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Trop, Prou, Peu, Moins

par Marguerite de Navarre (1547)
  • Pré-édition
  • Transcription, Modernisation, Annotation et Encodage : Etudiants du Master 1 Littératures et Médiations, Metz, promotion 2024/2025
  • Relecture : Nina Hugot et Milène Mallevays

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FARCE, DE

TROP. PROU. PEU. MOINS.

--- 212 ---
 

TROP

COMMENCE.

QUI voudra sçavoirsavoir qui je suis,

Descende au plus profond du PuitzPuits,

Et parle à ceux, qui plus haulthaut chantent,

À ceux, qui courent d’huyshuis en huyshuis,1

5Et à ceux, qui par un pertuyspertuis2

Les gens de sarbatane3 enchantent ;

À ceux, qui plus parlent, plus mentent ;

À ceux, à qui tout est rendu,

Et à ceux, qui joyeux lamentent

10Leur gainggain, où quelque autre haa perdu.

Mon nom est doux et amyableamiable,4

Si necessairenécessaire, et agreableagréable,

Que tout chacun le peultpeut bien dire.

Mon surnom est espoventableépouvantable,

15Et si n’est pas moins admirable,


--- 213 ---
 

Que cestuycelui celui -là du temps de l’ire5

De Dieu, que nully6 n'osoitosait lire.

Et semblable est à cestcet Esprit

Au plus beau nom, qu’on puisse escrireécrire,

20NeNi qui fut onc7 en livre escritécrit.

Ma Seigneurie, et mon office,

Mon estatétat, et mon exercice,

Est plus grand, que toute la Terre :

Nul poisson, sinon l’EscrevisseEcrevisse,

25N’y parvient. Car ma grand’justice

Par autre ne se peultpeut conquerre.8

Mon estatétat est forger tonnerre.

Mais si suis -je un meschantméchant couard.9

C’est moymoi, qui faizfais pour la paix guerre,

30Qui file et tordztords à tous la hard.10

Ma demeure est en un beau lieu,

Au prysprix duquel celuycelui de Dieu

Ressemble hospitalhôpital plein d’ordure :

Tout mon passetemps et mon jeu,

35C’est me jouer à l’eau, au feu,

Là se recreerecrée ma nature.

Sur bois doré, sur pierre dure,

Je suis assis ; là me repose.

Un mal y haa, l’an trop peu dure

40Pour faire ce, que dire n’ose.

Je suis couvert d’un grand Manteau


--- 214 ---
 

Si bien fait si large, et si beau

Que dessoubsdessousluylui nul sot m'eschappeéchappe.

Mon SayeSaie11 est de drap bien nouveau.

45Puis j’ayj’ai en bonnet et chappeauchapeau

Assez pour faire à autruyautrui chappechape.12

Avecques mes gandsgants tout j’attrappej’attrape :

Et quand soubssous ma main les ayai mis,

Sans grand ennuyennui nul n’en eschappeéchappe,

50Ainsi l’ayl’ai juré et promis.

Vous, qui avez si belles testestêtes,

Si vous ne ressemblez aux bestesbêtes,

Vous povezpouvez bien mon nom scavoirsavoir :

Mes contenances sont honnesteshonnêtes,

55Tant aux jours ouvriers, comme aux festesfêtes,

VostreVotre œil ne peultpeut riensrien meilleur voir.

Et la grandeur de mon povoirpouvoir

ExcedeExcède tout entendement.

Je suis celuycelui, à dire voir13

60Qui ne haythait que droit jugement.

PROU

COMMENCE.

Avez -vous point ouyouï parler

De celuycelui, qui ne peultpeut celer14

Son secret, quand il est yvrongneivrogne?15

Qui ne fait que venir, qu’aller,

65Pour plus gransgrand morceaux avalleravaler,

Oubliant sa propre besongnebesogne ?


--- 215 ---
 

C’est moymoi : plus n’aurayn’aurai de vergongnevergogne

De m'apparoistreapparaître, et me monstrermontrer,

Bien que chacun s’en plaint et grongnegrogne :

70Je ne crains nully rencontrer16.

Mon nom est fait de noms sans nombre :

Je suis grand, et pour servir d’umbreombre :

Mais mon umbreombre est comme de l’yfl’if,

Qui s’y repose, et endort sombre,

75Y trouvera mauvais encombre,

Qui en finenfin le rendra chetifchétif.

À promettre je suis hastifhâtif :

Mais qui se fie en mes promesses,

Est trompé : car de cœur naïf

80Ne les faizfais, mais par grandsgrand’s finesses.

Mon Esprit est tout fantastique,

Qui, sans prendre repos, s’applique

À mon particulier proufitprofit.

Et qui m’en reprend, je repliqueréplique,

85Que c’est pour la chose publique,

Et cestecette responseréponse suffit.

Je suis en mon plaisir confit,

En ma richesse, et en ma gloire,

Faire veux ce qu’onques17 ne feitfit

90Nul, pour laisser de moymoi mémoire.

Demandez à tous bons SoudartzSoudarts,18

Qui pour argent vont aux hazartzhasards,19


--- 216 ---
 

IlzIls vous diront qui je puis estreêtre.

Allez où l’on tire des arczarcs,

95Et où l’on desployedéploieEstandartzÉtendards :

Là quelque fois me verrez estreêtre.

Je ne veux point avoir de maistremaître,

NeNi servir à nul, fors20 à moymoi.

J'ayaitousjourstoujoursprestéprêté la main dextre21

100Pour jurer, et rompre ma FoyFoi.

Je me conduis selon le temps,

Entre contenscontents et mal contents,

Sans avoir à nul amytiéamitié:

Si nul contredisant j’entensj’entend,

105Mes satallitessatellites22 combatanscombattants,

Je metzmets en avant sans pitié.

Le moindre est ainsi chastiéchâtié.

Mais si d’un grand j’ayj’ai quelque affaire.

De mon pain aura la moytiémoitié :

110Voilà les tours, que je scaysais faire.

TROP.

Dieu gardgard'celuycelui, dont l’esperancel’espérance

HaA fait reluire maint HarnoisHarnais.

PROU.

Dieu gardgard' la tresbelletrès belle apparence

Que plus je voyvois, moins je congnoisconnais.

TROP.

115Me congnoissez connaissez-vous, mon FilzFils ?


--- 217 ---
 

Je suis Trop, vostrevotreperepère grand ;

Prou estesêtes nommé, je vous feizfis,

Mais avant moymoiestiezétiez, pourtant.

PROU.

Hà Trop, pas ne vous congnoissoyeconnaissais :

120Je ne regardoisregardais qu’au dehors :

Et d’autre forme vous pensoyepensais,

Car comme moymoi avez un corps.

TROP.

Au fondzfond de vostrevotre cœur dedensdedans

Je voyvois, soit plaisir, ou regret,

125À chacun vous fermez les dents ;

Mais à moymoi ouvrez le secret.

