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La Soltane
Notes
A MONSEIGNEUR MONSIEUR DE L’HOSPITAL,
Chancellier de France,
Gab. Bounyn Salut.
RE-VOIANT, Monseigneur, & d’une ancienne memoire, repetant en mes plus soigneus pensers les troubles, & divisions dont huy sont demolies, & renversées les Republiques, au grād dueil de vous toutes-fois : pour n’être de ce parti, & voire pour effuir (comme il est en l’adage) à force de rames, & de voiles tels perturbateurs du repos commun, je me fuis tant que loisiblemēt j’ay peu cachemēt distrait, & departi de la chose commune, & autres functiōs civiles, pour cōme un Timon Misanthrope, me cacher dans les lettres, & solitairement m’étrāger de l’accez des hōmes. Et ainsi apres quelques regrets cuisans, & non moins de plaintes, pour vainement ne laisser écouler le tems, duquel (conme disoit Theophraste) n’est pris, coust, ne dépēse plus chere, comme de toutes choses le plus impossible à recouvrer, aiant entre-mis le severe labeur de mes études serieuses, jusques a un tems plus calme, & asserené, je me suis amoureusemēt reconcilié avéques mes Muses. Aus leçons desquelles, apres laborieusement y avoir dépensé
Hovog à des roedg épee.
Eidem Præfecto prętorij carmen.
Etsi grandiloquens tragicis mea Musa theatris
5Astet, Turcarum enses narratura cruentos:
Etsi Musa graui tragicoque induta cothurno,
Iam iam adsit, rabias Turcae dictura feroces:
An’ne ego grande tuum, versu temerarius ausim
Elogium euulgare graui iam elinguis, & excors
10Musa tacet, fasces hymno non ausa canenti
Decantare tuos: iam me dyspnoea silentem,
Et fauces artúsque tenet. Quid carmine cantem
Natales annos: fasces ? quid plectra ? togámque ?
Quidue magistratus? (Gallorum ô lumen & hospes
15Eximie, ôinter doctos procerésque dynastas
Prime sedens) sed ego carptim quid conor eburnos
Incrustare scyphos frustra? quid cunctor ineptè
In Gallûm Exhedris hymnis ornare virum quem
Contemnit nemo ?
GAB. BOUNINUS.
LES PERSONNAGES
ROSE. SIRENE. RUSTAN. LE CHOEUR. SOLTAN. MOUSTAPHA. LE HERAUD. LE SOPHE. LES EUNUCHES.20LA
LA SOLTANE, TRAGEDIE.
Acte premier.
ROSE.
TEls sont ce tes destins, Dieu du plus haut manoir?
Tel est ce ô Apollin ton senétre vouloir?
Tel encōbre encombre futur à moy femme pouvrete
M'avoit elle avant-dit ta cortine profete?
25O que je devoi' bien Armenie laisser,
Pour malheureuse helas en Thrace m'adresser.
Oui oui je devoi bien pour aborder en Thrace,
Laisser Taure & Caucas le surgeon de ma race.
Faut il o cieux faut il, que je voie ranger
30Pardessus mes chers filz un esclave etranger?
Faut il qu'un Moustapha filz natif de la terre,
L'honneur de mes enfans honteusement aterre?
Plux-tost desastrement m'ennauire Caron
En sa nef pour surgir en l'haure d'Acheron,
35Plus-tost helas plus-tost, plus-tost que je deuales
Aux plus nuictains manoirs des ondes Auernales,
Que soit si bravement par un vulgaire-né
Au regret de mes filz l'empire gouverné:
Plus-tost facent les Dieux que d'un punissant foudre
40Mon cors du ciel frapé s'evente tout en poudre,
Premier qu'un Moustapha je voie plus avant
Regir audacieux tout l'atour du levant.
Quelz donc seroient les drois de nos deus détres jointes,
Que deviendroit Soltan l'eclair des torches saintes:
45Donc, donc que deviendroit ô invincible Roy,
Les cinque mille Sultains & l'inviolable foy
Qui d'un noeud Gordian les restes de nos vies
Tient sous le joug d'Hymen à jamais asservies.
