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La Soltane

par Gabriel Bounin (1561)
 

Notes
 

 

A MONSEIGNEUR MONSIEUR DE L’HOSPITAL,

Chancellier de France,

Gab. Bounyn Salut.

RE-VOIANT, Monseigneur, & d’une ancienne memoire, repetant en mes plus soigneus pensers les troubles, & divisions dont huy sont demolies, & renversées les Republiques, au grād dueil de vous toutes-fois : pour n’être de ce parti, & voire pour effuir (comme il est en l’adage) à force de rames, & de voiles tels perturbateurs du repos commun, je me fuis tant que loisiblemēt j’ay peu cachemēt distrait, & departi de la chose commune, & autres functiōs civiles, pour cōme un Timon Misanthrope, me cacher dans les lettres, & solitairement m’étrāger de l’accez des hōmes. Et ainsi apres quelques regrets cuisans, & non moins de plaintes, pour vainement ne laisser écouler le tems, duquel (conme disoit Theophraste) n’est pris, coust, ne dépēse plus chere, comme de toutes choses le plus impossible à recouvrer, aiant entre-mis le severe labeur de mes études serieuses, jusques a un tems plus calme, & asserené, je me suis amoureusemēt reconcilié avéques mes Muses. Aus leçons desquelles, apres laborieusement y avoir dépensé

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quelques heures, il m’est venu en l’aduis de faire monter les Solymans sur le Theatre, plus-tost pour affiner & assagir nos François de leurs perils tragiques, que pour arrogāment faire quelque épreuue de moy, veu que je serois des plus ignares, ne sachant nager, ne les lettres. Ainsi donques Monsieur, à la faueur de vótre oeil, étant venu a sus de mes desceins, j’ay bien tant osé sans aucun acoútrement d’arrogance, esperant bon visage de votre hauteur, vous dedier ce mien tel quel ouvrage: ce que vraiment sans rougir je n’eusse fait, si à l’ongle ne m’eust eté trop conneue votre candeur, & coutumiere bien-veillance, non moins fortunément heurée que heureusement fortune : par laquelle gaiment à front déploié, coustumierement receuez tous labeurs, & poëmes de toute trempe, ne dédaignant, & mettant à mépris les rudes, & mal-nez, pour ne devancer, voire & ne démouvoir le jeune ouvrier du projet de ses meilleurs labeurs. L’autre cause Monsieur, qui ma poussé de vous vouer ce mien livre, n’est autre que sachant etre en l’usance, & institution des Greg’ois, que quand il se faisoit quelque ouvrage, de le dedier au plus docte, & sage de leur tems, afin que celluy la par son docte sçavoir louang’ast ce qui seroit louable, & par sa sage modestie taisiblement suportast & clinast aux fautes. Ainsi Monsieur ne sçachant, comme vraiment je ne sçai, votre pareil & égal, soit en prudence, en grandeur de sçauoir, accomplissement ou perfection de meurs, je ne dirai en l’Europe, mais en toute la rondeur de ce siecle, comme au seul ornement de la France, j’ay osé certes, non moins humblement, que modestement, sacrifier ce mien ouvrage à votre hauteur. Encor’ & de-rechef suppliant votre douceur, & céte votre clemence, dont vous etes heureusement doué, de le recueillir aussi affectionément, qu’humblement j’ai osé le vous presenter. Mais pourroi-je ores assez condignement louanger cest esperit ? céte douceur debonnaire, qui vous environne ? ce sçavoir tant émerveillable, duquel loin (si je le dois dire ainsi) de plusieurs parasanges, outre-passe les plus doctes de ce siecle. Las combien la France vous doit, d’être de vous si saintement, & fidelement conseillée ? En ce imitant (comme dit Ciceron en l’oraison pour Sexte) les Curiens, les Fabriciens, les Brutes, les Scipions, & Æmiliens, à leurs exemples, en premier vous (comme eux Rome) aimant cherement la France, conseillant & secourant les bons, ne tournant riens à gain, mélouant les proufis presens, n’estimant rien bon que ce qui est juste & æquitable: bref gardant étroitement ces deux præceps de Platon : L’un, par