PROU.

C’est raison que je vous descoeuvre23

Le fondzfond du cœur entieremententièrement ;

Et vous jugerez si mon œuvre

130Est bonne à vostrevotre jugement.

TROP.

O quel amyami, ô quel lyenlien !

Mon filzfils, vostrevotre cœur est semblable

Fait et remplyrempli, comme le mien.

C’est conjonction admirable.

PROU.

135La vostrevotre toutesfois ne voyvois,

Mais seulement voyant la face


--- 218 ---
 

Pareille au mien, du tout24 le croycrois :

Ce lyenlien tous les autres passe.

TROP.

J’aymeJ’aime honneur, proufitprofit. Et plaisir.

PROU.

140D’autre chose je n’ayn’aidesirdésir.

TROP.

J’aymeJ’aimeestreêtre adoré en ce Monde.

PROU.

Ma felicitéfélicité là je fonde.

TROP.

J'aymeaime grandes possessions.

PROU.

Là tendent mes intentions.

TROP.

145J'aymeaime mieux estreêtre craint, qu'ayméaimé.

PROU.

Moysur sur tous autres estimé.

TROP.

J’aymeJ’aime n’avoir point de pareil.

PROU.

Envieux suis sur le Soleil.

TROP.

Tout avoir veux sans rien lascherlâcher.

PROU.

150C’est à quoyquoitousjourstoujours veux taschertâcher.


--- 219 ---
 

TROP.

Jamais je ne suis saoul de biens.

PROU.

J’ai tousjourstoujours peur de n’avoir riensrien.

TROP.

J’aymeJ’aime Villes, Palais, ChasteauxChâteaux.

PROU.

Ces passetemps me sont bien beaux.

TROP.

155J'aymeaime des chantres la musique.

PROU.

Là aussi mon esprit j’applique.

TROP.

J'aymeaime femmes, bons vins, banquetzbanquets.

PROU.

Je les estime gransgrandacquetzacquêts.

TROP.

J'aymeaime fort d’assembler threfortrésor.

PROU.

160Et moymoiaussyaussi, ou plus encorencor'.

TROP.

J'aymeaime les pierres precieusesprécieuses.

PROU.

Je les trouve delicieusesdélicieuses.

TROP.

J'aymeaime draps d’or, d’argent, de soyesoie.


--- 220 ---
 

PROU.

Cela me donne au coeur grand' joyejoie.

TROP.

165J'aymeaime à bastirbâtir, et acqueriracquérir.

PROU.

C'est ce, que plus je veux querirquérir.

TROP.

Mais sur toutsurtout j'aymeaime la vengeance.

PROU.

C'est à mon coeur grand'grande allegeanceallégeance,

TROP.

Je prensprends plaisir aux trahisons

PROU.

170Et moymoi, pour bien grandes raisons.

TROP.

J'honore un bon empoisonneur.

PROU.

De mes biens je luylui suis donneur.

TROP.

Aux estrangersétrangers je ne me fie.

PROU.

Et aux devins je me confie.

TROP.

175Je crains tristesse, et maladie.

PROU

Si fait ma personne hardie.


--- 221 ---
 

TROP.

Je crains d'estreêtre de tous congnuconnu.

PROU.

CesteCette peur m'a tousjourstoujours tenu.

TROP.

Je crains tout accident debiledébile.

PROU.

180J'ayai de ces craintes la-là dix mille.

TROP.

Je crains froid, et vent, et tempestetempête.

PROU.

J'ayai telle crainte densdans ma testetête.

TROP.

Tous maux et malheurs je crains fort.

Mais plus, que tout, je crains la Mort.

PROU.

185HelasHélas, j'en sentssens la peur horrible.

Car par sus tout25, ell'elle est terrible.

TROP.

Puis quePuisque l'un à l'autre ressemble,

Cheminons donc d'un pied ensemble.

PROU.

VostreVotre chemin, et vostrevotre voyevoie,

190Veux tenir : car je reçoyreçois joyejoie

D'avoir un tel amyami trouvé.


--- 222 ---
 

TROP.

A finAfin que tel soyesoit approuvé,

Dire vous veux la verité.

PROU.

Dites la moymoi par charité.

TROP.

195Làs, qu'est -ce que vous portez là ?

PROU.

Làs, je ne scaysais ; d'où vient celà.

TROP.

Ce sont aureillesoreilles.

PROU.

Ce sont DyablesDiables !

TROP.

Oreilles les plus detestablesdétestables,

Que jamais homme pourroitpourrait voir.

PROU.

200Aussi je vous fais à scavoirsavoir

Que vous en avez de la sorte.

TROP.

Que j'en ayai ? ô passion forte,

Qui est importable à porter!

PROU.

L'un l'autre nous faultfaut conforter ;

205DissimulansDissimulant nostrenotre meschefméchef.


--- 223 ---
 

TROP.

Avoir en un si parfait chef

AureillesOreilles de bestesbêtes vilaines!

PROU.

OÔ qu'elles nous don'ront de peines,

Si du Monde elles sont congnuesconnues !

TROP.

210Il faultfaut qu'elles soyentsoient tenues

SoubzSous honorable couverture.

Tous ces chapeaux à l'aventure

MettrayMettrai : voyez s'il m'advient bien.

PROU.

Il me semble qu'il n'y faultfaut26 rien.

215Je voisvais ainsi aux miennes faire

SoubsSous ces bonnets, pour contrefaire

Ce que nous sommes devant tous.

Or suis -je bien?

TROP.

OuyOui bien vous.

PROU.

Et vous aussi. Sus donc, allons ;

220Et n' espargnonsépargnons point noznos talons :

Il nous faultfaut arpenter la terre.

TROP.

Grande douleur le coeur me serre.

En rien ne me puis esjouiréjouir.


--- 224 ---
 

PROU.

Les gransgrands biens, dont pensoispensais jouyrjouir,

225Ne m’empeschentempêchent que je ne crie.

Car s’on27 voit nostrenotre besterie,28

Nous serons moquezmoqués de chacun.

TROP.

Le mal est à nous deux commun,

Aussi telle est nostrenotre puissance,

230Que si quelqu’un haa congnoissanceconnaissance

De nous, et qu’il en diedise un mot,

Nous ferons bien tant que le sot

Aura son parler limité.

PROU.

Mais il dira la veritévérité.

TROP.

235C’est tout un, veritévérité soit veritévérité :

Mais qu’elle ne soit descouvertedecouverte,

Nous la porterons doucement.

PROU.

Si avons nous le sentementsentiment

D’une telle imperfection.

TROP.

240C’est où dissimulation

Sera en nous vertu parfaite.

PROU.

Puis quepuisque la chose est ainsi faite,


--- 225 ---
 

PassonisPassons le temps, allons aux champs.