Et puis Dieu Enfernal n'ay-je pas le pouvoir
50Par charmes & par sors, par magique scavoir,
De faire revenir une ombre tenebreuse,
Grommelant quelques vers sur sa tombe oublieuse?
Ne puis-je pas aussi d'un cri Thessalien
Arracher nuictément du Pole Olympien
55La lune mi-formé: las ne puis-je pas faire
Par quelque herbe de Colche, & de la riche Ibére
Qu'un Roy, non non un Roy, mais le plus fier des Dieux,
Ayant oui mes sors & mes cris si hideux,
Que d'une allure élée icy bas ne devale,
60Pour captif m'obeir comme Hercul'à Omphale.
Doncques je ne pourray sous ceste loy renger
Le Roy pour Moustapha de sa cour eéranger?
Moy hautaine, qui puis d'une vois Stentorée
Flechir le bas Cocyte & la vout' Etherée?
SIRRNE la Dame d'honneur.
65O Dame helas quelz propos sont cecy,
Quelle raison vous esguillonne ainsi,
D'entretenir dont vous soiés dolente
Dans vostre cueur une ire bouillonnante?
Las cuidez vous pour ainsi vous douloir
70Du grand Iuppin eschanger le vouloir?
Las cuidez vous par ces herbes charmeuses
Pour tous vos sors & plaintes si piteuses
Pouvoir helas, de ce grand Juppiter,
De ses destins la carriere arretter?
75Cest luy, cest luy, qui conduit cest affére,
Cest luy qui veut que Moustapha prospére:
Mais connoissant Moustapha abuser
Des dons vers luy dont ha voulu user
(Comme on le void par une oultre-cuidance
80Ingrat user de sa sainte influance)
Alors alors, ce plus puissant des Dieux
Le depouill'ra du parfet de son mieux,
Acouardant sa sourcilleuse audace,
Comme il ha fet à l'arrogante race
85Du chaud Titan. Pourtant j'espere voir
(Si ne me viend mon espoir decevoir)
Tous vos enfans de l'estoc de leur lance
D'un Moustapha affoiblir l'arrogance.
Oui je veux voir tous vos plus chers enfans
90Sur Moustapha en honneur triumphans:
Voire plus-tost que la carriere élée
De l'an legier je voie estre écoulée.
Pour-tant de vous, je vous suppli' bien fort
Que loing chassiez ce ploreux desconfort.
ROSE.
95Que j'endure regner sur mes fils d'avantage
Moustapha: las plus-tost un foudroiant orage
Vienne mon cors, mes os, violentement briser
Que bravant je le voi' plus longvement user
De l'Empire: & que aussi ceste audace effrontée
100Je souffre qu'ell' ne soit honteusement dontée.
Non non les Dieux sont Dieux, & de leur plain pouvoir
Peuvent mes quatre filz de l'Empire pourvoir.
"Car pour sur les humains plus qu'hommes apparoitre,
"Et pour leur grand pouvoir nous donner a connoitre,
105"Font le filz d'un potier au sceptre parvenir,
"Et de ce sceptre encor' un potier devenir.
Mais à détres oiseaus, si par leur praevoiance
Prendre ne puis de luy desirable veng'ance
Bast' cest peu, car moy humbl' sans à eux me ranger
110De mon mortel haineux j’ay dequoy me vanger.
SIRENE.
Las voulés vous acoiser d'avantage
Dans vostre cueur ceste rong'ante rage?
Voulés vous point d'honneur le nourrisson,
Effuir de vous cest' aigre marrisson?
ROSE
115Effuir Sirene effuir, ou est la mere en Thrace
Fust elle malheureus' del'Hyrcanine race
Qui n'eust, qui n'eust le cueur, le cueur plus-que transi
De veoir ceux de son sang anonchaloir ainsi?
Ou est Sirene ou est, mais dy moy ou est celle,
120Qui vers ses mesmes filz se montra si cruelle,
Qui voiant Moustapha à ses filz s'adresser,
Felonne ne voulút son orgueil abaisser?
SIRENE.
