Pour retrouver toutes les informations sur cette pièce, cliquez ici.
Cette pièce est également téléchargeable en version .pdf dans différentes versions adaptées à vos pratiques :
Panthée
Notes
MADELENE NEVEU, A C. Jules de Guersens.
L’art, Nature, et le Ciel, te sont émerveillable,
Philosophe, poëtepoète, interpreteinterprète des Cieux,
En sçavoirsavoir, en mysteremystère, en discours admirable,
Sage homme, fin DaymonDémon, vrayvrai compaignoncompagnon des Dieux.
À MONSIEUR DE COUTANCES.
Monsieur, si l’affection que j’ayai de vous perpetuerperpétuer le service que j’ai humblement consacré au piedzpied de l’autel de votre grandeur, pouvait paraître par quelques discours, telle qu’elle est vifvementvivement imprimée au tableau de mon esprit, je n’importunerais maintenant d’autres prières les Dieux immortelzimmortels sinon qu’ils me fissent la grace d’avoir une infinité de langues pour l’exprimer dignement avec autant de mains pour la pouvoir bien peindre dedans mes écrits. MaysMais, comme il n’est pas possible que ce tant affectionné désir puisse être representéreprésenté sur l’haleine de la parolleparole, ou portrait assez vifvementvivement par le pinceau de l’ecrivainécrivain, aussi ne dois-je point, ce me semble, solliciter si solennellement le ciel de mes vœux si monstrueux, devant etreêtre asseuréassuré en moymesmemoi-même que je ne puis en rien le faire, entendre que quand il luylui plaira m’ouvrir le chemin par quelque honnetehonnête occasion, de taschertâcher à l’effectuer. En quoi, combien que jusques icyici il ne m'aytait pas fait encorencore une entiereentière faveur (ores que tous mes plus saintz souhaitz
ne soyentsoient que de vous offrir en sacrifice ce qui peultpeut estreêtre d’expié dedans moymoi) si pensepensé-je neantmoinsnéanmoins devoir, avec bonne raison maintenant luylui rendre gracesgrâces de ce qu’il haa flechyfléchi vozvos plus douces œillades sur cette présente TragedieTragédie, que je mettoismettais en son ordre, pour me monstrermontrer par la serenitésérénité de vozvos yeux, que ce mien service vous soit agreableagréable. Je dydis, que je mettoismettais en son ordre : Car, de-peurde peur que je semble vouloir rapporter le triomphe de la victoire d’autruyautrui, je proteste devant Dieu que cestcet œuvre n’est jamais sortysorti de la boutique de mon esprit, maysmais d’un Jupiter, du cerveau duquel la Pallas de nostrenotre France (qui comme en quelques secondes Athenes, se fait adorer des plus gentilzgentils espritzesprits en ce PoictiersPoitiers) l'a fait naistrenaître 1[1] Référence à Madeleine Neveu, qui aurait donc eu une part dans la conception de la pièce. . AussyAussi vraymentvraiment je n’eusse jamais ozéosé vous profaner tant, que de mes vers mal polis vouloir emplir la rondeur de vozvos oreilles, qui sont à ouyrouïr des plus delicatesdélicates du monde : ayant mesmemême entre mains cestecette TragedieTragédie d’une si parfaite, qui pour la perfection semblait seulement estreêtre digne de vous. Or pourceparce que monstrantmontrant qu’elle vous agrée, vous estantétant presentéeprésentée de ma part, vous semblez avoir quelque apparence de mon très humble et très affectioné desirdésir, je me reputerayréputerai heureux, monsieur, et prierai Dieu que de plus en plus par semblables occasions il accroisse ma beatitudebéatitude.
C. JUL. GUERSENTII, Ad Lud. Sam-Marthanum amiciss. Epigramma.
5Cum nostro mea delicatula orbi
Educit geminos pulla soles :
Heu, nutare mihi ultimam videtur
Natura ignibus ultimis ruinam,
Tantas exerit undecunque flammas.
10Hinc totum mihi pectus ustulatum,
Hinc exusta mihi ossibus medulla,
Hinc cor in cineres mihi redactum.
Et si quando tuis opem tulisti,
Sammartane, rogis, doce quibusnam
15(Hoc debes etenim fideli amico)
Extingui pyra tanta possit undis.
Heu moesti lachrimis pluunt ocelli,
Harum diluvio genae madescunt,
Vultus enatat, et thoro recepto,
20Heu totum mihi mergitur cubile:
At hoc non satis est in igne tanto.
His iungi superis oportet undis,
Extingui ut subito queant tot ignes,
Qui me sic agitant qupraque et infra,
25Hac ducat inferius fluenta RUPE.
Eiusdem suae.
Extremamne tibi feram salutem,
Mea ô tota salus? tibine vitam,
O charissima vita, longiorem
Producant superos precabor omnes ?
30Vitaline rogem fruare luce,
Iucundissima lux ? tibine mentem,
Mentis dimidium ô meae, integram nunc
Servent fata petam ? tuamne dulci
Melli, ô mella mea, ô mei lepores,
35Vitam numina condiant rogabo ?
Nunquam : Cur etenim omnibus beata,
Mea ô tota salusque vita que, et lux,
Mens, et deliciae, salute, vita,
Luce, et mente, leporibusque, egeres ?
Sonnet.
40TroysTrois Dieux ont partagé cestcet univers en troystrois,
D'un le sceptre ensoufréensouffré par troystrois quarres pointelle
La Mer sent les troystrois dentzdents de l'autre dessus elle,
Le tiers troystrois juges haa pour establirétablir ses loixlois.
Les astres vagabondzvagabonds font leur tour par troystrois foysfois,
45Et le Soleil son char à troystrois chevaux attelle,
La Lune haa troystrois regardzregards, et de troystrois noms s'appelle.
Et par triplicitez maistrisemaîtrise sur les moysmois.
Il y haa troystrois Destins, filandiers de noznos vies,
haa Gorgones aussi, troystrois Graces, troystrois Furies,
50Pour punir les meschansméchants ; Qui nous doytdoit asseurerassurer
Que malgré les complotzcomplots (troupe sedicieuseséditieuse
Qui ne veux entre nous la concorde endurer)
Cette troisiesmetroisième paix sera troystrois fois heureuse.
C. J. DE GUERSENS.
A Panthee, par Loys de Saincte-Marthe.
Tu te doibsdois bien sentir tres-heureuse, PantheePanthée,
55Pour avoir échauffé l'esprit, l'ame et le cueurcoeur
De ce nouvel amyami, par qui en bien et heur
D'Araspe et d'Abradat l'amour est surmontee.
Araspe en ton seul corps avoitavait l'ame arresteearrêtée :
Cetuy cyCelui-ci aymeaime et chante et toytoi et ton honneur.
60Puis, Abradat mourant, tu mourus : la douceur
De cet Oephré second t'haa çà haut remontée.
Qui plus est, comme il fait qu'en honneur et beauté,
Entre celles qui sont, seront, ou ont esté,
Seule tu apparoisapparais, duchesse Suzienne,
65AinsyAinsi ce tien amyami, consommé en sçavoir,
Entre les plus sçavanssavants clairement se fait voir,
Comme en un ciel serainserein la Reine Ephezienne.
