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Coriolanus
- Mémoire-édition de Coline Bergot sous la direction de Julien Goeury (Paris Sorbonne, 2021-2022)
- Transcription, Modernisation et Annotation : Coline Bergot
- Encodage : Milène Mallevays
- Relecture : Julien Goeury, Jérémy Sagnier, Nina Hugot et Milène Mallevays
DE CORIOLANUS,
DEDIÉE À TRESTRÈS ILLUSTRE ET
vertueuse Princesse Diane de Dompmartin
Marquise d’Aurech, Comtesse
De Fontenoy, Baronne de Fenestrange,
Princesse du SainctSaint
Empire.
PAR PIERRE THIERRY SIEUR
De Mont-Justin.
À PONTOYSEPONTOISE
M. D C.1600
I. Pierre Thierry, sieur de Mont-Justin, auteur méconnu
A. De rares pistes biographiques
Pierre Thierry, sieur de Mont-Justin, est un auteur énigmatique. Sa vie nous est presque entièrement inconnue, en dehors des rares éléments biographiques que nous suggèrent les pièces liminaires qui accompagnent les oeuvres, elles aussi peu nombreuses, qui nous en sont parvenu. Les informations biographiques que nous présenterons ici sont pour la plupart des déductions, des hypothèses, et sont donc à considérer avec prudence. L’orthographe même du nom de l’auteur ne semble pas fixée. Parmi les oeuvres auxquelles nous avons eu accès pour ce travail, on trouve aussi bien « Mon-Justin » que « Mont-Justin » ou encore « Montjustin »1. La graphie « Mont-Justin » nous parait la plus appropriée : le trait d’union est présent dans la majorité des cas ; quant à la préférence pour « Mont » plutôt que « Mon », nous y reviendrons un peu plus tard.
D’après les diverses pièces liminaires présentes dans les oeuvres de Pierre Thierry, il semble qu’il ait bénéficié de la protection d’une famille de la noblesse lorraine, et plus particulièrement de Diane de Dommartin à qui il dédie à la fois sa Tragédie de Coriolanus ainsi que La chaste Iolande. Par son premier mariage avec Jean-Philippe de Salm, proche des Guise, mais surtout par son second mariage avec Charles-Philippe de Croÿ, duc d’Havré, fait prince du Saint Empire par Rodolphe II et donc proche des Habsbourg, Diane de Dommartin gravite parmi les sphères les plus puissantes des pouvoirs catholiques du XVIe siècle ; il est donc tout à fait possible qu’elle ait eu une activité de mécène dont aurait bénéficié Pierre Thierry. Toutes ses oeuvres connues sont en tout cas dédiées, sinon à Diane, à des membres de sa famille : les Œuvres premières sont adressées à Charles-Philippe de Croÿ, le Cimetière d’amour à leur fils Charles-Alexandre de Croÿ et la tragédie de David persécuté à « Barbe de Salm, abbesse de Remiremont » qui faisait partie de la famille du premier mari de Diane, Jean Philippe de Salm. D’après ces informations sur la famille de Diane de Dommartin, nous émettons l’hypothèse que Pierre Thierry, sieur de Mont-Justin, puisse être originaire du village de Montjustin-et-Velotte, en Haute-Saône actuelle, assez proche des domaines de Fontenoy et de Fénétrange dont Diane est respectivement Comtesse et Baronne. Nous favorisons la graphie « Mont-Justin », plutôt que « Mont-Justin », afin d’être en cohérence avec cette supposition. L’appellation « Sieur » par ailleurs, ne garantit pas qu’il soit issu de la noblesse.
En dehors de ces quelques informations, la publication en 1601 des Œuvres premières du sieur de Mon-Justin, ouvrage dans lequel est publiée la Tragédie de Coriolanus et qui semble compiler une partie de ses oeuvres poétiques et théâtrales, peut peut-être suggérer que Pierre Thierry a atteint à cette date un âge assez avancé car la publication des oeuvres premières des auteurs a tendance à intervenir à la fin de leur vie, ou du moins quand leur carrière est déjà bien entamée.
Concernant d’autres occupations possibles que celles de poète et dramaturge, Terence Allott affirme dans sa préface au Coriolan d’Alexandre Hardy, plus tardif, que Pierre Thierry aurait été soldat engagé dans les combats contre l’empire Ottoman : « Soldat lui-même, ayant combattu contre les Turcs, il se plaît à évoquer Coriolan sur le champ de bataille. »2. Cette affirmation n’est cependant confirmée par aucune source indiquée par Terence Allott et rien ne le confirme avec certitude. Néanmoins, La chaste Iolande raconte l’histoire d’amour entre Floridan, un soldat français qui combat contre les Turcs, et Iolande, la fille du pacha, ce qui confirme au moins que les combats contre les Turcs dans le cadre des guerres ottomanes sont bien connus de Pierre Thierry. Il n’est alors pas impossible d’imaginer qu’il ait été soldat, au sein de la Sainte Ligue de 1571 créée sous l’impulsion du pape Pie V ou pendant la Longue guerre qui commença au début des années 1590 et dans laquelle les puissances européennes, y compris le roi du Saint-Empire romain germanique Rodolphe II, s’allièrent contre l’Empire ottoman avec l’aide du pape Clément VIII. La famille de Croÿ étant assez proche du Saint-Empire et des grandes puissances catholiques européennes, il est possible que Pierre Thierry ait pris part à cette guerre. La dédicace qu’il fait à Diane de Dommartin dans la Tragédie de Coriolanus semble valider l’hypothèse d’une carrière militaire et suggère même une éventuelle blessure subie par le poète qui affirme que « Mars [lui] a quelque fois esté peu favorable ».
L’éventuelle participation à ces guerres aux airs de croisade contre l’Empire ottoman confirmerait la foi catholique de Mont-Justin. En effet, étant l’auteur à la fois d’une tragédie à sujet antique, la Tragédie de Coriolanus, et d’une pièce à sujet biblique, David persécuté, la question de ses convictions religieuses semble se poser de façon légitime. Nous l’avons vu, Pierre Thierry était a priori protégé par une famille catholique très proche des principaux représentants du catholicisme en Europe, comme la maison de Lorraine et la famille de Guise, les rois du Saint Empire Germanique et le roi d’Espagne Philippe II. Ainsi, il semble difficile d’imaginer qu’il ait été protestant et il faut sans doute expliquer sa tragédie de David persécuté, datée de 1600, par la progressive appropriation des sujets bibliques par tous les auteurs, et plus seulement par les auteurs protestants qui ont été très majoritaires à les traiter pendant de nombreuses années. On trouve cependant au musée Carnavalet un recueil d’illustrations protestantes3 qui a appartenu à des membres de la famille de Croÿ, Charles et Philippe. Il est peu vraisemblable que cela indique une possible tolérance envers les protestants de la part d’une famille catholique si puissante aux Pays-Bas et proche du pouvoir espagnol. La possession de ce recueil par des nobles catholiques peut s’expliquer par la relative neutralité des illustrations qui y figurent. La présentation du recueil « au lecteur »4 assure que les gravures se fondent sur les propos de « ceux qui ont esté tesmoins occulaires, et qui ont sans aucune passion, récité fidellement toutes les circonstances », ainsi, la représentation des évènements n'est pas particulièrement marquée par le point de vue des protestants qui sont les auteurs de ce recueil, ce qui permet aux catholiques d’en apprécier aussi le contenu.
En dehors de ces quelques éléments et hypothèses, il est difficile d’en dire plus au sujet de Pierre Thierry, sieur de Mont-Justin, dont le nom, à notre connaissance, n’est mentionné par aucun autre auteur avant d’être redécouvert au XXe siècle. Elliott Forsyth lui consacre un petit développement dans sa grande étude sur la tragédie française de Jodelle à Corneille : selon lui, les deux tragédies que nous a laissées Mont-Justin « indiquent que, s’il n’était pas un écrivain de génie, il n’était pas dépourvu de talent.5 »
B. Son oeuvre de poète et de dramaturge
Les exemplaires des oeuvres de Pierre Thierry qui nous sont parvenus sont très peu nombreux. Il existe une copie de ses Œuvres premières à la British Library6, un exemplaire de La chaste Iolande à la bibliothèque universitaire de Mannheim7 et une copie du Cimetière d’amour conservée à la Bibliothèque nationale de France8. La plus ancienne de ces oeuvres est le Cimetière d’amour, publié en 15979, qui contient un ensemble de pièces poétiques mettant en scène des héros de l’antiquité. Les Œuvres premières du sieur de Mon-Justin imprimées en 1601 reprennent le Cimetière d’amour comme une section de l’ouvrage à laquelle s’ajoute deux autres sections de poésie amoureuse intitulées La Folatre Floris et Les Triomphes d'Amour ainsi qu’une section d’Odes Spirituelles. On y trouve ensuite deux pièces de théâtre datées de 1600, la Tragédie de Coriolanus suivie de la tragédie de David persécuté, dont le sujet, bien que biblique, est traité dans une perspective humaniste, ce qui permet de « détourner l’attention de ces évènements brutaux et de diriger la réflexion vers l’origine morale des péchés de David »10. Ces deux tragédies sont composées de cinq actes, en alexandrins, à l’exception des choeurs qui sont de mètres différents. Enfin, La chaste Iolande, publiée en 1602, est un récit singulier, qui mêle prose, vers, mais aussi dialogues et passages épistolaires et met en scène l’histoire d’amour contrariée de Floridan, soldat français combattant contre les Turcs, et de Iolande, fille du Pacha dont Floridan a tué le frère pendant la bataille.
Ces trois ouvrages, dont il ne reste vraisemblablement pas d’autres copies et qui n’ont sans doute connu qu’un faible tirage11, sont conservés dans trois bibliothèques différentes, de trois pays différents, ce qui n’est pas anodin. La conservation de La chaste Iolande en Allemagne peut s’expliquer par la relative proximité géographique de la ville de Mannheim avec les domaines de la famille de Diane de Dommartin dans l’Est de la France. La localisation du Cimetière d’amour à Paris s’explique probablement par l’histoire de l’acquisition de ce volume qui semble avoir été relié par Chambolle-Duru fils, issu d’une famille de relieurs de la fin du XIXe siècle, puis acheté par le Baron James de Rothschild si l’on en croit le catalogue de sa bibliothèque12. Il est en revanche plus surprenant que le volume des Œuvres premières soit conservé à Londres. Diane de Dommartin et son entourage ont sans doute suivi Charles-Philippe de Croÿ dans ses voyages diplomatiques notamment aux Pays-Bas mais probablement pas en Angleterre où il a été ambassadeur auprès de la reine Elisabeth Ière à la fin des années 157013, soit bien avant l’impression des Œuvres premières. Les déplacements aux Pays-Bas confirmeraient cependant une hypothèse soulevée dans la notice bibliographique du Cimetière d’amour, qui suggère que, malgré l’indication d’une impression faite à Pontoise, l’ouvrage ait été imprimé aux Pays-Bas14. Cette indication d’impression se retrouve d’ailleurs dans toutes les autres oeuvres de Mont-Justin dont nous disposons, mais l’absence systématique de privilège du Roi rend peu probable une impression en France. Une impression aux Pays-Bas serait doublement justifiée, à la fois par l’implantation de la famille de Croÿ mais aussi par le fort développement de l’imprimerie dans ce pays dans lequel de nombreux auteurs, privés de privilège du Roi en France, venaient faire imprimer leurs oeuvres.
II. La Tragédie de Coriolanus
A. Coriolanus : du récit historique au sujet artistique
1. Quel accès à l’histoire de Coriolanus au XVIe siècle ? L’importance des traductions
La Tragédie de Coriolanus s’inspire de l’histoire de Coriolanus qui remonte aux débuts de la République romaine, peu de temps après la chute de Tarquin le Superbe : Caius Marcius, issu d’une famille de patriciens romains, est banni de Rome, après avoir vaillamment triomphé des Volsques à Corioles et remporté le surnom de Coriolanus, pour avoir montré du mépris envers le peuple qui l’accuse de vouloir s’emparer du pouvoir. Révolté par l’ingratitude des Romains, il décide de se rallier aux Volsques, pires ennemis des Romains à ce moment-là, et de déclarer la guerre à Rome pour se venger. Plusieurs délégations romaines tentent de le faire plier en le suppliant de revenir à Rome, sans succès, jusqu’à ce qu’une délégation de femmes menée par sa mère avec sa femme et ses enfants réussisse enfin à le faire renoncer. Dans la plupart des versions rapportées par les anciens, les Volsques, trahis par Coriolanus, le tuent pour se venger.
Son histoire est racontée par divers historiens, latins et grecs. La principale source latine rapportant ces évènements est Tite-Live au livre II de son Histoire romaine (33-40), qui note lui-même l’existence d’un récit de Fabius Maximus qui évoquerait la mort de Coriolanus15. Valère Maxime mentionne également, de façon assez brève, la fin de l’histoire de Coriolanus et notamment le moment où il se laisse convaincre par sa mère et sa femme d’abandonner son entreprise belliqueuse à l’égard de sa patrie romaine (livre V, chapitre 2 ; l’histoire est aussi racontée un peu plus longuement au chapitre 4). Enfin, le chapitre 19 du De viris illustribus urbis Romae d’un pseudo Aurelius Victor retrace rapidement la vie de Coriolanus. Concernant les textes grecs, la source la plus importante est la « Vie de Coriolanus » et sa comparaison avec la vie d’Alcibiade dans les Vies parallèles de Plutarque. Denys d’Halicarnasse dans ses Antiquités romaines constitue une autre source (livres VI à VIII) ; enfin il semble que Dion Cassius dans les livres perdus de son Histoire romaine ait rendu compte lui aussi de l’histoire de Coriolanus. Il reste cependant difficile de déterminer quels étaient précisément les textes grecs et latins dont disposaient les humanistes. On peut cependant affirmer que le texte de Tite-Live était bien connu des lettrés du XVIe siècle, en témoignent les Discours sur la première décade de Tite-Live de Machiavel publiés de façon posthume en 1531. Pour le grec, les textes de Denys d’Halicarnasse circulent à l’époque mais ceux de Plutarque sont conservés au Vatican et il faut donc s’y rendre pour les consulter. L’histoire de Coriolanus ne fait donc sans doute pas partie des textes antiques les plus lus et étudiés par les humanistes.
La donne change toutefois avec le développement des traductions qui prennent une grande importance au XVIe siècle et permettent à la fois de rendre les textes anciens accessibles à un plus grand nombre mais aussi de se livrer à l’exercice de l’imitation des anciens, ce qui contribue à la recherche de modèles de prose qui préoccupe les humanistes français, là où l’Italie a déjà érigé le Décaméron de Boccace en modèle. Ce phénomène s’inscrit dans le cadre de la promotion de la langue française : François Ier lui-même encourage les entreprises de traduction, non seulement en poésie en demandant à Marot de traduire les sonnets du Canzoniere de Pétrarque, mais aussi en prose en commandant à Georges de Selve une première traduction des Vies Parallèles de Plutarque. En 1543, il publie donc une traduction de huit des Vies de Plutarque, dont celle de Coriolanus16. En 1559, Jacques Amyot, l’un des traducteurs français les plus connus et reconnus par ses contemporains, se rend au Vatican et donne à son tour une traduction, intégrale cette fois-ci, des Vies parallèles, qui aura plus d’importance. C’est tout d’abord le style d’Amyot qui en fait une oeuvre remarquable pour de nombreux humanistes ; Montaigne célèbre la « naifveté et la pureté du langage » employé et ajoute : « Nous autres ignorans estions perdus, si ce livre ne nous eust relevez du bourbier : sa mercy, nous osons à cett’ heure et parler et escrire »17. Pour les humanistes, la traduction est moins une translation parfaitement fidèle des textes anciens qu’une imitation visant à en rendre l’esprit, et cela implique parfois l’ajout de gloses pour rendre le récit plus accessible. Le travail de traduction d’Amyot est donc loué pour son style et pour sa clarté, il réussit ainsi à fournir un modèle qui imite les anciens par des moyens syntaxiques propres au français. On remarque notamment que sa traduction porte une forme d’oralité qui correspond au « jugement de l’oreille18 » et qui favorisera l’adaptation au théâtre des histoires comme celle de Coriolanus.
Une autre traduction a peut-être permis de contribuer à refaire surgir le personnage de Coriolanus en tant qu’orateur et stratège militaire : l’ouvrage de François de Belle-Forest qui recense et traduit des harangues militaires, publié en 1573 et qui comprend une traduction des discours de Coriolanus à partir du récit de Denys d’Halicarnasse19. On y retrouve ainsi trois discours prononcés par Coriolanus, le présentant à la fois comme un orateur efficace mais aussi un homme déterminé et implacable.
2. L’intérêt nouveau pour le personnage de Coriolanus à la fin du XVIeet au début du XVIIe siècle
En parallèle de ces traductions d’Amyot, qui rendent les textes anciens, particulièrement les textes grecs, plus accessibles, semble émerger un réel regain d’intérêt pour le personnage de Coriolanus que l’on retrouve notamment au théâtre et d’abord dans la pièce de Hermann Kirchner, professeur et poète allemand qui écrit en latin et qui publie en 1599 un Coriolanus tragicomica20. Il est le premier auteur à reprendre le motif de Coriolanus au théâtre, et le seul à l’avoir fait au XVIe siècle21. Il s’agit de la seule pièce mettant en scène Coriolanus qui soit écrite en latin, ce qui s’explique par le fait que, à la fin du XVIe siècle, le latin occupe toujours une place très importante dans les lettres et que, par ailleurs, l’allemand n’est pas encore standardisé et ne peut donc s’ériger encore en langue de culture. La pièce de Kirchner est également la seule à avoir été qualifiée de « tragicomédie », appellation qui peut paraître surprenante compte tenu de la nature de l’histoire de Coriolanus. Jacob Beam explique dans son article que l’aspect « comique » de la pièce peut renvoyer à des scènes ou actions comiques mais aussi au fait que, du point de vue des femmes romaines, l’issue n’est pas tragique car la ville est sauvée :
Le sujet est ensuite repris en français par Pierre Thierry en 1600 dans sa Tragédie de Coriolanus puis par Alexandre Hardy qui écrit sans doute son Coriolan en 1607 et le publie dans ses Œuvres en 1625 tandis que Shakespeare rédige sans doute sa Tragédie de Coriolanus en 1608, publiée en 1623 dans le Premier Folio. Dans le cas de la tragédie de Shakespeare, c’est d’ailleurs toujours Amyot qui constitue la source d’inspiration principale, à travers la très fidèle traduction anglaise publiée en 1579 que fait Thomas North de la version française des Vies parallèles donnée par Amyot. Le personnage de Coriolanus réapparait ensuite sur la scène des théâtres parisiens en 1638, année qui fournit deux tragédies sur cette histoire : le Véritable Coriolan de François de Chapoton et le Coriolan d’Urbain Chevreau. Plus tard dans le siècle, Gaspard Abeille écrit lui aussi un Coriolan (1676) et le dernier Coriolan représenté au théâtre est celui, beaucoup plus tardif, de la Harpe au siècle suivant en 1784. Force est donc de constater que l’histoire de Coriolanus a inspiré de nombreux dramaturges notamment à la toute fin du XVIe siècle et dans les premières années du XVIIe siècle.
Mais le personnage de Coriolanus n’intéresse pas que le théâtre, même si c’est dans cette forme d’art qu’on le retrouve le plus souvent. L’attention portée à Coriolanus dépasse en effet la littérature, ce qui confirme que ce thème trouve une résonnance particulière. Il est représenté dans un tableau de Poussin réalisé entre 1650 et 1655 intitulé Coriolan supplié par les siens (voir en annexe) qui se concentre donc sur la délégation des femmes, la dernière délégation qui tente et réussit enfin à convaincre Coriolanus de renoncer à se venger de Rome. On distingue sur la partie droite du tableau les visages suppliants et craintifs des femmes dont sa mère et son épouse ainsi que des enfants de Coriolanus, qui s’opposent sur la partie gauche du tableau à des hommes debout, armés et impassibles, probablement des Volsques, et au milieu, Coriolanus qui avait dégainé son épée semble hésiter à en faire usage ou la ranger dans son fourreau.
Isabelle Denis, dans le livre qui rend compte de l’exposition de 2007/2008 sur les tapisseries baroques au Metropolitan Museum de New York, met également en évidence la représentation de l’histoire de Coriolanus dans un ensemble de tapisseries du début du XVIIe siècle23. En 1606, une collection de tapisseries sur ce thème est tissée pour Henri IV, représentant l’intégralité de l’histoire de Coriolanus, de ses victoires contre les Volsques à sa mort. Adolph Cavallo étudie également ces tapisseries dans un article24 et indique que les dessins d’après lesquels les tapisseries ont été réalisées ont été effectués entre 1570 et 1590, avant même que les pièces de théâtre que nous avons mentionnées ait été composées, ils ont donc probablement été inspirés par la traduction d’Amyot, ce qui confirme son importance et le rôle qu’elle a joué dans le renouvellement de l’intérêt porté à Coriolanus.
L’histoire de Coriolanus a donc inspiré les artistes également en dehors du théâtre, ce qui nous permet d’émettre l’hypothèse que son intérêt n’était pas purement dramatique et théâtral ou lié uniquement à sa charge tragique. La représentation du destin de Coriolanus, on l’a vu, a connu le plus de succès au tournant entre le XVIeet le XVIIe siècle, et ce n’est sans doute pas un hasard. Isabelle Denis revient sur les raisons qui ont été attribuées à ce regain d’intérêt et en donne elle-même une explication. Elle cite un certain Pascal Bertrand pour lequel le lien entre Henri IV et Coriolanus s’explique par la similitude de leurs vies agitées, leurs forts caractères et l’ingratitude du peuple envers eux25. Il ajoute que le thème de l’obéissance des sujets n’aurait pu que plaire à Henri IV. Isabelle Denis exprime son désaccord. Selon elle, l’histoire de Coriolanus n’est effectivement pas sans lien avec la situation de la France à la fin du XVIe siècle mais elle constitue plutôt une sorte de mise en garde, car le personnage de Coriolanus, malgré ses qualités viriles et militaires, est plutôt négatif, ce qui ne permet pas de l’identifier au roi. Au contraire, elle considère cet ensemble de tapisseries comme une façon de se rappeler les tumultes des guerres de religion et surtout les trahisons de la noblesse envers Henri IV (elle rappelle par exemple le cas du Maréchal de Biron). Dans son introduction au Coriolan d’Hardy, Fabien Cavaillé rappelle que Térence Allott « date la pièce de l’année 1607 et rapproche la figure de Coriolanus du maréchal de Biron, traître à son roi et exécuté en 1602. »26. Si cette comparaison n’est pas explicitement faite par Hardy et qu’Allott ne fait qu’émettre une hypothèse, il est toutefois possible que les contemporains de Hardy y aient en effet trouvé un certain écho. Concernant la pièce de Pierre Thierry, qui précède celle de Hardy de quelques années, la comparaison de Coriolanus avec le duc de Biron est à considérer avec plus grande précaution encore car la tragédie est datée de 1600, et publiée dans les Œuvres premières en 1601, alors que l’exécution du duc de Biron pour trahison eut lieu en 1602. Une première trahison du duc de Biron, pardonnée par le roi, avait cependant déjà eu lieu à cette date. Qu’on puisse identifier le personnage de Coriolanus tel qu’il est représenté par Mont-Justin au duc de Biron ou non, cette histoire illustre néanmoins le contexte historique et politique français à la fin du XVIe siècle. La Tragédie de Coriolanus constitue en effet un témoignage des troubles que la France a connu avec les guerres de religion depuis le milieu du siècle et représente les évènements tumultueux qui se sont déroulés dans ces circonstances, notamment les multiples trahisons car les liens entre nobles protestants et catholiques étaient complexes et les changements de camp fréquents. L’histoire de Coriolanus illustre très bien ce phénomène avec un personnage qui, se sentant trahi par les siens, les trahit en s’alliant aux ennemis qu’il finit par trahir en abandonnant son projet de vengeance. La pièce de Pierre Thierry peut ainsi être lue à la fois comme un souvenir de la période troublée que la France est censée avoir laissé derrière elle avec l’édit de Nantes de 1598 ou bien comme une mise en garde pour dissuader les nobles de trahir leur nouveau souverain. Elliott Forsyth confirme en tout cas qu’il ne faut pas y voir d’allusion à des événements précis :
B. Le traitement du sujet par Pierre Thierry
1. Les sources de la tragédie : entre respect scrupuleux et adaptation du récit de Plutarque
Les sources latines et grecques qui nous transmettent l’histoire de Coriolanus sont multiples. Si Mont-Justin les a peut-être consultées, sa source principale reste la version de Plutarque, dans la traduction qu’Amyot en a fourni en 1559. Depuis la Cléopâtre captive de Jodelle en 1553, Plutarque constitue en effet une source très importante pour les humanistes qui écrivent des tragédies, comme le rappelle Bruno Méniel : « La source la plus fréquente des tragédies humanistes est Plutarque, auteur de Vies, c’est-à-dire d’une historiographie à hauteur d’homme, attentive aux petites passions des grands personnages. »28 La Tragédie de Coriolanus correspond en effet à cette description : Coriolanus est un personnage issu d’une famille patricienne et dont le destin est contrarié, ce qui provoque en lui un sentiment d’injustice qui s’exprime par une colère hybristique.
C’est d’abord la structure de l’histoire de Plutarque que Pierre Thierry suit assez scrupuleusement. La pièce commence au milieu du récit de l’historien grec, au moment où Coriolanus est banni de Rome29 et fait ses adieux à sa famille. Chez Plutarque, il se rend ensuite auprès de Tullus, Capitaine des Volsques, ennemis des Romains contre qui il a déjà combattu et s’est illustré en tant que soldat par sa bravoure. La trame principale du récit de Plutarque connait ensuite une pause afin de raconter l’épisode du songe de Latinus30, épisode enchâssé qui interrompt l’intrigue principale dont il semble parfaitement détaché31. Ce passage du récit de Plutarque n’est repris par aucune des tragédies sur le sujet de Coriolanus, peut-être à cause de l’apparente discontinuité qu’il crée dans le récit. En effet, le personnage de Latinus n’intervient à aucun autre moment du récit et n’est présent qu’à l’acte II dans la pièce de Pierre Thierry, où il ne prononce qu’une seule réplique d’un peu plus de 100 vers, auquel aucun autre personnage ne répond. Cette intervention surprenante, voire déroutante, peut s’interpréter de plusieurs façons. Elle correspond tout d’abord au goût du théâtre humaniste pour les scènes de songe et de prémonition, qui sont souvent prises en charge par des personnages surnaturels au moment de l’exposition afin de permettre aux spectateurs de comprendre les enjeux de la pièce mais aussi parfois pour annoncer l’issue de la tragédie :
Cette intervention de Latinus ne correspond pas pleinement à cette description établie par Bruno Méniel. Quoi qu’il n’apparaisse effectivement pas dans le reste de la pièce, Latinus n’intervient qu’à l’acte II et non à l’acte I dont l’exposition est assurée par Coriolanus lui-même. En revanche, une grande partie du discours de Latinus est en fait une prosopopée du dieu Jupiter qui lui est apparu en songe à deux reprises, c’est donc bien un « être surnaturel » qui prend ici la parole. Quant à la dimension rétrospective ou prospective, il s’agit ici d’expliquer l’absence de clémence et de soutien des dieux à l’égard de Rome dans cette situation difficile. Jupiter vient en songe indiquer à Latinus la raison du mécontentement divin, que Latinus ignore une première fois. Il se rend finalement au Sénat après avoir vu son fils mourir sous ses yeux en guise de châtiment mais il précise :
Ils [les Sénateurs] voyent leurs erreurs, au lieu de rougir d’honte
Pour avoir offencé, ils n’en font pas grand compte. (v.489-490)
Latinus, prévoyant alors le destin funeste qui attend Rome, implore les dieux d’accorder à la cité sa protection et ses dernières paroles remplissent le rôle prospectif du personnage qui assure généralement l’exposition :
Par Rome seulement Rome sera vaincue
Si toy pere Juppin justement irrité
Ne regarde en pitié ceste pauvre cité,
Et espousant le droit d’une juste querelle,
Ne nous mets à couvert soubs ta saincte tutelle.