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lequel si sagement, & amoureusement avisez à l’utilité, & souverain bien des François, voire que tout ce que pensez & faites, le tournez à leurs seuls gains, & proufis, chez vous mémes oubliant les vótres : L’autre, par lequel si soigneusement policez, & administrez nos Republiques, voire que quand d’ęquité defendez aucuns cors, ou parties d’icelles, neant-moins en riens ne défavorisez les autres : faisant comme d’une tutele, devançant, & postposant vos affaires privées aus publiques, voire que ia pour votre bien-veignement chez nos François, & autres lointeines contrées, aiez acquis le nom d’Aristide, qui pour non moins heureusement, que fidelement avoir regi, & gouuerné l’Aristocratie Athenienne, fut de tous appellé Le juste. Qui est l’oeil tant aveuglé, l’esprit tant étrangé de raison, qui reduisant en memoire cest incōparable sçavoir & bonté dont vous étes prodiguement rempli, ne vous louāge ? ne vous admire ? non comme né en nos foiers, & chez nos penates, ains cōme tombé du ciel en ces terres, si ainsi il m’affiert de dire. Je dis admire, comme le Themistocle, qui etant allé en la ville d’Olympie, pour voir la celebrité des jeux quin-quannels, séant en son rang, lors ceux qui étoiet la jusques au moindre, tout détournerēt leur faces, egarerent, & jetterent leurs veues sur Themistocle, emerveillablement contemplans plus tost, les excellences desquelles il étoit comblé, que les mysteres, & autres singularités des jeux Olympiques. J’ose bien dire Monsieur en esperance d’être creu, que les Republiques de Socrate, d’Hippodame, ou de Phalée Chartaginiē, n’ont esté si bien, & heureusement regies, que huy au pois de vótre équilibre sont les Republiques Françoises gouvernées. Qui n’admireroit vos sains conseils, desquels (ne scai par quel instinct divin) avés vfé pour l’emortissement de ses Schismes, & factions civiles, voire que lon voit ia les françois se réunir, & réhospitaliser, non moins sous la faueur de vótre nom, que sous le pois, & énergie de vótre facōde. Mais quoi ? veus je entrer en louanges : veus je réclersir le Soleil de torches ? Monsieur je supplirai vótre douceur de taisiblemēt souffrir ces discours, cōme vraiment étant cōtraint, & poussé avecques la reste de la France, de tesmoigner en tous lieux les vertus qui si heureusement vous environnēt : par la grandeur desquelles avés condignement gaingné le rang ou vous seés. Combiē que je n’ignore la lueur de la vertu étre si resplendissante, qu’elle ne desire davantage étre reclersie par la bouche des hommes : comme nous lisons de Lysandre, qui (a un luy disant qu’il l’admiroit & lou ang’oit en tous lieus) répondit qu’il avoit deus boeufz en son champ tous deus muets : mais qu’il

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scavoit biē lequel des deus étoit le plus franc au labeur, estimāt la vraie vertu n’estre necessireuse des louanges humaines, comme elle étāt la louange méme. Ores doncques Monseigneur, afin que la prolixité ne vous cause ennui, je ferai fin, vous suppliant de departir quelque partie de votre coutumiere clemēce à ce mien labeur, afin qu’à l’advenir Dieu y aydant, j’aye trop plus d’argumēt pour faire chose digne de vótre hauteur.

 

Hovog à des roedg épee.

Eidem Præfecto prętorij carmen.

 

Etsi grandiloquens tragicis mea Musa theatris

5Astet, Turcarum enses narratura cruentos:

Etsi Musa graui tragicoque induta cothurno,

Iam iam adsit, rabias Turcae dictura feroces:

An’ne ego grande tuum, versu temerarius ausim

Elogium euulgare graui iam elinguis, & excors

10Musa tacet, fasces hymno non ausa canenti

Decantare tuos: iam me dyspnoea silentem,

Et fauces artúsque tenet. Quid carmine cantem

Natales annos: fasces ? quid plectra ? togámque ?

Quidue magistratus? (Gallorum ô lumen & hospes

15Eximie, ôinter doctos procerésque dynastas

Prime sedens) sed ego carptim quid conor eburnos

Incrustare scyphos frustra? quid cunctor ineptè

In Gallûm Exhedris hymnis ornare virum quem

Contemnit nemo ?

 

GAB. BOUNINUS.

LES PERSONNAGES

ROSE. SIRENE. RUSTAN. LE CHOEUR. SOLTAN. MOUSTAPHA. LE HERAUD. LE SOPHE. LES EUNUCHES.

20LA

--- 1 ---

LA SOLTANE, TRAGEDIE.

Acte premier.

ROSE.

TEls sont ce tes destins, Dieu du plus haut manoir?

Tel est ce ô Apollin ton senétre vouloir?

Tel encōbre encombre futur à moy femme pouvrete

M'avoit elle avant-dit ta cortine profete?

25O que je devoi' bien Armenie laisser,

Pour malheureuse helas en Thrace m'adresser.