Ad. C. I. Guersentium, Summom Poetam, Philosophum, et Oratorem, Roberti Houaei Scoti, carmen.
Suum pleno canit ore Platonem,
Atque Sophum lumen,
70Sui se carmine iactat Homeri,
Attica terra Pieridumque decus se genuisse refert.
Sui Demosthenis ore superbit,
Et patrem eloquii.
Gallia sed genito te, palmam vendicat, arte
75Et cedit triplici Graecia victa lubens.
Ad eudem ejusdem hendecasyllabum.
Non si magniloquus nepos Atlantis,
Nobis eloquii decus beati,
Pallas frugiferas scientiasue,
Aut divae comites darent camoenas,
80Facundi cupereum Pericilis ora,
Vel Demosthenis: esse nec quod ipse
Aut Aristoteles fuit Platone
Optarem, mihi nec venusta vatis
Smyrnaei peteretur, aut Maronis
85Musa, aut Pindarici senis. Quid ergo ?
Quod GUERSENTIUS in tribus scit unis.
Entre-parleurs de la tragédie
Balthazar Achate Panthee Araspez Demartez Cyrus Artabaze Aratis Osonoris Messager ChoeurPANTHEE, TRAGEDIE
ACTE PREMIER
BALTHAZAR, ACHATEBALTHAZAR.
Ha Dieux immortelzimmortels, Dieux, qu’est-ce que je sens,
Qui me trouble les sens ?
Quelle horrible fureur, quelle cruelle rage
90M’echauffeéchauffe le courage ?
Et quel rouge brasier allumé dans mon flanc
Me fait bouillir le sang ?
QuelzQuels sanglossanglots redoublesredoublés pour rengreger2[2] renforcer la flameflamme,
Soufflent dedans mon ameâme?
95Quelle eau pour arrouserarroser ce feu tant ennuyeux
Ruisselle de mes yeux ?
Quelle froide sueur, comme un torrent, ravage
Le champ de mon visage ?
Quelle estrangeétrange douleur me fait à chaque fois
100Tout panthellerpanteler3[3] Haleter. Jeu sur le nom de l'héroïne, Panthée la voix ?
Et fait mourir le son de ma langue naivenaïve
Au-tourAutour de ma gencive ?
Attache mesmementmêmement mes discours au dedans
De l’enclos de mes densdentsdens
105Si bien que je n’en puis tirer qu’à grande peine
Mes mots de leur cadenecadène4[4] chaîne de fer
Et mon parler demeure esclave de la peur
Captif avec mon cœur.
Mais que dis-je de peur, moymoi qui comme un tonerretonnerre
110Fais trembler cestecette terre :
Que dis-je de douleur, moymoi à qui tous les Cieux
Ont prodigué leur mieux :
Que dis-je de froideur, moymoi à qui la jeunesse
Brullebrûle tout’ d’allégresse :
115Que dis-je de fureur, moymoidont le jugement
Fait tout si sagement :
Duquel on n’han'a point veuvuqu’aucunement la langue
AvortastAvortât sa harangue :
HastantHâtant ainsi le temps de sa conception
120Par une affection.
Et maintenant pourtant ô effaiteffet tout estrangeétrange!
Ma nature se change
Je deviens furieux, et de trop de parler,
Lâs ! je remplyremplis tout l’air.
125Puis j’ayai la pallepâle honte, et la moins noble crainte,
Dessus le front emprainteempreinte :
Si bien que je ne puis exprimer plus par voix
Cela que je conçois.
Qui fait ce changement ? Dieux, et qui porte envie
130Au repos de ma vie ?
Mon peuple vit il plus mutiné contre moymoi
SoubsSous le joug de ma LoyLoi ?
AyAi-je quelques voisins, qui eslevezélevés par guerres
Enjambent sur mes terres ?
135Le Ciel encontre moymoi, de mon bon heurbonheur jaloux,
Rougit-il de courroux ?
Et n’ayai-je pas en moymoi tout ce qu’on peut en somme
Souhaiter en un homme ?
Qui me fait donc mourir, malheureux que je suis,
140De tant et tant d’ennuis ?
Qui fait donc maintenant, maintenant qu’à tout’toute heure
De mille morsmorts je meuremeurs ?
Quel ennemyennemimutin ja5[5] déjà. à demydemi vainqueur,
S’arme contre mon cœur ?
145Non, ce n’est pas un homme : un homme ne peut estreêtre
Sur un si grand RoyRoi maistremaître.
Ce n’est pas un DaimonDémon : un DaimonDémon ne peut pas
Me conduire au trespastrépas.
Ce n’est pas quelque Dieu : un Dieu n’auroitaurait pas gloire
150D’avoir sur moymoi victoire.
Et que peut-ce estreêtre donc : Qui est ce grand pouvoir
Qui ainsi se fait voir
SoubzSous un habit de femme ? Et qui dresse la corne
Pour me faire une escorne6[6] un affront. ?
155Qui des arcs de deux yeux décoche tant de traitztraits
De tant de doux attraitzattraits,
Dessus mon pauvre cœur ? qui fait de tant de fléchesflèches
Dedans moymoi tant de bréchesbrèches ?
Et de quelle poison7[7] Poison est féminin au XVIe siècle. acerezacérés sont les darsdards
160De tant de ses regarsregards ?
Si bien que je n’ayai plus ni arteresartères ni veines
Qui sointsoient seulement saines :
J’en sens le froid venin, d’une œillade déclos,
Glisser dedans mes os.
165Et je ne puis, helashélas, trouver pour medecinemédecine
Ni herbe ni racine :
Je ne puis point, trouver pour avoir guarisonguérison
Quelque contrepoison.
Mais toytoi, de mes desirsdésirs la plus fidèle garde,
170Cher Achate, regarde :
ToyToi qui es la moitié de ma pauvre ameâme, toytoi
Qui es un second moymoi.
Si jamais, comme moymoi, ton courage malade,
Avecque quelque œillade,
175Au lieu du doux nectar de quelque accueil beninbénin,
HaA humé ce venin :
Si au lieu de fleurer le baume qui tremoussetrémousse,
A chacune secousse,
Dans le Liban d’un sein, une maudite odeur
180T’haa empesté le cœur :
Si au lieu de succersucer sur deux levreslèvres vermeilles
L’ambroise des Abeilles8[8] miel
Par quelque doux baiser, quelque fiel9[9] poison. au-dedans
T’haa fait grincer les densdents :
185Et si par aucun10[10] quelque (sens positif). art en cestecette peine extrémeextrême
T’es secouru toy-mesmetoi-même
Secour moy,Secours-moi je te pry.prie
ACHATE.
Quelle fureur, ô Dieux,
De ce pourpre sanglant vous borde les deux yeux,
190Vous fronce les sourcis,sourcils le poil vous dresse en teste,tête
Et dessus vostre votreesprit décoche satempestetempête ?
Vous estesêtes amoureux. Bien, et faut-il ,panthois,pantois11[11] Nouveau jeu sur le nom de l'héroïne.