"Soltane assés assés celuy se venge
"Qui son haineux de tout honneur étrange
125Laisse le la pour vivre degarny
De biens, d'amis, laissés la ce banny
Laissés le la pour vivant reconnoitre
Combien luy vaut trop hautain vouloir étre
Qu'auroit il plus pour son juste loier
130Si ne vouliés aux Orques l'envoier?
Qu'auroit il plus pour tels cruels encombres,
Que d'aller voir les Auernales ombres?
ROSE
Qu'il auroit plus Sirene, encor' ne scais tu pas
De quell' genne Ixion lon tourmente la bas.
135Qu'ell' faim chetif endur' et quelle soif glueuse
Cest asoivé Tantale en l'onde stygieuse:
Quelle peine ha Sisyph', et quel soigneux traval
Pour sa pierr' arretter boulversant contre-val.
Toutesfois n'est si grand leur for-fait & offence,
140Qu'est de ce Moustapha l'acrettée arrogance.
Donc il ne mourra pas? doncques pour tous ses maux
Il ne sera plongé aux fleuves Auernaux?
Donc pour tous ses forfaicts les Déesses fatales
Ne trancheront le fil de ses aures vitales:
145Il mourra, il mourra, ou n'auray le pouvoir
De l'Hecate aux trois chefs la poitrine émouvoir.
Oui Sirene il mourra, ou ma sainte science
S'ra vers luy vainement d'inutile puissance.
Pourtant de ce haut ciel Dieux les plus souverains,
150Vous Demons empanés & Manes souterreins,
Toy Belphegor issu des creux du plus bas étre.
Qui me fis la vertu des sept herbes connoítre,
Toy charmeur Thanagan avansant son trepas
Pour subject m'obeir qui talonne ses pas:
155Sus d'un cri ær-sonnant sortés du bas Auerne
Plus que d'un pas élé courés tous fus ce cerne
Sus donc tous acourés tournoians par trois fois
A l'effroiable son de mes tristes abois.
Sus sus donc prestement qu'un chacun soit en armes:
160Sus Demons nuicts-vagans que lon coure à ces charmes.
Car vers ce Moustapha, cest huy que je veux voir
Si vos sors murmurés auront quelque pouvoir:
Cest huy que je veux voir s'ils auront tell' puissance,
Que de ce Moustapha affoiblir l'arrogance.
SIRENE.
165Ne cess'rés vous d'ainsi vous gaimanter
Voules vous point vostre deuil alanter
Chass'rés vous point ceste rage cruelle,
Forcenement qui ainsi vous bourrelle?
Las qu'est cecy, quelle juste raison
170Vous ha causé si grande marrisson?
Oui oui, je dis marrisson si extréme,
Qu'ell' vous ait mis au dehors de vous méme?
Helas Soltane ou sont ces bons espris
D'avoir tous-jours que vous aviés apris?
175Ou est le cueur & la face constante
Craintivement non jamais blemissante?
Ou est cest oeil richement asuré?
Ce grave port, ce maintien assuré?
Ou est la fac' qui s'est veu' tous-jours une
180Pour quelque assaut qui survint de fortune?
Rose or' fus donc chassés de vótre cœur,
Ce triste émoy, ce soing, ceste rancœur,
Ce dur courrous & rong'ante furie
Métrallement qui vos sens seigneurie:
185Pour Moustapha hautain & brave voir,
Est il raison d'ainsi vous émouoir?
Pour avoir veu encontre vostre race
Un Moustapha orgueillir son audace,
Eh deues vous à vótre grand danger
190Si loing de vous vos espris étranger?
N'aues vous pas le pouvoir & puissance
De vous venger de son outre-cuidance:
N'aues vous pas du Roy tout plein pouvoir
De vous venger, sans ainsi vous douloirhi
195Que deviendroit l'amour constante & forte
Plus qu'a ses yeux que Soliman vous porte?
Soltane helas, helas que deviendroit
Ce ioug d'Hymen escharsement etroit,
Qui tellement tient vos ames emblées
200Qu'elles ne s'ront jamais desassemblées.