Oui oui je devoi bien pour aborder en Thrace,

Laisser Taure & Caucas le surgeon de ma race.

Faut il o cieux faut il, que je voie ranger

30Pardessus mes chers filz un esclave etranger?

Faut il qu'un Moustapha filz natif de la terre,

L'honneur de mes enfans honteusement aterre?

Plux-tost desastrement m'ennauire Caron

En sa nef pour surgir en l'haure d'Acheron,

35Plus-tost helas plus-tost, plus-tost que je deuales

Aux plus nuictains manoirs des ondes Auernales,

Que soit si bravement par un vulgaire-né

Au regret de mes filz l'empire gouverné:

Plus-tost facent les Dieux que d'un punissant foudre

40Mon cors du ciel frapé s'evente tout en poudre,

Premier qu'un Moustapha je voie plus avant

Regir audacieux tout l'atour du levant.

--- A ---

--- 2 ---

--- LA SOLTANE ---

Quelz donc seroient les drois de nos deus détres jointes,

Que deviendroit Soltan l'eclair des torches saintes:

45Donc, donc que deviendroit ô invincible Roy,

Les cinque mille Sultains & l'inviolable foy

Qui d'un noeud Gordian les restes de nos vies

Tient sous le joug d'Hymen à jamais asservies.

Et puis Dieu Enfernal n'ay-je pas le pouvoir

50Par charmes & par sors, par magique scavoir,

De faire revenir une ombre tenebreuse,

Grommelant quelques vers sur sa tombe oublieuse?

Ne puis-je pas aussi d'un cri Thessalien

Arracher nuictément du Pole Olympien

55La lune mi-formé: las ne puis-je pas faire

Par quelque herbe de Colche, & de la riche Ibére

Qu'un Roy, non non un Roy, mais le plus fier des Dieux,

Ayant oui mes sors & mes cris si hideux,

Que d'une allure élée icy bas ne devale,

60Pour captif m'obeir comme Hercul'à Omphale.

Doncques je ne pourray sous ceste loy renger

Le Roy pour Moustapha de sa cour eéranger?

Moy hautaine, qui puis d'une vois Stentorée

Flechir le bas Cocyte & la vout' Etherée?

SIRRNE la Dame d'honneur.

65O Dame helas quelz propos sont cecy,

Quelle raison vous esguillonne ainsi,

D'entretenir dont vous soiés dolente

Dans vostre cueur une ire bouillonnante?

--- 3 ---

--- TRAGEDIE. ---

Las cuidez vous pour ainsi vous douloir

70Du grand Iuppin eschanger le vouloir?

Las cuidez vous par ces herbes charmeuses

Pour tous vos sors & plaintes si piteuses

Pouvoir helas, de ce grand Juppiter,

De ses destins la carriere arretter?

75Cest luy, cest luy, qui conduit cest affére,

Cest luy qui veut que Moustapha prospére:

Mais connoissant Moustapha abuser

Des dons vers luy dont ha voulu user

(Comme on le void par une oultre-cuidance

80Ingrat user de sa sainte influance)

Alors alors, ce plus puissant des Dieux

Le depouill'ra du parfet de son mieux,

Acouardant sa sourcilleuse audace,

Comme il ha fet à l'arrogante race

85Du chaud Titan. Pourtant j'espere voir

(Si ne me viend mon espoir decevoir)

Tous vos enfans de l'estoc de leur lance

D'un Moustapha affoiblir l'arrogance.

Oui je veux voir tous vos plus chers enfans

90Sur Moustapha en honneur triumphans:

Voire plus-tost que la carriere élée

De l'an legier je voie estre écoulée.

Pour-tant de vous, je vous suppli' bien fort

Que loing chassiez ce ploreux desconfort.

ROSE.

95Que j'endure regner sur mes fils d'avantage

--- Aij ---

--- 4 ---

--- LA SOLTANE ---

Moustapha: las plus-tost un foudroiant orage

Vienne mon cors, mes os, violentement briser

Que bravant je le voi' plus longvement user

De l'Empire: & que aussi ceste audace effrontée

100Je souffre qu'ell' ne soit honteusement dontée.

Non non les Dieux sont Dieux, & de leur plain pouvoir

Peuvent mes quatre filz de l'Empire pourvoir.

"Car pour sur les humains plus qu'hommes apparoitre,

"Et pour leur grand pouvoir nous donner a connoitre,

105"Font le filz d'un potier au sceptre parvenir,

"Et de ce sceptre encor' un potier devenir.