Perdre pour cest cet amour et l’esprit et la voix ?
Et faut-il pour cela perdre la contenance ?
195N’avez-vous pas en terre encor12[12] nous conservons cette forme pour le compte syllabiquetoute puissance ?
La grande Babylon13[13] ville antique de Mésopotamie. ne tremble-t-elle pas,
Tant grande qu’elle soyt, soit encore sous vos pas ?
BALTHAZAR.
» Il n’est rien contre un Dieu à un homme loisible.
ACHATE.
» Il n’est rien contre un Dieu à unRoy Roi impossible.
BALTHAZAR.
200» Amour est un grand Dieu : qui pourroitpourrait subsister ?
ACHATE.
Vousestes êtes un grand Roy Roi : qui pourroit pourrait resister ?résister
BALTHAZAR.
» Mays Mais tous les plus grands Roys Rois sont de l’amour esclaves.
ACHATE.
» Aussi les plus grands Roys Roiscommandent aux plus braves.
BALTHAZAR.
» Si ne peuvent-ils pas forcer les chastes cœurs,
205» Soient-ils cent et cent fois du monde les vainqueurs.
ACHATE.
UnRoy Roi quand il luylui plait haasur iceux14[14] ceux-ci, conservé pour la rime victoire.
BALTHAZAR.
Et feroyent-ils feraient-ils si tost tôt banque-route15[15] faillite à leur gloire ?
ACHATE.
» C’est alors qu’ilsvoudroyent voudraientpar l’immortel renom
» D’un grand Roy Roi vice-dieu eternizer éterniser leur nom.
BALTHAZAR.
210Mays Mais voyla, voilà neant-moins néanmoins tant grand que l’on m’estime ;
Je suyssuis plus malheureux que l’homme plus infime
Qui vit dessous mes loix lois : car il pourroit pourrait avoir
Quelque douce faveur pour nourrir son espoir
Affamé de l’amour. Je voyvois la Bergerote16[16] petite bergère
215Qui de cent doux regarsregards son amoureux mignote.17[17] traite délicatement
Je voyvois tous ces pasteurs s'affriander18[18] se régaler après
Des metzmets plus delicatzdélicats de mille baiserés19[19] nous maintenons cette forme pour le compte syllabique
Et je ne puis, helashélas, avoir de cestecette dame
Que je cherischéris, pauvret, autant que ma propre ameâme,
220Un simple doux-accueil : Je ne puis, malheureux,
Dérober de son œil quelque signe amoureux.
Je voyvois la Cruauté, qui au lieu de sa targe20[20] bouclier léger
Se sert contre l'amour de son beau front si large :
Et de ses noirs sourcissourcils elle vient décocher
225Ses pudiques attraits contre l'Amour archer,
D'un regard irrité : comme d'un rouge foudre
J'en ayai mes os brullezbrulés, et tous reduisréduits en poudre :
J’en meurs cent fois le jour, miserablemisérable destin,
Et ma mort en mourant ne peut avoir de fin.
ACHATE
230CestCet ennuyennui ne peut point vous tirer de la geinegêne,
Tant ennuyé soyez, de cest'cette horrible peine.
Calmez cestecette fureur, qui fait bondir les flosflots
De vozvos mutins souspirssoupirs, et de vozvos durs sanglossanglots.
SerenezSereinez vostrevotre front, et d'une douce gracegrâce,
235Malgré ce fier amour, essuyez vostrevotre face.
Bref, retournez à vous, pour vous esvertuerévertuer
Si ces voeuzvœux amoureux peuvent s'effectuer.
Sachez donques21[21] Nous maintenons cette forme pour le compte syllabique. , sachez que vous avez puissance
Par tant de beaux moyens d'en avoir jouyssancejouissance.
BALTHAZAR
240De luylui offiroffrir des dons ce ne seroitserait qu'en vain.
ACHATE
Si est-ce que Juppin22[22] Jupiter coula dessus le sein
De la belle pucelle, en Acrise honorée,
Avec l'égail fecondfécond d'une pluyepluie dorée.
» La Richesse corrompt et la terre et les cieux,
245» Les Manes23[23] âmes des défunts, les DaimonsDémons, les hommes et les Dieux
» Il n'y haa rien si saint qui pour or ne se change :
» Un Diable mesmementmêmement par or deviendroitdeviendrait Ange.
BALTHAZAR.
Et si j’y puis venir, Achat, par ces moyens,
Prodigue, je te pry’pri’, prodigue tous mes biens.
250Vraymentvraiment, j’aymeaime mes biens : mais pour sauver ma vie,
Qui captive languit, des biens je n'ayai envyeenvie.
ACHATE.
Ne vous souciez plus, je m'en voisvais apposter
Un qui en vostrevotre nom la pourra accoster.
[Panthée et le chœur entrent en scène.]PANTHEE.
Non, non, ni vozvos belles promesses,
255Ni vozvos pompes, ni vozvos richesses,
Ni tout ce que pourriez avoir,
N’auront jamais sur moymoi pouvoir.
Offrez moy-moi cestecette terre toute,
Faites que chacun me redoute,
260Mettez moymoi le sceptre en la main,
Pour commander au genre humain ;
Ceignez mon chef de la couronne
Qui votre chef mesmemême environne :
Faites trembler mesmemême à mon nom
265VostreVotre superbe Babilon.
» J’ayai bien un plus grand diadémediadème
» Voulant commander a moymémemoi-même,
» Que si donnant à chacun LoyLoi
» Je ne commandoycommandais pas à moymoi.
270» Je suis, je suis plus souveraine
» EstantEtant de mes desirsdésirsla Reine,
» Et maitrisantmaîtrisant mes passions,
» Que tant et tant de nations.
» Car les Reines dont les courages
275» Font aux cupiditezcupidités hommages,
» N’ont pas grand honneur à avoir
» Sur tant de Royaumes pouvoir.
Plus-tostPlutôt soys-jesois-je à nulle seconde
La plus miserablemisérable du monde :
280Plus-tostPlutôt, que contrainte de fainfaim
Aux huis24[24] portes. je mandie mon pain.
LE CHŒUR
Voy-làVoilà commantcomment ceux qui par l’apparanceapparence
D’une grandeur, qui leur donne espérance,
Se futurent25[25] s’imaginent, prévoient. leur bien :
285Le plus souvent l’heur, qui ne felicitefélicite
En tous souhaitzsouhaits que l’espoir qui meritemérite,
Ne les advanceavance en rien.
Car celuy làcelui-là, lequel se courtaisie26[26] courtise, nourrit.
D’un espoir faux sa pauvre fantaisie,
290Et flateflatteses plaisirs
De la douceur de quelque bonne attente,
Si la vertu ne la luylui representereprésente,
Trompent tous ses desirsdésirs.
Aussi ce RoyRoi soubssous qui la terre tremble,
295Et qui des-jadéjà tout promettre se semble
Par un espoir trompeur,
Pour n’attenter ce qui peultpeut estreêtre honnestehonnête,
Voit que le Ciel veultveut charger sa tempestetempête
D’un monde de malheur.