TROP.

Qui haa mis là ces deux marchansmarchands,

245Qui entre eux ne cessent de rire ?

PROU.

EscoutonsÉcoutons ce qu’ils scaventsavent dire.

PEU.

commence.

L’on me nomme Peu, qui se cache

Par toutPartout ; je veux bien qu’on le sache,

Le peu ayméaimé, le povrepauvre, et moins douté :29

250Je garde la Brebis, la Vache :

Le Pourceau par le pied j’attache ;

Mon corps sans cesser est bouté30

À tout travail : moult m’a coustécoûté,

Tant que je ne possède riensrien.

255Mais j'ayj'ai une bourse au costécôté,

Qui est remplie de tous biens.

MOINS.

commence.

Je me nomme le povrepauvre Moins,

Le moindre de tous les humains,

Qui n'ayn'ai riensrien, et riens avoir veux.

260Toujours laboure soirs et mainsmatins,

De corps, de piedzpieds, de bras, de mains :

En celà j'acomplisj'accomplis mes voeuzvoeux.

SoucySouci n'ayai d'enfansenfants neni nepveuzneveux ;31

De les enrichir n'ayn'ai envie,


--- 226 ---
 

265Ma richesse est soubssous mes cheveux,

Parquoypar quoi 32 ne crains perdre la vie.

PEU.

Tu es des miens.

MOINS.

Des vostresvôtres suis.

PEU.

Tous d’un cerveau sommes conduitzconduits.

MOINS.

Tous marchons d’un consentement.

PEU.

270Tous deux n’avons qu’un sentiment.

MOINS.

Je vous congnoisconnais bien à la voix.

PEU.

Et de long tempslongtemps je vous sçavois33

Tel avoir estéété que vous estesêtes.

MOINS.

Pareil acoustrementaccoutrement de testestêtes

275Nous portons et sans differencedifférence.

PEU.

Nous avons pareille esperanceespérance,

Pareil but, et pareille fin.

MOINS.

Vous n'estesn'êtes pas plus, que moymoi, fin :

Mais les plus fins nous affinons.


--- 227 ---
 

PEU.

280C’est pour ce que nous ne finons34

D'estreêtre Peu, et Moins si petispetits,

Que gens pleins de gransgrandsappetisappétits

Ne scaventsavent pas bien ou nous prendre.

MOINS

Nous ne craignons nully attendre :35

285Car quand nous approchons des hommes,

Si petispetits aupresauprès d'eux nous sommes,

Qu’ilzils ne nous peuvent regarder.

PEU.

Craintif ne se doit hazarderhasarder,

Quand il haa par ou estreêtre pris.

MOINS

290Noz habits sont de si vil pryxprix,

Que si quelqu'un par là nous tire,

Si facilement les deschiredéchire,

Que l'on ne nous peultpeut retenir.

PEU.

L'on ne peultpeut l'innocent punir,

295Ne celuycelui, qui est riensrien, toucher.

MOINS

Qui voudra au mort reprocher

Ses pechezpéchés et ses gransgrands meffaitsméfaits;

Il portera si bien ce faix

Qu ’il n'en daignera rien respondrerépondre


--- 228 ---
 

PEU.

300L'on ne peultpeut brebis razerase tondre ;

Qui n'haariensrien, riensrien aussi ne perd.

MOINS

Qui ne porte riensrien,riensrien n'appert.

ParquoyPar quoi cestecette lettre est bien close.

À cil36, qui cerchecherche quelque chose.

PEU.

305 IlzIls n'en peuvent trouver le bout.

HelàsHélas,ilzils pensent avoir tout ;

Mais ce tout là, qu' ilzils disent leur,

Ce n’est en finenfin que tout malheur :

NostreNotre Tout n'est pas de la sorte.

MOINS

310Certes il faultfaut que ce Touttout sorte

De riensrien pour estreêtre cher tenu.

PEU.

Il nous est donc bien advenu

D'endurer pauvretezpauvretés extremesextrêmes,

Et n’avoir riensrien, fors que nous memesmêmes.

MOINS

315Mais un grand thresortrésor nous avons

Dont assez chanter ne pouvons ;

C'est noznos cornes, avecques37 lesquelles

Nous sommes de toutes querelles

DefenduzDéfendus, voire et soulagezsoulagés.


--- 229 ---
 

PEU.

320Et de tous cas alimentezalimentés,

Dont nous avons necessiténécessité.

MOINS

Nous sommes hors de cecitécécité,

Et de tenebreuseténébreusefumierefumière.

Nous nous servons de la lumierelumière

325Du Soleil en lieu de flambeau.

PEU.

Vray'mentVraiment le Soleil est si beau,

Qu’aupresauprès de luylui tout autre feu

Ne semble que painturepeinture, et jeu.

MOINS

Or cheminons en la splendeur

330De ce Soleil par grand ardeur.

Ne disons mot, mais escoutonsécoutons.

PEU.

Si lonl'on nous appelle moutons,

Ou les CornuzCornus, il se faultfaut taire.

MOINS

Je scaysais bien jouer ce misteremystère.

335Mais cheminons riansrianttousjourstoujours,

Avant qu’ayons finéfininoznos jours,

CeluyCelui viendra, qui doit venir.

PEU.

De rire ne me puyspuis tenir :


--- 230 ---
 

Car ma corne le m'a promis.

MOINS.

340Nous sommes cornuzcornus, et AmysAmis;

Un cœur et une voulentévolonté.

PEU.

Une Mort, et une Santé :

Mais sur toutsurtoutcestecette Mort desiredésire.

MOINS.

LàsLas, apresaprès elle je souspiresoupire.

PROU.

345Voyez -le là.

TROP.

Ma FoyFoi c'est il38.

PEU.

Voyez -le là.

MOINS.

Qu'il est subtil.

PROU.

Je le voyvois.

TROP.

VraymentVraiment je le sens.

PROU.

OuyOui mieux les Aulx, que l'Encens.

PEU.

Qu'il contrefait bien le gentil ?

MOINS.

350Tournons delà.


--- 231 ---
 

PEU.

Non, allons droit.

S'il vient à nous, laissons le courre39.

PROU.

Il faultfaut sçavoirsavoir par quel endroit

Se tire gressegraisse de la bourre.

TROP.

Avant l'yverhiver si bien me fourre,

355Que je n'ayai garde d'avoir froid.

PROU.

Devisons à ce mal vestuvêtu :

Il nous dira quelque sottise.

TROP.

C'est bien dit.

PROU.

AmyAmi, que faizfais -tu ?

Quelle est de ton vivre la guyseguise?

PEU.

360LàsLas, Monsieur, un povrepauvre festufétu

S'allume bien, sans qu'on l'attise.

MOINS.

Un grand arbre est tosttôt abbatu.

PROU.