Mais à détres oiseaus, si par leur praevoiance

Prendre ne puis de luy desirable veng'ance

Bast' cest peu, car moy humbl' sans à eux me ranger

110De mon mortel haineux j’ay dequoy me vanger.

SIRENE.

Las voulés vous acoiser d'avantage

Dans vostre cueur ceste rong'ante rage?

Voulés vous point d'honneur le nourrisson,

Effuir de vous cest' aigre marrisson?

ROSE

115Effuir Sirene effuir, ou est la mere en Thrace

Fust elle malheureus' del'Hyrcanine race

Qui n'eust, qui n'eust le cueur, le cueur plus-que transi

De veoir ceux de son sang anonchaloir ainsi?

Ou est Sirene ou est, mais dy moy ou est celle,

--- 5 ---

--- TRAGEDIE. ---

120Qui vers ses mesmes filz se montra si cruelle,

Qui voiant Moustapha à ses filz s'adresser,

Felonne ne voulút son orgueil abaisser?

SIRENE.

"Soltane assés assés celuy se venge

"Qui son haineux de tout honneur étrange

125Laisse le la pour vivre degarny

De biens, d'amis, laissés la ce banny

Laissés le la pour vivant reconnoitre

Combien luy vaut trop hautain vouloir étre

Qu'auroit il plus pour son juste loier

130Si ne vouliés aux Orques l'envoier?

Qu'auroit il plus pour tels cruels encombres,

Que d'aller voir les Auernales ombres?

ROSE

Qu'il auroit plus Sirene, encor' ne scais tu pas

De quell' genne Ixion lon tourmente la bas.

135Qu'ell' faim chetif endur' et quelle soif glueuse

Cest asoivé Tantale en l'onde stygieuse:

Quelle peine ha Sisyph', et quel soigneux traval

Pour sa pierr' arretter boulversant contre-val.

Toutesfois n'est si grand leur for-fait & offence,

140Qu'est de ce Moustapha l'acrettée arrogance.

Donc il ne mourra pas? doncques pour tous ses maux

Il ne sera plongé aux fleuves Auernaux?

Donc pour tous ses forfaicts les Déesses fatales

--- Aiij ---

--- 6 ---

--- la SOLTANE ---

Ne trancheront le fil de ses aures vitales:

145Il mourra, il mourra, ou n'auray le pouvoir

De l'Hecate aux trois chefs la poitrine émouvoir.

Oui Sirene il mourra, ou ma sainte science

S'ra vers luy vainement d'inutile puissance.

Pourtant de ce haut ciel Dieux les plus souverains,

150Vous Demons empanés & Manes souterreins,

Toy Belphegor issu des creux du plus bas étre.

Qui me fis la vertu des sept herbes connoítre,

Toy charmeur Thanagan avansant son trepas

Pour subject m'obeir qui talonne ses pas:

155Sus d'un cri ær-sonnant sortés du bas Auerne

Plus que d'un pas élé courés tous fus ce cerne

Sus donc tous acourés tournoians par trois fois

A l'effroiable son de mes tristes abois.

Sus sus donc prestement qu'un chacun soit en armes:

160Sus Demons nuicts-vagans que lon coure à ces charmes.

Car vers ce Moustapha, cest huy que je veux voir

Si vos sors murmurés auront quelque pouvoir:

Cest huy que je veux voir s'ils auront tell' puissance,

Que de ce Moustapha affoiblir l'arrogance.

SIRENE.

165Ne cess'rés vous d'ainsi vous gaimanter

Voules vous point vostre deuil alanter

Chass'rés vous point ceste rage cruelle,

Forcenement qui ainsi vous bourrelle?

Las qu'est cecy, quelle juste raison

--- 7 ---

--- TRAGEDIE. ---

170Vous ha causé si grande marrisson?

Oui oui, je dis marrisson si extréme,

Qu'ell' vous ait mis au dehors de vous méme?

Helas Soltane ou sont ces bons espris

D'avoir tous-jours que vous aviés apris?

175Ou est le cueur & la face constante

Craintivement non jamais blemissante?

Ou est cest oeil richement asuré?

Ce grave port, ce maintien assuré?

Ou est la fac' qui s'est veu' tous-jours une

180Pour quelque assaut qui survint de fortune?

Rose or' fus donc chassés de vótre cœur,

Ce triste émoy, ce soing, ceste rancœur,

Ce dur courrous & rong'ante furie

Métrallement qui vos sens seigneurie:

185Pour Moustapha hautain & brave voir,

Est il raison d'ainsi vous émouoir?