PANTHEE
300Que ne meurs-je à ce coup, faut-il qu’encor27[27] Nous maintenons l'apocope pour le compte syllabique. ,chetivechétive,
Je traîne quelques ans ? Fault-ilFaut-il qu’encor je vive ?
Et fault-ilfaut-il que l’hyverl’hiverd’une froide langueur
Megelegèle tous les sens, et me glasseglace le cœur ?
Fasse pleurer mes yeux une eternelleéternellepluie,
305Fasse que de cest’cette eau ma face ne s’essuye,s’essuie
NegeNeigesur mes cheveux, excite sans repos,
AinsyAinsi que quelques vents, mes mutinezmutinéssanglossanglots ?
Et ne viendra-t-il point un Astre qui soleille
D’un trait plus grâcieux, d’une œillade vermeille,
310Cest’Cette horrible saison, en laquelle les Dieux,
Maudite que je suys suis, ont conjuré mon mieux.
Lâs ! tant plus que je vis, tant plus le cieltempestetempête,
De mille ennuysennuis nouveaux dessus ma pauvre teste tête.
Lâs ! tant que plus que je vis tant plus dessus mon chef
315Le destin ennuyeux m’eslanceélanceson méchef.28[28] malheur.
Aussi jeployeploie au faix29[29] sous le poids du fardeau. tant mon mal serengregerengrège,30[30] se renforce.
Si la mort à la fin par pitié ne m’allegeallège.
Mort donc, si la pitié logea jamais en toytoi,
Hélas Mort, je te prie ayeaie pitié de moymoi.
320Que me sert vivoter, et attirer à peine,
Tant la douleur m’éstraintétreint, ma naturelle haleine !31[31] souffle vital.
Que me sert de languir, et àdemydemisouffler
Avecques32[32] Nous maintenons cette forme pour le compte syllabique mes sanglossanglots, mon âme parmyparmil’air ?
Que me sert de baigner mon visage de larmes ?
325Que me sert de donner à mon cœur tant d’allarmesalarmes?
Et nevault-ilvaut-il pas mieux tout d’un beau coup mourir,
Que tant et tant de maux diversement souffrir,
AusquelzAuxquels durant la vie est subjettesujetteNature ?
La mort est le dernier des maux que l’on endure.
330J’yrayiraisoubssous les rameaux des glorieux Lauriers,
Des Mirtes amoureux, et de saints Oliviers,
Aux Champs ElisiensElyséens, mignardant ma pensée,
Sans que ma chasteté y puisse estreêtreoffensée.
Je ne redoutrayredout'rai plus cestcet amoureux volleurvoleur,
335Qui me guette par tout pour piller mon honneur.
Ce Balthazar superbe,33[33] orgueilleux. à qui cesteceste Fortune,
Qui jusqu’à ce temps estoitétait tant opportune,
Souffle le vent au nez, avecque34[34] Nous maintenons cette forme pour le compte syllabique. son pouvoir
Ne desireroitdésirerait plus d’outrager mon debvoirdevoir.
340Et ce jeune Araspez, à qui ceste victoire
Fait bouffer35[35] augmenter (vu négativement) à presentprésentle courage de gloire,
Ayant entre ses mains ma pauvre liberté,
N’attenteroitattenterait jamaysjamais sur ma pudicité.
Non, non, il n’auroitaurait plus cestecette cruelle audace,
345Qui avecque36[36] Nous maintenons cette forme pour le compte syllabique. son sang luylui boultbout dessus la face.
Non, non, il n’auroitaurait plus cestecette grand’37[37] Nous maintenons cette forme pour le compte syllabique. cruaultécruauté,
Qui veultveut (Barbare effaiteffet) combatrecombattre ma beauté.
Au-tourAutour des neuf retours du fleuve d’Oubliance38[38] Le Léthé, fleuve des Enfers dans la mythologie grecque où les ombres des morts allaient boire pour oublier le passé : comme le signale Enea Balmas, ce fleuve était décrit comme particulièrement tortueux ce qui explique l’expression « neuf retours ».
Il iroitirait, malheureux, faire sa penitencepénitence.39[39] Panthée invite Araspez à aller faire pénitence au Léthé, ce qui revient à lui demander de l’oublier.
350Et moymoi ce temps-pendant40[40] pendant ce temps , absoulteabsoute de Minos,
En ces beaux champs sacrezsacrés je prendroyprendrais mon repos.
MaysMais le voy-cyvoici encorencore : où faultfaut-il que je fuyefuie ?
ARASPEZ.
PantheePanthée, à qui je suyssuis, si, helashélas, je t’ennuyeennuie,
Comme tu fais semblant d’en porter un grand dueildeuil,
355Darde, darde sur moymoi un foudre de ton œil,
Lance dessus mes os, lance ton rouge soufresouffre,
Et m’abismeabîme d’un trait en un infernal gouffre.
Il me vaultvaut mieux mourir, malheureux, d’un beau coup,
Que languir sans espoir, et vivoter beaucoup.
PANTHEE.
360Si tu meurs, Araspez, tu es ton meurtrier41[41] À prononcer en deux syllabes : meur-trier. mesmemême.
ARASPEZ.
PantheePanthée, mon soucysouci, ma PantheePanthée, que j’aymeaime
Plus que ma vie propre, escouteécoute par pitié,
Et ayeais un peu esgardégard à ma grande amitié.
Ne pense, ma Princesse, et Reine de ma vie,
365Que ta condition soytsoit moindre ou asservie
Pour aymeraimer Araspez, qui ne vit point sinon
Que comme ton espouxépoux, amoureux de ton nom.
Ton Abradat fustfut Roy d’une seule Province,
Et les riches MedoisMédois me recongnoissentreconnaissent Prince.42[42] Les Mèdes, peuple ayant vécu dans le Nord-Ouest de l’Iran actuel, dont Araspez est le prince.
370Ton Abradat n’avoitavait qu’un peuple dessoubzdessous soysoi,
Et tant de nations vivent dessoubzdessous, ma LoyLoi.
Son regnerègne est jajà finyfini par la guerre perdue,
Mon pouvoir soubzsous Cyrus accroistaccroît son estendueétendue.
Il est par ma prouësseprouesse à demydemi jajà vaincu,
375Et j’ai tousjourstoujours sur tous victorieux vescuvécu.
J’ayai par-delà le cours des peuples plus estrangesétranges
Par tant de braves faitzfaits fait voler mes louängeslouanges,
Et il demeure court avec son deshonneurdéshonneur.
PANTHEE.
» La femme doytdoit sentir avecqueavec son seigneur
380» Et le bien et le mal des mondaines traverses :
» Car l’amour se congnoistconnaît aux fortunes adverses.
» Il faultfaut que celle là qui goustegoûte bien du miel
» Laisse couler aussi sur ses levreslèvres du fiel.
ARASPEZ.
MaysMais quoyquoi ? Je t’aymeaime tant.
PANTHEE.
385L’amour est illicite.
Araspez
Et dea, me penses-tu de si peu de meritemérite,
Suys-je suis-je de te cherirchérir ainsyainsi recompensérécompensé :
La force me rendra du prier dispensé.