Vains sont noz ennemis, vain sera leur effort
Si tu combats pour nous, nous servant de support. (v.507-512)
Ces dernières paroles de Latinus présentent les deux issues possibles de cette situation : ou Rome sera vaincue, ou bien, grâce à l’aide des dieux, ce sont les ennemis qui seront vaincus. Cette scène originale et surprenante n’est donc pas dénuée d’intérêt dramatique, ni tout à fait détachée du reste de la pièce, bien qu’elle opère une suspension de l’action dramatique par le récit d’un épisode apparemment extérieur à la tragédie.
Contrairement à Plutarque, Mont-Justin place la rencontre entre Tullus et Coriolanus après cet épisode, et l’amplifie en conservant certains éléments. En effet, un autre tableau se constitue ensuite au cours duquel Coriolanus parle tout seul et prend la décision de proposer son soutien aux Volsques puis on voit Tullus souhaiter de son côté que la fortune tourne en faveur des Volsques, discours qui n’existe pas chez Plutarque, et qui justifie la joie avec laquelle Tullus accueille l’offre de Coriolanus et la défend si ardemment au début de l’acte III. Cette adaptation des évènements reste néanmoins tout à fait cohérente avec la réaction de Tullus chez Plutarque qui répond à Marcius : « Tu nous apportes un très grand bien, en te donnant à nous ; attends-toi à en recevoir un plus grand encore de la part des Volsques.33 » L’acte III introduit également quelques modifications avec les délibérations entre les magistrats volsques concernant la décision d’accepter le soutien de Coriolanus. Chez Plutarque, Coriolanus est tout de suite bien accueilli et il lui suffit d’un discours pour être nommé co-capitaine avec Tullus dans la guerre contre les Romains. Là aussi, Mont-Justin ajoute une dimension dramatique supplémentaire qui soulève les soupçons sur les intentions de Coriolanus, qui est tout de même finalement nommé à la tête de l’armée sans même avoir besoin de convaincre les volsques par un discours. Le reste de la pièce suit quasiment l’ordre des évènements tels que Plutarque les rapporte, la délégation politique, représentée chez Mont-Justin par le personnage de Vitellus (qui n’existe pas chez Plutarque) est suivie de la délégation religieuse qui retournent l’une et l’autre à Rome sans avoir obtenu le succès espéré puis c’est au tour de la troupe des dames, mobilisée grâce à Valeria, soeur du célèbre Publicola, de se rendre auprès de Coriolanus et de finalement réussir, particulièrement grâce à sa mère Volumnia, à le faire renoncer à attaquer Rome. La principale modification apportée à cette partie du récit est en fait un réagencement des informations : la campagne menée par Coriolanus avant d’arriver devant Rome, difficile à représenter, est rapportée à Tullus par le personnage de Catius, qui est apparu à l’acte III en tant que personnage silencieux, et qui rend compte de ce qui s’est passé au cours de la campagne militaire et de la trahison de Coriolanus à l’issue de son entrevue avec la délégation des femmes. La fin de la pièce correspond fidèlement à la fin du récit raconté par Plutarque, avec la même inquiétude de Tullus de voir Coriolanus se défendre trop bien grâce à ses talents d’orateur et ainsi amadouer les Volsques, ce qui le pousse à provoquer sa mort.
Mont-Justin reste donc très proche de la version plutarquienne de l’histoire de Coriolanus, non sans en modifier, amplifier et réagencer un certain nombre d’éléments afin d’adapter son sujet au théâtre et d’en exploiter toute la portée dramatique. Ainsi, Mont-Justin ne manque pas de reprendre, de façon parfois très nette, des passages de la traduction d’Amyot, dont nous avons déjà souligné l’oralité remarquable. Ce phénomène est particulièrement flagrant à l’acte IV dans les différents discours des femmes romaines. L’intervention de Valeria en donne un bon exemple :
Si nous venons vers vous, dames vers autres dames,
Volumnia, et vous, Vergilie, un malheur,
Qui ainsy comme à nous vous doit toucher le coeur,
Pour estre un fleau public et un commun affaire,
Nous a pour la raison contrainte de ce faire,
D’un commun mouvement, et non point d’un mandat
Que nous ayons reçeu du peuple ou du Senat :
Mais je croy que ce sont ordonnances divines. (v.1254-1261)
Nous venons devers vous, ô Volumnia et Vergilia, Dames vers autres Dames, sans ordonnance du Senat, ny commandement d’aucun magistrat, ains par inspiration, à mon advis, de quelque Dieu34.
Plus loin, les propos de Volumnia à son fils reprennent également la traduction d’Amyot de façon assez fidèle ; ils seront également repris par Shakespeare de la même façon, à partir de la version de la Vie de Coriolanus de Thomas North :
Ha ! Coriolanus, noz habits et noz larmes
Parlent assez pour nous, ils te font assez veoir
Quel est le crevecoeur, quel est le desespoir
Qui nous porte vers toy et quelle est nostre vie
Et noz façons depuis ta fascheuse sortie. (v.1314-1318)
Plus qu’une simple source d’où serait simplement tirée une histoire, le récit de Plutarque et la traduction d’Amyot constituent donc un véritable matériau dramatique, à ajuster par endroits pour en augmenter la charge théâtrale ou tragique mais qui comporte déjà en lui-même une forme d’oralité et de dramaticité.
Concernant les modèles antiques pour le genre tragique en lui-même, Elliott Forsyth souligne l’influence relative des tragédies de Sénèque :
2. Résumé de la pièce
Caius Marcius, patricien romain reconnu pour ses talents de guerrier et son courage, notamment dans la guerre contre les Volsques et la prise de leur cité de Corioles qui lui a valu le surnom de Coriolanus, est banni de Rome à cause de son hostilité envers la plèbe. Outré par le manque de reconnaissance des Romains envers les services qu’il a rendus à sa patrie, il rejoint alors les Volsques et offre de mener avec eux une guerre contre Rome pour assouvir sa vengeance. Le début de la campagne militaire est un succès et les Volsques finissent par faire le siège de Rome. Les Romains tentent alors de se faire pardonner de Coriolanus en lui proposant d’annuler son bannissement. Ils lui envoient plusieurs délégations, politique, religieuse et enfin, féminine, pour tenter le faire fléchir.
À l’acte I, Coriolanus, tout juste banni, fait éclater sa rage et sa colère dans une longue tirade qui s’achève par une promesse de vengeance. Sa femme Vergilie, accompagnée de leurs deux enfants, tente de le dissuader, sans succès et Coriolanus leur fait ses adieux. Le choeur commente les aléas de la fortune et l’envie suscitée chez les uns par la réussite des autres.
L’acte II est composé de deux tableaux. Le premier est celui du monologue de Latinus, qui raconte son rêve dans lequel lui est apparu Jupiter ; il s’inquiète de l’avenir de Rome et tient des propos qui pourraient être ceux d’un choeur. On voit ensuite Coriolanus prendre la décision de se rendre chez les Volsques puis de son côté Tullus, capitaine des Volsques et adversaire de Coriolanus, se lamenter sur le sort de son peuple et souhaiter prendre sa revanche. C’est à ce moment-là que Coriolanus arrive et propose à Tullus de s’allier aux Volsques et de déclarer la guerre à Rome. Tullus est ravi de voir ses prières exaucées. Il demande à Coriolanus comment un tel revirement de fortune a pu se produire et accepte sa proposition. Le choeur est divisé en deux : le « choeur premier » décrit les conséquences de la colère provoquée par une injustice subie et le « choeur second » met en évidence les effets de cette même colère sur celui qui l’éprouve.
L’acte III est constitué de trois tableaux. Tullus et d’autres magistrats volsques, Titius, Fidus et le Consul, délibèrent concernant Coriolanus : faut-il accepter de s’allier avec quelqu’un qui a été un ennemi et qui trahit sa patrie si facilement ? Ils en concluent que c’est une belle opportunité de se venger de Rome et finissent par accepter l’offre de Coriolanus en lui donnant les pleins pouvoirs dans cette guerre. Un premier choeur intervient, le choeur des Volsques, qui cherche à galvaniser les Volsques dans cette nouvelle guerre qui se prépare. On retrouve ensuite Coriolanus donnant ses instructions dans le campement militaire. Il est interrompu par Vitellus, envoyé par les patriciens et le peuple romains comme ambassadeur afin de lui annoncer qu’ils ont révoqué leur décision de le bannir. Coriolanus ne veut rien entendre et réclame qu’on accorde aux cités volsques prises par les Romains le droit de bourgeoise. Il donne trente jours aux Romains pour se décider. C’est ensuite au tour de la délégation religieuse, constituée du Grand Pontife et du Sacrificateur, de se lamenter sur la situation et de décider de se rendre auprès de Coriolanus pour tenter de le ramener à la raison, à nouveau sans succès. Le choeur est composé des devins et des sacrificateurs et émet une sorte de mise en garde adressée à Coriolanus contre l’audace hybristique.
L’acte IV s’ouvre sur le discours de Valeria qui s’indigne de voir la situation dans laquelle se trouve Rome et le manque de courage des Romains. Elle exhorte les dames romaines, représentées par Coelia, à aller trouver Volumnia, la mère de Coriolanus afin de la convaincre de tenter de parler à son fils, comme un dernier recours. Volumnia est certaine d’échouer mais accepte de se rendre auprès de son fils. Toutes les dames romaines l’accompagnent, y compris Vergilie et les enfants de Coriolanus. Face à cette délégation, Coriolanus ne fléchit pas et reste campé sur ses positions dans un premier temps, mais après avoir entendu les supplications de sa mère, de sa femme et de ses enfants, et les voyants s’agenouiller devant lui, il cède et renonce à cette guerre. Coriolanus entrevoit la fin funeste qui l’attend et fait ses adieux à sa famille. Le choeur des Antiates, habitants de la cité Volsque d’Antium, médite sur le pouvoir qu’ont les femmes sur les hommes et illustre ses propos d’exemples tirés de la mythologie.
Le cinquième et dernier acte commence avec les lamentations de Catius qui avait prédit cette trahison et dont les avertissements n’ont pas été écoutés. Tullus lui demande de lui raconter les évènements, car Catius a accompagné Coriolanus dans cette campagne militaire. À l’issue du récit de Catius, Tullus exprime sa volonté de punir Coriolanus de cette trahison en le tuant avant qu’il ne puisse s’exprimer car Catius et Tullus craignent que ses qualités oratoires ne lui permettent de se faire pardonner des Volsques. Catius part réunir le Sénat tandis que Coriolanus arrive et se confronte à Tullus et à ses reproches. Coriolanus estime avoir servi l’intérêt des Volsques. Tous deux arrivent devant le Sénat et Tullus parle le premier, accusant Coriolanus d'être un traître et un menteur qui a berné les Volsques. Le Consul tient à ce que les deux parties s'expriment et laisse donc la parole à Coriolanus pour écouter sa défense. Coriolanus affirme qu'il a tenu son engagement en remportant de nombreuses victoires avant d'arriver devant Rome et qu'il a simplement fait preuve de sagesse et de raison en n'engageant pas contre les Romains une guerre perdue d'avance pour eux. Tullus et Catius l'interrompent et finissent par se jeter sur lui pour le tuer.
3. Le personnel tragique : nouveaux personnages et nouveaux rôles
Si Pierre Thierry suit d’assez près le récit de Plutarque et qu’on retrouve dans la pièce les personnages principaux attendus, il se permet également d’apporter quelques modifications et de donner une plus ou moins grande importance à certains personnages, et même d’en inventer d’autres.
Volumnia
Elle est l’un des personnages les plus importants de la pièce. Bien que ce soit une délégation entière de femmes romaines qui se rend auprès de Coriolanus pour tenter de le faire renoncer à son projet, c’est bien Volumnia qui obtient de lui qu’il abandonne. Pourtant, elle n’apparait qu’à l’acte IV, à la différence des tragédies de Hardy, Shakespeare et même Chevreau, qui la font intervenir dans les premiers actes. Dans la pièce de Mont-Justin, on la voit d’abord échanger avec Valeria qui lui demande de s’associer aux femmes romaines afin de rendre visite à Coriolanus. Volumnia se présente alors comme un personnage fragile, elle est affaiblie par le poids de la vieillesse et par la douleur de voir son fils ainsi se comporter. Sa toute première prise de parole en témoigne :
Ô grand Dieu, je me meurs, je sen rompre mon ame
D’un regret trop cuisant, qui vivement l’entame !
Ainsy que Promethé, l’aigle du tout puissant
Becquette tous les jours ton poulmon renaissant,
Je sen de tous costez cent ardentes tenailles
A chasque heure du jour pinssoter mes entrailles. (v.1273-1278)
L’agitation de son esprit transparait dans la première exclamation et la comparaison avec le châtiment corporel de Prométhée exprime de façon hyperbolique la souffrance éprouvée par la mère qui se sent responsable du comportement de son fils. Volumnia, même si elle accepte l’offre de Valeria, est par ailleurs certaine de ne pas être en mesure de le faire changer d’avis :
Je n’atten plus de luy qu’une temerité,
Qu’un mespris orgueilleux : c’est sa façon commune,
Mais toutefois tentons avec vous la fortune. (v.1300-1302)
On la voit également très faible physiquement dans cette scène, à la fois parce que son malheur l’accable mais aussi à cause de sa condition physique, elle demande d’ailleurs à Vergilie de la soutenir pour éviter de défaillir et la conduire auprès de son fils :
Une froide sueur destrempe mon visage :
Mon genou dessoubs moy tremblote descharné,
Et mon chef va penchant contre bas prosterné.
Dirige bien mes pas ma guide plus fidelle :
Car mes yeux sont sillez d’une nuict eternelle.
Conduy-moy tastonnant : quel bruit enten-je icy ?
Suis-je vers Martius ? (v.1306-1312)
Cette description de la faiblesse du personnage, établie par Volumnia elle-même, avec de nombreux détails très visuels et des images fortes de son accablement, suscite chez le spectateur pitié et compassion, des émotions qui contrastent fortement avec la réaction froide de Coriolanus qui demande simplement « Quel nouveau accident vous guide icy mes dames ? » (v.1313) et réponds ensuite à sa mère avec mépris « Qu’ils gardent leur rappel : je n’ay que faire d’eux. » (v.1339). Mont-Justin s’écarte ici du récit de Plutarque, dans lequel la seule vue des membres de sa famille suffit à émouvoir et troubler Coriolanus avant même que sa mère ne prenne la parole :
Ici la tragédie extrapole l’indication de Plutarque « il voulut d’abord persister dans sa décision inflexible et implacable » et ce n’est qu’au bout d’un certain nombre de répliques de Volumnia surtout mais aussi de Vergilie, de Valeria et des enfants, que Coriolanus cède enfin. On observe cependant dans cet échange un changement de posture dans l’attitude de Volumnia qui, face à son fils, fait preuve de plus de combativité. Elle tente de susciter la pitié de Coriolanus en insistant sur le désespoir dans lequel elle et les autres dames romaines sont plongées et dénonce sa « vengeance cruelle » (v.1333). Volumnia cherche également à émouvoir son fils en lui rappelant les liens qui l’unissent aux Romains et à elle tout particulièrement, sans succès. Elle adopte finalement un ton plus accusateur et cherche à susciter la culpabilité de Coriolanus en soulignant le manque de reconnaissance, de piété filiale, qu’il manifeste envers sa mère :
Quoy ? J’auray enfanté une ingrate vipere
Qui rongeray naissant le ventre de sa mère ? (v.1381-1382)
Elle n'hésite d’ailleurs pas à convoquer l’image de sa propre mort en prenant son fils à partie et en le provoquant :
Pour ce faire il me faut passer dessus le ventre :
C’est ton plus court chemin, c’est par là où l’on entre
Dans Rome triomphant : ensanglante tes mains
Tant avides de sang sur ces petis Romains. (v.1401-1404)
Le personnage de Volumnia est donc présenté comme ambivalent, capable de montrer une grande faiblesse mais faisant aussi preuve de fermeté devant son fils afin de mettre toutes ses chances de son côté pour sauver sa patrie, quitte à le blesser dans son amour propre en l’accusant de ne pas se comporter en homme vertueux (« mais di-moy, penses-tu / La vengeance estre propre aux hommes de vertu ? », v. 1431-1432).
Il faut enfin noter un élément surprenant concernant Volumnia, qui n’apparait dans aucune source de l’histoire de Coriolanus : elle est aveugle. On retrouve cette information à deux reprises, donnée de sa propre bouche : « Car mes yeux sont sillez d’une nuict éternelle » (v.1310), « J’ay porté dèz longtemps la perte de mes yeux » (v.1327). Cette caractéristique est singulière car il est assez rare de rencontrer des femmes aveugles dans la littérature. Chez les vieillards, la cécité représente la sagesse de ceux qui ne voient pas avec les yeux mais avec l’esprit, qui voient au-delà des apparences. Pour Volumnia, cela peut prendre plusieurs sens. Sa cécité pourrait d’abord indiquer qu’elle voit plus loin que l’apparente fermeté et inflexibilité de son fils dont elle connaîtrait la vraie nature. À l’inverse, cela pourrait relever plutôt de l’aveuglement, et du refus de voir les agissements de son fils qui la trahit et qui trahit sa patrie. On peut également formuler une troisième hypothèse qui serait celle d’un châtiment presque divin pour avoir engendré un tel fléau pour Rome, car Volumnia admet avoir sa part de responsabilité dans cette terrible situation.
Vergilie
La femme de Coriolanus fait partie des personnages attendus dans la pièce. Chez Plutarque elle est seulement présente en tant qu’épouse et ne joue qu’un rôle de second plan, mais Mont-Justin lui donne une importance nouvelle en la faisait apparaître dès le premier acte lorsque Coriolanus lui fait ses adieux. Elle essaye alors de le dissuader une première fois de prendre sa revanche sur Rome, lui demandant d’accepter ce sort que lui réserve la fortune pour un temps et de laisser les dieux se charger de le venger. Elle adopte à la fin de l’acte une rhétorique semblable à celle de Volumnia à la fin de l’acte IV et exhortant son mari à commencer sa vengeance en tuant sa propre femme et ses enfants :
Commencez de rougir de nostre sang vos armes,
Puisque nos pleurs sont nuls, que vaines sont nos larmes
Venez ça mes mignons : ce sont cy des Romains,
Jettez vous à ses pieds, donnez icy voz mains,
Joignez sur ses genoux vos dextres enfantines :
Là Martius ouvrez, leurs coulpables poictrines
Sont de voz ennemis. (v.245-251)
Elle finit par s’en remettre aux dieux avant que le choeur ne vienne clore le premier acte. Sa présence à l’acte I permet au spectateur de mesurer l’ampleur de la détermination de Coriolanus, et de justifier les refus qu’il oppose aux deux premières délégations qui viennent à lui à l’acte III. Vergilie revient avec la troupe des femmes à l’acte IV où elle se montre à la fois comme un soutien pour Volumnia et contribue, certes brièvement – par une seule réplique, à demander à son époux de renoncer à ses funestes projets en le comparant à un monstre, qui n’est plus vraiment son mari.
Valeria
Le personnage de Valeria, soeur de Publicola, qui est à l’origine de la délégation féminine, vient lui aussi de chez Plutarque. Il est repris par Shakespeare, qui lui désattribue ce rôle mais la fait intervenir dans d’autres scènes, et par Hardy qui « enrichit le petit rôle de Valérie en en faisant une porte-parole des dieux39 ». Chez Chevreau, elle disparaît et son rôle moteur dans la décision des femmes est repris par Verginie, nom de l’épouse de Coriolanus chez Chevreau40. Mont-Justin fait le choix de conserver ce personnage et ne le fait intervenir qu’au même moment que celui qu’indique Plutarque. Elle intervient donc au début de l’acte IV où elle commence par se lamenter du manque de combativité des Romains avant de suggérer aux dames romaines représentées par Coelia d’aller chercher Volumnia et de se rendre auprès de Coriolanus dans une dernière tentative de le faire fléchir. Cette première exhortation prononcée par Volumnia n’existe pas chez Plutarque, Mont-Justin s’empare ici de la narration pour la traduire en discours théâtral et montrer une progression dans les actions dramatiques. Valeria s’adresse ensuite à Volumnia et parvient à la convaincre de parler à Coriolanus. Elle intervient une dernière fois au moment où tous les personnages (Volumnia, Vergilie, les enfants et Valeria) concentrent leurs efforts pour faire plier Coriolanus. Pierre Thierry fait donc en sorte que l’intervention de Valeria ne soit pas unique, mais plutôt que le personnage soit à la fois à l’origine de cette entreprise et y prenne part jusqu’à la fin en contribuant à porter le coup de grâce à Coriolanus.
Les enfants :
Autres personnages présents chez Plutarque mais auxquels Mont-Justin donne une nouvelle importance, les enfants de Coriolanus et Vergilie existent ici en tant que personnages de la tragédie. Ils n’y ont certes que deux répliques d’un vers chacune (v.251 et v.1408) mais ils sont tout de même nommés, Metel et Fabritius (v.1460-1461), prénoms inventés par Mont-Justin car absents du récit plutarquien. Malgré leur très faible nombre de réplique, ils semblent être présents sur scène au cours de l’acte I lorsque Vergilie s’entretient avec Coriolanus qui leur fait ses adieux mais également à l’acte IV avec la délégation des femmes qu’ils accompagnent. Ce sont donc des personnages quasiment silencieux. Leur présence sur scène n’est cependant pas dénuée d’intérêt, ils permettent d’accentuer l’aspect tragique des actes dans lesquels ils se trouvent car, contrairement aux Romains qui ont décidé de bannir leur père, ils sont innocents mais subiront malgré tout les représailles de Coriolanus qui promettent de s’abattre sur la cité entière. Ils rendent la décision de Coriolanus encore plus cruelle, quoi que le vers 252 « Ces enfans de tant plus rengregent ma douleur » montre Coriolanus dans son rôle de père, qui semble quitter ses enfants et prévoir sa vengeance presque à contre-coeur ou du moins non sans en éprouver un certain chagrin. Les deux répliques des enfants, en elles-mêmes, ne font pas avancer l’intrigue, la première ne constitue même qu’un hémistiche et non un vers complet « Ah Monsieur, ah Monsieur ! » (v.251) et la seconde est quasiment identique « Ha Monsieur, ha Monsieur, ayez pitié de nous ! » (v.1408). Ces exclamations d’enfants à leur père sonnent comme une prière désespérée, déchirante, qui rappelle d’ailleurs celles d’Astyanax dans La Troade de Garnier, qui n’a que trois répliques, à l’acte II, avant de mourir, mais ces interventions sont de terribles et déchirants appels au secours qui ne trouvent pas de réponse : « Hé ma mere » (v.1115), « Hé, ma mere, il m’emmeine. » (v.1117) et « Helas! ma mere, helas! me lairrez-vous tuer ? » (v.1119). Par ailleurs, à la fin de l’acte V tous les enfants qui ont été tués pendant la pièce sont présents sur scène, présence silencieuse porteuse d’une grande violence41.
On peut noter que Shakespeare est le seul autre dramaturge à reprendre la présence des enfants de Coriolanus, qui passent de plusieurs (nombre indéterminé) chez Plutarque, à deux chez Mont-Justin pour que Shakespeare n’en garde qu’un seul, appelé Jeune Marcius. Ce nom à lui seul indique que cet enfant, bien que n’ayant qu’une seule réplique et peu de temps de présence sur scène, représente une autre version de Coriolanus, il refuse d’être condamné à mort par son père et promet de ne pas baisser les bras : « Il ne passera pas sur moi : je me sauverai jusqu’à ce que je sois plus grand, et alors je me battrai.42 »
Tullus
Comme chez Plutarque, Tullus apparait comme un personnage assez ambivalent. Lorsque que Coriolanus propose son soutien aux Volsques, il l’accueille avec joie et bienveillance, et Mont-Justin renforce même ce trait en construisant un désaccord parmi les Volsques concernant cette alliance avec Coriolanus, qui n’existe pas dans le récit de Plutarque, et qui se mêle avec un élément bien présent chez Plutarque : le besoin de se saisir d’un prétexte crédible afin de légitimer la guerre lancée contre les Romains alors même qu’une trêve de deux ans a été signée lors de la précédente guerre. Il est donc assez surprenant de voir qu’à l’acte V, l’amitié que Tullus offre à Coriolanus à l’acte II se transforme en haine mortelle, que Tullus justifie par la trahison de Coriolanus envers les Volsques. Coriolanus accuse Tullus de jalousie, mais rien ne vient confirmer cette hypothèse :
Ma gloire t’a plongé dans une jalousie,
Qui te faict envieux attenter à ma vie. » (v.1866-1867)
En effet, la pièce commence au milieu du récit rapporté par Plutarque, et omet donc certaines informations qui auraient pu rendre le personnage de Tullus moins ambigu, comme cette présentation du personnage de Tullus par Plutarque qui indique déjà une certaine rivalité entre les deux personnages :
Cette concurrence est confirmée par Plutarque à la fin du récit par deux passages :
Ainsi, là où Plutarque présente cette jalousie comme un fait avéré, Mont-Justin sème le doute et le suggère seulement à travers Coriolanus, dont l’accusation peut-être aussi bien fondée que mensongère afin de justifier le comportement de Tullus à son égard.
Latinus
Nous l’avons vu, Latinus fait partie des personnages présents chez Plutarque, que les autres dramaturges ne reprennent pas dans leur pièce. Sur l’interprétation de ce choix, voir le II, B, 1 de cette introduction.
Vitellus
Le personnage de Vitellus, envoyé en tant qu’ambassadeur par les sénateurs et le peuple romain, incarne à lui seul la première délégation envoyée à Coriolanus. Ce personnage n’a que deux répliques, assez courte, et ne fait qu’annoncer à Coriolanus la révocation de son bannissement. Il permet de montrer de façon efficace le premier refus de Coriolanus qui demande que soit accordé aux Volsques le droit de bourgeoisie, en n’utilisant qu’un seul personnage au lieu d’un collectif de « députés du Sénat46 » comme l’indique Plutarque.
Le Grand Pontife et le Sacrificateur
Ces deux personnages représentent la deuxième délégation, religieuse cette fois-ci, que Rome envoie auprès de Coriolanus. Dans le texte de Plutarque, il s’agit en fait d’envoyer « tous les prêtres des dieux, les célébrants des mystères, les gardiens des temples et les augures47 ». Ici, Mont-Justin en extrait deux personnages principaux, dont l’action échoue une nouvelle fois à faire plier Coriolanus. Leur intervention est suivie par le choeur des devins et des sacrificateurs, ce qui est intéressant ; on peut peut-être considérer que le choeur constitue pendant ce tableau le reste de la délégation, dont le Pontife ne fait a priori pas partie car il n’en existe qu’un selon l’organisation religieuse romaine. Le sacrificateur devient les sacrificateurs et les devins apparaissent, sans doute à partir de la traduction d’Amyot qui énumère les membres de la délégation religieuse ainsi (p.836) : « presbtre, religieux, ministres des Dieux & gardes des choses sacrees, & tous les devins ».
Fidus, Titius et le Consul
Ces personnages sont des inventions de Mont-Justin, afin de donner un visage aux Volsques qui, chez Plutarque, ne sont jamais précisément identifiés à part pour Tullus. Fidus et Titius sont présents uniquement au début de l’acte III, lors des délibérations concernant l’alliance avec Coriolanus, avec le Consul qui revient à l’acte V lors du jugement de Coriolanus. Cette scène de débat, de délibération, qui ne figure pas chez Plutarque, interroge la fiabilité de Coriolanus en soulevant la possibilité qu’il trahisse les Volsques car il a été capable de trahir sa propre patrie. Les délégations qui lui sont envoyées par Rome peuvent alors apparaître aux yeux des spectateurs comme des tests de sa fidélité et de sa loyauté, qu’il passe haut la main les deux premières fois avant de succomber.
