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Coriolanus

par Pierre Thierry Sieur de Mont-Justin (1600)
  • Mémoire-édition de Coline Bergot sous la direction de Julien Goeury (Paris Sorbonne, 2021-2022)
  • Transcription, Modernisation et Annotation : Coline Bergot
  • Encodage : Milène Mallevays
  • Relecture : Julien Goeury, Jérémy Sagnier, Nina Hugot et Milène Mallevays

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TRAGEDIETRAGÉDIE
DE CORIOLANUS,

DEDIÉE À TRESTRÈS ILLUSTRE ET

vertueuse Princesse Diane de Dompmartin

Marquise d’Aurech, Comtesse

De Fontenoy, Baronne de Fenestrange,

Princesse du SainctSaint

Empire.


PAR PIERRE THIERRY SIEUR
De Mont-Justin.

À PONTOYSEPONTOISE
M. D C.1600

I. Pierre Thierry, sieur de Mont-Justin, auteur méconnu

A. De rares pistes biographiques

Pierre Thierry, sieur de Mont-Justin, est un auteur énigmatique. Sa vie nous est presque entièrement inconnue, en dehors des rares éléments biographiques que nous suggèrent les pièces liminaires qui accompagnent les oeuvres, elles aussi peu nombreuses, qui nous en sont parvenu. Les informations biographiques que nous présenterons ici sont pour la plupart des déductions, des hypothèses, et sont donc à considérer avec prudence. L’orthographe même du nom de l’auteur ne semble pas fixée. Parmi les oeuvres auxquelles nous avons eu accès pour ce travail, on trouve aussi bien « Mon-Justin » que « Mont-Justin » ou encore « Montjustin »1. La graphie « Mont-Justin » nous parait la plus appropriée : le trait d’union est présent dans la majorité des cas ; quant à la préférence pour « Mont » plutôt que « Mon », nous y reviendrons un peu plus tard.

D’après les diverses pièces liminaires présentes dans les oeuvres de Pierre Thierry, il semble qu’il ait bénéficié de la protection d’une famille de la noblesse lorraine, et plus particulièrement de Diane de Dommartin à qui il dédie à la fois sa Tragédie de Coriolanus ainsi que La chaste Iolande. Par son premier mariage avec Jean-Philippe de Salm, proche des Guise, mais surtout par son second mariage avec Charles-Philippe de Croÿ, duc d’Havré, fait prince du Saint Empire par Rodolphe II et donc proche des Habsbourg, Diane de Dommartin gravite parmi les sphères les plus puissantes des pouvoirs catholiques du XVIe siècle ; il est donc tout à fait possible qu’elle ait eu une activité de mécène dont aurait bénéficié Pierre Thierry. Toutes ses oeuvres connues sont en tout cas dédiées, sinon à Diane, à des membres de sa famille : les Œuvres premières sont adressées à Charles-Philippe de Croÿ, le Cimetière d’amour à leur fils Charles-Alexandre de Croÿ et la tragédie de David persécuté à « Barbe de Salm, abbesse de Remiremont » qui faisait partie de la famille du premier mari de Diane, Jean Philippe de Salm. D’après ces informations sur la famille de Diane de Dommartin, nous émettons l’hypothèse que Pierre Thierry, sieur de Mont-Justin, puisse être originaire du village de Montjustin-et-Velotte, en Haute-Saône actuelle, assez proche des domaines de Fontenoy et de Fénétrange dont Diane est respectivement Comtesse et Baronne. Nous favorisons la graphie « Mont-Justin », plutôt que « Mont-Justin », afin d’être en cohérence avec cette supposition. L’appellation « Sieur » par ailleurs, ne garantit pas qu’il soit issu de la noblesse.

En dehors de ces quelques informations, la publication en 1601 des Œuvres premières du sieur de Mon-Justin, ouvrage dans lequel est publiée la Tragédie de Coriolanus et qui semble compiler une partie de ses oeuvres poétiques et théâtrales, peut peut-être suggérer que Pierre Thierry a atteint à cette date un âge assez avancé car la publication des oeuvres premières des auteurs a tendance à intervenir à la fin de leur vie, ou du moins quand leur carrière est déjà bien entamée.