Non, non, je n’en puis plus.
390Sus, il faultfaut qu’à cest’’cette heure
Ou que du tout je vive, ou que du tout je meure.
PANTHEE
Eunuques, mes amysamis.
ARASPEZ
Ou à droit, ou à tort,
Il me faultfaut ou eslireélire ou la vie, ou la mort.
395Non, tu hasas beau courir, non, tu hasas beau, cruelle,
Attacher, pour t’enfuyrt’enfuir, au-tourautour tes piedzpieds une ailleaile :
Je te devanceraydevancerai : je te fais trop d’honneur,
Bourrelle43[43] féminin de bourreau , te portant une telle faveur.
PANTHEE
Eunuque, je me meurs, je m’en voisvais rendre l’amel’âme.
DEMARTEZ
400Dequoy De quoi vous plaignez vousplaignez-vous ? que craignez vouscraignez-vous, madame ?
Pensez vous pensez-vous qu’il osastosât rien attenter sur vous ?
PANTHEE
Eunuque ; il haa l’esprit aveuglé du courroux :
Il me voudra user à la fin de contrainte.
DAMARTEZ
Faites premierementpremièrement à Cyre vostrevotre plainte,
405Il le respectera, et pour l’amour de luylui
Il n’osera jamais vous faire tel ennuy ennui.
PANTHEE
Allez yAllez-y donc pour moymoy, car vraymentvraiment j’auroy j’aurais honte
Si je me presentoyprésentais pour luylui faire un tel conte.
» La chasteté ne doytdoit ne dire ne penser
410Chose, tant grande soytsoit, qui la puisse offenser.
Graces Grâces, et falloit-ilfallait-il que vous fussiezfûtes donc telles ?
BeautezBeautés, et falloit-ilfallait-il que vous fussiezfûtes si belles ?
Maintien, et falloit-ilfallait-il vous maintenir ainsyainsi ?
Douceur, et falloit-ilfallait-il estreêtre tant douce aussyaussi ?
415PlustostPlutôt soys-jesois-je, plustostplutôt, soys-je sois-je la plus vilaine,
soys-jesois-je moins belle en tout, moins douce, moins humaine,
PlustostPlutôt n’y aytait en moymoi qu’horreur et chasteté,
MaysMais que je puisse icyici garder ma chasteté.
Plustostplutôt, ô Ciel, plustostplutôt, que cestecette fine soyesoie,
420Qui entour mon beau chef44[44] ma tête à plis frisezfrisés ondoyeondoie Devienne longs Serpensserpents45[45] allusion à Méduse : que ce front honoré
Soytsoit par les grandzgrands sillons de rides labouré.
Que ces voutezvoûtés sourcissourcils plustostplutôt tombent à terre,
Que cestcet œil gracieux soytsoit plustostplutôt un tonnerre,
Que ce nez aquilin, qui ja46[46] déjà. semble devoir
425Prendre sur les Persans à bon droit tout pouvoir
SoytSoit tout deffigurédéfiguré ; que cette jouëjoue encore,
Qui fait en couleur honte au lustre de l’Aurore,
En lueur au Soleil, et en sa fermeté
(Tant est elle durette) aux pommettes d’EstéÉté,
430Perde son en-bon-pointembonpoint, que ces tresorstrésors d’abeilles,
Que Nature haa caché sous mes levreslèvres vermeilles,
SointSoient emportezemportés au loingloin : que ce beau lait caillé,
Dessus47[47] L'adverbe est ici une préposition (sur). mon coulcou longuet si proprement taillé,
Devienne tout villainvilain : que ce sein, qui pommelle
435Dessus mon estomachestomac d’une enflure jumelle,
SoytSoit du tout abbaisséabaissé : Bref, que tant de beautezbeautés,
De gracesgrâces, de vertuzvertus et de divinitezdivinités,
SointSoient mises hors de moy moi , devant48[48] avant , qu’helashélas, j’endure
Qu’on fasse à mon honneur une si grande injure.
Le Chœur.
440Comme l’on veoitvoit le plus mutin orage
Noyer les champs, et déborder de rage,
Puis crever furieux
Aux flanczflancs d’un rochroc, qui eslevéélevé voisine
Les hautzhauts sommetzsommets de la grande courtine
445Qui entoure les Cieux.
Comme l’on veoitvoit l’Aquilon qui menassemenace
De quelque escueilécueil la sourcilleuse audace,
Et sans dessus dessoubsdessous
Bouffer en vain, puis sur la plus humble herbe,
450Qui pend au-tourautour de sa testetête superbe,
Décharger son courroux.
La Chasteté est cestecette haute roche,
C’est cet escueilécueil, duquel si on approche
Plus que par le debvoirdevoir :
455Ni tous les flotzflots de nostrenotre enflé courage,
Ni tous les vents de nostrenotre fierefière rage,
N’auront aucun pouvoir.
Fin du second Acte
ACTE TROISIESME
Cyrus.
CE ROY donc qui avoytavait la poitrine eschaufeeéchauffée
De tant d’ambitions, pour bastirbâtir son tropheetrophée
460Delà le fleuve Halis, et etoufferétouffer mon nom
Par le feu reluysantreluisant de son fameux renom,
Est à demydemi vaincu : j’ayai donques49[49] Nous maintenons cette forme pour le compte syllabique. de sa gloire,
IndontéIndompté que je suyssuis, paranné ma memoire.
L’ennemyennemi effrayé s’en est enfuyenfui au loin,
465L’Assyrien superbe haa bouqué sur mon poin poing,
Le Persan Gobrias, et Gadatas le sage,
Tant estimezestimés qu’ils soyentsoient, m’ont fait donques50[50] Nous maintenons cette forme pour le compte syllabique. hommage.
J’ayJ’ai donques triomphé de ce peuple mutin,
J’en J’en ayai entre mes mains encore le butin,
470J’ayJ’ai cette belle Reine, et ces deux Lydiennes ;
Sur toutes du païspays bonnes musiciennes.
MaysMais encor51[51] Nous maintenons l'apocope pour le compte syllabique. tout cela, de quelque vain honneur
Ne m’en fait point bouffer aucunement le cœur52[52] Ne m'en rend pas orgueilleux. ,
Je ne m’en sens plus fier, ni cette grand’53[53] Nous maintenons l'apocope pour le compte syllabique. puissance
475N’enfle point pour cela mon esprit d’arrogance.
Les RoysRois sont tout ainsyainsi que cestcet œil grand des Dieux,
» Qui d’autant plus qu’il est eslevéélevé sur les Cieux,
» MenassantMenaçant notre chef, fait ses ombres moins croistrecroître,
» Et veultveut haulthaut eslevéélevé plus petit apparoistreapparoître54[54] Nous maintenons cette forme pour la rime. :
480» Tant s’en faut que jamays jamais un grand RoysRois doive avoir
» Le cœur enorgueilly enorgueilli pour son plus grand pouvoir.
Mais qu’est-ce MedeMède icyici, qui devers55[55] Vers moi s’adresse ?