Pour avoir veu encontre vostre race

Un Moustapha orgueillir son audace,

Eh deues vous à vótre grand danger

190Si loing de vous vos espris étranger?

N'aues vous pas le pouvoir & puissance

De vous venger de son outre-cuidance:

N'aues vous pas du Roy tout plein pouvoir

De vous venger, sans ainsi vous douloirhi

195Que deviendroit l'amour constante & forte

Plus qu'a ses yeux que Soliman vous porte?

Soltane helas, helas que deviendroit

--- Aiiij ---

--- 8 ---

--- la SOLTANE ---

Ce ioug d'Hymen escharsement etroit,

Qui tellement tient vos ames emblées

200Qu'elles ne s'ront jamais desassemblées.

Donc donc pensés, sans irriter ainsi

Le ciel, l'enfer & vous mesmes aussi,

Penses ainsi sans atester les ombres

Charon, Erebe, & les trois Parques sombres

205A vous venger de ce mortel haineus,

Par les conquets & les fais valleureus

De vos enfans, pensés pensés ma Dame

A vous venger du trenchant de leur lame,

Non par ces plains & ces cris si hideus,

210Ces hurlemens & ces sors stygieus.

Doncques pensés pour son orgueil abatre

Premier que luy de vous mesme combatre,

D'avoir un cueur, un cueur constant & fort.

"Car celle lá fait un plus-grand effort

215"Qui de son cueur iré est veinqueresse

"Que qui gaingn'roit quelqu' haute forteresse.

Donc gaingnés vous & étaignés un peu

Ce dueil poignant, ce courrous & ce feu,

Qui vos beaus yeus, tous vos os & vótre ame

220D'un chaud brasier felonnement enflame:

Donc'attendes qu'ait le Pole vouté

Ce Diadéme honteusement óte

A Moustapha & le tout- pouvant sceptre

Pour de vos filz en la dextre le mettre.

225ROSE

--- 9 ---

--- TRAGEDIE. ---

ROSE

Moy que plus longuement je l'endure regner,

Et encontre mes filz orgueilleus s'hautainer?

Moy que plus longuement Sirene je l'endure

Anonchaloir ainsi ma chere nourriture?

SIRENE.

230"C'il de ses voeus à sus assez tost vient,

"Qui en sa vie une fois y parvient.

ROSE

"C'il a y parvenir paresseus trop demeure,

"Qu'y atoucher, heureus, pouvoit de plus-haute heure.

SIRENE.

"C'il trois, six fois heureux se doit tenir,

235"Qui desperant tard s'y void parvenir.

ROSE

"C'il qui tard au dessus viend de ce qu'il souhaite,

"Le desiré souhait trop chairement achaite.

SIRENE.

Eh mais voici Rustan.

ROSE

Vient il ici?

SIRENE.

240Oui le voila.

RUSTAN.

Quel clameur est cecy?

Quel émoy, quel courrous, & quelle ire felonne

Atant vous agacer ainsi vous epoinçonne?

Quell' tristesse, quel dueil, & epineus souci

--- B ---

--- 10 ---

--- SOLTANE ---

245A vous entre-facher vous eguillonne ainsi?

Dont vient Rose dont vient ceste brillante face,

Ce sourcil herissé, & ceste tresse esparse

Ainsi negligemment au tour de vótre chef?

Las pour quel si grand mal, quel ocombre ou mechef

250De Soltan Soliman la plus que tresaimée,

Se void d'ire & courrous vótre face enflamée?

ROSE

O Rustan des Baschas le plus que fortuné,

Rustan d'heur & vertu prodiguement orné,

Par les Astres bessons, Rustan ceste fortune

255N'est de riens moins qu'à moi à vous méme commune.

RUSTAN

Soltane qu'est ceci helas que dites vous?

Quell' cruelle Nemes', quel celeste courrous,

Quel Veioue vengeur ou desastrée étoille

Cachement m'ha ourdi une infortune telle?

260O Tutan tout l'apui, le support & pavois

De ceux qui en ennui t'appellent d'humble voix?

Or' veuilles devancer le mechef que lon brasse

Traitrement contre moi & tous ceux de ma race?

Tutan Dieu tout pouvant de tous le plus piteus

265Veuillez donc l'elancer dessus nos envieus.

SIRENE.

Rustan cessez cessez ceste tristesse,

Qui vostre cueur cruellement detresse,

Cessez ce dueil: car il n'est ia besoin

Ce triste emoi qu'il s'en voise plus loin

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--- TRAGEDIE. ---

270Vous tourmentant.

