinent 279 estreêtre partis de terre,
Firent, par mon moïenmoyen, l’un contre l’autre guerre.
Et pansepense encore au gain de la riche toison
890Que par moi tu conquis ; pansepense encore Jason
À la cruelle mort d’Absirte 280 : et encor 281 pansepense
Au Roi qui, sous espoir de r’entrerrentrer en jouvancejouvence,
Fut miserablementmisérablement par ses filles recuit 282 :
--- 32 ---
PansePense encore à beaucoup ausquelsauxquels mon art a nuitnui,
895Pour toi tant- seulement. Ore 283 pour recompanserécompense,
Tu as, me dédaignant, fait nouvelle alliance.
Ores je m’en irai : car, pour m’infortuner
Ce n’est assésassez de toi me voir abandonner :
Il faut pour m’achever qu’encore sans conduite,
900OÔ miserablemisérable moi ! d’ici je prêneprenne fuite.
Jason
Puis qu’ainsi plaît au Roi, il le faut vraimantvraiment. 284
J’en suis marri 285 ; mais quoi ? ce n’est injustemantinjustement,
Tu l’as bien mérité. C’est par trop grande audace
De menacer ainsi et le Roi et sa race.
905DiDis moi tant- seulement dequoide quoi auras besoin,
Afin que d’en fournir ore je preneprenne soin.
MedéeMédée
Je ne veuveux rien qu’un point. Sans plus, faifais que je donne
À ta nouvelle épouse une riche couronne,
Qui jadis du Soleil le chef doré orna,
910Puis à son aimé fizfils mon père la donna : 286
AffinAfin que desormaisdésormais de moi il lui souvienne,
Et noznos pauvres enfansenfants comme siens elle tienne.
Jason
Cela me plaît trébientrès bien, et à ce 287 j’aperçoiaperçois
Que ton courroux s’appaise : or sache que le Roi
915Le trouvera fort bon. Si tu m’en crois, Médée,
FaiFais que par noznos enfansenfants elle soit presentée. 288
MedéeMédée
Or 290 ai-je le moîenmoyen de me vangervenger du tort
Que l’on m’a fait : or puis-je ensemble mettre à mort
Le Roi et Glauque aussi : Quant est de mon perjureparjure 291 ,
920L’heure assésassez tôt viendra que sa pénepeine il endure.
Mais pour son beau parti 292 , j’enclorroienclorai dedans l’or
--- 33 ---
Du sang de Nesse 293 même, et enclorroienclorai encor 294
Au dedans du presantprésent, de la brullantebrûlante alénehaleine
Du taureau souffle-feu, que j’arrachai à pénepeine
925De son gosier ardantardent, quand ce traître Jason
Eut, par mon art, conquis la Colchique toison.
Puis par mon art magic 295 (qui, si onc 296 , à cette heure
Au besoin m’aidera), toi la noire demeure
De l’Averne profond 297 , et vous les hautains CieusCieux,
930Ensemble appellerai 298 d’un cri tout furieusfurieux.
Là, si onques jamais, ô lumière nocturne,
Là je t’invoquerai sou’sous l’horreur taciturne,
Et toute échevelée, et aïantayant les piéspieds nus,
Par les travers secrétssecrets des bois les plus fueillusfeuillus
935Je courrai grommellantgrommelant, et appellant sans cesse,
De suite, tes trois noms : tu m’oirras, ma Déesse 299 ,
Et de mes cris ouïs signe me donneras,
Quand soudain en palleurpâleur ta clarté changeras.
Ainsi ce don cruel je charmerai de sorte,
940Que quiconque premier dessus son chef le porte
Sera soudain brullébrûlé, et qui s’approchera
Pour lui donner secours, encore brullerabrûlera :
Plus on iy getterajettera son elementélément contraire
Plus il s’enflameraenflammera. De ma belle aversaireadversaire
945Je serai donc vangéevengée. Allons, Médée, allons,
Importunons le Ciel, tout l’Enfer appellons.
Et vous enfansenfants mal- nés, la couronne mortelle
De ma part porterésporterez à l’épouse nouvelle. 300
Le Choeur 301
Quand la regrétableregrettable EquitéÉquité,
950Ce monde ingrat aiantayant quitté,
En la sainte montaignemontagne 302
--- 34 ---
La dernieredernière des DieusDieux vola,
Avéques 303 elle s’en alla
La Sagesse compagne.
955Depuis (comme maugrémalgré la Nuit
Du vice aveuglant, qui nous suit,
L’Esprit suivant son esme 304 ,
Lui beau cherche ce qui est beau)
Maints ont emploïéemployé leur cerveau
960À chercher elle-même.