[Demartez entre en scène.]DEMARTEZ
Sire, je suyssuis venu au nom de ma maîtresse
Femme au RoyRoi des Suzans, qui maintenant vers vous,
485Se fiant à vos yeux si gracieux et doux,
Se presenteprésente par moymoi ; helashélas,estantétant contrainte,
Pour sauver son honneur, de vous faire sa plainte.
Araspez veultveut ravir ce qu’elle haa precieuxprécieux
Plus que mesmemême son cœur, et que ses propres yeux.
490Araspez veultveux vollervoller le thresortrésor de sa vie,
Il desiredésire de veoirvoir sa chasteté ravie,
Son nom deshonorédéshonoré, et trahissant sa foi
Veut que meurtrieremeurtrière56[56] À prononcer en trois syllabes : meur-triè-re. soytsoit de l’honneur de son RoyRoi,
Le bon Abradatez.
CYRUS.
495O quelle grande injure.
Araspez pouvoitpouvait bien se vouërvouer à Mercure
Pour heurer57[57] rendre heureux son amour : car ce Dieu est heureux
(Mais non le cruel Mars) pour les vraysvrais amoureux.
Artabaze, marchez, deffendez-luydéfendez-lui la force.
500JeJesçaysais que la beauté est suffisante amorce,
Je sçaysais que l’on s’eschauffes’échauffe en s’approchant du feu :
MaysMais encorencore, si fault-ilfaut-il, si fault-ilfaut-il quelque peu
Commander à soymesmesoi-même, et montrer qu’on est brave
Pour retenir tousjourstoujours un tel amour esclave.
ARTABAZE.
505Sire, je m’y en voisvais.
CYRUS.
Et toytoi mon compaignoncompagnon,
PresentePrésente le bon jour à ta dame en mon nom,
L’asseurantassurant par mon sceptre, et par cette couronne,
Qui de mon chef sacré la rondeur environne,
510Par ma riche tiare58[58] couronne et par tout cest cethonneur
Dont tu veoisvois que chacun honore ma grandeur,
Qu'elle n'aura point mal : plustostplutôt que l’on m'estime.
Le plus poltron qui soytsoit, que j'endure un tel crime.
Plustost Plutôt soyssois-je cent fois à chacun en dédain.
515Que j’endure en ma courtcour un acte si villainvilain.
ARASPEZ
Yeux traîstrestraîtres, traîstrestraîtres yeux, pourquoypourquoi en cestecette sorte
Aux meurtriers de ma vie a-vous59[59] forme contractée de avez-vous. ouvert la porte
Du chasteau château de mon cœur ; où mon esprit rangé
Par le camp de l'Amour, foiblefaible estoytétait assiégé.
520Pourquoypourquoi a-vous60[60] forme contractée de avez-vous. reçeureçu ces Amoureaux qui dardent
Mille traitztraits amoureux à ceux qui les regardent,
Pour mon ame âme navrer61[61] blesser ?
Pourquoypourquoi a-vous admis
Dans vostrevotre propre fort vozvos propres ennemis ?
525Et vous après aussi paupierespaupières, peu fidellesfidèles,
Pourquoypourquoi ne faisiez-vous toujours les sentinelles
Pourquoypourquoi ne couvriez-vous de vos ailles ailes mes yeux ?
Pourquoypourquoi enduriez-vous, vous qui estiezétiez aux lieux
Où ilz ils capituloyentcapitulaient contre ma pourepauvrevie
530Que sans mon sçeusu, helashélas, mon âme fustfûttrahie
Vous deviez engarder62[62] éviter que cest cet ennemyennemi fier
RecongnoistreReconnaître nepeustpûtmonpourepauvreœil peu guerrier :
EstantzÉtant bien asseurez assurés qu’il ne pouvoitpouvait l’attendre
Qu’il n’ eust eût éstéété contraint incontinent63[63] immédiatement se rendre.
535Et moymoi ne suyssuis -je pas plus bisongne cent fois,
Qui devoisdevais donner ordre au siegesiège, toutesfoistoutefois
Sans rien considererconsidérer ayai mis mon œil en garde.
Au lieu plus dangereux, où l'ennemyennemi regarde ;
Or voilà, j'en suis mort : ô qu'il m' eust eût valluvalu mieux,
540Malheureux que je suis, n'avoir heu eu jamais d'yeux
Ô qu'il m' eust eût valluvalu mieux que jamais ma paupière
N’eusteût éclos à mes yeux du beau jour la lumière !
ô qu'il m' eust eût valluvalu mieux, estant étant ainsy ainsi traité.
Par mes sens mesmementmêmement, n'avoir jamaysjamais estéété
545Ma mort ne seroytserait plus, pour t'avoir veuvu, Panthee Panthée,
Par tant d'amours cruelzcruels tant de fois attentée :
Tant de nouveaux desirsdésirs, soldatzsoldats de ces amours,
Ne pourchasseroyentpourchasseraient plus ma vie tous les jours.
Tant de cuysantzcuisants soucis, ainsyainsi que capitaines,
550Ne me combatroyentcombattraient plus de tant et tant de peines.
Je seroysserais asseuréassuré des malheurs que je voyvois
Que cestcetAmour guerrier attraine64[64] attirer avecque soysoi.
ARTABAZE
N’est-ce pas Araspez que j'entenentends qui sanglotte ?
N'est-ce pas Araspez, dont le visage flotte
555En cette mer de pleurs ? C’estluylui vrayment vraiment, c’est luy lui.
L'amour est seulement père decestcetennui,
Quiainsyainsilanguissant s’avorte sur la face.
Si faultfaut-il maintenant qu'entendre je luylui fasse
Le vouloir de Cyrus en ses affections.
560Araspez, notre RoyRoi, sachant tes passions,
Qui d'un voile amoureux t'ont la veuevue bandée,
MesmeMêmeoù la chasteté est tant recommandée,
Comme en Panthee elle est, te défend tout effort :
Car l'amour qui estvrayvrai n'est qu'un commun accord ;
565De deux vouloirs en un, qui se fait par prière.
ARASPEZ
JamaysJamais n’eussen'eussé-je vu la belle prisonnière,
JamaysJamais n’eussen'eussé-je un œil dessus elle élancé :
Je n’auroyn'aurais, comme j’ayj'ai, mon seigneur offencéoffensé,
Et ne seroysserais bourreau de ma vie chetivechétive.
570MaysMais faultfaut-il, malheureux, faultfaut-il qu'encor je vive ?
Dieux puissantzpuissants, foudroyez, toneztonnez, pleuvez, greslezgrêlez,
Et comme en un chaos tous mes membres meslez,
Dardez sur moymoi l'éclat de vostrevotre rouge foudre,
TronçonezTronçonnez tous mes os, et les mettez en poudre,
575AbismezAbîmez-moymoi, d'un coup de vostrevotre sceptre, au fond
Du centre plus obscur, de l'enfer plus profond.
ARTABAZE.
Mais revenez à vous : que servent les complaintes,
Et les ruisseaux enflezenflés de tant de larmes feintes ?
Estimeriez-vous bien, que ces facheuxfâcheux travaux
580Donneront quelque trévetrêve au moindre de vozvos maux ?