RUSTAN

Helas helas Sirene

En mes poumons seigneus resoufle moi l'aleine

D'un presage meilleur remets moi mes espris

Forcenement d'effroi & tristesse surpris.

SIRENE.

275Le dueil poignant & tristesse dolente

Qui vous Rustan & Soltane tourmente,

N'est ce mait-Dieus nul autre que de voir

Un Moustapha en hauteur & pouvoir.

Le dueil poignant & ploreuse detresse,

280Les meilleurs sens qui de Soltane oppresse,

Que de le voir n'est autre cemait-Dieus,

Dessus ses fils par trop audacieus.

RUSTAN

Helas que pensez vous, qu'estes vous devenue?

De quell' cruelle Erinne estes vous detenue?

285Quelle juste raison vous a peu émouvoir

Soltane pour un riens à ainsi vous douloir?

Quell' guerriere Enyon ou Bacchique furie,

Quel Erebe beant, quelle Orquale Manie,

Quel fureur sans raison ou bouillonnant courrous,

290Ainsi legerement vous etrange de vous?

ROSE

Quell' fureur dictes vous, ains plus-tost quelle Parque

Ou quel hideus Charon en sa nef ne m'embarque:

Ains plus-tost quel Souman, Roi des ombreuses nuis

--- B ij ---

--- 12 ---

--- SOLTANE ---

Me voiant enterrée en si tristes ennuis,

295Pour de moy les effuir d'ici haut ne me jette

Des ondes au plus creus de son fleuve de Lethe.

Las Rustan qui seroit le cueur de diamant,

Qui peút de Moustapha souffrir plus longuement

Le sourcil élevé & l'arrogance outrée?

300Oui qui le peut souffrir de toute la contrée

D'Amasic, de mes fils obscursissant l'honneur,

Et de tout le levant paisible gouverneur:

Las plus tost lon voirra Caucas de son épole

Orgueilleus atoucher les etoilles du Pole.

305Oui plus-tost lon voirra le tonnelet persé

Comblement jusqu'aus fais rempli de l'eau versé

Emerveillablement par les niéces d'Egisthe,

Par trop honteusement que moy dolente & triste,

Je souffre que me soit par un si brave hardi

310De mes plus chers enfans l'honneur abatardi?

Las plus-tost lon voirra dans un noueus cordage

Enretter d'Aquilon la forcenante rage:

Premier plus longuement que iele souffre avoir

Par dessus mes enfans tant soit peu de pouvoir.

315Las voudrois tu Rustan, Rustan que tant i'honore

Sur mes plus chers aymés, mais voudrois tu encore

Qu'un sot audacieus jeunement parvenu,

Un sot vulgaire-né de son pere inconneu,

Au regret de mes fils ta plus chere alliance

320Demourast gouverneur de toute la Bysance?

Eh voudroi tu Rustan que ce trop inhumain,

--- 13 ---

--- TRAGEDIE. ---

Vint brave assugettir sous le fais de sa main,

Tout le peuple Asien & la rondeur de Thrace?

Dea voudroi tu Rustan, qu'acretant son audace

325Vint obscurcir les fais & gestes triumphans

Par son orgueil hautain de mes plus chers enfans?

Et pense un peu Rustan & r'apelle en toi méme

La rancueur & l'emoi & la haine si blème,

Que jusque icy a tort d'un visage fardé

330Dans le creus de son cueur t'ha traïtrement gardé?

Donc souvien toy Rustan de la haine chienine

Que contre toy recuit dans sa fainte poitrine

Au prouffit de Soltan dont tu voulus oser

Des Sangaces mutins les soudes rabaisser?

335Oui oui dont tu voulus moindrir les soudes chéres,

Des hautains Sangachis & guerriers Ianicheres.

Las donc s'il parvenoit un jour à étre Roy,

Ores penses Rustan, mais penses a part toy

Quel moyen il auroit de ceste mal-veuillance,

340De prendre contre toy desirable vengeance?

Et puis & puis Rustan n'aime tu pas trop mieus

Voir tes freres mes fils gouverneurs de ces lieus?

Oui je di gouverneurs (pour cest amour fealle

Que tu porte à leur seur ton épouse loyalle)

345Que non un Moustapha un hautain orguilleus,

Vn mutin herissé, un brave audacieus?

Que non un Moustapha la seule haine & enuie

Et le seul reagal de ta totale vie?