Mais ne pouvanspouvant plus trouver rien,
En ce bas être, d’un tel bien,
Qu’une ombre manteressementeresse,
ChâcunChacun s’est feint à son plaisir,
965Comme l’a mené son désir,
Une propre Sagesse.
Or cetuicelui-là, sussur le Souci,
SusSur la Liberté cetuicelui-ci,
La Sagesse aura mise :
970QuelcunQuelqu’un pour bien dissimuler,
Quelque autre pour amonceler
Les biens que châcunchacun prise.
Avéque 305 ceusceux s’arangeraarrangera
Que sages l’on estimera :
975Mais, si de la PrudancePrudence
Il nous reste encor’ quelque peu,
Tout à toi je l’estime deu 306 ,
OÔ sage DeffianceDéfiance.
HeureusHeureux qui t’a seusu embrasser,
980Et que tu as daigné dresser
--- 35 ---
Sous ta seuresûre conduite :
Il n’a veuvu sussur son chef muni
Tomber de son traitretraître ennemi
La tempête dépite.
985Mais qui sans la guide de toi 307 ,
Trop simple, et peu songneussoigneux de soi,
A bien eu esperanceespérance
De pouvoir trouver ici bas
La foi, qui ores n’iy est pas,
990A trouvé repentance.
Sans toi le guerrier paresseusparesseux,
S’assommant au soir ocieusocieux 308 ,
Avant que l’avoir veüevue,
Sent bien souvantsouvent de l’ennemi
995Dedans son gosier endormi
Entrer l’arme pointue.
Sans toi, par l’infameinfâme poison 309 ,
Dans quelque envieuse maison,
Mêlée ausau dousdoux bruvagebreuvage,
1000Souvent voit devenir plus courscourts,
Qu’il n’étoitétait ordonné, ses jours,
Le banqueteur peu sage.
Mais avec toi le fin guerrier,
De l’espion avanturieraventurier
1005Trompe l’attanteattente vaine :
Mais avéque 310 toi, l’hôte seur 311 ,
De l’execrableexécrable bouconneur 312
Rompt l’emprise 313 mal-saine.
Si le peu caut 314 EpimethéEpiméthée 315
--- 36 ---
1010Couvert de ton aile eût été,
Quand l’infetteinfecte Pandore
Enfarcina ce monde bas
Des pestes, qui jusqu’au trépas
Nous aguettent encore :
1015La fievrefièvre au maintien tremblotant,
N’iroitirait point ainsi demantantdémentant
Du jeune homme malade
L’âge abandonnant sa vigueur,
D’un gris cheveu, d’une maigreur,
1020Et d’une couleur fade.
La tarde 316 goutegoutte ne feroitferait
Qu’en un foïerfoyer s’assoupiroitassoupirait
La force abatardieabâtardie
Du soldartsoldat, dont l’horrible bras
1025Seul eût peu foudroïerfoudroyer là -bas
Mainte presse ennemie.
Trop constante alors tu suivis
Promethé 317 du plus sage avis,
De qui ne valut guereguère
1030Vers toi, de son frerefrère aller voir,
Ni vers lui, de te recevoir,
L’importune priereprière.
Il eut donc fiance 318 au maintien
Du TuargeTue-Arge Cyllenien 319 ,
1035Par qui la Tout-donnée
Des DieusDieux, pour nous donner tout mal
SoubsSous un visage liberallibéral,
Lui étoitétait amenée. 320
--- 37 ---
Quelle simplesse 321 de pouvoir,
1040Quelle folie de vouloir
Croire en la sainte mine
Des hommes, qui jamais au front
Ne vont écrivant ce qu’ils ont
Caché dans la poitrine.
1045Mais par sus tous 322 est évantééventé,
Mais par sus tous a meritémérité
Qu’on l’écrive au long rolle
Des sots, qui de son malveillant
Peut accepter le fausfaux-semblant
1050Et la GréqueGrecque parolleparole.
Fille à CreonCréon, si tu m’en croi’crois,
Le don, bien que beau, ne reçoi’reçois
De la main ennemie :
De crainte que ne soit caché
1055Le Serpent de venin taché
DessoubsDessous l’herbe fleurie.
Fin.
Acte V
Le Messager
Mon Dieu, tout est perdu.
Le Choeur
Qu’a cet homme éperdu ?
Le Messager
Un nouveau feu charmé, cruellemantcruellement devoredévore,
1060Ains 323 a ja 324 devoré, Glauque, et son perepère encore,
Avec tout leur palais.
Le Choeur
Quel feu, mon Dieu, comment ?
--- 38 ---
Le Messager
Je vous le conterai, mais que premierementpremièrement,
Mes esprisesprits égarés par la fraïeurfrayeur soudaine
RevenansRevenant dedans moi, j’aïeaie repris alainehaleine.