Catius
Le personnage de Catius, un Volsque lui aussi, n’existe pas dans la version de Plutarque. Il est présent à l’acte III de façon silencieuse, Coriolanus s’adresse à lui pour lui donner des ordres concernant l’organisation des troupes militaires :
Cependant Catius, fay enclore ce camp
Tire là la tranchée, et fay tenir en reng
Le soldat escarté, mets la cavallerie
Aux ailes des drappeaux de nostre infanterie. (v.955-958)
Cette adresse à Catius, qui ne répond même pas aux ordres de Coriolanus, permet de montrer sa présence sur le campement militaire, aux côtés de Coriolanus. Cela n’aurait que peu d’intérêt si Catius ne devait pas, à l’acte V, faire à Tullus le rapport de ce qui s’est produit au cours de la campagne militaire à laquelle il n’assiste pas. Grâce à cette mention de Coriolanus, la présence de ce personnage est rappelée et le récit de l’acte final est légitimé par la participation de Catius dans cette guerre.
Coelia
Dernier personnage inventé par Mont-Justin, Coelia est la voix unique qui représente toute la troupe des dames romaines. Lorsque Valeria prend la parole au début de l’acte IV pour enjoindre les femmes romaines à agir, elle emploie bien le pluriel « Mes Dames », mais seule Coelia lui répond, en employant la première personne du pluriel, se plaçant ainsi en porte-parole de l’ensemble des femmes romaines : « commandez seulement, / Nous ne voulons sortir d’un seul commandement / Que vous proposerez. » (v.1247-1249). Elle n’a d’ailleurs qu’une seule réplique qui vise à acquiescer à la proposition de Valeria. On peut ensuite supposer que le reste des femmes et elle suivent Volumnia, Vergilie et Valeria auprès de Coriolanus.
Les choeurs tels qu’ils figurent dans la tragédie de Mont-Justin n’existent dans un aucune autre pièce sur Coriolanus. La pièce d’Hermann Kirchner semble ne pas en contenir, ce qui est assez surprenant pour une pièce en latin de la fin du XVIe siècle. C’est en revanche moins étonnant pour les tragédies de Chevreau et Chapoton, qui écrivent à une époque où les choeurs ont quasiment disparu de la tragédie. Il est également rare de trouver des choeurs chez Shakespeare. Le cas de Hardy est un peu différent, car il écrit au début du XVIIe siècle, dans une période de transition vis-à-vis des choeurs qui tendent à disparaître sur scène pour éviter d’ennuyer les spectateurs mais sont parfois encore gardés dans la version imprimée des tragédies. Le Coriolan d’Hardy garde plusieurs choeurs, notamment celui des Romains et celui des Volsques mais ils sont très différents de ceux de Mont-Justin et de ceux de la tragédie humaniste en général car ils interviennent davantage en tant que personnages collectifs qui prennent part à l’action plutôt que comme personnages en retrait dont le rôle tient surtout du commentaire. Fabien Cavaillé les décrit ainsi :
Les choeurs de la Tragédie de Coriolanus de Pierre Thierry obéissent à cette caractéristique des choeurs de la tragédie humaniste qui interviennent entre les actes et ne jouent aucun rôle dans l’intrigue. Il faut cependant s’arrêter sur leur composition originale. En effet, hormis le dernier acte qui ne comporte pas de choeur du tout, chaque acte comporte des choeurs de dénomination et de composition différente. Les strophes et les mètres employés varient également d’un choeur à l’autre et les mètres peuvent varier au sein d’un même choeur. L’acte I comporte un « choeur » indéterminé, constitué de sizains heptasyllabiques. À l’acte II le choeur est divisé en deux parties, un « choeur premier » en sizains hexasyllabiques suivi d’un « choeur second » en sizains lui aussi mais heptasyllabiques. L’acte III est le plus frappant concernant les choeurs. En effet, l’acte est divisé en deux parties qui s’achèvent chacune par un choeur différent, créant ainsi deux tableaux. Le premier tableau est celui de la délibération des Volsques concernant l’alliance avec Coriolanus et la déclaration de guerre à Rome ; il est suivi du choeur des Volsques en sizains qui alternent quatre octosyllabes puis un alexandrin et enfin un hexasyllabe. Le deuxième tableau représente quant à lui les deux premières délégations qui se rendent auprès de Coriolanus et il se conclut par le « choeur des devins et sacrificateurs », en quatrains heptasyllabiques, qui suit la prise de parole du Grand Pontife et du Sacrificateur, comme si leurs deux voix, s’étant exprimées comme des porte-paroles, laissaient la place au reste de la délégation. Le dernier choeur, celui de l’acte IV, est celui des Antiates, et intervient de façon assez surprenante car aucun personnage Volsque n’est présent dans cet acte. Il est composé de quatrains de trois hexasyllabes puis un alexandrin.
Ces choeurs, même lorsqu’ils entrecoupent l’acte III, n’ont aucune influence sur l’action et le déroulement de la pièce. Ils ne font que commenter l’action, apporter une réflexion philosophique, ou du moins méditative, sur les évènements qui viennent de se produire ou en réactions aux propos et comportement des personnages. Ils apportent une forme de recul et illustrent leurs analyses par des récits mythologiques de façon presque systématique, façon de donner une dimension universelle à leur propos à partir de l’exemple de l’histoire de Coriolanus. Ainsi, l’acte IV, au lieu de nous présenter un choeur de dames romaines comme on pourrait l’attendre après le choeur des devins et des sacrificateurs, présente une réflexion sur le pouvoir que les femmes ont sur les hommes à travers le choeur des Antiates, qui a pu observer Coriolanus cédant face aux dames romaines d’un point de vue extérieur. Bruno Méniel analyse le rôle des choeurs de la tragédie humaniste comme un prolongement de la culture humaniste du commentaire49 :
Ce rôle de commentaire et de mise en évidence de la nécessité est effectivement endossé par les choeurs de la Tragédie de Coriolanus. À l’acte I, le choeur s’attache à rappeler le fonctionnement de la roue de fortune et les inconvénients qui viennent avec la bonne fortune et la renommée, et notamment « l’haineuse envie » (v.297). La titanomachie et la gigantomachie sont ensuite pris comme exemple pour illustrer ce phénomène inévitable. De même pour le choeur de l’acte II qui, après le ralliement de Coriolanus à Tullus et aux Volsques, commente les effets de la fureur lorsqu’elle est éprouvée par un homme qui est victime d’une injustice en donnant des exemples tirés de l’histoire de la guerre de Troie.
Bruno Méniel ajoute ensuite :
Dans la Tragédie de Coriolanus, cette dimension morale des choeurs prend souvent la forme d’un avertissement, d’une mise en garde, adressée à une personne ou à un groupe de personnes. Cet aspect est particulièrement flagrant lorsque le choeur est caractérisé. Le choeur des devins et des sacrificateurs à l’acte III met en garde Coriolanus contre son comportement en énumérant la chute tragique de personnages mythologiques qui ont fait preuve de trop d’audace. Mais on observe la même tendance dans les choeurs des deux premiers actes. C’est d’abord Rome qui est mise en garde contre les conséquences qu’elle encourt en faisant preuve d’ingratitude :
Mais Rome, donne toy garde
Que le ciel sur toy ne darde
Quelque changement soudain :
Et que ton ingratitude
Ne te mette en servitude
Mesme soubs ta propre main. (v.387-392)
La seconde partie du choeur de l’acte III adopte le même type de discours sous forme d’une mise en garde aux allures de prophétie :
Et toy Tibre impetueux,
Qui nagueres soulois bruire
Coulant son nom glorieux,
Tu ne bruiras que son ire,
Meslant dans tes flots soudains
Le sang de tes citoyens. (v.761-766)
Le premier choeur de l’acte III s’écarte légèrement de ces prérogatives. Il fait office de transition entre la décision de déclarer la guerre à Rome et le tableau suivant dans lequel Coriolanus et les soldats sont déjà engagés dans la guerre et ont établi leur camp devant Rome. Le rôle du choeur des Volsques qui intervient entre ces deux tableaux est donc de créer une cohérence entre les deux tableaux. Le choeur exhorte donc les Antiens à trouver le courage d’aller se battre pour reprendre ce que Rome leur a volé, il est là pour galvaniser les troupes et leur assurer que la victoire est à portée de main :
Je voy ja cest aigle à deux testes
Qui nostre sang alloit succant,
Afin d’enrichir noz conquestes
Devant nous s’aller abaissant :
Puisque de Martius la prospere fortune
Nous est ores commune. (v.923-928)
5. Composition de la pièce et passage de la narration en prose au théâtre en vers
Les ajustements qu’opère Pierre Thierry ne se manifestent pas seulement dans les modifications apportées pour constituer le personnel tragique de la pièce. La Tragédie de Coriolanus resserre en effet son action pour faire commencer la pièce au plus près du dénouement, ce qui est fréquent pour les tragédies humanistes. Dans sa tragédie en latin, c’est d’ailleurs le choix que fait Hermann Kirchner dont la pièce s’ouvre sur le départ de Coriolanus pour Antium, chez les Volsques (« L’action commence avec le départ de Coriolanus pour Antium, après avoir été exilé par le peuple romain poussé par les tribuns52 »). Hardy fait le choix de débuter sa pièce légèrement avant, au moment où la foule demande que Coriolanus soit puni. Urbain Chevreau resserre quant à lui l’action de façon novatrice et fait commencer l’intrigue de sa pièce au moment où Coriolanus s’apprête à attaquer Rome. Mont-Justin se situe à mi-chemin de ces diverses propositions en faisant commencer sa pièce avec la scène des adieux à sa femme et à ses enfants. Ainsi, la promesse de vengeance formulée par Coriolanus dans la grande tirade qui ouvre le premier acte indique au spectateur que l’enjeu tragique de la pièce réside dans la possible destruction de Rome. On comprend aussi l’importance des rôles féminin dès le premier acte avec la présence de Vergilie (II, C, 3, a). Contrairement à Shakespeare et à Chapoton, qui proposent une vision plus large de l’histoire de Coriolanus en commençant leur pièce au début du récit de Plutarque, Mont-Justin invisibilise une grande partie des troubles politiques que connaît Rome et auxquels Coriolanus prend part. En effet, la question populaire disparait totalement de la tragédie, alors qu’elle fait partie des enjeux majeurs de la pièce de Shakespeare. Les personnages des tribuns ne sont par exemple pas repris, pas plus que le personnage de Menenius et sa fable des membres et de l’estomac, contée à la plèbe pour la convaincre du bien-fondé du système selon lequel est organisé la société. Ainsi, l’aspect politique de ce récit se trouve pour ainsi dire évacué – le motif du bannissement de Coriolanus n’est même jamais clairement mentionné, au profit de la question de l’action féminine et de la vengeance, notamment du point de vue juridique (II, C). En outre, ce resserrement de l’action permet de faire avancer l’intrigue tout en laissant la place au développement de passages plus délibératifs comme au début de l’acte III ou narratifs comme avec le récit de Latinus à l’acte II et celui de Catius à l’acte V.
La composition de la tragédie à partir d’un matériau littéraire en prose induit également certains changements et adaptations pour créer une tragédie en vers. Les discours prononcés par les personnages sont parfois retranscrits par Plutarque, comme celui que fait Coriolanus lorsqu’il offre son soutien à Tullus, celui de Valeria aux femmes romaines ou encore celui de Volumnia à son fils, le plus célèbre de cette histoire. Mais ces performances oratoires, car ce sont toujours les discours les plus beaux et les plus frappants qui sont réécrits par Plutarque, trouvent rarement une réponse aussi développée et retranscrite au discours direct de la part de l’interlocuteur. Il faut souvent se contenter de réponses brèves ou au discours indirect voire narrativisé. Par exemple, les adieux de Coriolanus à sa famille sont ainsi résumés par Plutarque « il embrassa sa mère et sa femme, qui se lamentaient, gémissaient et criaient53 », ce que Mont-Justin transforme en tout un échange à l’acte I entre Coriolanus et Vergilie qui tente de le dissuader de se venger de Rome, avant que Coriolanus ne fasse ses adieux à son épouse. De la même façon, l’épisode du songe de Latinus est rapporté sous forme narrative et en partie au discours indirect par Plutarque. Mont-Justin se saisit de toute cette histoire et invente la prosopopée de Jupiter et le long monologue de Latinus. La recherche d’un prétexte pour déclarer la guerre aux Romains est également utilisée par Pierre Thierry et amplifiée, devenant ainsi au début de l’acte III un débat pour déterminer si une nouvelle guerre et une alliance avec Coriolanus sont souhaitables ; le récit des premières victoires de Coriolanus sur des villes latines est intégré au récit de Catius à Tullus à l’acte V ; le discours de Coriolanus devant l’Assemblée des Volsques, que Plutarque suggère très bon, est lui aussi inventé par Pierre Thierry à partir des informations données par Plutarque sous forme narrative.
C. Les thèmes principaux de la pièce
1. Colère et vengeance comme ressorts tragiques
Nous l’avons vu (II, B, 5), la question politique de la vie collective en société disparait pour ainsi dire de la pièce de Mont-Justin. À l’inverse de chez Shakespeare, le resserrement du sujet au plus proche de son dénouement limite le nombre d’actions à représenter au fil des actes et la tragédie se concentre finalement sur l’évolution du personnage de Coriolanus et de son état d’esprit dans cette situation difficile. Ses réactions sont au coeur de l’enchainement des évènements tragiques qui se fait avant tout par la parole. L’histoire de Coriolanus s’y prête d’ailleurs particulièrement bien car l’éloquence constitue un enjeu fondamental ; toute la pièce peut être résumée par ses démonstrations rhétoriques plus ou moins efficaces, avec au premier plan les tentatives de convaincre Coriolanus de renoncer à se venger de Rome (II, C, 2, b) : le « spectacle de la parole » dont parle Emmanuel Buron au sujet de la tragédie humaniste54 semble correspondre parfaitement à la pièce de Pierre Thierry. L’émotion principale de la tragédie, qui motive toutes les actions du personnage de Coriolanus, est la colère provoquée par son bannissement qu’il estime injuste en plus de manifester l’ingratitude de ses concitoyens romains. Bruno Méniel, qui consacre un ouvrage entier à la question de la colère à la Renaissance, souligne la singularité de son rôle dans la tragédie : « La colère n’est donc pas, dans la tragédie humaniste, une passion comme les autres : elle est un ressort primordial de l’action.55 » Mais si l’on suit toujours l’analyse de la colère dans la tragédie que fait Bruno Méniel, Coriolanus semble aller un peu à contre-courant de la règle générale :
Coriolanus est un effet un personnage victime de l’ingratitude de ses pairs, il devrait donc être paralysé dans sa capacité à agir, or c’est tout le contraire qui se produit et sa colère se meut en désir de vengeance qui va le pousser à s’allier aux Volsques et à lancer une campagne militaire contre Rome. En effet, Elliott Forsyth affirme que Coriolanus est partagé entre « sentiment patriotique » et « désir de vengeance »57 et souligne la singularité de cette situation dans laquelle la vengeance se dirige vers son propre pays d’origine58. Coriolanus est donc une victime particulière, il n’est pas victime de la colère des Romains qui l’ont banni, puisque ce bannissement était d’après lui plutôt motivé par l’envie, mais il éprouve lui-même de la colère. Ce sentiment, dû à l’impression d’une injustice, semble justifié mais la réaction de Coriolanus et son désir démesuré, hybristique, de vengeance finit par changer le cours de la tragédie. Là où l’on s’attend à voir Rome périr, un retournement de situation s’opère, montrant au spectateur un revirement de fortune sur scène, qui illustre les nombreuses allusions faites dans la pièce à la « vicissitude », aux « accidens », aux « changements » de fortune. C’est finalement Coriolanus qui périt par la colère qu’il suscite chez les Volsques en renonçant au projet de marcher sur Rome59, confirmant ainsi l’analyse de Françoise Charpentier : « lorsque la victime finale n’est pas celle que l’on prévoyait initialement, c’est souvent celui qui d’abord avait prémédité la mort qui en devient la victime (revirement).60 »
2. La question de la mise en scène
a. Théâtre à lire ou à jouer ?
Comme nous l’avons vu avec Bruno Méniel, même si Coriolanus transforme sa colère en désir actif de vengeance, la tragédie humaniste est d’abord une tragédie mettant en scène « des réactions émotives à des événements extérieurs61 ». La longue tirade de Coriolanus qui ouvre la pièce en témoigne, elle fait le point sur la situation tout en montrant les sentiments du personnage, ou du moins en lui permettant de se lamenter. Ce genre de discours se rencontre assez fréquemment dans la pièce, lorsque Tullus se lamente de la situation des Volsques, asservis au joug des Romains, à l’acte II par exemple ou encore au début de l’acte IV, lorsque Valeria fait le constat de la situation désespérée dans laquelle se trouve Rome. À cela s’ajoutent le long discours narratif de Latinus à l’acte II, qui n’a pas pour rôle de faire avancer l’action et que les autres dramaturges ne conservent pas, et celui de Catius à l’acte V, qui aurait pu être évité en plaçant Tullus sur le front aux côtés de Coriolanus. Les répliques longues, à valeur narrative, délibérative ou élégiaque se multiplient et peuvent donner l’impression d’une action interrompue ou discontinue, voire d’une tragédie dans laquelle rien ne se produit et qui illustrerait parfaitement le reproche traditionnellement fait à la tragédie humaniste d’être purement rhétorique, faite pour la lecture plus que pour le jeu62. Les longues tirades qui alternent avec des stichomythies peuvent laisser penser que la pièce constitue une sorte d’exercice rhétorique sous la forme d’une joute verbale. À l’acte V, le personnage de Catius qui a été aux côtés de Coriolanus au cours de la campagne qu’il a menée avec les Volsques jusqu’à Rome, souligne la nécessité de se venger de la trahison de Coriolanus sans lui laisser le temps de s’exprimer devant le Sénat, au risque de le voir sortir indemne de son procès grâce à son habileté oratoire :
Il est en ces discours, tu le sçais, admirable,
Beau diseur, eloquent : il peut par ses propos
Enchantant le Senat troubler nostre repos. (v.1718-1720)
Catius met ici en avant les qualités rhétoriques de Coriolanus qui doivent inciter les Volsques à se méfier de lui, reprenant l’idée selon laquelle la belle parole peut être dangereuse car elle est efficace. Par ces mots, Catius confirme que les nombreuses longues tirades de Coriolanus sont bien des démonstrations rhétoriques. Mais il ne faut pas oublier qu’une part très importante de la rhétorique antique est consacrée à la mise en scène du discours, appelée l’actio, qui s’intéresse à la façon dont un discours doit être prononcé (diction et gestes). Comme le souligne Emmanuel Buron63, un théâtre caractérisé par l’importance donnée à la rhétorique n’est pas pour autant dépourvu de théâtralité et il est même possible de parler de « spectacle de la parole » pour les tragédies de la Renaissance. Il souligne dans son article que :
Le discours est donc primordial, c’est à travers lui que se crée la fiction et que se dévoile le personnage. Dans l’exposition de la pièce, assurée par Coriolanus grâce à une tirade de plus de 200 vers, il est difficile de déterminer si le personnage est seul sur scène ou si sa femme et ses enfants, qui interviennent ensuite, entendent tout ou une partie de son long discours. Il apparait alors évident que le personnage ne s’adresse pas à un destinataire fictif, intégré à l’illusion dramatique, mais bien à lui-même et au spectateur qui le découvre ainsi en tant qu’homme blessé dans son orgueil, indigné et qui, ressassant les évènements récents, fait naître son désir de vengeance.
b. Quelle mise en scène peut-on imaginer ?
Si la tragédie humaniste est plus qu’un simple exercice de rhétorique mais bien une mise en scène de la parole, cela ne doit pas non plus empêcher toute tentative d’analyser matériellement comment la pièce pourrait être représentable. Une lecture précise de la pièce semble en effet permettre de définir ou d’imaginer un certain nombre d’éléments qui entrent en compte dans la représentation possible de la pièce. Il faut d’abord rappeler qu’il est impossible de savoir si elle a été représentée ou non. La pièce n’a probablement pas bénéficié d’un très grand écho ; l’impression à petit tirage nous le confirme, mais il reste qu’il ne va pas de soi au début du XVIIe siècle d’imprimer des pièces de théâtre. Fabien Cavaillé65 rappelle que les pièces de Hardy, pour être publiées, doivent être restituées par la troupe qui en a l’exclusivité. Il est peu vraisemblable que cela ait été un problème pour la pièce de Mont-Justin. Mais alors, l’impression de la pièce signifie-t-elle pour autant qu’elle n’a pas été représentée, ni même pensée pour l’être ? On peut imaginer que la famille de Dommartin, riche et puissante qu’elle semble avoir été, entretenait à sa cour une vie artistique et qu’elle ait permis à la pièce de Montjustin d’être imprimée. On peut imaginer aussi qu’elle en ait financé au moins une représentation donnée de façon privée pour la famille et son entourage en embauchant des comédiens et en finançant décors et costumes. Une telle représentation n’aurait probablement pas demandé énormément de moyens techniques par ailleurs, étant donnée l’importance des discours plus que des actions dans la pièce. Cette hypothèse impliquerait cependant que la famille dispose d’une troupe permanente ou attitrée, ce qui est peu probable était donné que le théâtre professionnel existait à peine à l’époque.
Représentée ou pas, il est tout de même possible que Pierre Thierry ait écrit sa tragédie en ayant à l’esprit un modèle de représentation66 et en l’imaginant représentée ou représentable. Tout d’abord, les personnages qui interviennent dans la pièce sont au nombre de 16, un nombre plus élevé que la quantité moyenne de personnages dans les tragédies du XVIe siècle. Il faut en effet compter que les « enfans de Coriolanus » sont deux, ce qui n’est pas précisé par Mont-Justin dans la liste des personnages, mais leurs deux noms, Metel et Fabritius, sont mentionnés par leur père à l’acte IV, au moment de faire ses adieux définitifs à sa famille :
À Dieu Madame à Dieu, d’un à Dieu éternel.
À Dieu ma Vergilie, à Dieu petit Metel,
À Dieu Fabritius (v. 1459-1461)
Concernant l’agencement de la scène, ou du moins les lieux qui doivent y figurer, il semble qu’il doive y en avoir au moins trois : un côté romain, un côté volsque et un lieu intermédiaire qui permettrait de passer de l’un à l’autre. L’acte I commence sûrement du côté romain car Coriolanus y fait ses adieux à Vergilie après avoir été banni. L’acte II doit être partagé entre Latinus à Rome, Tullus chez les Volsques et Coriolanus, lui, se déplace probablement du lieu intermédiaire au côté volsque de la scène. L’acte III s’ouvre sur un échange entre Tullus et quelques-uns de ses concitoyens volsques puis, après le choeur, s’ouvre le deuxième tableau et Vitellus représente la première délégation romaine qui vient rendre visite à Coriolanus. On comprend alors que Coriolanus se trouve à nouveau dans l’espace intermédiaire entre les deux villes ennemies qui représente sûrement le camp établi devant Rome par les soldats volsques menés par Coriolanus :
Pourquoy ne sortez-vous en bon ordre serrez
Dans un champ de bataille en esquadrons carrés ? (v.939-940)
Volumnia le confirme lorsqu’elle affirme à l’acte IV :
Je voy, mon filz armé pour un droit estranger,
Campé devant noz murs contre nous se renger (v.1283-1284)
La fin de l’acte III recentre la scène sur le côté romain avec le grand Pontife et le Sacrificateur qui décident d’aller parler à Coriolanus à leur tour. L’acte IV comporte le même schéma d’action : décision des femmes de demander secours à Volumnia à l’initiative de Valeria puis d’aller supplier Coriolanus de renoncer à son projet. Enfin l’acte V se passe certainement chez les Volsques avec le récit de Catius, le retour de Coriolanus et son procès puis sa mort. Notons par ailleurs que rien n’indique que Coriolanus meurt sur scène, même si l’on peut imaginer qu’il prononce ses dernières paroles en pleine agonie et que les derniers mots de la pièce prononcés par Tullus coïncident avec la mort de son rival. Quelques éléments indiqués dans les répliques des personnages, posent cependant question concernant cette mise en scène. À la fin de l’acte III, le Pontife et le Sacrificateur décident d’aller à leur tour voir Coriolanus :
Sus mon frere, prenons tous nos Dieux tutelaires,
Tous nos vases sacres, & sortans allons veoir,
Si quelque pieté pourra point esmouvoir
Ce coeur diamantin (v. 1038-1041)
Le Pontife suggère donc que le Sacrificateur et lui sortent de Rome pour aller voir Coriolanus. Mais dès le vers 1043 le grand Pontife annonce la venue de Coriolanus (« Mais ie le voy venir ») qui doit s’avancer vers eux : on peut donc se demander si les personnages ont eu le temps de sortir de Rome pour aller voir Coriolanus qui les apercevant s’est approché d’eux ou si au contraire ils n’ont pas eu le temps de sortir de Rome et que Coriolanus s’approche de Rome, mais cette deuxième hypothèse semble moins cohérente. Autre élément qui soulève un problème du même ordre, le début de l’acte IV met en scène toutes les femmes romaines, celles qui sont de la famille de Coriolanus et les autres menées par Valeria. Toutes ces femmes semblent donc se trouver au même endroit de la scène qui figure la ville de Rome, or Valeria et Coelia qui parlent au début ne sont sûrement pas entendues de Volumnia, Vergilie et les enfants car l’enjeu de leur discussion est justement de prendre la décision d’aller s’adresser à Volumnia. Les vers 1252-1253 confirment cependant que la famille de Coriolanus n’est pas loin puisque Coelia les aperçoit, ce qui déclenche la discussion entre Valeria et Volumnia :
Je voy Volumnia, qui tient sur son giron
Ses deux petits nepveux, elle fond toute en larmes.
Il est donc possible que la partie romaine de la scène soit divisée en deux espaces distincts pour respecter les indications suggérées par les paroles des personnages. À la fin de cet acte, on peut également souligner la rencontre entre Coriolanus et sa mère :
Volumnia.
Une froide sueur destrempe mon visage :
Mon genou dessoubs moy tremblote descharné,
Et mon chef va penchant contre bas prosterné.
Dirige bien mes pas ma guide plus fidelle :
Car mes yeux sont sillez d’une nuict eternelle.
Conduy-moy tastonnant : quel bruit enten-je icy ?
Suis-je vers Martius ?
Vergilie.
Madame, le voicy.
Coriolanus.
Quel nouveau accident vous guide icy mes dames ? (v.1306-1313)
L’enchaînement des répliques et l’emploi du verbe « conduire » indiquent bien ici que la délégation des femmes est sortie de Rome pour aller à la rencontre de Coriolanus dans le camp volsque devant Rome. Les paroles de Volumnia apportent d’ailleurs des informations supplémentaires quant à la représentation de la scène : Volumnia, aveugle et accablée, a besoin du soutien de sa belle-fille Vergilie pour se déplacer, elle est d’ailleurs au bord du malaise. Notons également que ces deux exemples, qui ne sont pas isolés dans la pièce, vont à l’encontre d’un phénomène que souligne Françoise Charpentier :
En effet, il est fréquent que l’arrivée d’un personnage soit signalée par un autre personnage au moment où il l’aperçoit, ce qui donne une forme de cohérence et de continuité aux répliques. Il faut aussi souligner que cela peut faciliter la lecture car un spectateur peut voir lui-même lorsqu’un nouveau personnage arrive et s’apprête à prendre la parole.