ARASPEZ.
La mort de tous mes maux me sera plus humaine,
Car elle, mal-grémalgré tous, mettra fin à ma peine.
LE CHŒUR.
Vous jeunes gens, qu'un trait à l’impourvëuel'impourvue
De ce Dieu jeune, orphelin de la veüevue,
585HaA navré jusqu’aux cœurs :
Voyez icyici le plus presentprésent remederemède,
Dont vous pouvez retirer plus grande aydeaide,
De vozvos grandes langueurs.
Il nin'y faultfaut point pétrir tant de racines,
590Ni faire cuyrecuire en tant de médecines
Tant de simples divers :
Il nin'y faultfaut point cercherchercher quelque allégeance65[65] atténuation, soulagement :
Contre l'Amour les herbes n'ont puissance,
Ni le charme des vers.
595Si vous sentez vostrevotre ameâme estreêtre offenceeoffensée
De sa sagette66[66] flèche , à vozvos yeux elanceeélancée,
Ne prenez point confort,
Pour vous guérir de cestecette maladie,
Aux grands moyens de toute vostrevotre vie,
600MaysMais à la seule mort.
Fin du troisiesmetroisième Acte.
ACTE QUATRIEME
PANTHEE
Tu es donc mort, amyami, il faultfaut aussyaussi bien, morte
Que je te fasse escorte :
Non, je ne puis plus vivre : ayant perdu mon bien
Pourrois-jepourrai-je vivre bien ?
605Non, je ne plus vivre : ayant perdu ma vie
De vivre encor67[67] Nous maintenons l'apocope pour le compte syllabique, ici et plus bas. desirdésir?
Auroi-jeaurais-je, ayant perdu par ta mort mon plaisir,
De vivre encor desirdésir?
Auroi-jeAurais-je encor vouloir te voyant morte en guerre
610De vivre en cestecette terre ?
De vivre en cestecette terre, en cestecette terre, où Dieu,
Où Dieu n’han’a plus de lieu ?
Qui bannit les vertus, qui retire les vices,
Qui cheritchérit les delicesdélices,
615Qui profane l’honneur de la pudicité,
Suytsuit la lubricité,
Se veultveut licentierlicencier68[68] donner licence, liberté à ce qui luylui peultpeut plaire,
En ce qu’elle veultveut faire :
Ravit tout, force tout, et veultveut par son pouvoir
620Toutes choses avoir :
FuytFuit le bien, fait le mal, et d’une estrangeétrange audace
Tous les pechezpéchés embrasse.
Non, il me faultfaut mourir : la mort peultpeut seulement
Appaiserapaiser mon tormenttourment.
625MaysMais, si fault-ilfaut-il qu’encor, devant69[69] avant que je desliedélie
Du filet de ma vie
Mon esprit, et mon corps (espouxépoux que tant j’aymoisj’aimais)
Je te veoyevoie une fois :
AffinAfin que ce corps vil, que donra70[70] Nous maintenons l'apocope pour le compte syllabique la Nature
630Aux vers pour nourriture,
SoytSoit un coup bien-heuré, devant que71[71] avant de clorreclore l’œil
Soubssous le sombre cerceuilcercueil,
Te revoyant encorencore. Maysmais qu’est-ce que je pense ?
AuroisAurais-je bien puissance
635Encor de te revoyrrevoir ? Seroyent-ceSeraient-ce là tes yeux,
Tes yeux si gracieux ?
SeroyentSeraient-ce là encor ces deux vifvesvives prunelles,
Qui par tant d’estincellesd’étincelles
Allumoyent Allumaient noznos amours ? SeroyentSeraient-ce là ton front
640Qui se voutoytvoutent en rond ?
SeroyentSeraient-ce ces filzfils d’or, qui couronnoyentcouronnaient ta face,
Qui sont tous pleins de crasse ?
SeroyentSeraient-ce tes sourcissourcils, d’où comme de deus arcs
Amour tiroyttirait ses dars72[72] flèches ?
645Tes jouësjoues, qui estoyentétaient de beau vermillon teintes,
Sont ell’ si tosttôt dépeintes ?
Où est le beau coralcorail, qui couvroitcouvrait au-dedans
Les perles de tes dents ?
Où est ce doux parler, qui serenoytsereinait la rage
650Du plus mutin orage ?
Où est ce ris mignard73[73] ce doux sourire, qui d’un doucet parler
Nous parfumoytparfumait tout l’air ?
Où est cette vertu, cette divine gracegrâce,
Qui avoytavait en toytoi place ?74[74] Qui avait place en toi ?
655Où s’est enfuyenfui au loin ce tant gentil esprit,
Où Nature comprit
Ce qu’elle avoytavait de beau, n’ayant estéété avare
De ce qu’elle avoytavait rare ?
Où est cette ameâme belle, où le Ciel avoytavait fait
660Un chef d’œuvre parfait ?
ameâme, ameâme, qui tiroystirais du Ciel ton origine,
EstantÉtant toute divine,
Tu retournes au Ciel : car tu ne pouvoyspouvait pas
Demeurer plus ça bas75[75] ici bas .
665Il falloytfallait que là-haultlà-haut, en la plaine aethereeéthérée76[76] pure, de nature céleste;
Avecque77[77] Nous maintenons cette forme pour le compte syllabique ton AstreeAstrée,
Tu cerchassecherchasses ton bien. Ce monde icyici sans foyfoi
N’ estoytétait digne de toytoi.
Or fault-ilfaut-il maintenant que ta plus douce amyeamie
670Te facefasse compaigniecompagnie :
Il le faultfaut, cher espouxépoux : car je ne puyspuis aussyaussi
Vivre en ce monde icyici.
A-dieuAdieu donc Monde,A-dieuAdieu, A-dieuAdieu toutes delicesdélices,
A-dieuAdieu, A-dieuAdieu tous vices,
675A-dieuAdieu ; A-dieuAdieu pechezpéchés : je voisvais busquer le mieux
De mon heur dans les Cieux,
Avec mon Abradat : Adieu, je m’en voisvais morte
Faire à son ameâme escorte.
Ce coutelas ardant m’ouvrira le chemin
680Pour y aller en fin.
DEMARTEZ.
Où fuyez vousfuyez-vous, madame, et un peu, je vous prie,
Entendez moymoi, helas hélas , entendez moymoi, qui crie :
Et puys quepuisque je ne puis vous donner reconfortréconfort,
Que comme en vie, au-moinsau moins je vous suive en la mort.
685O sainte, chaste, belle et douce nourriture,
La beauté des beautés, chef d’œuvre de Nature :
Mes yeux pourront-ils veoirvoir tes deux yeux ainsyainsi clos
Le glaive, le vouloir, et le brazbras plus dispos
ConduyrontConduiront mon esprit par-myparmi la troupe espesseépaisse
690De tes ManesMânes78[78] les âmes des défunts muets, pour te suyvresuivre, maitressemaîtresse.
ARATIS.
Non, non, il te vaultvaut mieux, il te vaultvaut mieux, mon cœur,
Mourir tout en un coup que tant vivre en langueur.