Le Choeur
1065Bien a deudû t’époüanterépouvanter
De voir un cas si hideushideux,
VeuVu que le seul raconter 325
Nous dresse ja 326 les cheveuscheveux.
Le Messager
Or sachéssachez donc, que déja la journée
1070Proche avenoitadvenait, qu’on avoitavait ordonnée
À la Colchide 327 , affinafin de s’en fuirenfuir,
Lors que voici ses deusdeux enfansenfants venir
Devers la fille à Creon, pour lui faire
Le riche don, de la part de leur meremère.
1075Ne saisais commantcomment, alors que contre nous
Le Destin tachetâche exercer son courrouscourroux,
Quelque DaimonDémon tou-jours nous ammonêteadmonête 328
Taisiblement 329 de la proche tempête :
Comme si Glauque eusteût conneuconnu que mortelle
1080Lui eût été cette couronne belle,
El’ 330 la refuse, et, se tournant, montroitmontrait
AssésAssez combien tel don peu lui plaisoitplaisait.
En finEnfin, Jason, : «OtésÔtez, dit-il, m’amie,
Tous ces dédains, et ne soiéssoyez marrie 331
1085Si tous ceus ceux-là qui de moi sont cherischéris,
Je veusveux de vous estreêtre aussi favoris.
RecevésRecevez donc ce don que vous veut faire
La mienemienne race 332 , et envers vôtrevotre perepère
Faites pour euseux, pour les recompanserrécompenser,
1090Que hors d’ici ne les vueilleveuille chasser.» 333
--- 39 ---
De son épousépoux les propos l’ont émuëémue,
Et retournant sa plus amiableaimable veuëvue
Vers les enfansenfants, plus gratieusemantgracieusement
Les recuillitrecueillit, tant que non seulemantseulement
1095Elle receutreçut ce beau don, mais encore
Aussi soudain son chef 334 blond en decoredécore.
TantostTantôt après, mignardée au regard
D’un miroërmiroir 335 , par maint geste mignard,
Pompante ainsi d’une honteuse gloire,
1100Par le Palais, traçoittraçait ses pas d’ivoire,
Se promenant, et or’ d’un petit clin
JettoitJetait ses ïeusyeux dessus son col marbrin 336 ,
Or regardoitregardait de son gentil corsage,
Pour façonner ses pas, l’ombre volage. 337
1105Mais, hé, mon Dieu ! que tout ce beau deduit 338
Un cas hideushideux, un cas horrible ensuit :
Car tout soudain, tout soudain la pauvrette,
Chang’antChangeant couleur, et devenant muette.
TramblantTremblant la tête, et regrinssantregrinçant les dents,
1110DeçaDeçà, deladelà, tourna ses ïeusyeux ardensardents :
Et puis menant contre soi-même guerre,
Tout roidementraidement se lança contre terre.
Alors un feu dans son chef 339 commançacommença
À s’allumer, qui guiereguère ne cessa
1115Qu’en tout le corps sa flameflamme eut épandue.
Dieu sçaitsait combien alors fut éperdue
Toute la CourtCour : l’un pour l’aider tâchoittâchait
S’en aprocherapprocher, et la toucher n’osoitosait,
L’autre crioitcriait, l’autre jettoitjetait des larmes,
1120L’autre couroitcourait annoncer ces alarmes
Au pauvre Roi, qui soudain acoureuaccouru
--- 40 ---
Devers le lieu ; comme tout éperdu
Il l’aperceutaperçut, meumu d’amour paternelle 340 ,
Pour l’embrasser vient se lancer sur elle,
1125Blâmant les DieusDieux, qui le privoîentprivaient ainsi
Sur ses vieusvieux ans, de son plus cher souci,
Et, détestant une mort si cruelle,
Mourir pourtant desiroitdésirait avec elle.
Le seul guerdon 341 qu’a sa pitié receureçu,
1130C’est le trépas, car lors qulorsqu’il a voulu
Lever de là son corps d’âge débile 342 ,
Il l’a senti à la chair de sa fille
Être attaché d’un gluau 343 malheureusmalheureux,
Par la vigueur du feu contagieuscontagieux :
1135Ainsi tous deusdeux en une même flameflamme
Se debatansdébattant, ils ont rendu leur ameâme.
Mais non contantcontent encore, s’éprenant
Plus fort ce feu, est allé forcenant
Par tous les lieuslieux du grand Palais, en sorte
1140Que ce n’est plus rien qu’une cendre morte
De ce qui fut n’aguerenaguère un Roi CreonCréon,
Glauque sa fille, et toute sa maison.