Enfin, l’acte V interroge également la configuration de la scène du côté des Volsques. En effet, Catius s’adresse à Tullus pour lui raconter ce qui s’est produit sur le champ de bataille, on suppose donc qu’ils se trouvent bien tous deux dans leur patrie. Coriolanus est censé être parti lui aussi de ce champ de bataille mais rien n’indique où il est allé :
Qu’on trousse le bagage avant le point du jour,
Je ne veux faire icy plus longtemps mon sejour :
Il faut demain partir (v.1463-1465)
Il est donc étrange qu’il reparaisse ensuite chez les Volsques qu’il devrait fuir, sachant le sort qu’ils lui réserveront. Dans le cinquième acte, on constate un autre élément surprenant : à la fin de leur discussion, Tullus demande à Catius de se rendre au Sénat et annonce l’arrivée de Coriolanus (on constate d’ailleurs ici qu’il s’agit d’une nouvelle « liaison "à vue" » comme les appelle Françoise Charpentier) :
Mais je le voy venir : va-t-en, je te supplie,
Amasser le Senat, je m’en vay après toy (v.1726-1727)
Cela implique qu’un endroit de la scène figure le Sénat ou alors que Catius sorte de la scène pour y revenir accompagné des sénateurs. Ces précisions contenues dans le discours des personnages posent donc aussi la question du déplacement des acteurs et de leur présence ou non sur scène. On peut noter que les enfants de Coriolanus, bien que jouant un rôle mineur d’amplification de la charge tragique des scènes, sont tout de même mentionnés dans la liste des personnages, ont quelques répliques pour manifester leur présence et sont fréquemment désignés par d’autres personnages (on a vu que Coriolanus s’adresse même à eux une fois en donnant leurs noms). Il est parfois difficile de déterminer cependant à partir de quand les personnages sont présents sur scène. Lors de son premier monologue qui ouvre la pièce, Coriolanus ne mentionne jamais sa femme ou ses enfants ni ne s’adresse à eux mais la première remarque de Vergilie avec qui il échange ensuite est « Ha monsieur, ces propos me vont rompans le coeur. » (v.204), ce qui suggère qu’elle a écouté le discours de Coriolanus au moins en partie, sûrement en présence des enfants. Autre exemple à l’acte III avec l’échange entre Coriolanus, le grand Pontife et le Sacrificateur : les deux dernières répliques des envoyés romains ne s’adressent plus à Coriolanus mais rien n’indique s’ils ont pris congé de lui pour se diriger vers Rome ou si c’est Coriolanus lui-même qui est sorti de scène. Ce que l’on peut en revanche soupçonner c’est que le grand Pontife et le Sacrificateur aillent rejoindre le choeur : ils n’interviennent plus ensuite dans la pièce et surtout ce choeur est alors appelé « choeur des devins et sacrificateurs ». D’ailleurs, le fait que le choeur représente tour à tour des citoyens de cités différentes pose question concernant la représentation possible de la pièce : comment manifester ce changement de nature au cours de la représentation pour s’assurer que les spectateurs l’aient saisi ? Le premier élément de réponse se situe dans le texte prononcé par le choeur lui-même dont le contenu est assez explicite : à l’acte III, le choeur des Volsques s’adresse à ses troupes et les exhorte à vaincre Rome, le choeur des devins et sacrificateurs s’adresse à Coriolanus et mentionne les prières qui lui ont été adressées. En outre, le rôle de commentateur de l’action qu’il endosse ne nécessite pas forcément une identification claire de la nature du choeur, qui n’est même pas caractérisé dans les deux premiers actes.
3. L’importance de l’éloquence
a. Les femmes romaines au centre de la pièce
La parole et l’éloquence restent tout de même au coeur des enjeux de la pièce, particulièrement dans leur représentation féminine. En effet, l’acte IV est monopolisé par des discours de femmes qui sont essentiels pour le dénouement de la tragédie et qui bousculent le cours des évènements prévus par la vengeance de Coriolanus. Le rôle de Volumnia, comme dans toutes les tragédies sur l’histoire de Coriolanus, est crucial, car c’est elle qui, plus que les autres, parvient à convaincre son fils d’abandonner son projet de vengeance et de revenir à la raison. Une vraie place est également faite à Valeria à qui Pierre Thierry redonne toute son énergie et sa détermination tandis que Shakespeare la fait passer au second plan. Le rôle de Coelia est également créé, désanonymisant ainsi la troupe des femmes à qui Valeria s’adresse et qui accompagnent Volmunia et Vergilie, même si son importance reste mineure. Le rôle de Vergilie revêt également une importance nouvelle grâce à son intervention au premier acte où elle tente de raisonner son époux une première fois, qui renforce sa contribution assez faible (une seule réplique) à l’offensive menée contre Coriolanus dirigée par Volumnia. Mont-Justin semble en tout cas porter une attention toute particulière aux personnages féminins et à leur capacité à agir, qui va là encore à l’encontre de Bruno Méniel qui affirme que la colère du personnage qui se trouve en position de force « tétanise les victimes68 ». Cet intérêt du dramaturge est confirmé par les propos de Mont-Justin dans la dédicace à Diane de Dommartin qui précède le début de la tragédie. Il lui assure en effet :
Le comportement des femmes romaines, leur grandeur d’âme et l’aide inestimable qu’elles apportent à leur patrie sont exemplifiés par Pierre Thierry qui choisit de présenter sa tragédie à travers ce prisme plutôt que celui des thèmes de la politique ou de la vengeance, sortant des sentiers battus de la tragédie humaniste qui représente souvent les femmes dans un rôle de déploration et de lamentation, encore plus lorsqu’elles forment un groupe.
b. Echec et réussite de la parole
La délégation des femmes à l’acte IV opère en tout cas un tour de force, en parvenant à faire plier Coriolanus, elles offrent un bel exemple de discours efficace, qui atteint son objectif. On peut sans doute aller jusqu’à dire que l’efficacité de la parole est l’enjeu principal de la Tragédie de Coriolanus, voire qualifier la pièce de tragédie de la parole. Au dernier acte, le personnage de Catius attire volontairement l’attention sur les qualités de Coriolanus en matière d’éloquence pour en dénoncer l’efficacité perverse :
Il est en ces discours, tu le sçais, admirable,
Beau diseur, eloquent : il peut par ses propos
Enchantant le Senat troubler nostre repos. (v.1718-1720)
La pièce est en effet traversée par le motif de l’efficacité du discours qui tantôt triomphe, tantôt, le plus souvent, fait défaut. Le discours le plus efficace est bien sûr celui de Volumnia qui parvient enfin à convaincre son fils d’abandonner son projet de se venger de Rome en reprenant les cités Volsques vaincues et en rasant la cité. C’est par la persuasion et le recours à des sentiments que l’on peut rapprocher du pudor latin (dans le Gaffiot : « sentiment moral, moralité, honneur ») et de la pietas romaine (« sentiment qui fait reconnaître et accomplir tous les devoirs envers les dieux, les parents, la patrie », Gaffiot), que Volumnia parvient à obtenir le renoncement de son fils. L’actio qu’elle met en oeuvre dans son discours est également soulignée par ses propres propos :
Mais puis qu’il n’est ainsy, mes mignons quant à nous
Pour la seconde fois embrassons ses genoux :
Et ne nous levons plus qu’il ne le nous commande,
Que qu’il n’aye accordé nostre juste demande. (v.1439-1442)
La parole et les procédés rhétoriques employés par Volumnia sont donc bien pensés pour être accompagnés de gestes, et c’est même ce geste de supplication, explicitement mentionné qui achève de convaincre Coriolanus qui réplique tout de suite :
Madame, levez-vous. Las ! Que m’aves-vous faict ?
Vous triomphez de moy : car vous m’avez deffaict. (v.1443-1444)
On assiste donc ici à un véritable triomphe de la parole, peut-être d’ailleurs le seul véritable discours triomphateur de la pièce. En effet, Coriolanus adresse à Tullus un discours qui semble lui aussi porter ses fruits quand il s’offre à lui pour être tué ou autorisé à combattre Rome aux côtés des Volsques. Mais plusieurs éléments nous conduisent à nuancer la victoire que représente l’accueil chaleureux que Tullus réserve à Coriolanus. L’acte II met en scène Coriolanus qui prend la décision de trouver refuge chez les Volsques puis la réplique qu’il adresse à Tullus dans laquelle il admet qu’il est prêt à mourir si c’est le sort que lui réserve Tullus (« Il estime trop peu la perte de sa vie / Au pris de son honneur », v.613-614). Coriolanus manifeste donc une forme d’indifférence concernant son propre sort, l’enjeu de son discours en est donc modifié : si le choix de Tullus lui importe peu, nul besoin de le convaincre de choisir l’une ou l’autre option. Par ailleurs, la décision de Coriolanus de tenter sa chance chez les Volsques et son discours adressé à Tullus sont séparés par une intervention de Tullus qui se lamente justement du sort de son peuple qui accepte la soumission à Rome :
[...] et quoy ? Ne veux-tu point
En dessillant tes yeux republique Antienne,
T’opposer quelque fois à l’audace Romaine ? (V.564-566)
Le discours tenu par Tullus juste avant sa discussion avec Coriolanus rend l’enjeu du discours de Coriolanus bien moins grand aux yeux des spectateurs qui soupçonnent déjà que Tullus ne pourra pas refuser une telle offre, lui qui vient d’exprimer son désir de voir son peuple libéré et libre. La plupart des autres discours de la pièce illustrent l’échec ou le refus de la parole : Vergilie ne parvient pas à raisonner Coriolanus à l’acte I, le récit de Latinus n’a aucun effet sur les sénateurs romains à l’acte II, à l’acte III Titius échoue à dissuader Tullus de s’allier à Coriolanus, les délégations de Vitellus puis celle du grand Pontife et du Sacrificateur ne parviennent pas à dissuader Coriolanus d’accomplir son dessein, et, ultime et fatal échec, Coriolanus meurt à défaut de pouvoir justifier ses actes après des sénateurs volsques. Les dernières paroles de Coriolanus sont en effet des tentatives de prise de parole et de protestation :
Donnez moy audience,
Avant qu’estre jugé entendez ma raison. (v.1891-1892)
Sommes-nous au Senat ? Faictes moy la iustice. (v.1894)
Ô barbare inhumain ! Ô nation cruelle ! (v.1898)
La pièce s’achève sur les mots de Tullus qui dénonce le manque de fides (« sentiment du contrat », Gaffiot) et les paroles bafouées de Coriolanus qui s’était engagé auprès des Volsques :
Ainsi puissent perir tous ceux, qui comme toy,
Perfides fausseront leur honneur et leur foy. (V.1900-1901)
Un dernier exemple relève plutôt d’un refus de dialoguer : à l’acte IV, Volumnia regrette de n’avoir pas perdu l’ouïe en plus de la vue dont elle n’a plus l’usage, exprimant ainsi sa préférence pour une forme de déni qui lui permettrait de n’avoir pas à savoir que son fils se trouve dans une telle posture, car elle ne peut pas ignorer que, si son discours atteint son but, elle provoquera du même coup la mort de son fils :
J’ay porté dèz longtemps la perte de mes yeux
Trop impatiemment : mais que pleust ore aux Dieux
Que j’eusse encor perdu avec iceux l’ouye ! (v.1327-1329)
On peut peut-être rappeler ici les mots d’Emmanuel Buron sur la mort de la Cléopâtre de Jodelle qu’il qualifie d’« ultime symptôme non verbal69 » avant de conclure que les tragédies de Jodelle sont la « mise en forme de cette perte de la communication, la sublimation d’un échec de la parole.70 » L’histoire de Coriolanus et la pièce qu’en tire Montjustin semblent correspondre à cet échec de la communication et de la parole qu’illustrent les discours de les personnages, excepté celui de Volumnia, qui détourne in extremis la destinée tragique qui s’apprêtait à s’abattre sur sa patrie.
On peut ici repenser au Coriolanus de Shakespeare qui, quoique très différent de celui de Mont-Justin, saisit également les enjeux liés au langage et à la rhétorique dans la pièce, notamment à la scène 2 de l’acte III lorsque Menenius et Volumnia tentent de persuader Coriolanus de parler aux plébéiens et surtout de leur montrer ses cicatrices de guerre pour qu’ils acceptent qu’il devienne consul. Coriolanus estime qu’il n’a rien à prouver au peuple et refuse de dire des choses qu’il ne pense pas : « Me voudriez-vous traître à ma nature ? Dites-moi plutôt de paraître l’homme que je suis.71 » Quant à la Volumnia de Shakespeare, elle affirme « le geste, c’est l’éloquence72 », montrant ainsi sa maîtrise de la rhétorique et le lien étroit entre dire et agir au théâtre qui est déjà bien présent chez Mont-Justin dont la pièce concilie rhétorique et spectacle théâtral.
4. La justice et le droit au coeur des préoccupations
Du monologue d’ouverture au procès de Coriolanus qui clôt la tragédie, la pièce de Mont-Justin est traversée de préoccupations juridiques. La légitimité des actes des uns et des autres est fréquemment jugée et interrogée à travers le prisme du droit et de la justice. La multiplication des expressions et des formules liées à la justice, notamment dans le cadre de la guerre, tourne presque à l’obsession : « soutenir le droit » de tel ou tel peuple, déterminer s’il s’agit ou non d’une « juste querelle » ou d’une « juste colère » ou encore si le droit est de tel ou tel côté... Dès le premier acte, Vergilie tante de montrer à son époux que son désir de vengeance et donc de trahison ne sont pas justifiés aux yeux du droit, entendu ici au sens de raison :
[Coriolanus.]
Le droit combat pour moy.
Vergilie.
Le droit ? non, la raison
Ne s’accorda jamais avec la trahison. (v.231-232)
Le début de l’acte III amplifie également un bref passage du récit de Plutarque et crée toute une scène dans laquelle la question de la légitimité et du bien-fondé de déclarer une guerre à Rome est centrale :
Nous avons avec eux une heureuse alliance,
Et tresve pour deux ans : cela est tout certain,
L’honneur nous y semond, la foy nous y contraint :
Elle doit contre tous sans fraude estre gardée. (Titius, v.810-813)
La question juridique est ici liée à l’honneur et la foi (au sens de loyauté) qui s’opposent à la « fraude » que représenterait une transgression de la trêve mise en place. Titius défend cette trêve, non au nom du respect des lois, mais plutôt au nom du respect qu’ont les Volsques envers eux-mêmes et envers les engagements qu’ils ont pris, présentant ainsi une vision des lois comme étant subordonnées à la morale et à une forme d’intégrité.
Enfin à l’acte V se tient une assemblée du Sénat qui se transforme en procès de Coriolanus. On y entend le Consul se faire l’arbitre du débat et se soucier de juger en faisant preuve d’une certaine égalité sinon d’impartialité entre Tullus et Coriolanus qu’il demande à entendre tous les deux pareillement :
Bien, mais il faut ouïr l’une et l’autre partie.
Vous avez proposé : et toy, que responds-tu ?
D’autant qu’un tel faict doit estre bien debatu. (v.1847-1849)
Dans son étude de la colère à la Renaissance, Bruno Méniel s’intéresse également à la dimension juridique dans laquelle elle s’inscrit et notamment dans l’association entre « vengeance et loi »73. Il commence par rappeler que « les courants aristotéliciens et stoïciens s’accordent à considérer la colère comme un désir de vengeance74 » avant de citer Jacques Davy du Perron qui oppose fermement le désir de vengeance, causé par la colère et qui relève donc de la passion, de la punition juridique, déterminée à l’aide de la raison : « En la Justice, la punition est faicte par le magistrat, qui mesure l’injure, sans aucune passion : et de là tire-t’on la necessité de la Justice75 ». Bruno Méniel en conclut que « Par essence, la colère et la justice s’opposent. L’une appartient aux appétits irascibles, alors que l’autre est une vertu qui obéit à la raison.76 » En effet, c’est bien la raison qui s’oppose aux passions dans la Tragédie de Coriolanus. Nous l’avons vu avec Vergilie qui identifie le droit à la raison à l’acte I et la défense de Coriolanus à l’acte V, qui estime que c’était faire preuve de raison que de céder à la demande des dames romaines, le confirme :
Mais je me suis laissé emporter par des femmes ;
Ouy par la raison. Non non, il ne faut point
En une extremité reduire au dernier point
L’ennemy. (v.1875-1878)
Coriolanus admet ainsi que sa colère, bien que justifiée par le sentiment d’injustice éprouvée77 s’exprimait de façon déraisonnable. La fin de la pièce transfère cette hybris vengeuse aux personnages de Tullus et de Catius qui ignorent les méthodes judiciaires (le Consul est même obligé de les rappeler à l’ordre au vers 1890 : « Tout beau, faites silence. ») et interrompent la défense de Coriolanus pour obtenir la vengeance qu’ils souhaitent, à savoir sa mort.
Conclusion
Pierre Thierry, sieur de Mont-Justin, reste un auteur assez mystérieux. Malgré son oeuvre assez conséquente et, qui plus est, imprimée, il semble n’avoir pas bénéficié d’une grande audience et son succès devait se limiter à ses mécènes et leur entourage. Il est d’ailleurs peu probable que les dramaturges ayant mis en scène l’histoire de Coriolanus à leur tour, notamment Hardy et Shakespeare, aient eu connaissance de la tragédie écrite par Pierre Thierry.
La Tragédie de Coriolanus nous montre cependant qu’il maîtrise bien les textes anciens et les pratiques de la dramaturgie tragique de son époque, il s’inscrit ainsi dans la lignée des tragédies humanistes françaises du XVIe siècle, non sans talent ni originalité. Il s’empare en effet d’un sujet qui n’a encore jamais été traité en France et élabore une tragédie qui correspond aux caractéristiques de la tragédie humaniste, malgré sa date tardive qui la rapproche d’une période de renouvellement des genres théâtraux au début du XVIIe siècle. Mont-Justin y respecte également le récit de Plutarque qu’il suit assez scrupuleusement et s’inspire de la traduction d’Amyot tout en y apportant des modifications qui rendent compte d’une réelle interprétation théâtrale du récit initial en prose et mettent en avant un certain nombre d’aspects qui semblent tenir à coeur à l’auteur. Les femmes sont ainsi mises en avant dans un rôle actif et décisif pour le dénouement de la tragédie puisque ce sont elles qui font basculer le destin de Rome et par la même occasion celui de Coriolanus, en le ramenant à la raison mais aussi en le précipitant vers sa mort. Le droit et la justice sont aussi à l’honneur et se croisent aux questions de rhétorique et d’éloquence, notamment à l’occasion du procès de Coriolanus qui est finalement réduit au silence de la plus brutale des manières.
S’il n’a pas marqué ses contemporains ni même les siècles suivants, Pierre Thierry fait dans cette pièce des propositions théâtrales et tragiques intéressantes, y compris dans la façon de transposer de la prose en oeuvre dramatique en vers. Malgré une langue parfois un peu difficile voire alambiquée, il propose une tragédie tout à fait digne d’intérêt dont la lecture ajoute une nouvelle grille d’analyse à l’histoire de Coriolanus et son adaptation au théâtre en Europe entre la fin du XVIe siècle et le début du XVIIe siècle.
À MADAME
la Marquise Daurech,
MADAME,
EstantÉtant tout prestprès de dire un dernier à Dieuadieu aux Muses78 autant79 ingrates en mon endroit80, comme Mars m’a quelque foisquelquefois estéété peu favorable81, et desirantdésirant de faire payer à la fortune, au comble entier d’un paisible contentement, l’usure des hasards et fascheriesfâcheries qu’une ardente jeunesse m’a fait courir depuis quelquetempsquelque temps, desjadéjà voisin du port, et prestprêt à mouiller l’anchreancre82 ; la cognoissanceconnaissance de ma faute83
--- A2 ---
m’a fait rebrousser chemin, et tourner la proue droit à ce double mont84, pour vous en rapporter ce petit presentprésent85 : lequel moyennant qu’il vous plaise le couvrir sous l’aisleaile d’une favorable tutelle, se deffendradéfendra de luy mesmeslui-même86. Je sçaysais que meritantméritant si peu, il est indigne de la lecture d’un si bel esprit que le vostrevôtre87 : mais il me suffit qu’il serve pour arresarrhes88 du service très humble, lequel en moymoi vous est naissant meritoirementméritoirement acquis89, aymantaimant trop mieux estreêtre jugé temerairetéméraire qu’ingrat90. Vous verrez en cestecette tragédietragédie la courageuse magnanimité91 des Dames Romaines, et l’inesperéinespéré secours qu’elles donnerentdonnèrent à leur patrie, jadéjàpresteprête à courber le dos soubssous un joug estrangerétranger. Ce subjetsujet vous regarde, et voyant en vostrevotre front la vertu emprainteempreinte92, il s’envole, sortant de ma plume, en l’asyleasile de vostrevotre protection : recevez-le, s’il vous plait, Madame, en vostrevotre sauvegarde, obligeant par ce bien faitbienfait un
Votre trestrès humble et tres-obeissanttrès obéissant serviteur.
Pierre Thierry.
ARGUMENT.
Caius Marcius, ayant par sa valeur acquis le surnom de Coriolanus, pour estreêtre entré pesle meslepêle-mêle avec l’ennemi dans Corioles93, fait de notables services aux Romains tant contre Tarquin94, que contre les Volsques. Toutefois en une seditionsédition du peuple contre les Patriciens, prenant le parti de la noblesse, et au lieu de callercaler le voile95, ayant un peu parlé trop librement, est condamné par les Tribuns à mourir. NeantmoinsNéanmoins la cholerecolère du peuple estantétant un peu addoucieadoucie, cestcet arrestarrêt se termine en un bannissement perpétuelperpétuel96 : ce que97 le transporte en un tel despitdépit qu’oubliant l’amour de sa patrie, il se rengerange98 vers Tullus son capital99 ennemi, par le moyen duquel100 il est fait Capitaine generalgénéral des Volsques, qui aussi totaussitôt envoyent dénoncerdénoncer101 la guerre aux Romains. Coriolanus fourrage102 premièrementpremièrement103 les terres de leurs alliezalliés et emporte sur eux quelques villes de force. Mais poussé d’un nouveau despitdépit qui luylui survient, il levelève le siegesiège de devant Lavinium et se va rengerranger104 à deux lieues près de Rome. La division continuant dans la ville, les Romains paravant105 indomptables106, sont par eux mesmeeux-mêmes surmontezsurmontés107, et leur courage tellement abattu qu’ils n’ont pas le coeur de lever les armes. Ils envoyentenvoient leurs ambassadeurs vers Coriolanus avec un rappel de ban. Mais il se mocquemoque d’eux et leur concedeconcède pour tout, tresvestrêves pour trente jours. EstansÉtants donc reduitsréduits au dernier point de toute extremitéextrémité, ils font sortir leurs Sacrificateurs, Devins et ministres des Dieux, qui toutefois retournent sans rien faire108 ; ce qui occasionne Valeria, seursoeur du grand Publicola, d’aller prier Volumnia et Vergilie, mèremère et femme de Marcius, avec lesquelles elle le va treuvertrouver jusques enjusqu’en son tribunal ; où Coriolanus ne pouvant résisterrésister aux prieresprières de sa meremère, oubliant son courroux, et le deudû de sa charge, fait lever dès le lendemain le siegesiège et retourne à Antium : où estantétant accusé au Se-109
--- A4 ---
ACTE PREMIER.
--- 1 ---
de Coriolanus.
Coriolanus.
Ô ingrate cité, non meremère, mais marrastremarrâtre110
Des hommes vertueux111 ! QuoyQuoi ? Tu sembles t’esbatret’ébattre112
En la perte de ceux qui couronentcouronnent ton front
De cent et cent lauriers et qui prodigues vont
5Prodigues de leur sang, eternisanséternisant ta gloire
Dans l’airain immortel du temple de memoiremémoire113.
Ingrate mille fois et cruelle envers ceux
Qui pour faire ployer soubssous ton joug114 orgueilleux
L’estrangerétranger, soustenanssoutenant le droit de ta querelle115,
10T’enfantent tous les jours quelque gloire nouvelle.
Ha, qu’est-ce que n’ayai116 faictfait pour ta vaine grandeur ?
Et où ayai-je espargnéépargné ma vie et mon honneur,
Mes amis et mon sang, mes moyens, ma fortune ?
Où a on veua-t-on vu quelque heure escoulerécouler opportune
15Où je ne soy’sois estéété tousjourstoujours à mon devoir ?
Ô Rome, ingrate Rome ! Ah tu le peux sçavoirsavoir ;
Je t’en ayai trop signé de preuve et d’asseuranceassurance
Je dis117 avec mon sang : j’en ayai la recompenserécompense.
QuoyQuoi ? N’ayai-je pas bravé dessoubsdessous tes estandarsétendards
20Aux quatre coins du monde en cent lieux les hasards118 ?
N’ayai-je pas couronécouronné ton aigle à double testetête119,
--- 2 ---
Du chapeau triumphanttriomphant d’une heureuse conquesteconquête 120?
Lorsque victorieux sur le Coriolain
J’en forcayforçai ses remparsremparts et venant main à main
25Je te fis arborer ton aigle dans sa place,
Qui si longtemps avoitavait mespriséméprisé ton audace,
Et contre ton effort vaillamment combattu.
J’en porte encor121 le nom marque de ma vertu122,
Et c’est le seul loyer123 que j’ayeaie et que je puisse
30EspererEspérer à jamais pour un si long service.
Ha peuple sans raison ! Ne te souvient-il pas,
Lorsque tout esbranléébranlé, tu preparoispréparais tes pas
À une fuite honteuse, et portant sur ta face
La peur, ton coeur geloitgelait d’une couarde glace,
35Quand couvert de sueur, de poucierpoussière et de sang
Je me vins presenterprésenter au front du premier rengrang
Pour repousser l’effort des peuples Antiates ?124
Soldats effeminés, ô legionslégions ingrates !
N’avez-vous pas de moymoi l’honneur de ce laurier ?
40N’ayai-je pas fait tomber dessoubsdessous le fer meurtrier
Ceux qui faisointfaisaient glacer le sang dedans vozvos veines ?
Mais vains sont mes labeurs et mes victoires vaines.
ToyToy seul Comitius125 m’y as tendu la main,
J’en tientiens l’honneur de toytoi, non du peuple Romain.
45Monstre cent fois testutêtu, ignare populace,
TousjoursToujours le changement et l’inconstance a place126
Dedans ton coeur mutin ; les heroshéros genereuxgénéreux
Te sont d’eternitééternité à vrayvrai dire odieux :
Toute autre nation te semble estreêtre barbare :
--- 3 ---
50Mais l’Arabe areneuxaréneux127, et le fuyard Tartare128
N’en portent que le nom, tu en as les effectseffets129 :
Tu me le fais assez paroistreparaître par tes faits.
Aussi ton fondateur d’une louve cruelle
Avec le sang sucçasuça130 une cruauté telle131.
55Ensuivez son chemin, c’est celuycelui qui le premier
D’un traistretraître parricide a battu le sentier :
Quand ne pouvant porter132 la vertu de son frerefrère,
Ayant longtemps callé133 son injuste cholerecolère,
Afin de regnerrégner seul et maintenir son rengrang,
60Perfide il fit rougir le Tibre134 de son sang.
Mais es-tu le premier qui te plains de l’audace
Et des seditionsséditions de cestecette populace ?
Ha Coriolanus ! Ce sont là les lauriers135
Que tu as meritémérité par tes efforts guerriers.
65C’est le triomphe deudû à un qui met en fuite
Le gros de l’ennemyennemi et qui à la poursuittepoursuite
Pesle meslePêle-mêle avec eux sans crainte de la mort,
Entre victorieux le premier dans leur fort136.
C’est donc la recompenserécompense et voilavoilà la couronne
70Qu’aux vainqueurs maintenant à Rome l’on ordonne.
Je vous atteste ô Dieux, ô Dieux, que j’ayai tousjourstoujours
Pour le bien du public usé mes plus beaux jours.
Ô PhebusPhébus tout voyant137, commençant ta carrièrecarrière,
Tu m’as maintefoismaintes fois veuvu tout souillé de poucierepoussière,
75Percer les esquadronsescadrons des ennemis peureux,
Çà et là escartezécartés, et suivre glorieux
L’honneur de la victoire. Ô quelle ingratitude !
--- 4 ---
Ô estrangeétrange accident ! Quelle vicissitude !
Tous ces labeurs sont vains ; ce peuple est plus legerléger
80Et mille et mille fois qu’un songe mensonger138,
Que le vent, que la mer. Ô muable ProthéeProtée139,
Ah ! Combien ta faveur est de peu de durée !
Heureux qui ne s’y fie et qui sur tes propos
Ne va jamais fondant l’appuyappui de son repos140.
85QuoyQuoi ? SoustenantSoutenant ton droit, race Patricienne141,
Et ayant en respect la noblesse ancienne,
Me faut-il succomber soubssous ce monstre testutêtu142,
Qui n’est jamais guidé du frein143 de la vertu ?
Je serayserai donc bravé d’une telle canaille,
90À qui j’ayai mis en main l’honneur d’une bataille,
Aux despensdépens de mon sang. Ha peuple sans raison
Qui tousjourstoujours est porté de quelque passion !