Ayant perdu ta dame, helashélas, ta vie mesmemême
T’est mille et mille foysfois pire que la mort blesmeblême.
695Ne languylanguis donquesdonc plus,hastehâte toytoi une foysfois
De luylui faire service, au lieu où tu la veoisvois.
Va là suyvresuivre là baslà-bas dessous la fraicheur douce
Des mirtesmyrtes amoureux : où un ZephirZéphir79[79] vent doux et léger. tremoussetrémousse
De ses fraizfrais ailerons, comme au Printemps plus doux
700Quand l’air encontre nous ne bouffe de courroux.
Va la suyvresuivre là baslà-bas dedans les champs d’Elize80[80] « les champs d’Elize » : les champs élysées : lieu de repos éternel des héros décédés. .
Où la terre tousjourstoujours, ayant la mignardizemignardise
Peinte dessus la face, enfante tant de fleurs,
Qu’ilzils en repaissent là noznos ombres des odeurs.
705Va la suyvresuivre là bas, où les fontaines vertes
Sont, mesmesmêmes en tout temps, d’un verdvert tapis couvertes :
Et du doux gazouillis de leurs jazardesjasardes81[81] bavardes eaux
Font tousjourstoujours la musique aux bordzbords de leurs ruisseaux.
Que differesdiffères-tu donc ? Sus haste toyhâte-toi, mon ameâme,
710De delaisserdélaisser ton corps dessous l’obscure lame,
AffinAfin de l’ensuyvirensuivir : aussi ne puis-tu pas,
Pauvrette que tu-es, sans elle estreêtre ça bas82[82] ici bas. .
OSNORIS.
Bras, que redoutes-tu ? Et quelle crainte froide
Te fait glisser, ma main, et la rendre si roide83[83] Nous maintenons cette forme pour la rime. ?
715Ne puis-tu enferrer de ce glaive mon flanc ?
Ne puis-tu l’empourprer dedans mon rouge sang ?
Ne puis-tu t’en donner, mal-grémalgré ses algarades84[84] attaques brusques en paroles. ,
Au travers de ton cœur, mille et mille estocades ?
Que veux-tu vivre encorencore ? Bras, quelle crainte has tuas-tu ?
720Par une belle fin fayfais montrer ta vertu :
La fin couronne l’œuvre. Or donc sans plus attendre
Va t’en, bras, par la mort à ta dame te rendre.
[On peut supposer que le suicide des personnages a lieu sur scène.]LE CHŒUR.
Voyez amantzamants, quelle est un amour sainte,
Que la vertu haa dans nostrenotre ameâme emprainte,
725Par honnesteshonnêtes desirsdésirs :
On n’y veoitvoit point des folles mignardises,
Qui dans noznos cœurs couvent les paillardises,
TrasserTracer les faux plaisirs.
Comme la tourtre85[85] tourterelle. , en perdant sa compaignecompagne,
730De durs regretzregrets fend l’air de la campaignecampagne,
Et veufveveuve desormaisdésormais,
Ne se peultpeut plus en aucune autre plaire :
Le vrayvrai amour ne peultpeut point se distraire
Par un autre, jamaysjamais.
735AinsyAinsi veoitvoit on que la mort plus barbare
Cest’Cette amytiéamitié encoresencore ne separesépare:
MaysMais malgré son pouvoir,
Malgré sa faux, malgré toute sa force,
Ce saint Amour de plus en plus s’efforce
740Pour la victoire avoir.
Fin du quatriesmequatrième Acte.
ACTE CINQUIEME.
LE MESSAGER
Quel lettrine spectacle piteux ? quelle estrange étrange advantureaventure ?
O ciel, ô terre, ô mer, ô princesse Nature
De tout cet univers. Qui adjousteraajoutera foyfoi
A cela que j’ayai veuvu estreêtre fait devant moymoi ?
LE CHŒUR.
745QuiQu’y haa-til, messager, qui vous fait ainsyainsi plaindre ?
LE MESSAGER.
J’ayai veuvu Panthee, helashélas, son couteau meurtrier teindre
Dans l’albatre86[86] : matériau naturel blanc poly poli de son beau coulcou si blanc,
Faisant rouler dehors un fleuve de son sang.
Je l’ayai veuvu, en apresaprès cette pauvre victoire,
750DemyDemi-morte tomber sur les boules d’ivoire
Du sein de son amyami, et souffler à l’entour
Son esprit, encor87[87] Nous conservons cette forme pour le compte syllabique chaud du sang de son amour :
Et puyspuis son ameâme apresaprès de ses ailerons fendre
L’air le plus espessyépaissi, et dans le Ciel se rendre,
755Avecque88[88] Nous conservons cette forme pour le compte syllabique. son époux : qui le croiroytcroirait ? apresaprès,
Sa Nourrice j’ayai veuvu, qui la suivoytsuivait de presprès,
Se menacer aussi, et presque, avec elle,
De son corps mesmementmêmement vouloytvoulait estreêtre bourelle.
Et puyspuis, estrangeétrange cas ! troystrois Eunuques suivantssuivants,
760E’prisÉpris de mesmemême amour, tel spectacle trouvanstrouvant,
Prendre le glaive au poinpoing, et de semblable audace
De mille et mille coups se massacrer la face :
Et bref, ilzils ont donné, à la fin, pour fourreau
Leurs troystrois coups89[89] Faut-il lire corps ? innocensinnocents à ce mesmemême bourreau
765L’air alors tout fachéfâché, de ses pluyespluies menues,
Comme esmeuému à pitié, fit lors pleurer ses nues
Dessus leurs corps transis, et jettajeta sans repos,
Par des ventzvents courroucezcourroucés, mille et mille sanglossanglots.
Le Ciel alors troublé d’un tout sombre nuage,
770Pour montrer sa douleur, se masqua le visage :
La Mer plus que jamaysjamais, au-tourautour des roczrocs cornus,
Fit alors escumerécumer tous les grandzgrands flosflots chenuzchenus :
La Terre mesmementmêmement, pour montrer sa tristesse,
Veuve de tout plaisir, vint à languir sans cesse.
775Tous les humains fachezfâchés eurent la larme à l’œil,
Et ensemble les Dieux en porterentportèrent grand deuil.
LE CHŒUR.
On vit la RoyalleRoyale gracegrâcegrâce
Se deschoyrdéchoir en un moment,
L’ameâme reprendre au ciel place,
780Le corps en son elementélément.
Ô chasteté admirable,
Ô excellente beauté,
Ô bien mondain peu durable,
Ô grande infelicitéinfélicité!
785Et toytoi sainte ameâme etoféeétoffée
De la plus rare vertu,
Tu rapportes le tropheetrophée
Du vice en terre abbatu
De la prison déliée
790Tu voles au beau pourpris,
En ta place dédiée,
Avec les chastes EsprisEsprits.
Ô exemple de la vie,
Comble de perfection :
795Tu nous laisses bien l’envie,
MaysMais non l’imitation.
Sur ta triste sepulturesépulture
Se sied la pudicité,90[90] pudeur.
Qui sacre cette aventure
800A son immortalité.
Fin de PantheePanthée TragedieTragédie