Le Choeur
Vraiment fille malheureuse,
Et perepère plus malheureusmalheureux,
1145Bien la Fortune envieuse
S’est moquée de vous deusdeux. 344
La Nourrice
FuiFuis-t’en d’ici, fuifuis-t’en, ma nourriture cherechère 345 ,
FuiFuis-t’en, mais vitement, Glauque et le Roi son perepère
Et le Palais RoïalRoyal, sont déja tout en feu,
1150Pour le mortel presentprésent que de toi ils ont eu.
--- 41 ---
MedéeMédée
Quoi fuir ? quand déja en fuite je seroïeserais
Pour voir de si beausbeaux jeusjeux encor je reviendroïereviendrais 346 .
Ils sont donques 347 brulésbrûlés, ô désirés propos :
J’aurai d’orenavantdorénavant en mon esprit repos.
1155On ne dira jamais, courageuse Médée,
Que sans te revangerrevenger un méchant t’ait blessée. 348
Que reste-il plus, sinon que massacrer les fizfils
Qu’avec ce déloïaldéloyal, malheureuse, je fis.
La Nourrice
DieusDieux immortels, avés avez-vous donc envie
1160De mettre à mort ceusceux qui par vous ont vie ?
MedéeMédée
Ils mourront, ils mourront, ton coeur est trop coüartcouard 349 .
Vrai est qu’ils sont mes fizfils, mais Jason iy a part.
Jupiter, qu’est ceci ? quels flambeausflambeaux noirs m’étonnent ?
Quelles rages d’Enfer de si près me talonnent ? 350
1165Quels feusfeux, et quels fleausfléaux, quelle bande de nuit
Ainsi de toutes parts siflantesifflante me circuit 351 ?
Quel Serpent est ici ? quell’quelle horrible MegereMégère?
Quelle ombre démambréedémembrée? ha, ha, ha, c’est mon frerefrère,
Je le voivois, je l’entansentends, il veut prendre vang’ancevengeance
1170De moi, cruelle soeur, il veut punir l’outrance 352
Que je lui fis à tort, il est ores recors 353
Que trop bourrellemantbourrellement 354 je demembraidémembrai son corps.
Non, non, mon frerefrère, non : voici ta recompanserécompense.
Jason, traitretraître, me fit te faire cestecette offanceoffense.
1175Voici, voici ses fizfils, renvoïerenvoie 355 les Furies,
RenvoïeRenvoie ces flambeausflambeaux, sans que tu m’injuries :
La main qui te meurdritmeurtrit même te vangera,
Pour mon frère tué, mon fizfils tué sera.
TienTiens donc, frerefrère, voici pour appaiserapaiser ton ire 356 ,
--- 42 ---
1180 Je t’offre corps pour corps. Je t’en vaivais l’un occire 357 . 358
J’ai oüi quelque bruit, on nous vient courir sus 359 ,
Nourrice, pranprends ce corps, allons, fuionsfuyons lassus 360
Au plus haut du logis. Que te servent ces larmes 361 ?
JaJason
Sus, sus, apresaprès, amis, sus châcunchacun coure ausaux armes !
1185AllonAllons, qu’on mette bas promptement la maison
Et qu’on vangevenge l’injure et l’enormeénorme poison.
MedéeMédée
Tous tes propos sont vains, tu ne me sauroissaurais nuire,
Car Phebe 362 mon aïeul me garde de ton ire 363 :
Menace donc ton sousoûl, quand voudrai m’en aller 364 ,
1190Le chariot aeléailé me guindera 365 par l’aërair.
TienTiens, voilà un des fizfils 366 .
Jason
L’autre au moins me demeure,
Ou je meure avec lui.
MedéeMédée
Sans toi je veusveux qu’il meure.
Jason
Qu’il vive, je te pri’ par celui même flanc
Qui le porta.
MedéeMédée
Non, non, il mourra, c’est ton sang.
Jason
1195Hélas ! moi malheureusmalheureux, malheureuse ma vie :
OÔ DieusDieux que vous avésavez dessus mon bien envie.
Qu’ai-je donques forfait ? quel est mon si grand tort ?
MedéeMédée
Tien, voilà l’autre fizfils 367 . Or’ l’un et l’autre est mort,
Encore vivras-tu, mais proche est la journée
1200Qu’esaux ruines 368 d’Argon t’atant ta destinée.
Tandis mon chariot en l’air m’emportera,
Et en ce triste espoir ton esprit languira,
Pauvre, seul, sans enfansenfants, sans beau pere-père et sans famefemme,
Qui aura desormais de fausfaux amant le blasmeblâme,
1205À l’exemple de toi se garde du danger
Par qui j’apranapprends mon sexe à se pouvoir vangervenger. 369
Fin de la MedéeMédée