Pourquoi portez -vous sur vozvos testestêtes

Cornes ? ce, doit faire un Cocu.


--- 232 ---
 

TROP.

365C'est pour en estreêtre plus honnesteshonnêtes :

C'est aussi pour tout mieux entendre.

MOINS.

NozNos cornes sont pour nous defendredéfendre :

Elles ne sont de chair, ne d'ozos.

PEU.

Mais de tous deucdeux (entendez vous)

370Pour defendredéfendre l'os, et la peau.

PROU.

Elles percent vostrevôtre Chapeau.

MOINS.

Mais le Chapeau en est gardé.

TROP.

Vray^mentVraiment il en est trop lardé :

Et si n'en avez congnoissanceconnaissance.

PEU.

375Sa vertu, et grande puissance,

Ne se peultpeut en oreilles mettre

Ainsi grandes, que peuvent estreêtre

Les vostresvôtres.

PROU.

PourquoyPourquoi donc ne peultpeut ?

MOINS.

Chacun n'est pas sage, qui veultveut.


--- 233 ---
 

TROP.

380Si tu le dis, nous l’entendrons.

PEU.

NozNos cornes (nous le maintiendrons)

Sont à louer, je dis beaucoup.

Qui nous voudroitvoudrait donner un coup

Sur la testetête , il se blesseroitblesserait,

385Voire et la corne offenseroitoffenserait

La main, qui nous voudroit voudrait frapper.

MOINS.

EllesElle nous sert pour eschapperéchapper

Mille maux; pourceparce qu’entredeuxentre deux

Elle se met de nous, et d’eux.

PROU.

390 QuelzQuelsoeufzoeufs?

PEU.

Ce sont gros oeufzoeufs d’Autruche,

Qui frappent plus fort qu’une buchebûche ;

Mais la corne les casse tous.

TROP.

Vray'mentVraimentvoicyvoici de plaisansplaisants foulz fous,

Qui craignent oeufzoeufs d’Autruche, et d’OyeOie.

PROU.

395PourquoyPourquoi menez-vous telle joyejoie,

Que jamais nul ne voit finer ?


--- 234 ---
 

MOINS.

Vous ne le sçauriezsauriez deviner,

Et nous ne le vous povonspouvons dire.

TROP.

PourquoyPourquoi ?

PEU.

Nous vous ferions tant rire,

400Et ririons tant en le disant,

Que seigneur, vilain, ne paisantpaysan,40

Ne le pourroitpourrait jamais apprendre.

PROU.

PourquoyPourquoi ?

MOINS.

L’on ne nous peultpeut entendre.

Car nous rions tant, tant, et tant,

405Que rien que la voix, l’on n’entend,

Qui demonstredémontrenostrenotre plaisir.

PEU.

Nous n’avons force neni loisir

De parler : le ris nous affole,

Et nous empescheempêche la parole,

410Tant qu’elle ne peultpeut s’avancer.

MOINS.

Monsieur, seulement d’y penser,

Je ris jusqu’à la larme à l’oeil.


--- 235 ---
 

TROP.

Vous ne sentez ennuyennui,nenidueildeuil.

PEU.

Nous ne sommes jamais marris.

PROU.

415Et s’on vous frappe ?

MOINS.

Je m’en ris :

Car il me souvient de ma corne.

PEU.

FyFi d’ennuyennui, qui est triste et morne :

Vive la petite cornette.

MOINS.

Vive la corne joliette,

420Dont le compteconte en est si joyeux,

Qu’il fait venir la larme aux yeux,

De rire, en le cuydant41 redire,

Ou le penser, ou bien l’escrireécrire :

Quand le cuydons42 mettre dehors,

425Ce folfou rire nous prend alors,

Qui le fait demourerdemeurerdedensdedans.

TROP.

Nous en rions.

PEU.

OuyOui des dents :

Car du coeur rire ne scauriezsauriez.


--- 236 ---
 

Si vous le scaviezsaviez, vous ririez :

430Il ne tient qu’au compteconte scavoirsavoir.

PROU.

Dites -le nous.

MOINS.

Je n’ayai pouvoir.

TROP.

Commencez un peu seulement.

PEU.

Il estoitétait au commencement :

Je ne scauroissaurais passer plus outre.

PROU.

435Mais qu’estoit était-il ? Parlez, ApostreApôtre.

MOINS.

Il estoitétait : Ha, je n’en puis plus.

TROP.

Achevez nous donc le surplus :

Ne dites parole sysi brevebrève.

PEU.

Il estoitétait un : Ma foyfoi je crevecrève :

440La joyejoie tant au cœur me touche,

Qu’elle me fait clorreclore la bouche.

PROU.

Il ridrit si tresforttrès fort, qu’il en sue.

TROP.

Il peultpeut bien porter la massue,


--- 237 ---
 

Car jamais plus folfou je ne veisvis.

PROU.

445Or viens ça : que t’est -il advisavis

De nous ? regarde noznos visages.

MOINS.

Vous estesêtes deux gransgrands personnages,

Si gransgrands, que je crains d’approcher

De vous, ou vozvos robbesrobes toucher :

450Car elles sont trop precieusesprécieuses.

PEU.

OuyOui et bien laborieuses ;

Voyez ce gorgias43 labourage,

TROP.

Il nomme labeur c’est ouvrage,

C’est cannetille, pourfilure,44

455Ricameure45 avecques frisure :

C’est tout fin or, argent, et soyesoie,

PROU.

Te moques -tu ?

MOINS.

Je rizris de joyejoie.

TROP.

De voir nostrenotre habit, qui tant vaultvaut ?

PEU.

NennyNenni : mais de ce qu’il y faultfaut.46


--- 238 ---
 

PROU.

460NostreNotre habit est parfait, vray^mentvraiment.

MOINS.

Une corne tant seulement

FeroitFerait l’habillement parfait.

TROP.

Or pour le rendre satisfait ;

Voyez, nous portons une corne :

465Ceste cyCelle-ci c’est de la Licorne

Contre le venin, et la peste.

PROU.

VoicyVoici encorencore un peu de reste

Du bout de cestecette grande bestebête

De Cerf, qui garde la tempestetempête

470De tomber, où elle demeure.

Tu ris ?

MOINS.

SySi tresforttrès fort, que j’en pleure.

Mon Dieu ! n’avez vousavez-vous point de honte

D’ignorer ainsi le beau compteconte,

Qui vous feroitferait rire avec nous ?

TROP.

475Cornes avons (entendez -vous)

Qui sont vertueuses et belles.

MOINS.

Il leur faultfaut porter des chandelles,


--- 239 ---
 

Puis quePuisque du mal peuvent guarirguérir.

PEU.

Vous gardent -elles de mourir ?

PROU.

480 Nenny.

MOINS.

Vray'mentVraiment si font les nostresnôtres,

Qui valent donc mieux que les vostresvôtres.