Tout ainsi comme on voidvoit au milieu des naufrages
Un navire agité, sans timon144, sans cordages,
95Voguer de tous costezcôtés à la merci du vent,
Penses-tu esbranslerébranler de quelque estonnementétonnement
Un coeur qui est armé d’une brave asseuranceassurance,
Pour cognoistreconnaître trop tard ton ingrate inconstance145 ?
Tes menassesmenaces, tes cris n’auront pas le pouvoir
100De me faire sortir d’un poinctpoint146 de mon devoir.
Libre je maintiendraymaintiendrai ma liberté premierepremière,
Et si un estrangerétranger me ferme la paupierepaupière147
J’emporterayemporterai l’honneur, malgré tout ton effort
D’estreêtre libre en vivant, et libre après ma mort148.
105Tu penses donc changer nostrenotre ancienne puissance
--- 5 ---
En aristocratie : et dessoubsdessous l’insolence
D’un peuple mutiné, en nous liant les mains,
SoubmettreSoumettre le SenatSénat et les Patriciens149 ?
Que nous sert-il d’avoir fuyansfuyant la tyrannie
110Jadis secous150 le joug d’une aspreâpre monarchie151 ?
Joug trop plus gracieux, et mille et mille fois
Plus douce la puissance insolente des rois ;
Que non point la fureur, et le honteux servage
D’un peuple sans raison, sans conseil, sans courage :
115Qui se laisse briguer152 et qui seditieuxséditieux
Est la terreur des bons, l’appuyappui des vicieux.153
Que te sert-il, Brutus, d’avoir inexorable
Jeté sur tes enfansenfants l’arrestarrêt irrévocableirrévocable
D’une cruelle mort154 ? (Belle severitésévérité)155
120Afin de maintenir l’ancienne liberté
Et l’honneur du Senat, preposantpréposant ta patrie
Aux lois de la nature et à ta propre vie156.
Que te sert-il, CoclesCoclès, combatantcombattant front à front,
D’avoir laissé couper derrier157 tes pieds le pont
125Pour soustenirsoutenir noznos droits158 ? Puisqu’une populace
Par une nouveauté tous tes exploits efface :
Et eslevantélevant sur nous son chef audacieux,
Va soubssous un joug nouveau supprimant tes nepveuxneveux159.
Que nous sert-il helashélas ! Ô Numa charitable,
130Ô grand legislateurlégislateur160, qu’un accord venerablevénérable
D’un SenatSénat justicier nous soitait estéété dressé
Et l’estatétat par les loixlois sainctementsaintement compassé161 :
Puisqu’une populace, une gent incognueinconnue162
--- 6 ---
Le souverain pouvoir maintenant s’attribue ?
135La seule volonté et les mutines voix
D’un monstre, pour jamais nous serviront de loixlois.
L’endure qui voudra ; pour moymoi, plustostplutôt la terre
CreveCrève163 dessoubsdessous mes pieds et qu’un grondant tonnerre
PrecipitéPrécipité des cieux me rende en poudre esparépars164,
140Ainsi comme jadis Phaëton165. Que ce dard,166
Ce dard jadis l’effroyeffroi du soldat Antiate167,
Rougi dedans mon sang, me transperce et m’abatte,
PlustostPlutôt je soysois sans yeux, sans jour et sans clarté,
Que je voyevoie en l’EstatÉtat aucune168 nouveauté,
145Et puis lorsalors que je veux d’une libre franchise
RéprimerRéprimer ton audace, audace ? mais sottise169 :
Au lieu d’une justice, on use d’un effort,
Et sans estreêtre entendu, on me condamne à mort170.
Ce sont là les statuts de ta belle police171,
150SoustenantSoutenant la vertu172 on m’impute le vice.
Pour parler librement, je suis seditieuxséditieux,
Je vous prenprends à tesmoinstémoins ô cieux, ô justes cieux,
De ma fidélitéfidélité. Ô roche Tarpeyennetarpéienne173
Peux-tu estreêtre instrument de la fureur Romaine ?
155Mais ce n’est encor174 tout : Car un nouveau despitdépit175
Me va sucçantsuçant les os, travaille mon esprit,
Me transporte hors de moymoi : une nouvelle rage
Fait bouillonner mon sang, me grossit le courage176.
Me voilavoilà donc d’un coup payé de mes labeurs ?
160Ce sont là les lauriers, ce sont là les honneurs177,
Que tu as meritémérité en tant et tant d’alarmes178,
--- 7 ---
Et c’est là le loyer179 d’avoir porté les armes
Pour un peuple envieux de ceux dont la valleurvaleur
Porte par l’univers le los180 de sa grandeur.
165QuoyQuoi ? Un bannissement t’en est la recompense,
Un exil, ô grands Dieux, j’en aurayaurai la vengeance181 !
Je n’ayai point offensé que pour avoir estéété
Soustiensoutien du bien public et de la liberté.
Je n’ayai point offensé, qu’estantétant pour ma patrie
170Prodigue de mon sang, de mon bien, de ma vie.
J’ayai, mais trop tard, cognuconnu que les faits genereuxgénéreux
Nous enfantent l’envie entre seditieuxséditieux.
Et je sçaysais à mon dam182 qu’une ingrate commune183
Ne peut jamais regirrégir l’une et l’autre fortune184.
175VoilaVoilà où j’ayai failli. Mais Rome, penses-tu
SoubmettreSoumettre aux accidents l’immortelle vertu ?
Crois-tu que Marcius n’aye185 point de courage,
Pour pouvoir repousser l’orage d’un orage186 ?
L’affront par un affront ? Tes sept monts orgueilleux187,
180Qui semblent s’eslevansélevant faire la guerre aux cieux,
Terreur de ce grand tout, et qui haussanshaussant leurs testestêtes
Sont encor188 aujourd’huyaujourd’hui riches de mes conquestesconquêtes189,
EsprouverontÉprouveront les fruictsfruits de ta temeritétémérité,
Et ceux que je pourraypourrai non sans cause irrité
185Je les mettraymettrai si bas que rasezrasés terre à terre,
Ils seront les tesmoingstémoins de ma juste cholerecolère.
Je semeraysèmerai du sel190 au haut de tes remparts,
Je ferayferai par le pied rompre tes boulevards191,
Je planterayplanterai le pal192 au milieu de ta place,
--- 8 ---
190Afin que la mémoiremémoire en nos nepveuxneveux s’efface,
Si quelqu’un s’en souvient, il dira seulement
« IcyIci jadis fut Rome »193 : ainsyainsi qu’un monument
On te revererarévèrera. Ô Mars, si ma pensée,
D’un desirdésir de bien faire a estéété embrasée
195Pour le peuple Romain et si un feu guerrier
M’a jamais ceint le front d’un immortel laurier
Pour soustenirsoutenir son droit, esleveélève à toytoi mon ameâme
Et d’une sainctesainte ardeur si vivement l’enflameenflamme,
Qu’avant que de mourir je fasse un jour sentir
200À ce peuple mutin que c’est d’un repentir194.
Non non, je sortiraysortirai195, ô Rome, ô Rome ingrate,
CercheCherche quelque faquin196, qui en cedantcédant te flateflatte.
C’est le propos d’un serf197 et non pas d’un vainqueur.
Coriolanus.
205À l’homme vertueux toute terre est patrie.
Vergilie.
Rome vous a donné et l’essence et la vie.
Coriolanus.
Elle me les vend cher ravissant mon honneur.
Vergilie.
Il faut bien pour un temps cedercéder199 à un malheur.
Coriolanus.
Un coeur semblable au mien ne cedecède à la fortune.
Vergilie.
210C’est aux lieux genereuxgénéreux où elle est importune.200
--- 9 ---
Coriolanus.
OuyOui, mais j’ayai moyen de m’en pouvoir venger.
Vergilie.
La vengeance ne peut en rien vous soulager.
Coriolanus.
Non, je mourraymourrai content201 leur faisant guerre ouverte.
Vergilie.
Ô Dieux, de tous costescôtés cela tend à ma perte !
Coriolanus.
215Ne vivez-vous contente en mon contentement ?
Vergilie.
L’amour de ma patrie y met empeschementempêchement.
Coriolanus.
Y contrariez-vous ?
Vergilie.
HélasHélas mon Dieu je n’ose !
Mais le respect des Dieux justement s’y oppose.
Coriolanus.
Ces ingrats de leurs maux seront les seuls moteurs202.
Vergilie.
220Les Dieux sont justiciers, laissez-les pour vengeurs.
Coriolanus.
Les Dieux ne veuillentveulent veoirvoir régnerrégner l’ingratitude.
Vergilie.
Toute chose est subjettesujette à la vicissitude.
Coriolanus.
OuyOui, mais Rome aussi aura son changement.
Coriolanus.
225Ce peuple est trop mutin : j’abbatrayj’abattrai son audace.
--- 10 ---
Vergilie.
L’espoir n’est encor203 mort de rentrer en sa grâcegrâce204 :
EstesÊtes-vous le premier que Rome a offensé ?
Coriolanus.
Je serayserai le premier, qui rendra terrassé
Son orgueil soubssous mes pieds, et qui rendra subjettesujette
230Dessoubsdessous mes estendarsétendards son aigle à double testetête.
Le droit combat pour moymoi.
Vergilie.
Le droit ? non, la raison
Ne s’accorda jamais avec la trahison.
Coriolanus.
QuoyQuoi, une trahison ? PlustostPlutôt perdre la vie.
Vergilie.
Qu’appellezappelez-vous combattre encontre sa patrie
235Contre ses citoyens, ses parensparents, ses amis ?
Coriolanus.
Mais mille fois plustostplutôt mes mortels ennemis.
Vergilie.
Le peuple, helashélas, a seul causé vostrevotre disgracedisgrâce !
Coriolanus.
C’est à luylui que j’en veux, mais il faut que j’efface
À la posteritépostérité du tout205 le nom Romain.
Vergilie.
240Ô grands Dieux, qu’est ce cyceci ? Ô trop cruel dessein !
Ha ! Puisque la rigueur du destin est si forte,
Avant ce changement, làs206 que ne suis-je morte ?
--- 11 ---
Sus, Monsieur, commencez, commencez dessus nous
À assouvir l’ardeur d’un injuste courroux.
245Commencez de rougir de nostrenotre sang vos armes,
Puisque nos pleurs sont nuls, que vaines sont nos larmes
Venez ça mes mignons207 : ce sont cyci208 des Romains,
JettezJetez vous à ses pieds, donnez icyici vozvos mains,
Joignez sur ses genoux vos dextres209 enfantines :
250Là, Marcius, ouvrez, leurs coulpablescoupables poictrinespoitrines
Les enfansenfants.
Ah Monsieur, ah Monsieur !
Coriolanus.
Ces enfansenfants de tant plus210 rengregentrengrègent211 ma douleur.
Vergilie.
HeHé Dieu, que ferayferai-je ?
Coriolanus.
Console toytoi m’amie.
A DieuAdieu mon beau soleil, A DieuAdieu ma cherechère vie,
255Je cognoyconnais ta raison : mais un desirdésir vengeur
Est desjadéjà le plus fort campé dedans mon coeur :
Il faut, il faut mourir, ou avoir ma revencherevanche.
Vergilie.
Ô pauvre Vergilie ! Ô Dieu dont la puissance
Conserve ce grand tout, secourable JuppinJupin212
260Qui tiens dedans ta main l’invincible destin213
Oeillade s’il te plait, oeillade pitoyable
CesteCette pauvre cité214 : ne permets favorable
Que tant de temples sainctssaints soyentsoient d’un coup prophanezprophanés,
--- 12 ---
Et qu’on voyevoie ces monts desertsdéserts abandonnezabandonnés
265Sentir de l’estrangerétranger les efforts215 temerairestéméraires
Ô Dieux de noznos fouyersfoyers216 ! Ô grands Dieux tutelairestutélaires217
Et toytoi meremère Vesta218, qui nous as produit ceux
Dont nous portons encor219 les noms victorieux220 :
Souvienne toytoi de nous, maintienmaintiens nostrenotre querelle.
270RenRends ton Mars221 favorable et nous prenprends en tutelle222 !
Ô perepère Romulus, puisqu’ore223 avec les Dieux
Tu as pour nourriture un nectar224 savoureux,
Regarde en bas tes murs et ne permets, ô perepère,
Que de noznos ennemis ils sentent la cholerecolère.
275Ne permets, ne permets que dessus ton rempart
Soit jamais arboré l’estrangerétranger estandartétendard225
Et que mon Marcius aye226 jamais la gloire
D’emporter dessus nous l’honneur d’une victoire.
HelasHélas ! C’est mon marymari, mais l’une et l’autre fin
280Borneront d’un malheur le cours de mon destin227,
Et toytoi, ô Nemesis228, deessedéesse de vengeance,
EschangeÉchange ses fureurs en paisible clemenceclémence,
Ses courroux en amour, et le commun tormenttourment229,
Qui jajà230 sur nous se panchepenche, en un contentement.
Choeur231.
285QuoyQuoi ? La vertu immortelle
RenaistRenaît tous les jours plus belle
Envers la posteritépostérité :
--- 13 ---
Elle va haussant la testetête
Riche de mainte conquesteconquête
290Depuis toute eternitééternité.
Sus232 le branslebranle d’une roue233
Se sent par elle arresterarrêter.
La langarde234 renommée
295De sieclesiècle en autre portée
TousjoursToujours la fait augmenter.
Mais pourtant l’haineuse envie235
L’a depuis tout temps suyviesuivie236 :
Ce monstre cent fois testutêtu
300Est bien si opiniastreopiniâtre
Qu’il grimpe pour la combatrecombattre
Au haut d’un rocher pointu.
Soit qu’elle237 soit eslevéeélevée
Sur la barrierebarrière estoilléeétoilée,
305Ou lorsqu’elle ceint ci basci-bas
De cent branches glorieuses
Nos templestempes victorieuses,
Elle talonne ses pas.
Jamais elle ne repose,
310Mais mutine elle s’oppose
À l’homme, qui vertueux
Veut eterniseréterniser sa vie,
Et mesmemême de cestecette envie
Exempts ne sont pas les Dieux.
315Lorsque ce porte -tonnerre238
--- 14 ---
Eusteut conquis dessus son perepère
Un sceptre victorieux
Et qu’il eusteut soubssous sa puissance
Le frein239 et l’obeyssanceobéissance
320Et des mortels et des cieux240 :
Aussi tostaussitôt dessus la terre
Une gent fort temerairetéméraire
MutineeMutinée s’eslevaéleva ;
Dont la main laborieuse
325Une escalade orgueilleuse
De rochers amoncela241.
DesjaDéjà d’une fierefière audace
CesteCette ligue le242 menassemenace,
Et son labeur va croissant :
330Des Dieux la troupe estonnéeétonnée
Se voyant environnée,
De peur va ja243 paslissantpâlissant.
Mars dans son ameâme guerriereguerrière
Sentant son ardeur premierepremière,
335Seul contre eux se va rengerranger :
Son pavois244 il leur oppose
Et sans paslirpâlir il propose
De les faire deslogerdéloger.
Vulcain, qui de jalousie
340Sent jajà245 son ameâme saisie
Pour ce que vous sçavezsavez bien246 :
Ne permet pas que la gloire
D’une si belle victoire
--- 15 ---
Soit pour un ennemi sien.
345Soudain il court en sa forge247,
Et là, martelant, il forge
Un foudre cent fois pointu,
Duquel JuppinJupin fait resoudrerésoudre248
L’orgueil des géansgéants en poudre
350SoubsSous cestcet effort abbatuabattu.
Il leur fait quitter la place :
Il les broyebroie, il les terrasse,
Et d’un coup les fait broncher
Dans l’eternelleéternelle torture :
355Il donne pour sepulturesépulture
À chacun d’eux son rocher.
D’où vient, ô Rome mauvaise,
Qu’il semble que tu te plaise249
En la mort de tes enfansenfants ?
360Qui vont engravant250 ta gloire
Sur le front de la memoiremémoire,
Par leurs lauriers triomphants.
Fut tout aussi tostaussitôt lavée252
365Dedans un sang fraternel253 :
Quand une jalouse flameflamme
Touche traistreusementtraitreusement l’ameâme
De ton fondateur cruel.
Depuis lors tousjourstoujours l’audace
370D’une sotte populace
Va de jour en jour s’haussant.
--- 16 ---
Et les amesâmes genereusesgénéreuses
Sont de tout temps odieuses
375Les vertueux t’ont fait naistrenaître254
Changeant ta maison champestrechampêtre
En des palais sumptueuxsomptueux.
Sur tes guerrieresguerrières phalanges255
Ils portent aux lieux estrangesétranges256
380Ton honneur victorieux.
Sont eux257, qui t’ont affranchie
Du joug de la monarchie,
Qui t’ont remis au dessus :
Et qui font reluire entiereentière
385Ta liberté coustumierecoutumière
Sur tes monts sept fois bossus258.
Mais Rome, donne toytoi garde259
Que le ciel sur toytoi ne darde260
Quelque changement soudain :
390Et que ton ingratitude
Ne te mette en servitude
MesmeMême soubssous ta propre main261.
ACTE SECOND.
--- 17 ---
Latinus262.
Ô PhebusPhébus263 tout voyant, pithienepythienne264 lumierelumière,
Qui fais à ton resveilréveil tournoyant ta carrierecarrière
395EscarterÉcarter les brouilardsbrouillards que ta seursoeur nous produit265,
Qui rendrends vains et menteurs266 les songes de la nuictnuit,
Ô Dieu aux crins dorés, cent et cent fois encore,
Cent et cent autres fois aujourduyaujourd’hui je t’honore.
Je te renrends grâce, ô Dieu, ô Dieu dont la clarté
400Me dechassedéchasse267 la peur avec l’obscurité.
Quand j’y pense mon coeur pantelepantèle268 de destressedétresse :
Je sensens geler mon sang, mon poil d’effroyeffroi se dresse,
Une froide sueur me destrempedétrempe le sein269
D’horreur, d’estonnementétonnement et de glace tout plein :
405Il me sembloitsemblait dormant270 que ce porte -tonnerre271,
Ce vengeur indompté des enfansenfants de la terre272,
Ce JuppinJupin foudroyant, ce grand moteur273 des cieux
AinsyAinsi comme un esclairéclair, venoitvenait devant mes yeux ;
Son oeil estoitétait de feu : il portoitportait sur sa face
410Peinte divinement la fureur, et l’audace.
Ses gestes, sa façon274, son sourcil refroncé
MonstroitMontrait appertement275 qu’il estoitétait offensé :
Il bransloitbranlait276 en sa main cestcet effroyable foudre,
Foudre cent fois pointu, que pour broyer en poudre
--- 18 ---
415Les géants mutinezmutinés escartezécartés çà et là
Vulcain au mont d’Etna le premier martela277.
Je me tapis au lit : comme voidvoit278 l’alouette
Au vol du hobereau279 qui de longtemps la guette,
Se musser280 doucement, pour gauchir281 sa fureur,
420SoubsSous un gazon moussu pantelante282 de peur.
Ayant trois fois branslébranlé sa testetête venerablevénérable,
Il me parla ainsi d’une voix effroyable283 :
« Est-ce ainsyainsi284, Latinus, que le peuple Romain
Se souvient des faveurs qu’il a eu de ma main285 ?
425A ilA-t-il ainsi des Dieux, voire de moymoi memoiremémoire ?
De moymoi, moymoi qui tousjourstoujours pour maintenir sa gloire
N’a borné sa grandeur que par les quatrequatre coins
De ce grand univers286 ? Je vous prenprends à tesmoinstémoins,
Ô fleuves infernaux287, et par vous tous je jure
430Que j’avoyavais mis en eux ma plus soigneuse cure288,
Les faisant prospererprospérer dès le commencement
Que289 Romulus jettajeta le premier fondement290
De leurs murs orgueilleux291 : portant leur renommée
Dès l’Africain brulébrûlé jusques292 au froid Borée293.
435Leve toyLève-toi, leve toylève-toi 294 : advertiavertis promptement
Le peuple et le SenatSénat du mescontentementmécontentement
Que par eux j’ayai receureçu : mais bientostbientôt la vengeance
Talonnera de près leur trop ingrate offenceoffense.
Ô quel respect des Dieux contre toute raison295 !
440Ils ont pollu296 les jeux de ma procession :
Ils les ont prophanéprofanés et ce par la cadancecadence297
D’un fascheuxfâcheux baladin298, contre mon ordonnance299,
--- 19 ---
Et contre les statuts de ma religion300. »
Il eusteut dit, et ainsi que301 dans le tourbillon
445D’une nuit ombrageuse, aussi tostaussitôt il s’enserre302
Et du ton esclatantéclatant d’un horrible tonnerre,
Me resveilleréveille en sursaut tout tremblotant d’effroyeffroi,
Tout moite de sueur, et du tout303 hors de moymoi.
J’essuye304 peu à peu de mes draps mon visage :
450Mais quoyquoi ? J’ayai trop de coeur, trop brave est mon courage
Pour estreêtre fait jouet d’un songe mensonger305,
Comme il estoitétait venu, il s’escoulaécoula legerléger306.
Mais je sensens aussi tostaussitôt que ces humeurs premierespremières307
Viennent appesantir sur les yeux mes paupierespaupières308,
455Et qu’un somnesomme309 nouveau me vient sillerciller310 les yeux.
Non je ne dormoydormais pas, quand ce grand royroi des cieux
Horrible foudroyant, ainsyainsi que de s’amie311
SemelesSémélé il fut veuvu aux despensdépens de sa vie312 :
Me vient troubler les sens, me fait trembler le coeur
460Et refroidir mon sang313 d’une paslepâle frayeur.
« QuoyQuoi ? dit-il, Latinus, tu fais si peu de compte314
Des mandats315 de JuppinJupin : va au SenatSénat et conte
La vérité du fait. Quant à toytoi, le tourment
EnsuyvraEnsuivra le mesprismépris de mon commandement316. »
465Alors je m’esveillayéveillai ; ô douleur trop extremeextrême !
Je me sensens aussi tostaussitôt sortir hors de moy mesmemoi-même317
Et bouillonner mon sang, mon coeur me tressallirtressaillir318,
Mes nerfs et mes tendons mollement deffaillirdéfaillir.
Je demeure impuissant, j’apprenapprends à mon dommage319
470Ce que peuvent les cieux : trop tard je deviendeviens sage320 :
--- 20 ---
Je vienviens au repentir. Il n’est plus temps, ô Dieux,
Et ce qui m’est plus grief321, je voyvois devant mes yeux
Mon enfant supportant322 le pechépéché de son perepère,
EsprouverÉprouver323 innocent une injuste cholerecolère,
475Mourir subitement, sans l’avoir meritémérité,
Et du peuple Romain porter l’iniquité324.
Pardonne, ô JuppiterJupiter, aux lois de la nature325 !
Las326, je t’ayai veuvu, mon fils, ma cherechère genituregéniture327,
PerirPérir ! Que je te plains ! Alors dans mon grabat328
480Je me feifis transporter au milieu du SenatSénat :
Tous les perespères conscriptsconscrits329 me donnent audience.
Je leur fayfais mon rapport : ô divine clemenceclémence,
Je n’ayai pas commencé le cours de mon propos
Que je sensens dans mes os un paisible repos,
485Mes nerfznerfs se renforcer, se remettre mes veines
Qui d’une humeur peccante330 estoientétaient paravant331 pleines.
Je me levelève sus332 pieds : ce soudain changement
Les rend pour la plus partplupart ravis d’estonnementétonnement.
Ils voyent333 leurs erreurs, au lieu de rougir d’honte
490Pour avoir offencéoffensé, ils n’en font pas grand compte334.
Ces prodiges, ô Dieux, sont les avant coureursavant-coureurs
De toute eternitééternité de vozvos justes fureurs.
Rome, tu n’as jamais eu aucuns tels orages
Où n’aye335 precedéprécédé quelques divins presagesprésages.
495Vous nous advertissezavertissez alors que vozvos courroux,
Ô grands Dieux immortels, panchentpenchent desjadéjà sur nous,
Ne vous irritez plus et, par vos sacrifices,
Expiez nos pechezpéchés et vous rendez propices336 !
--- 21 ---
MiserableMisérable cité337, je voyvois devant mes yeux
500Un malheur supprimer338 tous tes faits genereuxgénéreux.
Las339 ! Je prevoyprévois desjadéjà quelque nouveau desastredésastre,
Juste fureur des cieux, s’esleverélever pour t’abattre,
Pour t’abattre du tout340 et abaisser le front
De tes monts orgueilleux341, qui trop superbes vont
505Leurs chefs audacieux eslevansélevant sur la nue342 :
Par Rome seulement Rome sera vaincue343
Si toytoi perepère JuppinJupin justement irrité
Ne regarde en pitié344 cestecette pauvre cité,
Et espousantépousant le droit d’une juste querelle345,
510Ne nous mets à couvert346 soubssous ta sainctesainte tutelle.
Vains sont noznos ennemis, vain sera leur effort
Si tu combats pour nous, nous servant de support347.
Coriolanus348.
QuoyQuoi, Coriolanus ? Tu paslispâlis à cestecette heure :
Il faut venir au point où il faut que l’on meure349.
515Plus douce est mille fois une honorable mort,
Que remordre son frein350, ayant receureçu un tort.
Non non, un crevecoeurcrève-coeur351 doit hausser noznos courages.
Le nocher352 seulement se cognoitconnaît aux orages :
En une adversité se monstre nostrenotre coeur,
520Tu ne fus onc353 vaincu, sois donc tousjourstoujours vainqueur.
FayFais cognoistreconnaître aux Romains que cestecette tienne espéeépée
Tant de fois dans le sang des Antiens354 plongée,
TrencheTranche aussi bien sur eux que contre l’estrangerétranger :
Les Volsques l’ont sentusenti. Mais, peuple trop legerléger355,
525Un despitdépit356 renaissant qui jusque auxjusqu’aux os m’entame,
--- 22 ---
Et qui en action tient sans cesse mon ameâme357,
Te fera, mais trop tard, cognoistreconnaître358 ton erreur,
Et ses effectseffets sanglants, enfansenfants de ma fureur.
Sus donc, c’est trop tarder, l’occasion trop belle
530T’a ouvert les desseins359 d’une juste querelle.
Il faut poser en bas ce surnom de Romain360,
VoidsVois-tu pas qu’Antium te tend desjadéjà la main ?
Il ne te reste plus qu’une brave asseuranceassurance
Pour avoir de ce tort une heureuse vengeance.
535Si contre elle tu as autrefois combatucombattu,
Cela n’importe en rien. L’immortelle vertu
MesmeMême des ennemis est tousjourstoujours estimée :
Sa mémoiremémoire jamais ne s’abbatabat supprimée,
L’on la voidvoit tous les jours produire à ses enfansenfants
540MesmeMême en adversité des lauriers triumphanstriomphants.
Tullus, qui a souvent espreuvééprouvé361 la puissance
Des escadrons362 Romains par ta seule vaillance,
Bien que ton ennemi, honorant ta valleurvaleur363,
Aura pitiepitié de toytoi, et t’aura en honneur364 :
545Je le m’en vayvais treuvertrouver365, ombrageant mon visage
De ce manteau de deuil366, en certain tesmoignagetémoignage367
De mon adversité368. De ta sainctesainte fureur,
Ô grand Dieu des combats369, fayfais naistrenaître dans mon coeur
Le desirdésir immortel d’une haineuse vengeance,
550Et abbaabats370 soubssous mes pieds la superbe insolence
De cestcet hydre testutêtu371, qui mespriseméprise les Dieux,
Et qui tousjourstoujours s’oppose aux hommes vallereuxvaleureux372.
Tullus373.
--- 23 ---
Jusque àJusqu’à quand Antium, ô ma cherechère patrie,
Courberas-tu le dos dessoubsdessous la tirannietyrannie
555De cestcet aigle Romain, cestcet aigle ravissant374,
Qui du sang des humains se va tousjourstoujours paissant375 ?
Verra onVerra-t-on, verra onverra-t-on sur nos fronts tousjourstoujours peinte,
Au dam376 de nostrenotre honneur, une couarde crainte ?