--- B iij ---

--- 14 ---

--- SOLTANE ---

RUSTAN

Le mal talent Soltane & la pale rancueur

350De Moustapha ainsi qui vous genne le cueur,

Encor' Soltane encor' de ma haute pensée

Oubliuieusement n'en est point effacée:

Le mal talent Soltane & l'aigrissant émoi

Haineusement haineus qu'il concoit contre moi

355Encor' Soltane encor' de [pens'é's] immortelles

Me demoure fiché au profond de mes mouelles.

Car tant que je pourray au centre retenir

De mon cueur de moi même un plaisant souvenir:

Car tant tant Junon dans ma poitrine humide

360Nourriciere assouffl'ra son halaine liquide,

Voire tant que ces os & que ce cors charnu

De ses membres sera fortement soutenu,

Un souvenir Soltane & une ire enflammée

M'en demour'ra au cueur à jamais imprimée.

365Pourtant doncques cessés mon courageus vouloir

Contre ce Moustapha par vos plaints emouvoir,

Pourtant pourtant cessés ma chere dame & mere

Vers vótre gendre user de si humble priere,

Mais or' donques cessez par vos mielez propos

370Plus grande ir' contre luy d'allumer dans mes os,

Assez la dent de laict & la haine felonne

Qui tout-jours contre luy dans son cueur luy bouillonne

Assez le dur emoy dedans son cueur chienin

Qu'il recuit voire assez le damnable venin

375Soltane sans vos plains envers le Roy, m'appelle

--- 15 ---

--- TRAGEDIE. ---

En bref de luy brasser quelque haine mortelle:

Pourtant donc prenez cueur & étrangez de vous

Ces plaintes, cest aigreur, & ce brulant courrous,

Qui trop hideusement de son feu vous efface,

380Le poli helenin de vostre belle face.

Sus Soltane fus donc mon support & appuy

Loing essuiez de vous ce blemissant ennuy:

Car premier que Phoebe à la teste cornue

Ait le Pole voilé d'une nuictaine nue:

385Et que le cler Titan ait charroié le jour,

Par six fois au dessus du terrestre sejour,

J'espere Moustapha de mettre en la dégrace

Du Soltan Soliman & de toute sa race:

J'espere & non en vain par mon subtil moien

390De le rendre ennemi du peuple Amasien.

Alors Soltane alors à vos filz sans envie

La cité D'Amasic demour'ra asservie.

Lors la gemelle Asie & Bosphoride Thrace

Seule regie s'ra de ceus de vótre race.

ROSE

395Mais encores Rustan mes enfans pourroint ilz

A tant d'heur parvenir par tes moyens subtilz?

Rustan pourrai-je voir de ceus de ma leignée

Par tes subtilz aggetz la Thrace gouvernée?

RUSTAN

Si vous les pourrés voir? non seulement les voir

400En pompes, en hauteur, & triumphant pouvoir:

Mais mais vous les voirrés premier que ceste année

--- 16 ---

--- SOLTANE ---

Soit de ces douze mois egalement bornée,

Les fais de Moustapha braves aneantir

Tous d'un pouvoir egal, en luy faisant sentir

405Au trenchant emoulu de l'ápre coutelace,

Combien luy vaut vers eus d'orguillir son audace?

Plus-tost à mon souhet pour parvenir à sus

Des desceins contre luy en mes moelles conçeus,

Je gaign’ray la faveur de l'epoisse cohorte

410Qui aux chams devant luy va marchant à grand flotte:

Je le rendray haineus aux martiaus soldars

Qui marchent d'un pas coy dessous ses étandars:

Et f'ray plus, car moy caut par parole atraiante,

Pour venir au dessus de ma nouvelle attente,

415Je pein’ray pour de tous l'abímer en l'horreur

D'avoir de son Bascha son total gouverneur

Un cartel par lequel il don'ra à entendre,

Que Moustapha hautain veut à épouse prendre

Izabel fill' uniq' du prince Persien:

420Trahissant faussement le peuple Amasien:

Et que traitre à Soltan avec le Roy de Perse

Nóstre mortel haineus journellement converse.

Lors pensez contre luy quel courrous enflammé

Le grand Soltan aura dans son cueur allumé.

425Lors Soltane pensez combien la court bel-erre

Pour un si láche tour luy f'ra prendre autre terre?

ROSE

Helas mon cher Rustan, Rustan que j'aime mieus

Que mon cueur, humblement je te pri' par nos Dieus,

Voire

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--- TRAGEDIE. ---

430Voire & pour l'amitié qu'a ma fille tu porte,

Ces desireus desceins d'acheminer en sorte

Qu'esciemment Rustan ne nous mette en danger,

D'un hautain Moustapha en nous cuidant venger.