Concernant d’autres occupations possibles que celles de poète et dramaturge, Terence Allott affirme dans sa préface au Coriolan d’Alexandre Hardy, plus tardif, que Pierre Thierry aurait été soldat engagé dans les combats contre l’empire Ottoman : « Soldat lui-même, ayant combattu contre les Turcs, il se plaît à évoquer Coriolan sur le champ de bataille. »2. Cette affirmation n’est cependant confirmée par aucune source indiquée par Terence Allott et rien ne le confirme avec certitude. Néanmoins, La chaste Iolande raconte l’histoire d’amour entre Floridan, un soldat français qui combat contre les Turcs, et Iolande, la fille du pacha, ce qui confirme au moins que les combats contre les Turcs dans le cadre des guerres ottomanes sont bien connus de Pierre Thierry. Il n’est alors pas impossible d’imaginer qu’il ait été soldat, au sein de la Sainte Ligue de 1571 créée sous l’impulsion du pape Pie V ou pendant la Longue guerre qui commença au début des années 1590 et dans laquelle les puissances européennes, y compris le roi du Saint-Empire romain germanique Rodolphe II, s’allièrent contre l’Empire ottoman avec l’aide du pape Clément VIII. La famille de Croÿ étant assez proche du Saint-Empire et des grandes puissances catholiques européennes, il est possible que Pierre Thierry ait pris part à cette guerre. La dédicace qu’il fait à Diane de Dommartin dans la Tragédie de Coriolanus semble valider l’hypothèse d’une carrière militaire et suggère même une éventuelle blessure subie par le poète qui affirme que « Mars [lui] a quelque fois esté peu favorable ».

L’éventuelle participation à ces guerres aux airs de croisade contre l’Empire ottoman confirmerait la foi catholique de Mont-Justin. En effet, étant l’auteur à la fois d’une tragédie à sujet antique, la Tragédie de Coriolanus, et d’une pièce à sujet biblique, David persécuté, la question de ses convictions religieuses semble se poser de façon légitime. Nous l’avons vu, Pierre Thierry était a priori protégé par une famille catholique très proche des principaux représentants du catholicisme en Europe, comme la maison de Lorraine et la famille de Guise, les rois du Saint Empire Germanique et le roi d’Espagne Philippe II. Ainsi, il semble difficile d’imaginer qu’il ait été protestant et il faut sans doute expliquer sa tragédie de David persécuté, datée de 1600, par la progressive appropriation des sujets bibliques par tous les auteurs, et plus seulement par les auteurs protestants qui ont été très majoritaires à les traiter pendant de nombreuses années. On trouve cependant au musée Carnavalet un recueil d’illustrations protestantes3 qui a appartenu à des membres de la famille de Croÿ, Charles et Philippe. Il est peu vraisemblable que cela indique une possible tolérance envers les protestants de la part d’une famille catholique si puissante aux Pays-Bas et proche du pouvoir espagnol. La possession de ce recueil par des nobles catholiques peut s’expliquer par la relative neutralité des illustrations qui y figurent. La présentation du recueil « au lecteur »4 assure que les gravures se fondent sur les propos de « ceux qui ont esté tesmoins occulaires, et qui ont sans aucune passion, récité fidellement toutes les circonstances », ainsi, la représentation des évènements n'est pas particulièrement marquée par le point de vue des protestants qui sont les auteurs de ce recueil, ce qui permet aux catholiques d’en apprécier aussi le contenu.

En dehors de ces quelques éléments et hypothèses, il est difficile d’en dire plus au sujet de Pierre Thierry, sieur de Mont-Justin, dont le nom, à notre connaissance, n’est mentionné par aucun autre auteur avant d’être redécouvert au XXe siècle. Elliott Forsyth lui consacre un petit développement dans sa grande étude sur la tragédie française de Jodelle à Corneille : selon lui, les deux tragédies que nous a laissées Mont-Justin « indiquent que, s’il n’était pas un écrivain de génie, il n’était pas dépourvu de talent.5 »