Donc donc pensés, sans irriter ainsi
Le ciel, l'enfer & vous mesmes aussi,
Penses ainsi sans atester les ombres
Charon, Erebe, & les trois Parques sombres
205A vous venger de ce mortel haineus,
Par les conquets & les fais valleureus
De vos enfans, pensés pensés ma Dame
A vous venger du trenchant de leur lame,
Non par ces plains & ces cris si hideus,
210Ces hurlemens & ces sors stygieus.
Doncques pensés pour son orgueil abatre
Premier que luy de vous mesme combatre,
D'avoir un cueur, un cueur constant & fort.
"Car celle lá fait un plus-grand effort
215"Qui de son cueur iré est veinqueresse
"Que qui gaingn'roit quelqu' haute forteresse.
Donc gaingnés vous & étaignés un peu
Ce dueil poignant, ce courrous & ce feu,
Qui vos beaus yeus, tous vos os & vótre ame
220D'un chaud brasier felonnement enflame:
Donc'attendes qu'ait le Pole vouté
Ce Diadéme honteusement óte
A Moustapha & le tout- pouvant sceptre
Pour de vos filz en la dextre le mettre.
225ROSE
ROSE
Moy que plus longuement je l'endure regner,
Et encontre mes filz orgueilleus s'hautainer?
Moy que plus longuement Sirene je l'endure
Anonchaloir ainsi ma chere nourriture?
SIRENE.
230"C'il de ses voeus à sus assez tost vient,
"Qui en sa vie une fois y parvient.
ROSE
"C'il a y parvenir paresseus trop demeure,
"Qu'y atoucher, heureus, pouvoit de plus-haute heure.
SIRENE.
"C'il trois, six fois heureux se doit tenir,
235"Qui desperant tard s'y void parvenir.
ROSE
"C'il qui tard au dessus viend de ce qu'il souhaite,
"Le desiré souhait trop chairement achaite.
SIRENE.
Eh mais voici Rustan.
ROSE
Vient il ici?
SIRENE.
240Oui le voila.
RUSTAN.
Quel clameur est cecy?
Quel émoy, quel courrous, & quelle ire felonne
Atant vous agacer ainsi vous epoinçonne?
Quell' tristesse, quel dueil, & epineus souci
245A vous entre-facher vous eguillonne ainsi?
Dont vient Rose dont vient ceste brillante face,
Ce sourcil herissé, & ceste tresse esparse
Ainsi negligemment au tour de vótre chef?
Las pour quel si grand mal, quel ocombre ou mechef
250De Soltan Soliman la plus que tresaimée,
Se void d'ire & courrous vótre face enflamée?
ROSE
O Rustan des Baschas le plus que fortuné,
Rustan d'heur & vertu prodiguement orné,
Par les Astres bessons, Rustan ceste fortune
255N'est de riens moins qu'à moi à vous méme commune.
RUSTAN
Soltane qu'est ceci helas que dites vous?
Quell' cruelle Nemes', quel celeste courrous,
Quel Veioue vengeur ou desastrée étoille
Cachement m'ha ourdi une infortune telle?
260O Tutan tout l'apui, le support & pavois
De ceux qui en ennui t'appellent d'humble voix?
Or' veuilles devancer le mechef que lon brasse
Traitrement contre moi & tous ceux de ma race?
Tutan Dieu tout pouvant de tous le plus piteus
265Veuillez donc l'elancer dessus nos envieus.
SIRENE.
Rustan cessez cessez ceste tristesse,
Qui vostre cueur cruellement detresse,
Cessez ce dueil: car il n'est ia besoin
Ce triste emoi qu'il s'en voise plus loin
270Vous tourmentant.
RUSTAN
Helas helas Sirene
En mes poumons seigneus resoufle moi l'aleine
D'un presage meilleur remets moi mes espris
Forcenement d'effroi & tristesse surpris.
SIRENE.
275Le dueil poignant & tristesse dolente
Qui vous Rustan & Soltane tourmente,
N'est ce mait-Dieus nul autre que de voir
Un Moustapha en hauteur & pouvoir.
Le dueil poignant & ploreuse detresse,
280Les meilleurs sens qui de Soltane oppresse,
Que de le voir n'est autre cemait-Dieus,
Dessus ses fils par trop audacieus.