Verra onVerra-t-on pour jamais377 les Volsques genereuxgénéreux
560EstreÊtre faits le jouet d’un peuple audatieuxaudacieux378 ?
D’un monstre insatiable379, à qui toute la terre
Que ce grand OceanOcéan entre ses bras enserre,
Semble estreêtre peu de cas, pour assouvir un point
De son ambition380 : et quoyquoi ? Ne veux-tu point
565En dessillantdécillant381 tes yeux, républiquerépublique Antienne,
T’opposer quelque fois à l’audace Romaine ?
SoubsSous l’ombre d’alliance382, on ravit tes cités,
SoubsSous le nom d’une paix de mille hostilités
L’on te va supprimant383 : une guerre honorable
570Plus douce est mille fois qu’une paix dommageable.
Il vaut trop mieux mourir conservant son bonheur
Que vivre en servitude. Ô Dieux, où est l’honneur,
La resolutionrésolution et cestecette ardeur guerriereguerrière
De garder contre tous la liberté premierepremière ?
575QuoyQuoi ? Une seule perte a eu tant de pouvoir
De te faire sortir en tout de ton devoir384.
Ne sçais tusais-tu que la chansechance est muable et diverse ?
Coriolanus.
ConsidereConsidère Tullus385, d’une fortune adverse
Les bisardsbizarr’s accidensaccidents386 et voyvois comme en sa main
--- 24 ---
580De ce grand tout elle a d’eternitééternité le frein387.
VoyVois celuycelui qui jadis soubssous les bandes388 Romaines
A faictfait paslirpâlir de peur les troupes Antiennes :
Ton mortel ennemyennemi, qui tousjourstoujours a estéété
Le seul propugnateur389 de vostrevotre liberté,
585Qui en particulier en ce qu’il a peupu faire
S’est tout ouvertement demonstrédémontré390 ton contraire.
VoyVois Coriolanus. Car j’ayai pour tout guerdon391
De mes labeurs passés seulement ce surnom :
Le reste m’est ostéôté par la vicissitude392
590Qui tourne en l’univers et par l’ingratitude
D’un peuple furieux393. Je me presenteprésente à toytoi :
Mais quoyquoi ? Je n’y vienviens point poussé de quelque effroyeffroi,
Ou craignant de mourir, si l’eusse voulu faire394
Je ne m’eusse hasardé395 en une telle affaire :
595Mais poussé d’un desirdésir de me pouvoir venger,
Car c’est le seul moyen qui me peut soulager.
Croy-moyCrois-moi, si j’ayai estéété soustenantsoutenant ma patrie,
Patrie que dis-je ? liberalliberal de ma vie396,
Et si j’ayai quelquefois armé du droit Romain
600Dessus vozvos citoyens ensanglanté ma main,
J’en suis au repentir. Pense aussi qu’une rage
D’un trop juste desdaindédain397, qui enfle mon courage
M’en fera faire autant398, cent et cent fois pour vous
Poussé d’un seul despitdépit, d’où renaitrenaît mon courroux :
605La raison m’y conduit, et je le peux bien faire,
Ayant estéété nourrynourri soubssous leur loyloi militaire :
Je lilis dedans leurs coeurs, leurs secrets plus couverts
--- 25 ---
À mes yeux dessillezdécillés399 sont clairement ouverts.
Mais toutefois Tullus à une heure opportune,
610Si tu ne veux tenter comme moymoi la fortune,
VoicyVoici ton ennemi : il est entre tes mains ;
Haste luyHâte-lui son destin par tourmenstourments inhumains :
Il estime trop peu la perte de sa vie
Au prisprix de son honneur400 : croycrois que la seule envie
615De tirer sa raison401 d’un mescontentementmécontentement
L’a fait precipiterprécipiter dans un tel changement.
Tullus.
Je vous renrends grâce, ô Dieux, ô Dieux, qui pitoyables402
En noznos adversitezadversités nous estesêtes secourables :
Qui avez de nous soingsoin, qui pour nous maintenir403
620Des vostresvôtres ne perdez jamais le souvenir,
Lorsque quelque accident de près nous importune.
D’où nous vient ce bonheur ? Quelle bonne fortune
Te pousse, Marcius ? Leve toyLève-toi404, ô grand Dieu,
Qui eusteut osé penser de te voir en ce lieu ?
625Mon Coriolanus, aye405 cestecette asseuranceassurance406
Qu’ores407 veux enterrer du tout408 la souvenance
De ce quequi s’est passé. L’honneur que tu nous fais,
Prenant nostrenotre parti, efface tes meffaictsméfaits.
Non non, les Volsques sont tesmoinstémoins de ta vaillance ;
630Ils en ont à leur dam409 assez d’experienceexpérience :
Pour mon particulier410, n’attenattends d’un ennemi
Les effectseffets rigoureux411 : car je te suis amyami.
Mais d’où peut provenir cestecette vicissitude412 ?
Coriolanus.
--- 26 ---
D’une seditionsédition413, et d’une ingratitude.
Tullus.
635Que le peuple Romain ne cognoitconnait ta valleurvaleur !
Coriolanus.
Il la cognoitconnait par trop414 : mais il l’a en horreur.
Tullus.
Après avoir cueilli les fruictsfruits de ton service ?
Coriolanus.
Pour estreêtre courageux415 il m’attribue un vice.
Tullus.
Que peut-on supposer416 à l’homme vertueux ?
Coriolanus.
640QuoyQuoi ? Qu’il est un mutin, et un seditieuxséditieux.
Tullus.
D’où luylui vient ce soubçonsoupçon ?
Coriolanus.
D’autant que417 je traverse
Le peuple, soustenantsoutenant le droit de la noblesse.
Tullus.
A elleA-t-elle peupu souffrir que l’on te facefasse tort ?
Coriolanus.
Elle a prinspris l’espouvanteépouvante : elle craint trop la mort.
645Non non, ce sont poltrons sans arrestarrêt, sans courage,
Hauts en prospérité, mais si tostsitôt qu’un orage
Commence à s’esleverélever, leur audace s’abat :
Ils n’ont que le caquet418 au milieu d’un SenatSénat.
Tullus.
Courage Marcius, aye419 bonne esperanceespérance,
--- 27 ---
650Je te mettraymettrai bientostbientôt pour avoir ta revancherevanche
Dans une pleine mer420, mais il faut seulement
De quelque nouveauté inventer l’argument421 :
Il les faut resveillerréveiller422 : je sçaysais que ta venue
Rendra nostrenotre Antium et non sans cause esmeueémue423.
655Ah, qu’ils auront d’espoir, et d’asseuranceassurance en toytoi,
Qui leur servoisservais jadis de terreur et d’effroyeffroi !
Tu seras leur rempart et armezarmés de ta grâcegrâce424
Aussi tostAussitôt des Romains ils ne craindront l’audace.
Je les vavais advertiravertir425, cependant426 de mes biens,
660De moymoi, de mon creditcrédit427, sers-t’ensers-t-en comme des tiens ;
Attendant que le temps nous ouvre en cestcet affaire428
Les moyens de monstrermontrer ce que nous sçavonssavons faire.
Coriolanus.
N’ayai-je donc pas treuvétrouvé entre mes ennemis,
Tout ce que j’esperoyespérais de mes plus chers amis,
665Que j’avoyavais obligé de mon sang, de ma vie429 ?
Quelle est donc, Marcius, quelle est donc ta patrie ?
Ou celle qui t’honore en ta prosperitéprospérité,
Ou celle qui t’advoueavoue430 en ton adversité ?
Tu fais parade encor431 Rome de mes conquestesconquêtes,
670Et Antium de moymoi n’a receureçu que des pertes.
Rome, t’ayant servi, je me voyvois dechassédéchassé432 :
Antium me reçoit pour l’avoir offencéoffensé433.
Rome a eu mes labeurs, le plus beau de mon eageâge :
Antium n’a de moymoi qu’un évidentévident dommage,
675Je n’en serayserai ingrat. Si ce peuple a sentusenti,
Ce que pesepèse mon bras434, ce que peut ma vertu,
--- 28 ---
Rome tu coignoistrasconnaîtras435 combien a de puissance
Un outrage receureçu, quand il a prinspris naissance
Dans un juste despitdépit. Les Dieux sont justiciers,
680Ils n’aiment les ingrats et entre cent lauriers
La vertu jajà436 de soysoi437 trop glorieuse et belle,
Encontre438 tout effort439 se maintient immortelle.
Choeur premier440.
Comme dans les flots pers441
Les poupes442 agittéesagitées
685Vont courant à travers
Des campaignescampagnes salées443,
Voisines des rochers,
En despitdépit des nochers444.
N’a remaschéremâché un frein445,
Quand l’esperonéperon le touche,
Va emportant l’arrestarrêt446
Qui le détientdétient subjectsujet447.
695De mesmemême la fureur
D’un tort ou d’un outrage,
Gravé dedans le coeur
D’un homme de courage,
Sur le vol448 d’un despitdépit
700Transporte son esprit.
Fille de NemesisNémésis449,
--- 29 ---
Par une humeur subtile,
Pour une BriséïsBriséis,
Tu450 fis jadis qu’Achille,
705Qui desiroitdésirait l’aveoiravoir
Oublia son devoir451.
C’est toytoi qui les TroiensTroyens
Et les Grecs mis en guerre,
Les murs Neptuniens452
710Bouleversas par terre
Et qui as renversé
Leur rempart terrassé.
C’est cestecette mesmemême ardeur,
Ce mesmemême feu, cestecette ire453,
715Qui toucha jusque aujusqu’au coeur
L’inexorable Pirrhe,
Quand il rougit cruel
Du grand JuppinJupin l’autel454.
Ce desirdésir inhumain,
720CesteCette rage soudaine,
LuyLui fait tremper sa main
Au sang de PolixenePolixène,
Souillant par un fait tel
Le tombeau paternel455.
Choeur second456.
--- 30 ---
725La cholerecolère est un poison,
Qui s’espandantépandant dans nostrenotre ameâme,
Va dechassantdéchassant457 la raison :
Peu à peu elle l’enflameenflamme,
Et d’un voillevoile tenebreuxténébreux
730Nous vient obscurcir les yeux458.
Combien un juste courroux459
GaigneGagne sur nous de puissance,
Qui va esloignantéloignant de nous
Et des Dieux la souvenance
735Et nos parensparents, et l’amour
Du lieu de nostrenotre sejourséjour460.
Marcius, qui tant de fois,
Exposa pour sa patrie,
Et pour soustenirsoutenir ses droits,
740Et ses moyens, et sa vie
Qui dessoubsdessous ses estendarsétendards
A combattu les hasards461,
Ce guerrier victorieux462
Qui à son aigle à deux testestêtes
745A fait porter genereuxgénéreux
Les lauriers de cent conquestesconquêtes
Faisant esleverélever les fronts
De ces sept superbes monts,
Ce Marcius, qui vainqueur
750Entre dedans Corioles,
Poussé de cestecette fureur
--- 31 ---
Et d’un despitdépit qui l’affole463,
Asservit la liberté464.
755Aux Romains, qui ont receureçu
Les fruictsfruits d’un bien long service,
D’un despitdépit qu’il a conceuconçu,
Il prepareprépare un precipiceprécipice465
Pour les y faire rengerranger466
760Armé d’un droit estrangerétranger467.
Et toytoi Tibre468 impetueuximpétueux,
Qui nagueresnaguères469 souloissoulais470 bruire
Coulant son nom glorieux,
Tu ne bruiras que son ire471,
765MeslantMêlant dans tes flots soudains472
Le sang de tes citoyens.
ACTE TROISIEMETROISIÈME
Tullus.
Que les Dieux immortels n’ayent473 soin des humains,
Qu’ils ne prennent beninsbénins474 leurs affaires en mains,
Qu’ils ne sointsoient justiciers tenanstenant soubssous leur tutelle,
770Encontre tous les droits d’une juste querelle475,
Alors qu’on se contient aux bornes du devoir,
--- 32 ---
Leurs faictsfaits de jour en jour nous le font à sçavoirsavoir476.
Sont eux477, perespères conscriptsconscrits478, sont eux qui font la guerre
TousjoursToujours à l’orguilleuxorgueilleux, et leur grondant tonnerre
775PrecipitéPrécipité d’enhauten haut casse plutostplutôt le front
Superbe et eslevéélevé de l’Olympique mont,
Ou les tours des grands rois, que ou479 la maisonettemaisonnette
Du pauvre laboureur, ou de la bergerette480.
Ils nous tesmoignenttémoignent bien qu’ils ont pitié de nous,
780AyansAyant esteinctéteint l’ardeur de leur premier courroux.
Par quels voeux, ô grands Dieux, et par quels sacrifices
Vous avons-nous rendus envers nous si propices481 ?
Il ne tient plus qu’à toytoi trop couarde cité
D’arracher aux Romains l’ancienne liberté
785Et de veoirvoir à cestecette heure en son estatétat antique
Les statuts et les droits de la chose publicquepublique482.
VenerableVénérable SenatSénat, quoyquoi ? VerrayVerrai-je tes yeux
TousjoursToujours appesantis d’un sommeil otieux483,
Et ton coeur entouré de cestecette froide crainte
790Qui depuis peu de temps sur ta face est emprainteempreinte ?
Je voyvois des hommes trop, mais peu, peu d’Antiens,
Peu de Volsques guerriers484 : ceux cyceux-ci sont des Romains,
Des Romains ? Mais plutostplutôt un peuple tributaire,
Leurs serfs, et leurs subjectssujets par le droit de la guerre,
795Qui ont laissé tollir485 contre toutes les loixlois,
SoubsSous l’ombre d’une paix, noznos villes et nos droits.
Quelle tresvetrêve, ô grand Dieu ? C’est une couverture486
Où se caslecale487 Antium, ta ruïne488 future.
Ce sont, ce sont les lacs489 où ils490 surprennent ceux
--- 33 ---
800Qui se laissent piper491 de ce nom doucereux492.
Serions-nous les premiers, soubssous cestecette tromperie ?
N’ont-ils pas tant de fois voilé493 leur perfidie,
Quand du commencement494 traistrestraîtres à leurs voisins,
Ils ravirent trompeurs les filles des Sabins495 ?
805C’est là le stratagemestratagème, et c’est la piperie496
Où ils vont endormant un peuple qui s’y fie,
Afin de puis après497 le prendre à pied levé498
L’ayant entretenu d’un propos emmieléemmiellé499.
Messieurs, vous en verrez trop tosttôt l’experienceexpérience500.
Titius.
810Nous avons avec eux une heureuse alliance,
Et tresvetrêve pour deux ans501 : cela est tout certain502,
L’honneur nous y semond503, la foyfoi504 nous y contraint :
Elle doit contre tous505 sans fraude506 estreêtre gardée.
Tullus.
QuoyQuoi ? envers ceux qui l’ont jajà* tant de fois faussée507 ?
Titius.
815Ils ont en nostrenotre endroit leur propos maintenu.
Tullus.
Ce quequi peut aveniradvenir n’est encor508 avenuadvenu.
Nous recevrons trop tard, je didis509 à noznos dommages,
Les fruictsfruits510 d’avoir estéété trop simples511 et peu sages.
Titius.
N’avons-nous pas sentusenti512 ce que peut leur courroux ?
Tullus.
820Les Dieux et la raison combatointcombattaient contre nous,
Et qui plus, Marcius, toute leur asseuranceassurance513,
--- 34 ---
Qui vous a tant de fois tesmoignétémoigné sa vaillance514,
Et qui a pour un jour515 sur quarante Antiens516
Perçant vozvos esquadronsescadrons ensanglanté ses mains ;
825Ce grand guerrier de qui et l’oeil et la parolleparole517
Vous faisoitfaisait frissonner, cil* qui dans Corioles
Au front518 de vostrevotre camp, pesle meslepêle-mêle avec ceux
Qui fuyointfuyaient devant luylui, entra victorieux519 :
Et ce mesmemême, Messieurs, qui à cestecette canaille
830Qui bransloitbranlait nous voyant mistmit en main la bataille520 :
Quand tout couvert de sang pour plus les asseurerassurer521,
Sortant de Coriole522 il se vient presenterprésenter
À la testetête du gros de cestecette populace,
Et de fuyards peupla vostrevotre sanglante place :
835Je didis523 de vozvos enfansenfants. Mais s’il a quelque foisquelquefois
CombatuCombattu vaillamment pour maintenir les droictsdroits
Ou les pretentionsprétentions d’une ingrate patrie,
À cestecette heure il remet entre vozvos mains sa vie :
Vous prend pour protecteurs, et pour vous soustenirsoutenir,
840DessoubsDessous vozvos estandarsétendards il veut vaincre ou mourir.
Sa vaillance vous l’a et par trop524 faictfait paroistreparaître,
Elle parle pour luylui, vous le pouvez cognoistreconnaître525.
Il faut par les cheveux prendre l’occasion526 :
Le peuple et le SenatSénat sont en seditionsédition527 :
845La ville en deux partis est toute divisée,
Et d’elle mesmeelle-même elle est toute esbranléeébranlée.
La noblesse a au coeur emprainteempreinte sa vertu528 :
Ce qui est separéséparé est demi combatucombattu529.
Un peuple bien unyuni tous les jours se renforce :
--- 35 ---
850Autrement peu à peu il va perdant sa force.
Titius.
Marcius est vaillant : mais qui s’y peut fier ?
Encontre ses amis soustenirsoutenir l’estrangerétranger :
Cela n’est pas croyable530.
Tullus.
Un desirdésir de vengeance
Et un affront receureçu, ont beaucoup de puissance.
Titius.
855Il veut faire sa paix nous mettant en danger.
Tullus.
Sa paix ? rien de moins du tout : mais il veut se venger531.
Titius.
Regardons bien premier532 si juste est sa querelle ;
Fidus.
Ne laissons escoulerécouler cestecette occasion belle,
Belle didis-je vraymentvraiment, puisque tu as pour toytoi,
860Antium, ce guerrier jadis* tout ton effroyeffroi,
Il ne nous manque plus qu’une audace guerriereguerrière,
Pour remettre au-dessus la liberté premierepremière.
Envoyons répéter533 les villes aux Romains
Qu’ils ont injustement arraché de nos mains.
Titius.
865Nous en serons blasmezblâmés de la posteritépostérité.
Tullus.
Ils ont les premiers faictfait actes d’hostilité :
Ils nous font assésassez veoirvoir leur volonté inique534.
Encor535 depuis trois jours, faisansfaisant des jeux publique536,
--- 36 ---
Mutins, à son de trompe ils ont fait commander
870À tous les citoyens d’Antium de vuidervider
Leur ville dans une heure537.
Le Consul.
CesteCette tresvetrêve un naufrage
À la fin causera et un commun538 dommage
À la chose publique. Mais il ne faut qu’on pense
Qu’ils ayent539 en un jour abattuabattu l’asseuranceassurance
875Des Volsques, ha non, non ! C’est par trop endurer,
Il ne faut plus paslirpâlir, il se faut rasseurerrassurer.
Nous sommes tous nourris ainsi qu’eux aux alarmes540,
Qui plus541 ? L’occasion542 nous met en main les armes,
Le droit et la raison. Qui ne suit son bonheur
880Le laissant escoulerécouler, c’est à faute de coeur543.
Voyons de ce Romain si la fortune heureuse,
Qui tousjourstoujours a estéété sur nous victorieuse,
Contre nos ennemis aura mesmemême pouvoir
Et qu’un chacun de nous se tienne en son devoir
885Lorsqu’il faudra partir. Tu cognoisconnais nostrenotre affaire,
Demeure avec que nous pour un conseil de guerre544,
Tullus : pour generalgénéral545 contre nos ennemis,
Marcius y cognoitconnait la langue et le pays.
Par ainsyainsi qu’un chacun luylui rende obeyssanceobéissance
890Comme à cil* qui aura sur tous pleine puissance :
Le tout despenddépend de luylui. Ayons espoir aux Dieux :
Car fortune est tousjourstoujours prospereprospère aux courageux546.
Choeur des Volsques547.
--- 37 ---
C’est aujourd’huyaujourd’hui qu’il faut remettre
Au-dessus nostrenotre liberté548 :
895Il ne faut désormaisdésormais permettre
Que nostrenotre honneur nous soit ostéôté
Et que soubssous une paix faictefaite à notre dommage
L’on nous couvre549 un servage550.
Une guerre est moins enuyeuseennuyeuse551 :
900Moins dangereux est un combat,
Qu’une paix ignominieuse,
Qui sans combattrecombattre nous abbatabat :
L’homme ne doit jamais sa liberté survivre,
Qui seule le fait vivre552.
905Sus* courage, troupe Antiate,
Il ne faut qu’un effort vainqueur
Des Romains tout à coup t’abatte
Ou te facefasse perdre le coeur553.
Non non, jamais le cours de la boule muable554,
910Du sort n’est longtemps stable.
Ce grand guerrier de qui la face,
Les yeux, le maintien, et la voix
A fait555 ruisseler une glace
Dedans tes veines maintefoismaintes fois556
915EspousantÉpousant courageux le droit de ta querelle
Te prentprend soubssous sa tutelle557.
ResveilleRéveille, Antium, ton courage
Armé de sa seule faveur558 :
Il faut secouer559 le servage
--- 38 ---
920De cestecette Romaine rigueur560.
SoubsSous des chefzchefs genereuxgénéreux Rome a peinte sa gloire
Au front de la memoiremémoire561.
Je voyvois jajà* cestcet aigle à deux testestêtes
Qui nostrenotre sang alloitallait sucçantsuçant562,
925Afin d’enrichir noznos conquestesconquêtes
Devant nous s’aller abaissant :
Puisque de Marcius la prospereprospère fortune
Nous est ores* commune.
Coriolanus564.
Rome, voicyvoici le temps, voicyvoici l’heure opportune
930Où il faut esprouveréprouver les effectseffets de fortune565 :
C’est par trop566 prospererprospérer, voicyvoici l’occasion
Qui te fera venir au point de la raison567,
Et cognoistreconnaître trop tard, ce que peut un outrage
Gravé dedans le coeur d’un homme de courage.
935Où sont, dydis maintenant568, où sont tous tes lauriers,
Tes tribuns, ton SenatSénat, tes superbes569 guerriers ?
Où est en ce danger570, mutine populace,
Où est-elle, di moydis-moi, cestecette premierepremière571 audace ?
PourquoyPourquoi ne sortez-vous en bon ordre serrezserrés
940Dans un champ de bataille en esquadronsescadrons carrés ?
Dea572, vous vous estonnezétonnez573 du son d’une trompette.
Que l’on vous voyevoie un peu, vozvos tribuns574 à la testetête :
--- 39 ---
Ils sont à nous, Messieurs575, ils ont perdu le coeur :
Ils n’ont que le caquet576 : les poltrons577, ils ont peur.
945Vous sçavezsavez bien gronder578 au milieu d’une place ;
Mais quand il faut venir main à main, une glace
Vous reffroiditrefroidit le sang579 : ah mutins, ah mutins,
Vous n’aurez, vous n’aurez affaire à des faquins580,
Qui se laissent gaignergagner d’une douce parolleparole.
950Vous avez jajà* estéété réduits au Capitole581
Et je vous chasseraychasserai de Rome entieremententièrement,
Faisant courir le soc582 dessus le fondement
De vozvos superbes tours ; mais ce n’est tout de dire
Cela sert seulement pour ranimer mon ire583.
955Cependant Catius584, fayfais enclore585 ce camp586
Tire là la tranchée et fayfais tenir en rengrang
Le soldat escartéécarté587, mets la cavalleriecavalerie
Aux ailes des drappeauxdrapeaux de nostrenotre infanterie588.
PrevoyPrévois à589 nostrenotre garde, et aux munitions590 :
960Surtout ne soyons point despourveusdépourvus591 d’espions,
Afin d’estreêtre advertisavertis de ce qu’ils ont en l’ameâme592 :
En quel estreêtre593 est ce peuple, et quels desseingsdessein il trame.
Il a prinspris l’espouventeépouvante : il est nostrenôtre à demydemi594
Mais il ne faut pourtant mesprisermépriser l’ennemyennemi
965En quel estatétat qu’il soit : car fortune diverse
En nos prosperitesprospérités bien souvent nous traverse595 :
Comme un cheval sans frein596, elle court à travers
(Sans cesse baoulant597) de ce grand univers.
Vitellus598.
--- 40 ---
Marcius, les Romains soubssous la seule esperanceespérance
970Qu’ils ont de ta vertu599, et ayansayant souvenance
De tes labeurs passezpassés, de ton los600, de ta foyfoi601,
M’ont pour ambassadeur envoyé devers toytoi :
L’ordre Patricien et la troupe peu caute602
Du peuple, qui cognoitconnait, bien que trop tard, sa faute,
975Ont revoquérévoqué l’arrestarrêt603 de ton bannissement,
Te prianspriant d’oublier ce mescontentementmécontentement,
Et ne les point contraindre à te donner bataille.
Coriolanus.
Hors de devant mes yeux ! DiDis à cestecette canaille604,
S’on605 pense que je soyesois un jouet à tous vents,
980Qui se laisse piper606, subjetsujet aux changements607 :
Pour mon particulier j’ayai receureçu une offense,
J’ayai belle occasion d’en avoir ma revancherevanche608
Je l’aurayaurai, je l’aurayaurai, en voicyvoici les moyens,
Je leur vendrayvendrai bien cher609 la perte de mes biens.
985Mais comme generalgénéral des Volsques, qu’on s’asseureassure
Que je ferayferai icyici pour dix ans ma demeure,
Ou les Romains viendront au point de la raison610.
Qu’ils ne pensent venir à composition611,
Que premier je ne voyevoie entieremententièrement les terres
990Que l’on nous612 a ravi aux precedentesprécédentes guerres,
EstreÊtre en nostrenotre pouvoir ; nous y seront remis613
Ou bien vous nous aurez à jamais ennemis.
Portez ailleurs le joug de vostrevotre tyrannie.
Vitellus.
995Patientez un peu.
--- 41 ---
Coriolanus.
OuyOui, pour trente jours :
Je vous ferayferai tomber sur le ventre vozvos tours,
Si dedans ce temps làtemps-là je n’ayai de vozvos nouvelles,
Mettant fin par le fer615 à toutes nos querelles.
Le grand Pontife617.
Terreur de l’univers, ô monarque des Dieux618,
1000Qui guides de ta main le mouvement des cieux
D’un accord619 immortel, maintenant toutes choses
Depuis que du Chaos620 elles furent esclosesécloses :
NostreNotre grand protecteur, et toytoi porte tridentporte-trident621,
Qui dedans le cristal622 d’un muable623 occeanocéan,
1005Dans les flots mutinezmutinés624 des campaignescampagnes salées625
Tiens tout puissant le frein des bandes escailléesécaillées626 :
Donnant pour toute loyloi627 à ce peuple muet628
Ta voix, qui les contient soubssous ton pouvoir subjetsujet629.
Et toytoi, ô noir Pluton630, qui des nuitées sombres631
1010De toute eternitééternité erres parmyparmi les ombres,
Qui commandes là-bas, et qui prudent conduictconduis
D’un propos le fuseau des filles de la nuictnuit632,
Qui traces le filletfilet de toute destinée633,
Ô PhoebusPhébus tout voyant634, ô nocturne PhoebéePhébé635,
--- 42 ---
1015Et toytoi mèremère Vesta636, Romulus, et vous tous,
Ô grands Dieux immortels, d’où provient ce courroux
Qui cause noznos malheurs ? Quelle faute avenueadvenue637
Dans Rome a contre nous votre ire tant esmeueémue638 ?
C’est vous, ô Dieux, c’est vous qui ores* des Romains
1020Avez sillécillé639 les yeux, et qui liez leurs mains.
Qui eusteut jamais pensé un si soudain desastredésastre640 ?
Ce peuple est jajà* vaincu et qui plus sans combattre,
Vaincu : de qui vaincu641 ? Damnable ambition !
Seulement du discord d’une seditionsédition.
Le Sacrificateur.
1025Ô sinistre accident ! JettonsJetons l’anchreancre sacrée642 :
Ouvrons les temples sainctssaints, et pour rendre appaiséeapaisée
La fureur de noznos Dieux conceuëconçue643 contre nous,
Pressons devotementdévotement la terre des genoux644.