Car quand Mort s’y vient approcher,

Si grand peur haa de s’acrocheraccrocher

À noznos cornes, qu’elle s’enfuytenfuit ;

485Elle les craint, parquoypar quoi s’ensuit

Que quitte d’elle nous vivons.

TROP.

Les vostresvôtres laides nous trouvons :

Elles nous semblent trop pesantes.

PEU.

Mais elles nous sont si plaisantes,

490Que les vostresvôtres n’estimons rien.

PROU.

Les nostresnôtres acoustronsaccoutrons si bien

D’or, d’argent, et de pierreries,

Que maladies sont guariesguéries

En beuvantbuvant l’eau, où les mettons.

TROP.

495Ces vieilles cornes de Moutons


--- 240 ---
 

Ne valent rien : ce n’est qu’ordure.

MOINS.

Si je vous avais fait lecture

De ma corne, et de son histoire,

Jamais vous ne scauriezsauriez plus croire,

500Que nulle autre valustvalût son prysprix :

Et, y repensant, suis esprisépris

De ce rire continuel.

PROU.

Quelle raison ?

PEU.

Le compteconte est tel,

Si plaisant et si delectabledélectable,

505Que d’ActeonActéon la belle fable,

Qui eut cornes, dont faites compteconte,

N’est rien au prysprix de nostrenotre compteconte.

Toute l’histoire que dit Pline

De cestecette Licorne tant fine,

510Qui se prend par une pucelle,

N’en approche point et n’est telle.

MOINS.

Tout cela se peut racompterraconter :

Mais la nostrenôtre doit surmonter,

D’autant que l’on n’en sçaitsait parler.

TROP.

515Nous n’en sçavonssavons riensrien.

PEU.


--- 241 ---
 

Le celer47

Nous en fait grand mal ; et aussi

Fait -il à vous.

PROU.

Et qu’est cecyceci ?

De l’ouyrouïr 48 nous donnez envie :

Puis ne sonnez mot.

NostreNotre vie49

520Nous defaudroitdéfaudrait en le comptantcontant.

TROP.

Ce compteconte vous rend -il contenscontent ?

PEU.

ContensContent ? mais saoulezsoûlés oultreoutre bortbord.

PROU.

Jamais ne veizvis rire si fort :

IlzIls tiendront de rire les rengsrangs.

TROP.

525Làs, que nous sommes differentsdifférents

De leur façon, et de leur vivre !

MOINS.

Je suis de joyejoie si trestrès yvreivre,

Que riensrien, fors50 rire, ne sçaysais faire.

PROU.

Bien avons autre chose à faire :


--- 242 ---
 

530Nous ne sommes pas sans soucysouci.

PEU.

Si vous voyvois- je, la Dieu mercymerci,

Pleins d’honneurs, et biens à planté :

Et semblez estreêtre en grand grand'santé

De voir vostrevotre face, et couleur.

TROP.

535Il ne voit pas nostrenotre douleur,

NyNinostrenotre soulier nous machemâche.

MOINS.

Le veau, qui est dedensdedans la vache,

Ne se voit, s’il n’est mis dehors.

PROU.

Nous ne povonspouvons par nulznuls efforts

540NozNos grandes oreilles cacher.

PEU.

CelàCela ne vous doit point fascherfâcher :

Car plus grandes vous les avez,

Et bien plus sçavoirsavoir vous devez,

Que les autres, ne faites pas ?

TROP.

545Midas, Midas, Midas, Midas.

VozVos tristesses sont nompareillesnon-pareilles.

MOINS.

Vous font -elles mal les oreilles,

Qui vous font tant pleurer, et plaindre ?


--- 243 ---
 

PROU.

Autre mal, sinon que contraindre

550Ne les puyspuis dessoubsdessous mon bonnet.

PEU.

Il me semble que pas bon n’est,

Cacher ce, qui se doit monstrermontrer.

TROP.

Si ne tient -il à m’acoustreraccoutrer

De chapeaux, de bonnets de nuictnuit.

555Mais leur grandeur si fort me nuytnuit,

Qu’à mon gré je ne les puyspuis mettre.

MOINS.

Vous n’en estesêtes donc pas le maistremaître.

TROP.

Mais beaucoup moins, que serviteur :

MaugréMalgré moymoi j’en suis le porteur,

560Et mes oreilles sont maistressesmaitresses.

PROU.

Mon Dieu ! que voicyvoici de tristesses,

Qui par elles sans nul sejourséjour

Nous augmentent de jour en jour !

C’est une douleur incertaine.

PEU.

565S’il n’avoitavait nyni Amour, neni haynehaine.

À riensrien qu’aux cornes, comme nous,

Il n’auroitaurait pas tant de courroux.


--- 244 ---
 

TROP.

Helàs, Helàs, Helàs, Helàs.

PROU.

Midas, Midas, Midas, Midas,

570Que pour vous nous avons de peine !

TROP.

Et nostrenotre peine est par trop veinevaine :

Car nous ne povonspouvons adviseraviser

Le moyen de nous desguiserdéguiser,

Que noznos oreilles l’on ne voyevoie.

PROU.

575Jamais au coeur nous n’avons joyejoie,

Quelques mines, que nous minons,

Et noznos coeurs par crainte minons :

NostreNotre vie est bien malheureuse.

MOINS.

Mais triomphante, et glorieuse,

580À voir vozvos habitzhabits, et vozvos pompes.

PEU.

Ne jouez -vous jamais aux trompes,

Au fouet, à frapper bien fort ?

CelàCela vous seroitserait reconfortréconfort

En lieu de meilleur exercice.

MOINS.

585Je ne voyvois pas dehors nul vice

En vozvos oreilles, ce me semble :


--- 245 ---
 

Toutes deux les avez ensemble

Saines et nettes.

PROU.

OuyOui bien :

Mais ne voyez -vous pas combien

590Elles sont grandes ?

PEU.

Demeurez :

FaultFaut -il que pour si peu pleurez :51

VeuVu qu’avez tout, ce qu’il vous faultfaut ?

TROP.

Làs52, tout nostrenotre bien peu nous vaultvaut Et si53 nous empescheempêche, et nous nuit ;

Car dessoubsdessous ce bonnet de nuictnuit

595Ne puyspuis musser54 cestecette grandeur.

PROU.

Quand je pense en leur grand grand'laydeurlaideur,

Je n’ayai en riensrien contentement.

MOINS.

Et en vostrevotre beau vestementvêtement

NyN’y prenez -vous plaisir, neni gloire ?

TROP.

600Non : Car mes oreilles memoiremémoire

Me donnent de ce, qui me faschefâche :

Et faultfaut que ce morceau je maschemâche.


--- 246 ---
 

PROU.

Ce nous est un cruel repas.

TROP.