RUSTAN
Helas que pensez vous, qu'estes vous devenue?
De quell' cruelle Erinne estes vous detenue?
285Quelle juste raison vous a peu émouvoir
Soltane pour un riens à ainsi vous douloir?
Quell' guerriere Enyon ou Bacchique furie,
Quel Erebe beant, quelle Orquale Manie,
Quel fureur sans raison ou bouillonnant courrous,
290Ainsi legerement vous etrange de vous?
ROSE
Quell' fureur dictes vous, ains plus-tost quelle Parque
Ou quel hideus Charon en sa nef ne m'embarque:
Ains plus-tost quel Souman, Roi des ombreuses nuis
Me voiant enterrée en si tristes ennuis,
295Pour de moy les effuir d'ici haut ne me jette
Des ondes au plus creus de son fleuve de Lethe.
Las Rustan qui seroit le cueur de diamant,
Qui peút de Moustapha souffrir plus longuement
Le sourcil élevé & l'arrogance outrée?
300Oui qui le peut souffrir de toute la contrée
D'Amasic, de mes fils obscursissant l'honneur,
Et de tout le levant paisible gouverneur:
Las plus tost lon voirra Caucas de son épole
Orgueilleus atoucher les etoilles du Pole.
305Oui plus-tost lon voirra le tonnelet persé
Comblement jusqu'aus fais rempli de l'eau versé
Emerveillablement par les niéces d'Egisthe,
Par trop honteusement que moy dolente & triste,
Je souffre que me soit par un si brave hardi
310De mes plus chers enfans l'honneur abatardi?
Las plus-tost lon voirra dans un noueus cordage
Enretter d'Aquilon la forcenante rage:
Premier plus longuement que iele souffre avoir
Par dessus mes enfans tant soit peu de pouvoir.
315Las voudrois tu Rustan, Rustan que tant i'honore
Sur mes plus chers aymés, mais voudrois tu encore
Qu'un sot audacieus jeunement parvenu,
Un sot vulgaire-né de son pere inconneu,
Au regret de mes fils ta plus chere alliance
320Demourast gouverneur de toute la Bysance?
Eh voudroi tu Rustan que ce trop inhumain,
Vint brave assugettir sous le fais de sa main,
Tout le peuple Asien & la rondeur de Thrace?
Dea voudroi tu Rustan, qu'acretant son audace
325Vint obscurcir les fais & gestes triumphans
Par son orgueil hautain de mes plus chers enfans?
Et pense un peu Rustan & r'apelle en toi méme
La rancueur & l'emoi & la haine si blème,
Que jusque icy a tort d'un visage fardé
330Dans le creus de son cueur t'ha traïtrement gardé?
Donc souvien toy Rustan de la haine chienine
Que contre toy recuit dans sa fainte poitrine
Au prouffit de Soltan dont tu voulus oser
Des Sangaces mutins les soudes rabaisser?
335Oui oui dont tu voulus moindrir les soudes chéres,
Des hautains Sangachis & guerriers Ianicheres.
Las donc s'il parvenoit un jour à étre Roy,
Ores penses Rustan, mais penses a part toy
Quel moyen il auroit de ceste mal-veuillance,
340De prendre contre toy desirable vengeance?
Et puis & puis Rustan n'aime tu pas trop mieus
Voir tes freres mes fils gouverneurs de ces lieus?
Oui je di gouverneurs (pour cest amour fealle
Que tu porte à leur seur ton épouse loyalle)
345Que non un Moustapha un hautain orguilleus,
Vn mutin herissé, un brave audacieus?
Que non un Moustapha la seule haine & enuie
Et le seul reagal de ta totale vie?
RUSTAN
Le mal talent Soltane & la pale rancueur
350De Moustapha ainsi qui vous genne le cueur,
Encor' Soltane encor' de ma haute pensée
Oubliuieusement n'en est point effacée:
Le mal talent Soltane & l'aigrissant émoi
Haineusement haineus qu'il concoit contre moi
355Encor' Soltane encor' de [pens'é's] immortelles
Me demoure fiché au profond de mes mouelles.