Ô grands Dieux, qui d’enhauten haut prevoyezprévoyez noznos misères :
1030Qui vous estesêtes tousjourstoujours monstrezmontrez envers nous pères645 ;
Qui avez maintenu jadis* cestecette cité
Au paisible repos d’une prosperitéprospérité :
HelasHélas, ne permettez qu’un seul jour nous efface
Tant et tant de lauriers. DesjaDéjà dans nostrenotre place646
1035On n’entend que des cris, des plaintes et des pleurs :
On ne voidvoit que tormenstourments, que sinistres malheurs.
Ayez pitiepitié de nous, ne soyez plus contraires647.
Le grand Pontife.
Sus* mon frerefrère, prenons tous nos Dieux tutelairestutélaires648,
Tous nos vases sacrés, et sortanssortant allons veoirvoir
1040Si quelque pietépiété pourra point esmouvoirémouvoir
--- 43 ---
Ce coeur diamantin649 : d’une audace650 asseuréeassurée
En noznos habits plus sainctssaints traversons son armée.
Mais je le voyvois venir651 : quel port audacieux652 ?
Ha quelle gravité653 ! Si le respect des Dieux
1045Sur ton coeur indompté a eu jamais puissance,
Marcius, comme ayant d’iceux* et ta naissance,
Et l’estreêtre654, et la valleurvaleur, qui te fait honorer :
Si tu crois que sont eux655, qui te font prospererprospérer,
Voy lesVois-les icyici presensprésents656 : au nom d’eux je te prie,
1050Sont ceux de ton fouyerfoyer, sont ceux de ta patrie657,
De donner quelque frein au trop ardent courroux,
Que tu as trop bouillant658 conceuconçu encontre nous,
Et envers ta cité monstre toymontre-toi charitable.
Un Dieu bien qu’offensé n’est point inexorable659.
1055Mais Coriolanus, au lieu d’une douceur,
Qui devroitdevrait pour nous veoirvoir660 faire amoliramollir ton coeur,
Tu ne peux estreêtre esmeuému par prièresprières neni* larmes :
VienViens donc avec le droit661 et pose bas les armes,
Puis propose les points de ton intention662.
Coriolanus.
1060Que je quitte ma prinseprise ? Ô la belle raison663 !
Le Pontife.
QuoyQuoi, tu nous veux forcer contre toute police664 ?
Coriolanus.
Je ne suis point tyran, mais j’aymeaime la justice.
Le Pontife.
Appelles-tu justice avoir l’espéeépée en main ?
Coriolanus.
--- 44 ---
Je l’appelle vraymentvraiment665 contre un peuple inhumain.
Le Pontife.
1065Contre tes citoyens et contre ta patrie ?
Coriolanus.
Ceux qui ont desirédésiré la perte de ma vie,
Ceux qui m’ont tant de fois innocent pourchassé,
Qui m’ont de la maison de mes pères chassé
Par un bannissement : ô superbe666 insolence !
1070Pour mon particulier667, je leur remets l’offense668,
Et comme citoyen, bien que soysois669 le plus fort,
Je n’empescherayempêcherai point un raisonnableraisonnable accord.
Mais quant aux Antiens, qui couranscourant ma fortune670
Adverse, m’ont rendu leur prospereprospère commune671,
1075MesmeMême je didis672 au fort de mon plus grand malheur,
M’ont humains confié leur droit et leur honneur :
Je mourraymourrai avec eux : la raison m’y appelle,
Ou je verrayverrai la fin d’une juste querelle.
Quittez673 ce que sur eux sans droit674 vous possedezpossédez :
1080Venez à la raison, ou bien vous deffendezdéfendez675.
ChoisissesChoisissez vostrevotre mieux : vous sçavezsavez676 vostrevotre affaire :
Vous avez en vozvos mains ou la paix ou la guerre.
Que je ne vienne au point677 quand j’en ayai le moyen ?
Qu’on ne m’en parle plus, car je n’en ferayferai rien :
1085Cela est resolurésolu et mon devoir678 m’y pousse.
La force par la force à bon droit se repousse.
Et je sçaysais que JuppinJupin, qui ce grand tout maintient,
Fait rendre à un chacun ce quequi luylui appartient.
Le grand Pontife.
--- 45 ---
Ha qu’il est obstiné ! Vaine est nostrenotre prière,
1090Elle sert seulement d’amorce à sa cholèrecolère :
AinsyAinsi comme d’Etna dans les flans ombrageux,
On voit tout eschauffééchauffé ce forgeron boiteux679,
D’un peu d’eau ranimer et la flamme et la braise,
Qui des Cyclopes680 nudsnus fait rougir la fournaise ;
1095Lorsqu’il va martelant ses rets industrieux681,
Les armes d’Achilles682, ou les courroux des Dieux.
Le Sacrificateur.
Son coeur est endurci : car tant plus on le prie,
Tant plus on parle bas, tant plus on s’humilie683,
Plus il s’enorgueillit. Ô perepère tout puissant,
1100Qui vas dessoubsdessous tes pieds toute audace abbaissantabaissant684 :
Secourable JuppinJupin, qui d’un seul coup de foudre
Peux cestecette ronde masse685 en mille parts resoudrerésoudre686 :
Qui des audacieux t’oppose à la fureur :
Qui maintenant le droit, vas dissipant l’erreur,
1105Repousse cestecette gent et barbare et inique687 :
VienViens prendre le timon688 de la chose publique :
Et pilote prudent, conduyconduis nostrenotre vaisseau
Par les traistrestraîtres escueilsécueils689 calezcalés690 dessoubsdessous cestecette eau :
Guide-le, PèrePère sainctsaint, à travers de l’orage691,
1110Afin qu’ayant mouillé l’anchreancre dans le rivage,
Nous chantions à jamais la clementeclémente douceur,
Et le nom glorieux de nostrenotre protecteur.
Choeur des devins et Sacrificateurs692.
--- 46 ---
Cil* qui mesprisantméprisant les Dieux,
Va dessus sa propre gloire
1115Fondant trop audacieux693
Le rempart de sa victoire :
CognoitConnait, mais trop tard souvent
Les effectseffets d’une arrogance,
Car celuycelui tousjourstoujours descentdescend,
1120Qui à trop monter s’avance694.
Si tu vivoisvivais PhaëtonPhaéton,
Tu fuiroisfuirais cestecette lumierelumière,
Qui te fit dans l’AcheronAchéron
PrecipiterPrécipiter ta carrierecarrière695.
1125Icarus abaisseroitabaisserait :
Son audace trop apperteaperte696,
Et plus il ne nommeroitnommerait
La mer du nom de sa perte697.
1130RetardansRetardant de leur justice698 :
De tant plus699 sur le pecheurpécheur
Va s’agravantaggravant le supplice.
Le pechépéché nous fait sentir
Qu’il enfante sa vengeance
1135Et tousjourstoujours un repentir
Va talonanttalonnant une offense.
Va becquetant la poitrine
--- 47 ---
Du PrometheanProméthéen larron
1140Sur la roche Caucasinecaucasienne701.
ParmyParmi sa soif renaissante
Souler702 son perjureparjure sein
D’une eau tousjourstoujours refuyante703.
1145En vain d’un tourment nouveau
Les traistrestraîtres seurssoeurs Danaïdes
Vont sans repos portansportant l’eau
Dans leurs tonneaux tousjourstoujours vuidesvides704.
Non les Dieux sont justiciers :
1150Minos est juge equitableéquitable705,
Contre eux tous efforts guerriers
Sont fondezfondés dessus le sable.
Marcius, que penses-tu
De bastirbâtir ton asseuranceassurance
1155Dessus ta propre vertu,
Au mesprismépris de leur puissance ?
Tu ne fais compte de nous706,
De noznos prieresprières et larmes,
Animé d’un seul courroux
1160Qui t’a faictfait lever les armes.
Poussé d’un despitdépit haineux,
Tout pour un coup707 tu oublie708
Avec le respect des Dieux,
Et les tiens et ta patrie.
1165La victoire ne gistgît pas
En une troupe infinie709,
--- 48 ---
Quand les Dieux guidansguidant noznos pas
Rendent nostrenotre force unie710.
Sont711 noznos pechezpéchés, ô grands Dieux,
1170Qu’amollissent712 nos courages,
Qui nous ont sillécillé713 les yeux
Au milieu de ces orages.
Prenez le timon714 en main
De nostrenotre chose publicquepublique
1175Et rendez tout l’effort vain
De cestecette brigade inique715.
Chasse, NemesisNémésis, d’icyici
Ta fille aisneeaînée Discorde716,
Et change nostrenotre soucysouci
1180En une heureuse concorde717.
Ou fayfais sortir du tombeau
ScevoleScévole à l’ameâme guerriereguerrière,
Qui à ce tirantyran nouveau
ACTE QUATRIEMEQUATRIÈME.
Valeria719.
1185RoyneReine de l’univers, qui n’as point de seconde720,
Chef -d’oeuvre de nature, ô grand faubourg du monde721,
Rome, qui as tousjourstoujours faictfait paroistreparaître722 ton front
--- 49 ---
Sur toute autre cité, ainsyainsi qu’on voit un mont
Sa testetête audacieuse esleverélever sur la plaine,
1190Ou aux forestsforêts d’Ida723 quelque superbe chesnechêne
Hausser son chef feuillu par -dessus les roseaux.
Rome, qu’as tousjourstoujours veuvu quelques lauriers nouveaux
Ceindre de tes enfansenfants les templestempes724 belliqueuses,
MaintenansMaintenant tes grandeurs contre tous glorieuses,
1195Terreur de l’univers, invincible cité,
Qui les armes au poing as guerriereguerrière porté
Le los725 de ton renom, de l’un à l’autre polepôle :
Hélas, quel changement ! Ah mon cher Publicole,
Que penses-tu de nous, quand tu vois dèzdès là-bas726
1200La gloire des Romains voisine727 du trespastrépas ?
Et ceux qui728, seulement armezarmés de ta presenceprésence,
SentointSentaient grossir leurs coeurs d’une brave asseuranceassurance729,
DesjaDéjà soubmissoumis au joug730, et vaincus à demydemi,
Trembler au seul regard d’un guerrier ennemi731,
1205Se tapir dans leurs murs, sans oser comparoistrecomparaître
Et s’il faut dire ainsyainsi, mesmemême le recognoistrereconnaître732 ?
On leur a beau prescherprêcher733 et leur remettre aux yeux734
De leurs predecesseursprédécesseurs les actes généreux,
Ils ont perdu le coeur735, ils n’ont plus de courage :
1210Tout ainsyainsi comme on voidvoit736 un mastinmâtin737 de village
Trembloter pantelant738 au seul regard du loup,
Fuir la testetête basse et perdre tout à coup,
Mussé739 en quelque coingcoin, son audace740 premierepremière,
Au lieu de s’avancer, reculer en arrierearrière ;
1215Son maistremaître qui survient a beau le forhuer741,
--- 50 ---
Le battre, le flatter, pensant l’encourager,
Tout cela est en vain : sa force est abbatueabattue
Et sans plus s’herisserhérisser742 il va baissant la queue.
Ah timides poltrons ! Ah peuple effeminéefféminé743,
1220Auquel le nom Romain est ores744 prophanéprofané745 !
Rentrez couards, rentrez aux ventres de vozvos meresmères !
Magnanime CoclesCoclès746 et vous genereuxgénéreux freresfrères,
Qui sur le bord du pont combattantscombattant mains à mains
RepoussastesRepoussâtes jadis la fureur des Toscains,
1225Que dites-vous de veoirvoir cestecette timide crainte
Aux fronts de vozvos nepveuxneveux747 honteusement emprainteempreinte,
Et du peuple Romain le courage abattuabattu ?
Ha constant Scevola748, helashélas que ne vis-tu,
Pour delivrerdélivrer encor749 de cestecette tirannietyrannie,
1230Et d’un danger nouveau les tiens et ta patrie !
Mais puisque noznos maris ont tous le coeur si bas
Qu’ils postposent750 l’honneur à la peur d’un trespastrépas,
Qu’ils aymentaiment mieux fleschirfléchir751, que de prendre les armes,
Il ne faut pour cela perdre l’espoir : Mes DamesMesdames,
1235AymonsAimons le bien public et d’un commun accord
Faisons vers Marcius nostrenotre dernier effort752.
Allons tout de ce pas vers madame sa mèremère :
Elle, et non autre753, peut addouciradoucir sa cholerecolère,
Ou il sera plus dur que les rocs argentins754.
1240CedonsCédons-nous755 en courage aux filles des Sabins,
Qui couvranscouvrant756 sagement de leurs maris l’offense,
Coelia.
Madame, vozvos propos, vozvos faictsfaits et vostrevotre coeur,
--- 51 ---
Nous servent de tesmoinstémoins que758 vous estesêtes la seursoeur
1245Du grand Publicola, qui malgré tout l’orage
A sauvé son pays d’un dangereux naufrage759,
EnnemyEnnemi des tyrans : commandez seulement,
Nous ne voulons sortir760 d’un seul commandement
Que vous proposerez. Sus tentez761 la fortune,
1250Nous vous seconderons, puisqu’elle est opportune :
Le droit nous y conduit762, suyvonssuivons l’occasion :
Je voyvois Volumnia, qui tient sur son giron
Ses deux petits nepveuxneveux763, elle fond toute en larmes.
Valeria764.
Si nous venons vers vous, dames vers autres dames,
1255Volumnia, et vous, Vergilie765, un malheur,
Qui ainsyainsi comme à nous vous doit toucher le coeur,
Pour estreêtre un fleaufléau766 public et un commun affaire767,
Nous a pour la raison768 contraintecontraintes de ce faire,
D’un commun mouvement, et non point d’un mandat769
1260Que nous ayons receureçu du peuple ou du SenatSénat :
Mais je croycrois que ce sont ordonnances770 divines.
Faisons un plus grand bien que jamais les Sabines771 :
Cela despenddépend de vous, et vous avez en mains,
Madame772, le repos773 de tous vozvos citoyens,
1265Et le plus seursûr moyen de graver nostrenotre gloire
Immortelle à jamais au temple de mémoiremémoire774.
C’est vous qui pouvez tout, vous avez le pouvoir
D’esbranlerébranler ce rocher775 qui se doit esmouvoirémouvoir
D’un seul de vozvos propos : c’est vostrevotre enfant, Madame,
1270Ou il sera sans coeur, sans esprit et sans ameâme,
--- 52 ---
Ou il aura pityépitié et de vous et de nous,
AppaisantApaisant le despitdépit, qui cause son courroux.
Volumnia776.
Ô grand Dieu, je me meurs, je sensens rompre mon ameâme
D’un regret777 trop cuisant778, qui vivement l’entame !
1275AinsyAinsi que PromethéProméthée, l’aigle du tout puissant
Becquette tous les jours ton poulmonpoumon renaissant779,
Je sensens de tous costezcôtés cent ardentes tenailles780
À chasquechaque heure du jour pinssoterpinçoter781 mes entrailles782.
Las783 ! J’ayai ma bonne part en vostrevotre adversité784,
1280Et ce malheur public m’a desjadéjà cher coustécoûté :
Cela est en commun, mais j’ayai pour mon partage
Un regret, qui, mutin, m’afflige davantage.
Je voyvois mon filzfils armé pour un droit estrangerétranger785,
Campé devant noznos murs contre nous se rengerranger786,
1285Et poussé des fureurs d’une injuste vengeance
TascherTâcher à supprimer787 le lieu de sa naissance.
Ô ma cherechère patrie ! Hélas ne faut-il pas
Que tu t’aides de moymoi, qui ne fayfais plus cy basci-bas788
Que languir789, attendant qu’une Parque meurtrieremeurtrière790
1290Pitoyable à mes cris791, me ferme la paupierepaupière ?
Vergilie.
Madame, tous ces pleurs ne vous servent de rien.
Volumnia.
Ils allegentallègent mes maux, c’est bien le seul moyen
De deschargerdécharger792 mon coeur, ce sont mes seules armes.
Valeria.
--- 53 ---
Non non, il ne pourra resisterrésister à des dames,
1295Son coeur s’amollira793.
Volumnia.
Il est trop endurci,
Je le sçaysais, je le sçaysais, il a jusques794 icyici,
Les Dieux m’en sointsoient tesmoinstémoins, honoré sa patrie
Mille fois plus que moymoi et que sa Vergilie795 :
Mais puisque son courroux l’a si avant porté
1300Je n’attenattends plus de luylui qu’une temeritétémérité796,
Qu’un mesprismépris orgueilleux : c’est sa façon commune797,
Mais toutefois tentons avec vous la fortune.
Jettons nous Jetons-nous à ses pieds, le coeur me va serrant,
Vergilie.
Là ma DameMadame, courage.
Volumnia.
Une froide sueur destrempedétrempe mon visage :
Mon genou dessoubsdessous moymoi tremblote799 descharnédécharné800,
Et mon chef va penchant contre bas prosterné801.
Dirige bien mes pas ma guide plus fidellefidèle :
1310Car mes yeux sont sillezcillés d’une nuictnuit eternelleéternelle802.
Conduy-moyConduis-moi tastonnanttâtonnant : quel bruit enten-jeentends-je icyici ?
Suis-je vers Marcius ?
Vergilie.
Madame, le voicyvoici.
Coriolanus.
--- 54 ---
Quel nouveau accident803 vous guide icyici mes dames ?
Volumnia804.
Ha ! Coriolanus, noznos habits et noznos larmes
1315Parlent assez pour nous, ils te font assez veoirvoir
Quel est le crevecoeurcrève-coeur805, quel est le desespoirdésespoir
Qui nous porte806 vers toytoi807 et quelle est nostrenotre vie
Et noznos façons808 depuis ta fascheusefâcheuse sortie809.
Ô PhoebusPhébus tout voyant810, dèzdès là-haut811 voidsvois-tu bien
1320Un malheur icyici bas pour comparer au mien ?
QuoyQuoi ? Survivre l’honneur de ma cherechère patrie812
Ou entendre bientostbientôt la perte de ta vie813 ?
Non, je n’attendrayattendrai point l’une ni l’autre fin :
J’avancerayavancerai le cours d’un trop fascheuxfâcheux destin814.
1325Las815 ! VerrayVerrai-je tousjourstoujours cestecette cholerecolère extremeextrême
Bouillir dedans ton sang et t’osterôter de toy mesmetoi-même816 ?
J’ayai porté817 dèzdès longtemps818 la perte de mes yeux819
Trop impatiemment820 : mais que pleustplut ore821 aux Dieux
Que j’eusse encor822 perdu avec iceux l’ouyeouïe !
1330Las823 ! Je n’eusse entendu cestecette tienetienne furie824,
Ton ire inexorable825 et les seditionsséditions
Que tu vas pratiquant aux autres nations826 :
Te couvrant d’un manteau d’une juste querelle
Pour pouvoir assouvir ta vengeance cruelle827.
1335Que te manque ilmanque-t-il plus, n’es-tu pas bien vengé
D’avoir tes citoyens à ton vouloir rengérangé828,
DestruitDétruit leurs alliés829 ? Ton haine830 est immortelle
Le peuple et le SenatSénat à Rome te rappelle831.
Coriolanus.
--- 55 ---
Qu’ils gardent leur rappel : je n’ayai que faire d’eux.
Volumnia.
1340Le ciel d’eternitééternité832 s’oppose aux orgueilleux.
Coriolanus.
L’orgueil m’y conduit833, par les Dieux je t’atteste834.
Volumnia.
Qui t’y a donc poussé ?
Coriolanus.
Un affront manifeste.
Que servent ces propos ? Vous sçavezsavez bien le tort
Qu’ils m’ont fait pourchassanspourchassant ma ruïne835 et ma mort ?
1345PourquoyPourquoi m’empeschez vousempêchez-vous d’en avoir la vengeance ?
Volumnia.
Mais pour l’amour de moymoi, perds-en la souvenance836.
Coriolanus.
AymezAimez-vous mieux ma mort, que de mes ennemis837 ?
Volumnia.
Ce sont tous tes parensparents, ce sont tous tes amis :
Ha Coriolanus, ma cherechère genituregéniture !
1350Embrassant tes genoux838, ores839 je te conjure
Par ces cheveux grisarsgrisards, par ce poil argenté,
Par ce ventre qui t’a neuf mois entiers porté,
Par ces bras descharnezdécharnés et par cestecette poitrine
Que tu as tant pressée d’une lèvre enfantine840,
1355D’appaiserapaiser ton courroux et cesser ton effort,
EschangeantÉchangeant cestecette guerre en un paisible accord.
Quel plaisir auras-tu nous voyant en alarmes841 ?
Coriolanus.
--- 56 ---
Sont eux842, qui ont causé que j’ayai levé les armes,
Sont eux qui l’ont voulu, et qui m’ont là rengérangé843,
1360Madame, c’est trop tard. Car j’ayai ja844 engagé
Mon honneur et ma foyfoi845. Que je perde la vie
PlutostPlutôt qu’on voyevoie en moymoi aucune perfidie846.
Ce que vous demandez n’est pas en mon pouvoir.
Ceux cyCeux-ci ne sont contraints de suivre mon vouloir,
1365Si je vavais procurant leur honte et leur dommage847.
Volumnia.
Non, tout ce que je veux est à leur avantage.
Coriolanus.
Que demandez-vous donc ?
Volumnia.
Le repos848 des Romains,
Et une heureuse paix.
Coriolanus.
Elle est entre vozvos mains.
Ils demandent la paix : mais ils ne veulent rendre
1370Ce que d’eux justement Antium peut prétendreprétendre.
Il faut venir au point849 où bientostbientôt l’on verra
Duquel costécôté des deux fortune tournera850.
Ce n’est rien pour le droit d’entendre une partie851.
Qu’on nous concedeconcède aussi un droit de bourgeoisie852,
1375AinsyAinsi comme aux Latins853 : puis nous voilavoilà d’accord854 ;
Autrement, ils verront qui sera le plus fort,
Et à qui le premier deffaudra le courage855 :
Pour mon particulier856, mon devoir m’y engage,
Ma charge m’y contraint857 ; ou bien je veux mourir,
--- 57 ---
1380Ou jusque aujusqu’au dernier point mon devoir maintenir858.
Volumnia.
QuoyQuoi ? J’aurayaurai enfanté une ingrate viperevipère859
Qui rongerayrongerait naissant le ventre de sa meremère ?
AinsyAinsi comme Hecuba860, j’ayai produit un flambeau,
Comme PasiphaëPasiphaé quelque monstre nouveau861.
1385Ô enfant monstrueux862, n’as-tu donc point de honte
De paroistreparaître à mes yeux, faisant si peu de compte863
De celle qu’à bon droit tu devroisdevrais honorer,
MesprisantMéprisant mes propos qui devrointdevraient t’estonnerétonner864 ?
Tu n’as sucçésucé mon sang, il n’a rien de semblable :
1390Tu as estéété nourrynourri d’un tygretigre irraisonableirraisonnable.
Mais puisque ta fureur et ton vouloir mutin
Ne se peut865 apaiser et n’a point d’autre fin
Sinon de866 supprimer le los867 de ta patrie,
Privant tes citoyens et d’honneur et de vie,
1395Sus commence par moymoi et ouvre ce costécôté868
De ton fer parricide : il l’a bien mérité
Puisqu’il nous a produit un monstre en la nature869,
Un vautour carnassier870 qui veut pour sa pasturepâture
Le sang de ses amis, un cruel sans pitié,
1400Sans respect neni des Dieux, neni de toute amitié.
Pour ce faire il me faut passer dessus le ventre871 :
C’est ton plus court chemin, c’est par là où l’on entre
Dans Rome triomphant : ensanglante tes mains
Tant avides de sang sur ces petispetits Romains872.
1405J’aurayaurai donc enfanté une peste commune873,
Un nauffragenaufrage874 public, une haine ou rancune,
Enfant de NemesisNémésis875, un immortel courroux ?
--- 58 ---
Vergilie.
Un barbare PelopsPélops876 seroitserait plus exorable877
1410Un tygretigre moins cruel, un ours plus pitoyable878.
Ce n’est plus Marcius, il n’en a que le nom,
Puisqu’il va preposantpréposant879 sa propre passion
Au bien de son pays, à sa meremère, à sa femme :
C’est un monstre sans coeur, un fantosmefantôme sans ameâme.
1415La pitiepitié, les respects, ne le peuvent toucher :
Il a estéété conceuconçu dans les flancs d’un rocher880,
Qui n’aymeaime estantétant ayméaimé ne meritemérite qu’on l’aymeaime881.
Volumnia.
Mais ne fayfais rien pour nous : je te prie par toy mesmetoi-même,
Par ce qui t’est plus cher, par tes faictsfaits genereuxgénéreux,
1420Qui rendront à jamais ton nom victorieux
Sur la mort et le temps, ma cherechère genituregéniture,
Ne force désormaisdésormais les loixlois de la nature882 :
Valeria.
Ha Monsieur, la valleurvaleur
A tousjourstoujours pour compagne une humaine douceur884.
Volumnia.
Que ne nous respondsréponds-tu ?886 Mais voyez comme il dort887 !
Sus donne promptement ou l’arrestarrêt888 de ma mort
--- 59 ---
DesjaDéjà trop paresseuse889, ou celuycelui de ma vie :
1430Je ne survivraysurvivrai point les miens neni ma patrie.
J’ayai l’ameâme en trop bon lieu890 : mais di-moydis-moi, penses-tu
La vengeance estreêtre propre aux hommes de vertu891 ?
Tu poursuis les ingrats et plus qu’une viperevipère892,
Tu l’es, ô Marcius, toy mesmetoi-même envers ta meremère :
1435Tu nous as cher vendu893 les torts que l’on t’a faictsfaits :
Mais tu ne m’as encor894 recognureconnu les biens faictsbienfaits895,
Je devroydevrais sans contrainte impetrantimpétrant ma priereprière896,
Par ma seule presenceprésence appaiserapaiser ta cholerecolère.
Mais puisqu’il n’est ainsyainsi, mes mignons897, quant à nous
1440Pour la seconde fois898 embrassons ses genoux :
Et ne nous levons plus qu’il ne le nous commande,
Et qu’il n’ayeait accordé nostrenotre juste demande.
Coriolanus.
Madame, levez-vous. Las899 ! Que m’avesavez-vous faictfait ?900
Vous triomphez de moymoi : car vous m’avez deffaictdéfait901.
1445Ô que cestecette victoire est pour vous glorieuse :
Mais pour moymoi, vostrevotre enfant, funeste et malheureuse :
Seule vous m’aurez donc sans armes combatucombattu
Et par vozvos tristes pleurs mon courage abatuabattu ?
Ha Madame, en rendant à maints hommes la vie,
1450Par un mesmemême moyen, la mienne m’est ravie902 !
Mais j’aymeaime bien mourir en vozvos commandemenscommandements.
Vos vouloirs, vozvos désirs, sont mes contentemenscontentements.
Rome honore Romule, il l’a premier fondée :
Mais elle vous doit plus, vous l’avez conservée903.
1455Vous m’avez combatucombattu, non eux904, par vozvos propos :
--- 60 ---
Parachevez905 vozvos jours en paisible repos :
Pendant que loin de vous, des miens, de ma patrie,
Je trameraytramerai906 le cours de ma lugubre907 vie.
À DieuAdieu Madame à Dieuadieu, d’un à Dieuadieu eterneléternel.
1460À DieuAdieu ma Vergilie, à Dieuadieu petit Metel,
À DieuAdieu Fabritius908, la fortune prospereprospère
Vous soit autant qu’elle est contraire à vostrevotre perepère909.
Qu’on trousse le bagage910 avant le point du jour911,
Je ne veux faire icyici plus longtemps mon sejourséjour :
1465Il faut demain partir, au son de la trompette :
Que la cavalleriecavalerie se rengerange à ma cornette912,
Les pietonspiétons913 aux drappeauxdrapeaux, chacun à son devoir :
Je sçaysais qu’il ne faut point poursuivre au desespoirdésespoir
Son ennemi forcé914. D’autant qu’une infortune
1470Ainsi comme aux vaincus aux vainqueurs est commune915.
Volumnia.