Midas, Midas, Midas, Midas,

605Pour nous tresmaltrès mal vous fustesfûtes né.

PEU.

Ne vous desplaisedéplaise dominé ;

De vous nommer n’ayai pas l’usage.

S’il plaisoitplaisait à vostrevotre courage,

Quelque chose nous desgorgerdégorger

610De vozvos ennuysennuis !

MOINS.

C’est pour forger,

Si nous povonspouvons, quelque remederemède.

PROU.

De vous dire noznos maux, à l’aide !

L’histoire en est si trespiteusetrès piteuse,

La memoiremémoire en est tant hideuse,

615Que pour le dire n’avons termes.

TROP.

Elle ne s’escritécrit que de lermes ;55

Elle ne se dit, que de crizcris.

PROU.

Si piteux en sont les escritzécrits,

Que l’on ne les peultpeut reciterréciter.


--- 247 ---
 

TROP.

620IlzIls me font bien plus inciter,

À pleurer par compassion,

Que ne feroitferait la passion

De JESUCHRISTJésus Christ, neni de ses SaintzSaints.

PEU.

Leurs cerveaux ne sont pas trop sains

625Et leur sens est trop divertydiverti.

MOINS.

Ne pouvez -vous prendre partyparti

Pour un peu vous reconforterréconforter ?

PROU.

Non : Car il les nous faultfaut porter,

Mais nous n’en daignerions parler,

630Sinon que les dissimuler

Nous ne povonspouvons.

PEU.

SoubsSous vostrevotre cappecape

Couvrez -les.

TROP.

Ceste cyCelle-ci m'eschappem’échappe,

Et l’autre ne puyspuis retenir.

PROU.

Mes bonnetzbonnets ne peuvent tenir

635Sur ma testetête, pour l’Amour d’elles.


--- 248 ---
 

MOINS.

Quant à moymoi, je les trouve belles ;

Mais ce qui leur appartient,

Y fustfût aussi.

TROP.

QuoyQuoi?

MOINS.

Il convient

Des cornes pour les decorerdécorer.

PEU.

640La Corne feroitferait honorer

VozVos oreilles par sa presenceprésence.

PROU.

Mais accroistroitaccroîtrait la congnoissanceconnaissance

Que nous ne voulons qu’aucun sache.

MOINS

Si la corne y prend son attache,

645Nul ne se peultpeut de vous moquer.

PEU.

Vous la verrez soudain choquer

Ceux, qui en moquant sont choqueurs.

TROP.

Je ne crains rien, fors56 les moqueurs :

Car je n’aymeaime rien que l’honneur.

MOINS

650Et la joyejoie qui est au cœur,


--- 249 ---
 

Ne l’estimez vous rien mon syresire?

PROU.

J’en suis bien loingloin ; làslas, je souspiresoupire

PourceParce qu’avoir je ne la puis.

PEU.

PourquoyPourquoi ?

PROU.

Pour la peine, où je suis

655De cacher ces oreilles lourdes.

MOINS

Peult estrePeut-être qu’elles sont si sourdes

Que vous n’en povezpouvez bien ouyrouïr.

TROP.

Leur ouyouï ne me fait jouyrjouïr

De nul plaisir : car jusqu’au centre

660De mon cœur tousjourstoujours douleur entre ;

Qui par ces gransgrand’s oreilles passe.

PEU.

N’oyez vous rien, qui vous soulace 57

Ayez de plaisansplaisants racompteursraconteurs.

PROU.

Tant nous avons de plaisanteurs,

665Qui disent choses admirables !

MOINS

Vous sont -elles point aggreablesagréables ?


--- 250 ---
 

TROP

OuyOui, aux oreilles un peu :

Mais au cœur augmentent le feu

D’ennuyennui venant par ces escoutesécoutes :

670Car elles ne luylui plaisent toutes,

Dont plaisir n’en povonspouvons goustergoûter.

PROU

Plus essayons de les osterôter

Et plus y mettonw nostrenotre entente,

Et plus nostrenotre douleur augmente :

675ParquoyPar quoi nostrenotre labeur est vain.

PEU.

Mais, si vous les couppiezcoupiez soudain ?

TROP

Nous en avons bien eu envie :

Mais à elles tient nostrenotre vie.

Que nous perdrions en les perdant.

MOINS

680VostreVotre vie y est donc pendant,

En bonne foyfoi vous avez tordtort :

Car plustostplutôt y pend vostrevotre mort,

VeuVu qu’elles vous font tant crier.

PROU.

Si ne tient -il pas à prier

685 MedecinsMédecins, et vivansvivants, et morts,

Et prendre breuvages biens forts,


--- 251 ---
 

Et tous les remedesremèdes possibles,

Pour sans plus les rendre invisibles ;

Mais rien ne nous haa proufitéprofité.

TROP.

690Ces gens pleins de necessité

Sont plus aises, que nous ne sommes.

PEU.

Nous ne craingnonscraignons Diables, neni hommes,

NeNi cestecette muable Fortune.

MOINS.

Et toute saison nous est une :

695En chauldchaud, en froid nous sommes sains.

PROU.

Labourez -vous point de vozvos mains ?

PEU.

OuyOui, mais nostrenotre esprit repose,

Qui s’esjouits'éjouit en toute chose :

Car la corne luylui touche au cœur.

TROP.

700Vray'mentVraiment vous estesêtes un menteur,

Sur vostrevotre testetête je la voyvois.

PEU.

Mais au cœur je la sens bien, moymoi :

Car moymesmemoi-même au cœur la sens.58

PROU.

Si jamais y eut d’Innocents,


--- 252 ---
 

705Ceux cy-ci le sont : tel nom leur donne.

TROP.

Mais folzfols naturelznaturels les ordonne

Aussi plaisansplaisants, que je vizvis onques59.

MOINS.

Et vous demeurez sages donques60?

PROU.

Et vous serez folzfols et petispetits.

PEU.

710OuyOui, faisansfaisant noznos appetitsappétits :

Et vous serez et gransgrands, et sages ;

Et bienheureux en vozvos courages

S’aviez61 plaisir à nous pareil.

MOINS.

Nous n’avons trestous62 qu’un Soleil :

715Et l’un est noir ; et l’autre est blanc.

TROP.

Ha, chacun doit aller par rang ;

Voudriez -vous ainsyainsi tout confondre ?

PEU.

Je ris tant, que ne puis respondrerépondre ;

Car ma corne ne craint nul vent.

PROU.

720Mais comment il rit ?

TROP.

Hay avant.


--- 253 ---
 

Vous faites bien vostrevotre mestiermétier :

Et nos cœurs à plein besnestierbénitier

Ne font que pleurer eaux ameresamères.

PEU.

Ne parlez -vous point aux commerescommères,

725Qui sçaventsavent tant de si bons motzmots ?

PROU.

Je croycrois que vous estesêtes si sotzsots.