Car tant que je pourray au centre retenir
De mon cueur de moi même un plaisant souvenir:
Car tant tant Junon dans ma poitrine humide
360Nourriciere assouffl'ra son halaine liquide,
Voire tant que ces os & que ce cors charnu
De ses membres sera fortement soutenu,
Un souvenir Soltane & une ire enflammée
M'en demour'ra au cueur à jamais imprimée.
365Pourtant doncques cessés mon courageus vouloir
Contre ce Moustapha par vos plaints emouvoir,
Pourtant pourtant cessés ma chere dame & mere
Vers vótre gendre user de si humble priere,
Mais or' donques cessez par vos mielez propos
370Plus grande ir' contre luy d'allumer dans mes os,
Assez la dent de laict & la haine felonne
Qui tout-jours contre luy dans son cueur luy bouillonne
Assez le dur emoy dedans son cueur chienin
Qu'il recuit voire assez le damnable venin
375Soltane sans vos plains envers le Roy, m'appelle
En bref de luy brasser quelque haine mortelle:
Pourtant donc prenez cueur & étrangez de vous
Ces plaintes, cest aigreur, & ce brulant courrous,
Qui trop hideusement de son feu vous efface,
380Le poli helenin de vostre belle face.
Sus Soltane fus donc mon support & appuy
Loing essuiez de vous ce blemissant ennuy:
Car premier que Phoebe à la teste cornue
Ait le Pole voilé d'une nuictaine nue:
385Et que le cler Titan ait charroié le jour,
Par six fois au dessus du terrestre sejour,
J'espere Moustapha de mettre en la dégrace
Du Soltan Soliman & de toute sa race:
J'espere & non en vain par mon subtil moien
390De le rendre ennemi du peuple Amasien.
Alors Soltane alors à vos filz sans envie
La cité D'Amasic demour'ra asservie.
Lors la gemelle Asie & Bosphoride Thrace
Seule regie s'ra de ceus de vótre race.
ROSE
395Mais encores Rustan mes enfans pourroint ilz
A tant d'heur parvenir par tes moyens subtilz?
Rustan pourrai-je voir de ceus de ma leignée
Par tes subtilz aggetz la Thrace gouvernée?
RUSTAN
Si vous les pourrés voir? non seulement les voir
400En pompes, en hauteur, & triumphant pouvoir:
Mais mais vous les voirrés premier que ceste année
Soit de ces douze mois egalement bornée,
Les fais de Moustapha braves aneantir
Tous d'un pouvoir egal, en luy faisant sentir
405Au trenchant emoulu de l'ápre coutelace,
Combien luy vaut vers eus d'orguillir son audace?
Plus-tost à mon souhet pour parvenir à sus
Des desceins contre luy en mes moelles conçeus,
Je gaign’ray la faveur de l'epoisse cohorte
410Qui aux chams devant luy va marchant à grand flotte:
Je le rendray haineus aux martiaus soldars
Qui marchent d'un pas coy dessous ses étandars:
Et f'ray plus, car moy caut par parole atraiante,
Pour venir au dessus de ma nouvelle attente,
415Je pein’ray pour de tous l'abímer en l'horreur
D'avoir de son Bascha son total gouverneur
Un cartel par lequel il don'ra à entendre,
Que Moustapha hautain veut à épouse prendre
Izabel fill' uniq' du prince Persien:
420Trahissant faussement le peuple Amasien:
Et que traitre à Soltan avec le Roy de Perse
Nóstre mortel haineus journellement converse.
Lors pensez contre luy quel courrous enflammé
Le grand Soltan aura dans son cueur allumé.
425Lors Soltane pensez combien la court bel-erre
Pour un si láche tour luy f'ra prendre autre terre?
ROSE
Helas mon cher Rustan, Rustan que j'aime mieus
Que mon cueur, humblement je te pri' par nos Dieus,
Voire
430Voire & pour l'amitié qu'a ma fille tu porte,
Ces desireus desceins d'acheminer en sorte
Qu'esciemment Rustan ne nous mette en danger,
D'un hautain Moustapha en nous cuidant venger.