Courage Marcius, que tousjourstoujours puisses-tu
Moissonner en repos916 les fruictsfruits de ta vertu.
Pour rendre un tel bien faictbienfait, si je n’ayai la puissance,
Que les Dieux pour le moins t’en donnent recompenserécompense917,
1475Qu’ils facentfassent prospererprospérer le cours de tes labeurs918,
Qu’ils ayent919 soingsoin de toytoi, te comblanscomblant de faveurs.
ViVis en espoir920 mon fils, tousjourstoujours le froid borée921
Ne court, tousjourstoujours la mer ne demeure agitée922 :
Après l’hiver survient un printemps gracieux,
1480Le jour suit de la nuictnuit le voile tenebreuxténébreux923.
Pour jamais924 un malheur n’importune noznos amesâmes :
Ton accord925 se fera. Mais quant à nous, mes DamesMesdames,
--- 61 ---
Allons pour ce bien faitbienfait rendre aux Dieux immortels
Un cantique d’honneur, dressons leurdressons-leur des autels :
1485AprestonsApprêtons tous les jours des nouveaux sacrifices,
Pour tousjourstoujours envers nous les maintenir propices926.
Choeur des Antiates927.
Combien dessus nostrenotre ameâme
A de pouvoir la femme,
Nous pouvant esmouvoirémouvoir
1490Et nous faire partir hors de nostrenotre devoir928 !
JuppinJupin929 pour nous surprendre930,
Des cieux la fit descendre :
VenusVénus luylui fit les yeux931,
Et Pithon932 l’anima de propos doucereux933.
Une boiteboîte fecondeféconde934,
FecondeFéconde de tous maux,
D’horreur, de trahison, de soucysoucis, de travaux.
L’homme la voyant belle,
1500D’une fureur935 nouvelle,
Soudain en fut esprisépris,
Et dans les lacs936 trompeurs de ses discours surpris.
Depuis lors ce cordage937
Nous détient en servage,
1505Et soubssous ce joug facheuxfâcheux938
Sont rendus à jamais les hommes et les Dieux939.
JuppinJupin pour une amie940
--- 62 ---
DelaisseDélaisse l’ambrosieambroisie941,
Et il se change encor942
1510Tous les jours en toreautaureau, en un cignecygne, ou en or943.
Rendit son nom infame,
Par un labeur nouveau,
Quand faineantfainéant changea sa masse en un fuseau945.
1515Marcius cestecette peste946
T’arrache de la testetête
Le laurier glorieux,
Que nous avions gaignégagné par noznos faictsfaits belliqueux947.
1520En toutes entreprises
NozNos vies aux hasards948
Combattant vaillamment soubssous les faveurs949 de Mars950 ?
Que nous sert que l’aurore,
Qui ce grand tout redore951,
1525Nous aye952 veuvu cent fois
Hors de nostrenotre pays suer soubssous le harnois953 ?
Et qu’un chascunchacun endure
De coucher sur la dure :
Que nous sert que noznos corps
1530SointSoient tous les jours offerts954 à mille et mille morts ?
Si, alors que la gloire
D’une belle victoire
Rend notre nom vainqueur,
Par fraude955 on veut tollir956 le profit et l’honneur.
1535Ton aigle à double testetête957
--- 63 ---
EstoitÉtait, Rome, subjectesujette958
SoubsSous les Volsques guerriers :
Une femme959 nous vient arracher ces lauriers.
Tes superbes phalanges960,
1540Qui aux peuples estrangesétranges961
Ont publié962 ton nom,
Eussent963 porté au front la gloire d’Antium.
Mais quoyquoi ? Elle est trahie :
1545Dessus ses ennemis964,
Et qui sur l’estrangerétranger n’a point son espoir mis.
Une viellevieille MeduseMéduse965
D’une subtile ruse,
A remis au dessusau-dessus,
1550Rome, par ses propos, tes monts sept fois bossus966.
CesteCette victoire heureuse
Aux Romains, dangereuse
Marcius est pour toytoi,
Car ce n’est peu de cas d’avoir faussé sa foyfoi967.
1555La trahison enfante
Une fin violente,
TousjoursToujours l’on voidvoit de près talonner le meffaictméfait968.
ACTE CINQUIEMECINQUIÈME
--- 64 ---
Catius969.
Je l’avoyavais bien preditprédit que quelque grand poison
1560Se calloitcallait970 soubssous le miel971 de cestecette trahison :
J’avoyavais assez preveuprévu que cestecette grande armée972
Se rompant973 d’elle mesmeelle-même en iroitirait en fumée974,
Tout ainsyainsi comme on voidvoit un brouillard s’esleverélever
Dessus le point du jour975, puis soudain s’avalleravaler976,
1565Se dissiper en rien et tomber en rosée
SoubsSous les rais977 du soleil. Ô dure destinée !
Je pense qu’Apollon978 endurcissant vozvos coeurs979
A rendu mes propos veritablesvéritables, menteurs980.
On dit qu’anciennement981 à Cassandre s’amie982
1570Il donna pour gagner son coeur de prophetieprophétie
L’irrévocableirrévocable don983, mais voyant sa durté984
Et son bien faictbienfait forclos du loyer meritémérité985,
Ne luylui pouvant osterôter ce presentprésent estimable,
D’autant qu’un don des Dieux est tousjourstoujours perdurable986,
1575Fit que tous ses propos paroissointparaissaient mensongers,
Et ainsyainsi comme un songe987 ils s’escoulointécoulaient légerslegers988.
Elle avoitavait beau crier sur le port en furie989
Quand ParisPâris s’embarquoitembarquait pour vollervoler990 l’Achaïe991,
« Ah mon frerefrère ! Où vas-tu ? Tu nous ramenerasramèneras
1580Quant à toytoi un flambeau992 : tu nous consumeras993. »
--- 65 ---
Elle avoitavait beau à dire, errante eschevelléeéchevelée,
Au travers des remparsremparts de sa ville abusée994,
Lors995 que ses citoyens996 trop superstitieux997
TirointTiraient dedans leurs murs ce cheval monstrueux998 :
1585« Messieurs, que faictesfaites-vous ? Ce monstre-cyci enserre999,
Non comme vous pensez1000, la fin de cestecette guerre :
Ouvrez ces flancs cavezcavés1001, les Grecs y sont enclos1002 » ;
C’est parler aux rochers1003, vains furent les propos,
Vains les pleurs, vains les cris, de la prestresseprêtresse folle :
1590MesleeMêlée avec le vent s’escouleécoule sa parole.
Elle n’esmeutémeut en rien les coeurs de ses Troyens :
Tels ont estéété les miens envers les Antiens1004.
Nous confier1005 deçeusdéçus1006 d’une faintefeinte cholerecolère,
D’un reconciliéréconcilié sur la foyfoi mensongeremensongère1007,
1595C’est estreêtre sans raison, c’est estreêtre trop legerléger1008 :
Et c’est faire du loup, comme on dit, le berger.
Sa valleurvaleur nous avoitavait produit1009 une esperanceespérance
Que l’on a veuvu mourir en prenant sa naissance1010.
Reposer nostrenotre honneur dessus noznos ennemis,
1600Et sur un qui desjadéjà perfide1011 à ses amis
AvoitAvait faussé la foyfoi aux siens, à sa patrie1012 :
Qu’appelez-vous cela qu’une pure folie1013 ?
C’est toytoi Tullus, c’est toytoi, qui te laissant pipperpiper1014
Dans un tel changement nous as faictsfait engager,
1605Qui nous as faisfait courir la fortune contraire1015
Et les adversitezadversités1016 d’un homme temerairetéméraire,
D’un muable ProthéeProtée1017, et d’un voillevoile1018 à tout vent
Qui n’a point d’autre but qu’un divers changement.
--- 66 ---
Tullus.
Que Coriolanus a sa foyfoi violée1019
1610Dessus l’autel des Dieux si sainctementsaintement1020 jurée ?
Ô que les hommes sont pervers1021 et mensongers1022 !
Catius.
Cil1023 qui est traistretraître aux siens, l’est bien aux estrangersétrangers.
Tullus.
Il y estoitétait poussé, disoitdisait-il, d’une injure1024.
Catius.
C’estoitétait nostrenotre ennemyennemi.
Tullus.
Ô menteur, ô perjureparjure1025 !
1615Est-ce ainsi que tu veux subjuguer1026 les Romains ?
Catius.
Il en a trèstrès bien eu le pouvoir en ses mains.
Tullus.
Qui l’a donc empeschéempêché ?
Catius.
Les propos d’une femme.
Il s’entend1027 avec eux, et soubssous main1028 il nous trame1029
Quelques lacs cauteleux1030.
Tullus.
Ô Dieux qui l’eusteût pensé ?
1620Mais dy moydis-moi Catius, comme tout s’est passé1031 !
Catius.
DèzDès lors que le SenatSénat sur la trouppetroupe Antienne
LuyLui eusteut donné peu caut1032, puissance souveraine1033 ;
Il nous faictfait battre aux champs1034, et pour nous donner coeur1035,
--- 67 ---
Il est tousjourstoujours premier aux coups et au labeur1036 :
1625Par promesse et par dons, nous hausse le courage1037,
Il nous fait avancer et passant il saccage1038,
Après qu’il nous vidvit tous ensemble ralliezralliés1039,
Les terres des Romains et de leurs alliezalliés1040.
Il va droit à Circes1041, qui presque sans l’attendre
1630Volontairement vient entre ses bras se rendre1042.
Il force en leurs remparts les ToleriniensTolériniens1043 :
Il passe sur le ventre1044 à nos Bolaniens,
De là, il vient camper1045 les murs de Lavinie1046 ;
Mais d’un plus haut desirdésir ayant l’ameâme saisie,
1635Il faictfait lever le camp pour nous encourager,
Et de Rome se vient devant les murs ranger
En esquadronsescadrons quarréscarrés d’une belle ordonnance1047.
Il n’a faute de coeur1048, de conseil, d’asseuranceassurance.
Aux ailes des drappeauxdrapeaux1049, il loge1050 ses archers,
1640À la teste du gros de ses chevaux légerslégers
Il suit au petit pas. Nous voilavoilà en bataille1051
Presque le long du jour1052. Mais quoyquoi ? cestecette canaille1053,
Qui a pris l’espouventeépouvante1054 au lieu de s’en venger,
Se tapit1055 dans ses tours sans en oser bouger.
1645Marcius, qui ne veut cependant leur ruïne1056
Pour n’estreêtre soubçonnésoupçonné tient pourtant bonne mine1057 :
Fait enclore1058 son camp usant de son pouvoir,
Contenant sagement chacun en son devoir1059,
Il envoyeenvoie espierépier1060 en quel point1061 est la ville :
1650Bref, il ne veut permettre une heure estreêtre inutile1062.
Cependant1063 un murmur1064 court parmyparmi la cité
--- 68 ---
L’on n’entend que des cris, l’on voidvoit de tout costécôté
Cent et cent accidents1065 : c’est lors1066 que la noblesse1067
Ne s’en veut point meslermêler et le peuple se laisse
1655Transporter par la peur de ces divisions.
ChacqueChaque jour vont naissansnaissant mille confusions,
Enfin l’on se résout d’eviteréviter cestcet orage
Non de force1068 : ains1069 taschanstâchant d’adoucir le courage1070
De Coriolanus, ils le font rapelerrappeler,
1660PensansPensant par ce rappel tout à coup l’esbranlerébranler1071.
Mais luylui, qui ne veut pas du premier coup se rendre,
Les appelle mutins1072 et ne les veut entendre,
MenasseMenace de raser terre à terre leurs tours1073,
Leur donnant neantmoinsnéanmoins tresvetrêve pour trente jours.
1665PenetrantPénétrant à travers de cestecette tromperie,
Je vyvis tout aussi tostaussitôt dès lors sa perfidie1074 :
Les Romains cependant en cestecette adversité1075
Se sentanssentant redigezrédigés1076 à toute extremitéextrémité1077,
Comme desesperezdésespérés jettent l’anchreancre sacrée1078
1670Et voyansvoyant leur affaire1079 estreêtre tant desploréedéplorée1080
Font sortir leurs devins, leurs sacrificateurs,
Qui n’ont pas le pouvoir d’adoucir ses fureurs.
Les voilavoilà subjuguezsubjugués1081 prestsprêts à poser les armes,
Quand sur le point du jour1082 une troupe de dames,
1675TrainansTrainant l’habit de deuil1083, l’on voidvoit se presenterprésenter
Devant son tribunal1084 ; lors1085 sans plus contester1086,
Il change tout à coup en larmes sa cholerecolère,
DèzDès aussi tostaussitôt qu’il voidvoit et sa femme et sa meremère,
Il descentdescend tout joyeux, et les vient caresser,
--- 69 ---
1680Les sucçersucer, les baiser, et toutes embrasser1087 ;
Sa meremère commença à parler la premierepremière
Mais le voilavoilà vaincu d’une seule priereprière1088.
Son courage abbatuabattu, son vouloir renversé
Son courroux immortel soubssous les pieds terrassé.
1685Et estantétant jajà1089 tout prestprès de venir à la prise1090
Il quitte les desseins1091 d’une belle entreprise,
Il trousse le bagage1092 et au son des clairons
Il nous fait rebrousser1093 chascunchacun dans nos maisons
Lors1094 que noznos ennemis avointavaient perdu courage.
Tullus.
1690Ô grands Dieux immortels ! Ô perfide, ô volage1095,
Ingrat des amitiés qu’en ton adversité
Tu as receureçu de nous ! Avions-nous meritémérité,
Pour t’avoir secouru, un semblable mercedemercède1096 ?
À ce qui est passé, rien n’y sert le remederemède1097.
1695C’en est faictfait, c’en est faictfait : mais, traistretraître, asseure-toyassure-toi
Que ce n’est peu de cas1098 de violer sa foyfoi 1099,
On ne voidvoit rien en toytoi qu’une vicissitude1100,
Et tu vas poursuivant, dis-tu, l’ingratitude,
Puis te jactant1101 encor1102 d’un acte malheureux,
1700Tu t’oses présenter, effronté, à noznos yeux1103,
Ô tirantyran cauteleux1104 ! SoubsSous le nom de service1105,
Tu nous vas preparantpréparant un soudain precipiceprécipice1106.
Ainsi le plus souvent du subtil hameçon
Hors de son elementélément est tiré le poisson1107.
1705Ne voidsvois-tu, Catius, comme il est en la gracegrâce1108
Pour estreêtre un grand causeur de cestecette populace1109 ?
--- 70 ---
Nous ne sommes plus rien, luylui seul a tout pouvoir :
Il nous supprimera. Mais il y faut pourveoirpourvoir1110.
L’occasion1111 nous met dedans noznos mains sa vie,
1710Il ne faut point laisser cestecette faute impunie.
Accusons-le de crime1112 et monstronsmontrons au SenatSénat
Qu’il est homme à tout vent1113, et que perfide il a
Contre tous les statuts1114 de la loyloi militaire1115,
Fortune luylui mettant en main son adversaire,
1715DesjaDéjà à demyà demi submissoumis dessoubsdessous noznos estandartsétendards1116,
Fait deslogerdéloger son camp de devant leurs remparts :
Qu’il s’entend avec eux1117, cela est vray semblablevraisemblable1118.
Catius.
Il est en ces discours, tu le sçaissais, admirable,
Beau diseur, eloquentéloquent1119 : il peut par ses propos
1720Enchantant1120 le SenatSénat troubler nostrenotre repos1121.
Tullus.
Il le faut prevenirprévenir1122, et troublant l’audience1123
En tirer sur les lieux1124 une prompte vengeance.
Qui osera lever le front après sa mort1125
Et nous tirer en droit1126 pour luylui avoir fait tort ?
1725Finissons tout d’un coup1127 son discours et sa vie :
Mais je le voyvois venir1128 : va-t’en, je te supplie,
Amasser1129 le SenatSénat, je m’en vayvais après toytoi 1130.
Ha Coriolanus ! Est-ce donc là la foyfoi 1131,
La foyfoi que tant avoisavais et tant de fois promise1132 ?
1730Est-ce donc là le but de ta belle entreprise ?
Est-ce le loyer1133 deudû aux soldats Antiens,
Qui trop credulescrédules ont confié en tes mains
--- 71 ---
Leur honneur et leurs biens ? Qui couranscourant ta fortune1134,
Lorsqu’elle t’a estéété adverse et importune1135,
1735Pour toytoi n’ont espargnéépargné leurs vies neni leur sang,
Te donnansdonnant dessus eux d’honneur le premier rengrang ?
Ô Dieux ! Qu’il est fâcheuxfâcheux de lire au fond d’une ameâme
D’un signe1136 exterieurextérieur quel dessein elle trame1137 !
D’une douceur souvent s’emmieleemmielle le poison1138 :
1740Dans un simple maintien1139 loge la trahison.
Souvent de beaux propos la discorde1140 est couverte,
Et le serpent mussé1141 au fond de l’herbe verte.
J’y suis estéété trompé, pour toytoi j’ayai engagé
Mon honneur et ma foyfoi 1142. N’es-tu pas bien vengé,
1745Pour avoir des Romains une injure1143 receuereçue ?
Penses-tu ta menace1144 estreêtre à nous incognueinconnue ?
Nous voyons au travers de tes conceptions1145 :
Mais responréponds, je te prie, paye-nous de raisons1146.
PourquoyPourquoi ne suivoissuivais-tu le point1147 de ta conquesteconquête,
1750Lors1148 que tes ennemis allointallaient baissansbaissant la testetête
Sans oser se monstrermontrer ? Que ne les forçoisforçais-tu1149 ?
Ce qui est esbranléébranlé1150 est desjadéjà combatucombattu1151.
PourquoyPourquoi fis-tu lever le camp, lors que ta ville
PloyoitPloyait1152 desjadéjà le dos dessoubsdessous un joug servile
1755Et nous tendoittendait les bras ? Tu t’entensentends avec eux.
Puis tu nous vas paissant1153 de propos doucereux1154.
Mais, qui ne voidvoit à l’oeil quelle est ta perfidie ?
Tu auras une fin convenable à ta vie1155.
Croy-moyCrois-moi, je te mettraymettrai bientostbientôt au repentir1156.
Coriolanus.
--- 72 ---
1760Et moymoi je te ferayferai et mourir et mentir1157.
Non, il n’est pas en toytoi 1158 d’osterôter de la memoiremémoire
De la posteritépostérité1159 mes labeurs et ma gloire.
Il n’est en ton pouvoir de pouvoir supprimer
Ou augmenter mon los1160. Tout ainsyainsi que1161 la mer
1765Ne se va point haussant pour toutes les rivieresrivières,
Et les fleuves qui vont finissansfinissant leurs carrierescarrières
Dedans son moite seingsein1162. Car contre les Romains
J’ayai trop1163 plus faictfait que toytoi, nyni tous les Antiens1164.
Et au lieu d’un honneur, j’en encourencours1165 une honte :
1770Mais ce n’est pas à toytoi que je doydois rendre compte1166,
Si j’ayai bien ou mal faictfait, chacun sçaitsait son pouvoir1167,
Par ainsyainsi contien toycontiens-toi aux bornes du devoir1168.
Tullus.
VienViens respondrerépondre1169 au SenatSénat des effectseffets1170 de ta charge1171,
Et aux crimes desquels chacun de nous te charge1172 :
1775VienViens t’en justifier.
Coriolanus.
Penses-tu que la peur,
Pour estreêtre menassémenacé1173, se campe1174 dans mon coeur ?
Non, pour si peu de cas ne s’abbatabat mon courage :
Je demeure invincible au milieu d’un orage,
Tout ainsyainsi comme on voidvoit dans le flot mutiné1175
1780Un rocher esleverélever son chef1176 environné
D’une onde, qui tousjourstoujours contre luylui pirouette1177,
Constamment menassermenacer les nues1178 de sa testetête1179.
Propose1180 seulement, allons, despesche toydépêche-toi :
Le droit et la raison parlent assez pour moymoi1181.
--- 73 ---
Tullus.
1785Si j’ayai, PeresPères conscriptsconscrits1182, quelque foisquelquefois trop credulecrédule
EslevéÉlevé à vozvos yeux, comme un nouveau Hercule1183,
Marcius, enchanté du miel de ses propos1184,
L’amour de mon pays, le publicque1185 repos1186,
Et le desirdésir de veoirvoir hors d’un joug tributaire1187
1790Ma natale Antium, m’ont forcé de ce faire :
Et c’est ce mesmemême amour duquel je suis contrainctcontraint,
Mais par trop tard, hélas, d’accuser ce Romain1188,
Où1189 je souloysoulais1190 fonder ma plus seuresûre esperanceespérance,
De trahison vers1191 vous, et d’une intelligence1192
1795Avec les ennemis. Que1193 sert un long discours ?
La tresvetrêve qu’il leur a donné pour trente jours,
Son retour inconstant, la fin de cestecette guerre,
L’accusent desjadéjà trop : ô homme temerairetéméraire1194 !
Ô perfide, ô ingrat ! Qui l’eusteut jamais pensé ?
1800Entendant le discours qu’il avoitavait pourpensé1195,
Lorsqu’il me vint en dueildeuil en mon fouyerfoyer attendre
Se jetterjeter à mes pieds, me suppliant de prendre
Pitoyable en mes mains sa vie, et son honneur1196.
Où est, dydis Marcius, ce desirdésir, qui vengeur
1805BouillonnoitBouillonnait dedans toytoi ? Lorsque fondant en larmes
Tu me dis1197 : « Ô Tullus, si en levant les armes
Tu n’as point de vouloir d’encor1198 un coup tenter
Le sort en me donnant moyen de me venger1199 :
VoicyVoici ton ennemyennemi, fuyfuis1200 je te supplie
1810Par un mesmemême tormenttourment1201 ses malheurs et sa vie.
Je veux jusque àjusqu’à la mort vostrevotre droit soustenirsoutenir1202,
--- 74 ---
Et combatantcombattant pour vous ou bien vaincre ou mourir. »
Ainsi soubssous le manteau d’une cauteleuse ire1203
Ce miroir1204 d’amitié, le valereuxvaleureux Zopyre
1815Soumit soubssous le Persan le BabilonienBabylonien1205.
Ce sont tes lacqslacs1206 tendus et c’estoitétait le moyen
Duquel, nous endormant, tu nous taschoistâchais surprendre1207
Par tes discours fardezfardés1208, et, surpris1209, nous cher vendre1210
L’erreur de nous avoir appuyé sur ta foyfoi 1211 :
1820Tel estoitétait ton dessein. Mais ingrat, respon-moyréponds-moi,
Si avec les Romains tu n’as intelligence,
Puisque tu ne parloisparlais que de tirer vengeance
D’un tort receureçu : pourquoypourquoi, n’as-tu pas faictfait leur sang
Regorger1212 en leur place ainsi comme un estangétang ?
1825L’occasion1213 t’ouvrant les moyens de ce faire,
Que n’as-tuas-tu esgaléégalé leurs remparts à la terre ?
ManquoisManquais-tu en beliersbéliers, en soldats, en pouvoir ?
QuelcunQuelqu’un de nous est-il sorti de son devoir ?
N’avoisavais-tu pas sur nous souveraine puissance ?
1830Ne t’a ona-t-on pas rendu entiereentière obeyssanceobéissance ?
Que ne nous faisoisfaisais-tu entrer victorieux
Dedans Rome, honorant d’un laurier glorieux
Immortel à jamais ceux desquels l’esperanceespérance
Plus ferme1214 se fondoitfondait sur ta seule vaillance1215 ?
1835Et qui te supportant1216 en ton adversité
T’eslevoitélevait au plus haut d’une prosperitéprospérité1217.
Te laissant emporter1218 aux prieresprières des dames,
Perfide aux Antiens, tu poses bas1219 les armes.
Tu fais lever le camp, quand tu vois ta cité
--- 75 ---
1840ReduitteRéduite au dernier but de toute extremitéextrémité1220.
Qui est celuycelui à qui ta trahison couverte1221,
DessoubsDessous un voile feint, n’est clairement ouverte ?
Nous penses-tu encor1222 par propos esbranlerébranler1223 ?
Catius.
C’est un traistretraître, un mechantméchant, il ne s’en peut laver1224 :
1845Nous sommes tous tesmoinstémoins de ses faictsfaits, de sa vie.
Le Consul.
Bien, mais il faut ouïr l’une et l’autre partie1225.
Vous avez proposé1226 : et toytoi, que respondsréponds-tu ?
D’autant qu’un tel faictfait doit estreêtre bien debatudébattu.
Coriolanus.
VenerableVénérable SenatSénat, d’une immortelle envie
1850De toute eternitééternité la vertu est suivie :
Depuis le sieclesiècle d’or1227 les hommes genereuxgénéreux1228
À fortune, aux meschansméchants, sont tousjourstoujours odieux1229.
Je vous prenprends à tesmoinstémoins, vous qui dans nos pensées,
Ô Dieux, allez lisanslisant les choses plus cachées,
1855Que jamais je n’ayai eu rien si cher que l’honneur
Des soldats Antiens, et que pour la faveur
Que les Volsques m’ont fait, jamais l’ingratitude
Ne m’a touché le coeur d’une vicissitude1230.
Vous avez assez veuvu, ô cieux, ô justes cieux,
1860Quel a tousjourstoujours estéété mon amour envers eux.
Mais tu as proposé1231, Tullus, que mon voyage1232,
Au lieu de quelque fruictfruit1233, leur produictproduit un dommage :
C’est le laurier duquel me veux récompenser,
J’ayai faictfait ce que jamais tu n’as osé penser :
--- 76 ---
1865Ma gloire t’a plongé dans une jalousie1234
Qui te faictfait envieux attenter1235 à ma vie.
Pour preuve, n’ayai-je pas les ToleriniensTolériniens,
Circes, Lavinium1236, que j’ayai mis en leurs mains ?
Qui plus1237, j’ayai contraint Rome, à tout autre indomptable1238,
1870De recercherrechercher de moymoi1239 un accord honorable1240
Aux Volsques : je m’entenentends avec les ennemis
Si l’on croit tes propos ; pourquoypourquoi ayai-je donc mis
Les lieux où j’ayai passé et à sang et à flammes ?
Mais je me suis laissé emporter par des femmes ;
1875OuyOui par la raison1241. Non non, il ne faut point
En une extremitéextrémité reduireréduire au dernier point1242
L’ennemyennemi. Ne sçaissais-tu combien les inconstances
De fortune muable ont sur nous de puissances ?
Je n’apprendrayapprendrai de toytoi que c’est de mon devoir1243.
Tullus.
1880QuoyQuoi ? Les Romains estointétaient desjadéjà soubssous ton pouvoir :
Ils estoientétaient ja1244 vaincus, nous avions l’avantage1245.
Coriolanus.
Ce peuple, tu le sçaissais, n’a si peu de courage1246 :
Que demandesdemandez-vous plus qu’un honorable accord ?
Tullus.
Ha meschantméchant, s’accorder quand on est le plus fort1247 !
1885Girouette à tous vents1248, larron1249 de nostrenotre gloire.
Coriolanus.
Une honnorablehonorable paix vaut mieux qu’une victoire.
Catius.
--- 77 ---
QuoyQuoi, traistretraître, oses-tu bien te monstrermontrer à noznos yeux ?
Ô ingrat : mais voyez qu’il est audacieux !
Coriolanus.
Entendez1250 moymoi parler.
Le Consul.
Tout beau, faites silence.
Tullus.
1890Il fait du resolurésolu1251.
Coriolanus.
Donnez moymoi audience :
Avant qu’estreêtre jugé, entendez ma raison1252.
Catius.
De quel masque1253 veux-tu voiler ta trahison ?
Coriolanus.
Sommes-nous au SenatSénat1254 ? Faictes moyfaites-moi la justice.
Catius.
Penses-tu par la langue1255 éviteréviter le supplice ?
Tullus.
1895Il corrompra le peuple : il le faut prevenirprévenir1256.
À mort !
Catius.
À mort ! À mort !
Tullus.
Ha traistretraître, il faut mourir1257 !
Tullus.
Va, va devant Minos1260 disputer ta querelle1261.
Ainsi puissent perirpérir tous ceux qui comme toytoi,
1900Perfides fausseront leur honneur et leur foyfoi 1262.