Qu’à elles n’oseriez parler.

MOINS.

Si faisons bien, sans rien celer63 ;

Mais en parlant tousjourstoujours rions.

PROU.

730Et en pleurant nous les prions :

Car souvent sommes refusezrefusés.

PEU.

Des femmes donc vous abusez,

En les adorant comme images.

TROP.

Plus elles fardent leurs visages,

735Et plus nostrenotre cœur est attaintatteint

De la blancheur de leur beau taintteint.

PROU.

Leur parler par bouches vermeilles

Entre souvent en noznos aureillesoreilles,

Tant qu’elles en sont bien remplies.


--- 254 ---
 

MOINS.

740VozVos joies sont donc acompliesaccomplies

D'ouirouïr parler doux comme soyesoie:

De voir la beauté, la mont joie,

Vous devriez rire comme nous.

TROP.

Tout cela se tourne en courroux,

745Et remplit le cœur de martyre.

PEU.

Vous n'avez donc cause de rire :

Aymez -vous point chasser, voler,

JousterJouter chanter, danser, baller

Ou quelques plaisansplaisantspassetempspasse-temps?

PROU.

750Cela nous rend plus mal contenscontents,

Car à la fin en douleur tourne ;

Et le plaisir si peu s’esjourneséjourne

Que ne sçavonssavons s'il y en haa.

MOINS.

AlleluyaAlléluia,AlleluyaAlléluia,

755En tout plaisir avoir tristesse ?

TROP.

Et vous ?

PEU.

En tout tourment, lyesseliesse 64

Car noznos cornes nous reconfortentréconfortent.


--- 255 ---
 

PROU.

noznos oreilles nous apportent,

Pour un plaisir, mille douleurs.

MOINS.

760Aux prezprés de diverses couleurs,

AuAux fleuves, aux bois, aux rivières,

Aux jardins de toutes manieresmanières,

En chasteauxchâteaux, et en bastimensbâtiments,

Et en triomphanstriomphant ornemensornements

765Ne prenez vous point de soulas65 ?

PROU

Midas, Midas, Midas, Midas,

Le plaisir du tout nous en osteôte.

TROP.

HelàsHélas, et que cher il nous coustecoûte;

NozNos biens il convertit en maux.

PEU.

770Et tous noznos ennuysennuis et travaux,

NostreNotre corne tourne en tout bien.

PROU.

Plus heureux sont à n'avoir rien,

Que nous ne sommes d'avoir tout.

MOINS.

Ne pourriez -vous trouver le bout

775De vostrevotre ennuyennui, pour l'arracher?


--- 256 ---
 

TROP.

HelàsHélas, nous achetons bien cher

Un jour d’aise, et parfait repos !

PEU.

Prenez plaisir à noznos propos,

Et riez.

TROP.

LàsLas, je ne sçauroyesaurais ;

780Et resjouirréjouir ne me pourroyepourrais,

Quoy Quoi que jamais peustpût advenir.

MOINS.

Si un petit povezpouvez tenir

Mes cornes dedensdedans vozvos oreilles,

Vous seriez joyeux à merveilles.

785Vous plaistplait -il un peu endurer ?

TROP.

OuyOui : làslas, je ne puis durer ;

Quelle douleur elle me fait !

PEU.

Vous seriez joyeux tresparfaittrès parfait,

Si un peu avez patience.

PROU.

790Que j’essaye cestecette science :

Mettez moy-moi vostrevotre corne icyici.

PEU.

Je le veux bien.


--- 257 ---
 

PROU.

MercyMerci,MercyMerci :

Je n’en puis la douleur porter66.

MOINS.

Ce mal vous peultpeut reconforterréconforter :

795Et vous le voulez refuser ?

TROP.

Il n’est possible d’en user :

Nous n’avons pas cestecette puissance.

PEU.

Par cecyceci auriez congnoissanceconnaissance

Du beau compteconte , et de sa ririe.67

PROU.

800VoicyVoici une grand’ moquerie

De nous arresterarrêter à ces foulzfous.

TROP.

Nous en sommes plus las, que soulzsaouls.

Des cornes, plus nous n’en voulons.

Les oreilles, dont nous doulons,68

805Ne sont encoresencore si piquantes.

MOINS.

Si vous sont -elles bien duysantesduisantes69 :

Car sans elles vous demourezdemeurez

En tristesse ; et si en mourrez

Piteusement la larme à l’œil.


--- 258 ---
 

PROU.

810Bien, nous couvririons nostrenotre dueildeuil

De tous les passetemps du monde.

TROP.

Ces oreilles -là, où je fonde

Mon ennuy ennui, si bien couvriraycouvrirai.

Que mon tresortrésor employerayemploierai

815Pour les couvrir.

PROU.

MoyMoi, de BonnetzBonnets,

De Toques, de TouretzTourets de nésnez,

De GardecolzGarde-cols, et de Cornettes.

PEU.

Point ne faultfaut couvrir nos Cornettes :

Car à les monstrermontrer desironsdésirons.

PROU.

820Tant de velouxvelours nous deschironsdéchirons,

Tant de drap d’Oord’Or, et de broché,

Que leur pertuyspertuis70 sera bouschébouché :

Car elles sont par trop ouvertes.

TROP.

A finAfin que mieux soient recouvertes,

825N’y espargnonsépargnons nyni or, nyni toile,

CbapperonChaperon, neni chappechape71 neni voile,

NeNi petispetits BonnetzBonnets neufzneufs et beaux,

NeNi un, neni deux, neni trois, Chapeaux,


--- 259 ---
 

NozNos cinq censcent, pour mieux les abattre.

PROU.

830Et des BonnetzBonnets un, deux, trois, quatre:

C’est bien pour leur faire une Chappe.

TROP.

Et par mon nom tout nous eschappeéchappe,

C’est grand’ pitié.

PROU.

C’est grand' vergongnevergogne.

TROP.

VoilaVoilà une estrangeétrangebesongnebesogne :

835Que ferons -nous ? gens bien heurezheurés.

MOINS.

RiensRien, sinon qu’un peu endurez

De nostrenotre corne la vertu.

PROU.

Il n’est possible : ne scaiz sais-tu

Autre remederemède plus faisible ?72

PEU.

840L’on dit souvent qu’à l’impossible

Tous remedesremèdes sont deffaillansdéfaillants,

RolansRolands ne sommes, neni vaillansvaillants;

Nous ne scavonssavons rien de nouveau.

MOINS.

Tout nous est bon, tout nous est beau.


--- 260 ---

73

TROP.

845Tout nous est mauvais, laid, et ord74 :

Enchantement n’y haa, neni sort,

Qui nous y sceustsût de rien servir.

PEU.

S’il vous plaisoitplaisait vous asservir

(Seulement un demydemi quart d’heure)

850Que densdansvostrevotre oreille demeure

Nostre Corne, nous sommes seurs,75

Que vous serez vraysvrais possesseurs

De la joyejoie, que nous avons.