RUSTAN
Soltane je vous pri' que pour céte entreprise,
435N'en soiés nullement de tristesse surprise:
Car si couvertement j'espere ce descein
Moi caut acheminer à si heureuse fin,
Que le tout vous voirrés choir au grand advantaige
De vous dame Soltane, & vostre parentaige.
LE CHOEUR
440Deucalion que tu as fait
Sur tout le seul homme parfait.
En céte terre basse,
Jettant des rocs derrier' ton chef
Pour le façonner derechef
445Dessus le mont Parnasse.
Las cauteleus que tu étois
En lieu de pierre tu jettois
Sur la montaigne sainte,
Or' un rubis étincellant,
450Un zaphir à l'eclair brillant,
Et óre une Jacynthe:
Dont aussi du depuis s'est veu
L'homme seul de tout heur pourveu,
De scavoir & faconde
455Huy seul se void l'homme vivant
Des Gades jusques au levant,
L'ornement de ce monde.
En luy de son hanap gemmeus
Epancha le tout de son mieus
460La Suadele eloquente.
En luy seul les nourrices soeurs
Verserent toutes leurs douceurs.
De leur corne abondante.
Mais toy Pyrrha que tu méfis
465Quand jadis la femme tu fis
En ce mondain repére.
Sénestrement par sus ton dos
A foison éparsant les os
De ta mere premiere.
470Car en lieu de perle Idaspine
De quelque gemme Cyanine,
Or' un dur diamant,
Or' une grosse roche ague
Hounie de froide sigue,
475Tuiettois seulement.
Donc du depuis aussi s'est veue
La pouvre femme dépourveue
De prisable scauoir.
Las (Pyrrha d'Epimethe-née)
480Du depuis s'est veu' dénuée
De tout bien & avoir.
Has tu quelque chef d'œuvre fait
En ce manoir plus imparfait
Que cest' inféte Rose?
485Veux tu veoir en ce genre humain
Pour ung chef d'œuvre de ta main
Plus imparfaite chose?
Dea Pyrrha ou trouverroit lon
Ung cœur plus cruel & felon
490En ce terreus theatre?
Ou est la femme qui le coeur
Ait enflé de telle rancœur
Qu'ha cest aspre maratre?
Onq' tant vers ses filz ne méfit
495Ne tell' cruaulté ne leur fit
La charmeuse Colchique:
Que va de mal en soy brassant
Contre Moustapha innocent
Ceste Rose impudique.
500Onq'Phedre fille de Minos
Contre Hippolit' dedans ses os
Ne receuit telle haine:
Que va contre Moustaph'songer
De malpour d'icy l'étranger
505Ceste Rose inhumaine
Las Moustapha que pense tu,
T'ha ell' le courage abbatu.
Ceste Rose despite?
Ou est le bras qui brave ha mis
510En routte tous tes ennemis
Fuyans à la garite?
Ou est le bras fort & hardi
Le bras qui à acoüardi
L'audace Persienne?
515Ou est le bras des chocs vouté
Qui ha à Bysance adiouté
La terre Rhodienne?
Fault il que toi des plus adrois
Aux fiers & martiaux arrois
520Que tantie loue & prise,
Qui ceste Rose traïtrement
Sans te defendre bravement
Ainsi te dévalise?
"O quelle misere pleureuse
525"Quand la femme maline
"Quelque entreprise ruineuse
"Pourpense en sa poitrine.
"Car deút elle estr' au fond jetée
"De l'onde Stygienne
530"De son emprise projectée
"Fault qu' asus elle en vienne.
LA THRENODIE DES
deux Genies de Moustapha.
Puis quepar les destinées
Et les envieux discors,
Faut mettre à bout nos anneés
535Et nous delaisser ce cors
Soint nos tresses
Par detresses
Ceinctes d'un Cyprés retors.
L'heure qui garde la porte
540Des neuf contours étoilez,
Nous rang'ra en la cohorte
A ell' soudain avollez
Des Pleiades
Des Hyades
545Et des douze dieux élez.
ACTE II.
RUSTAN
A Soltane c'est or' que est venu’ la journée
Ou je dois voir flourir ta roialle lignée
Sus les monarques rois: c'est or' que je dois veoir
Tes fils les plus hautains du terrestre manoir,