RUSTAN

Soltane je vous pri' que pour céte entreprise,

435N'en soiés nullement de tristesse surprise:

Car si couvertement j'espere ce descein

Moi caut acheminer à si heureuse fin,

Que le tout vous voirrés choir au grand advantaige

De vous dame Soltane, & vostre parentaige.

LE CHOEUR

440Deucalion que tu as fait

Sur tout le seul homme parfait.

En céte terre basse,

Jettant des rocs derrier' ton chef

Pour le façonner derechef

445Dessus le mont Parnasse.

 

Las cauteleus que tu étois

En lieu de pierre tu jettois

Sur la montaigne sainte,

Or' un rubis étincellant,

450Un zaphir à l'eclair brillant,

Et óre une Jacynthe:

 

Dont aussi du depuis s'est veu

L'homme seul de tout heur pourveu,

De scavoir & faconde

--- C ---

--- 18 ---

--- SOLTANE ---

455Huy seul se void l'homme vivant

Des Gades jusques au levant,

L'ornement de ce monde.

 

En luy de son hanap gemmeus

Epancha le tout de son mieus

460La Suadele eloquente.

En luy seul les nourrices soeurs

Verserent toutes leurs douceurs.

De leur corne abondante.

 

Mais toy Pyrrha que tu méfis

465Quand jadis la femme tu fis

En ce mondain repére.

Sénestrement par sus ton dos

A foison éparsant les os

De ta mere premiere.

 

470Car en lieu de perle Idaspine

De quelque gemme Cyanine,

Or' un dur diamant,

Or' une grosse roche ague

Hounie de froide sigue,

475Tuiettois seulement.

 

Donc du depuis aussi s'est veue

La pouvre femme dépourveue

De prisable scauoir.

Las (Pyrrha d'Epimethe-née)

--- 19 ---

--- TRAGEDIE. ---

480Du depuis s'est veu' dénuée

De tout bien & avoir.

 

Has tu quelque chef d'œuvre fait

En ce manoir plus imparfait

Que cest' inféte Rose?

485Veux tu veoir en ce genre humain

Pour ung chef d'œuvre de ta main

Plus imparfaite chose?

 

Dea Pyrrha ou trouverroit lon

Ung cœur plus cruel & felon

490En ce terreus theatre?

Ou est la femme qui le coeur

Ait enflé de telle rancœur

Qu'ha cest aspre maratre?

 

Onq' tant vers ses filz ne méfit

495Ne tell' cruaulté ne leur fit

La charmeuse Colchique:

Que va de mal en soy brassant

Contre Moustapha innocent

Ceste Rose impudique.

 

500Onq'Phedre fille de Minos

Contre Hippolit' dedans ses os

Ne receuit telle haine:

Que va contre Moustaph'songer

De malpour d'icy l'étranger

--- 20 ---

--- LA SOLTANE ---

505Ceste Rose inhumaine

 

Las Moustapha que pense tu,

T'ha ell' le courage abbatu.

Ceste Rose despite?

Ou est le bras qui brave ha mis

510En routte tous tes ennemis

Fuyans à la garite?

 

Ou est le bras fort & hardi

Le bras qui à acoüardi

L'audace Persienne?

515Ou est le bras des chocs vouté

Qui ha à Bysance adiouté

La terre Rhodienne?

 

Fault il que toi des plus adrois

Aux fiers & martiaux arrois

520Que tantie loue & prise,

Qui ceste Rose traïtrement

Sans te defendre bravement

Ainsi te dévalise?

 

"O quelle misere pleureuse

525"Quand la femme maline

"Quelque entreprise ruineuse

"Pourpense en sa poitrine.

 

"Car deút elle estr' au fond jetée

"De l'onde Stygienne

--- 21 ---

--- TRAGEDIE. ---

530"De son emprise projectée

"Fault qu' asus elle en vienne.

LA THRENODIE DES

deux Genies de Moustapha.

Puis quepar les destinées

Et les envieux discors,

Faut mettre à bout nos anneés

535Et nous delaisser ce cors

Soint nos tresses

Par detresses

Ceinctes d'un Cyprés retors.

 

L'heure qui garde la porte

540Des neuf contours étoilez,

Nous rang'ra en la cohorte

A ell' soudain avollez

Des Pleiades

Des Hyades

545Et des douze dieux élez.

ACTE II.

RUSTAN

A Soltane c'est or' que est venu’ la journée

Ou je dois voir flourir ta roialle lignée

Sus les monarques rois: c'est or' que je dois veoir

Tes fils les plus hautains du terrestre manoir,

--- C iij ---