PROU.

Endurer nous ne la povonspouvons ;

855Et mieux aymonsaimons ainsi souffrir,

Qu’à vozvos folles cornes offrir

NozNos testes, à si grand tourment.

MOINS.

Si ne povez pouvez-vous autrement

EstreÊtre joyeux.

TROP.

Or nous serons

860Tristes tousjourstoujours, et si mourrons

PlustostPlutôt de dueildeuil76, que cornes telles

Nous facentfassent douleurs si mortelles,

Que nous commencions à sentir.


--- 261 ---
 

PROU.

C’est pour faire l’AmeÂme partir

865D’avec le corps.

PEU.

Je le confesse,

Qu’elles donnent peine, et destressedétresse,

Quasi jusqu’à l’extremitél’extrémité :

Mais leur tourment est limité,

Et ne va jusqu’au desespoirdésespoir.

TROP.

870De l’endurer n’avons povoirpouvoir.

MOINS.

Si le plaisir en poviezpouviez croire,

Il vous feroitferait doucement boire

Le mal, et tresbientrès bien en gré prendre.

PROU.

Ce plaisir ne povonspouvons entendre,

875Qui commence par tant de mal.

PEU.

Les grandsgrand's oreilles d’Animal

N’apperçoiventN’aperçoivent, et si n’entendent

Le grand plaisir, à quoyquoipretendentprétendent

Les cornes, que tenons si cher.

880Allons, à la fin de ne fascherfâcher

Eux,neni les autres, neni nous mesmesmêmes.


--- 262 ---
 

TROP.

Nous demeurons tristes et blesmesblêmes

En lamentant, pleurant, criant

PEU.

Et nous cheminons en riant,

885En voyant que tosttôt est finee77

Du matin au soir la journeejournée,

Et qu'approchons de nostrenotre lictlit.

MOINS.

Au repos trouve grand delictdélit78,

Qui haa labouré bien et beau.

PROU

890CeluyCelui, qui est densdans un tombeau

À votre advisavis est -il bien aise?

PEU.

Je ne crains neni glace, neni braizebraise,

Je ne crains mort, neni maladie.

TROP.

Mais toutesfoistoutefois (quoyquoi que l’on die79)

895 Il n'est que d'estreêtre.

MOINS.

C'est bien dit.

PROU.

J’entens estreêtre en joyejoie, et creditcrédit,

Satisfait de tous ses desirsdésirs.


--- 263 ---
 

PEU.

Nous sommes ja pleins de plaisirs,

Et confessons qu'il n'est rien, qu’estreêtre.

TROP.

900EstreÊtre quoyquoi ?

MOINS.

À une fenestrefenêtre,

Regardant le beau temps venir,

Vivant du joyeux souvenir

De noznos cornes tant amoureuses.

PROU

NozNos oreilles si ennuyeuses

905Font nostrenotre estreêtre tant langoureux.

Et sans cesser sommes peneux

De voir de noznos oreilles l'ombre.

TROP.

Puis quePuisque nos maux sont en tel nombre,

Que l'on les peultpeut dire innombrables,

910Je crains la vision des Diables:

Car les joyesjoies du paradis

N'empeschentempêchent noznos ennuyzennuis maudits.

PROU.

Peur nous assault80 de tous costezcôtés,

Mais plus fort au coeur, n'en doutez :

915Car c'est où est le grand delugedéluge.

Mais à finafin que nul ne nous juge,


--- 264 ---
 

Allons -nous -en : car c'est assez.

MOINS.

Priez Dieu pour les trespasseztrépassés

Dont le retour est incongnuinconnu.

PEU.

920Il en est quelqu'un revenu,

Mais bien peu ; le chemin est long.

MOINS.

Gentes cornes de nostrenotre front,

Allons nous reposer ensemble.

PEU.

Allons que le temps ne nous emble.

F I N.

[1] de porte en porte.
[2] petit trou.
[3] Qui parlent à travers des sarbacanes.
[4] aimable.
[5] colère.
[6] personne.
[7] jamais.
[8] conquérir. Nous conservons cette forme pour la rime.
[9] lâche.
[10] Corde pour se pendre.
[11] Manteau.
[12] capuchon.
[13] à dire vrai.
[14] cacher.
[15] ivre.
[16] De rencontrer personne.
[17] jamais.
[18] soldats.
[19] aux jeux.
[20] sauf, si ce n'est.
[21] la main droite (j'ai toujours offert mon aide).
[22] gardes.
[23] découvre. Nous maintenons cette forme pour la rime.
[24] complètement (ssns positif).
[25] Par dessus-tout.
[26] manque.
[27] si on.
[28] bêtise, sottise.
[29] redouté.
[30] poussé.
[31] je ne me soucie pas d’avoir des enfants, des descendants.
[32] raison pour laquelle.
[33] Nous maintenons cette forme pour la rime.
[34] finissons. Nous maintenons la forme pour le compte syllabique.
[35] nul. Nous maintenons la forme pour le compte syllabique.
[36] celui.
[37] Nous maintenons cette forme pour le compte syllabique.
[38] lui.
[39] courir.
[40] Prononcer "pay-san" et "pai-san", en deux syllabes.
[41] en le croyant.
[42] le croyons.
[43] élégant.
[44] une cannetille est un instrument de couture, la pourfilure de la brodure.
[45] Brodeur.
[46] ce qu'il y manque.
[47] cacher.
[48] entendre.
[49] Ces deux parties du vers sont sur deux lignes dans l'imprimé, mais on est bien obligé de les lire comme un seul vers.
[50] si ce n'est.
[51] pleuriez.
[52] Hélas.
[53] si intensif.
[54] cacher.
[55] larmes.
[56] si ce n'est.
[57] soulage: nous conservons la forme pour préserver la rime.
[58] Une syllabe manque. Il faudrait peut-être ajouter le pronom "je", qui renforce le parallélisme avec le vers précédent.
[59] que je vis jamais.
[60] Nous maintenons cette forme pour la rime.
[61] Si vous aviez.
[62] trestous est une forme renforcée de tous.
[63] cacher.
[64] joie.
[65] plaisir, soulagement.
[66] supporter.
[67] du rire qu’il provoque.
[68] qui nous font souffrir.
[69] Elles vous vont pourtant bien.
[70] petit trou.
[71] capuchon.
[72] faisable. Nous maintenons cette forme pour la rime.
[73] Le manuscrit indique fautivement la page 269.
[74] sale, vil.
[75] sûrs. Nous maintenons cette forme pour la rime.
[76] tristesse, souffrance.
[77] finie.
[78] Comprendre délice, plutôt ?
[79] Quoi que l'on dise. Nous maintenons cette forme pour la rime.
[80] nous assaille.