B. Son oeuvre de poète et de dramaturge

Les exemplaires des oeuvres de Pierre Thierry qui nous sont parvenus sont très peu nombreux. Il existe une copie de ses Œuvres premières à la British Library6, un exemplaire de La chaste Iolande à la bibliothèque universitaire de Mannheim7 et une copie du Cimetière d’amour conservée à la Bibliothèque nationale de France8. La plus ancienne de ces oeuvres est le Cimetière d’amour, publié en 15979, qui contient un ensemble de pièces poétiques mettant en scène des héros de l’antiquité. Les Œuvres premières du sieur de Mon-Justin imprimées en 1601 reprennent le Cimetière d’amour comme une section de l’ouvrage à laquelle s’ajoute deux autres sections de poésie amoureuse intitulées La Folatre Floris et Les Triomphes d'Amour ainsi qu’une section d’Odes Spirituelles. On y trouve ensuite deux pièces de théâtre datées de 1600, la Tragédie de Coriolanus suivie de la tragédie de David persécuté, dont le sujet, bien que biblique, est traité dans une perspective humaniste, ce qui permet de « détourner l’attention de ces évènements brutaux et de diriger la réflexion vers l’origine morale des péchés de David »10. Ces deux tragédies sont composées de cinq actes, en alexandrins, à l’exception des choeurs qui sont de mètres différents. Enfin, La chaste Iolande, publiée en 1602, est un récit singulier, qui mêle prose, vers, mais aussi dialogues et passages épistolaires et met en scène l’histoire d’amour contrariée de Floridan, soldat français combattant contre les Turcs, et de Iolande, fille du Pacha dont Floridan a tué le frère pendant la bataille.

Ces trois ouvrages, dont il ne reste vraisemblablement pas d’autres copies et qui n’ont sans doute connu qu’un faible tirage11, sont conservés dans trois bibliothèques différentes, de trois pays différents, ce qui n’est pas anodin. La conservation de La chaste Iolande en Allemagne peut s’expliquer par la relative proximité géographique de la ville de Mannheim avec les domaines de la famille de Diane de Dommartin dans l’Est de la France. La localisation du Cimetière d’amour à Paris s’explique probablement par l’histoire de l’acquisition de ce volume qui semble avoir été relié par Chambolle-Duru fils, issu d’une famille de relieurs de la fin du XIXe siècle, puis acheté par le Baron James de Rothschild si l’on en croit le catalogue de sa bibliothèque12. Il est en revanche plus surprenant que le volume des Œuvres premières soit conservé à Londres. Diane de Dommartin et son entourage ont sans doute suivi Charles-Philippe de Croÿ dans ses voyages diplomatiques notamment aux Pays-Bas mais probablement pas en Angleterre où il a été ambassadeur auprès de la reine Elisabeth Ière à la fin des années 157013, soit bien avant l’impression des Œuvres premières. Les déplacements aux Pays-Bas confirmeraient cependant une hypothèse soulevée dans la notice bibliographique du Cimetière d’amour, qui suggère que, malgré l’indication d’une impression faite à Pontoise, l’ouvrage ait été imprimé aux Pays-Bas14. Cette indication d’impression se retrouve d’ailleurs dans toutes les autres oeuvres de Mont-Justin dont nous disposons, mais l’absence systématique de privilège du Roi rend peu probable une impression en France. Une impression aux Pays-Bas serait doublement justifiée, à la fois par l’implantation de la famille de Croÿ mais aussi par le fort développement de l’imprimerie dans ce pays dans lequel de nombreux auteurs, privés de privilège du Roi en France, venaient faire imprimer leurs oeuvres.

II. La Tragédie de Coriolanus

A. Coriolanus : du récit historique au sujet artistique

1. Quel accès à l’histoire de Coriolanus au XVIe siècle ? L’importance des traductions

La Tragédie de Coriolanus s’inspire de l’histoire de Coriolanus qui remonte aux débuts de la République romaine, peu de temps après la chute de Tarquin le Superbe : Caius Marcius, issu d’une famille de patriciens romains, est banni de Rome, après avoir vaillamment triomphé des Volsques à Corioles et remporté le surnom de Coriolanus, pour avoir montré du mépris envers le peuple qui l’accuse de vouloir s’emparer du pouvoir. Révolté par l’ingratitude des Romains, il décide de se rallier aux Volsques, pires ennemis des Romains à ce moment-là, et de déclarer la guerre à Rome pour se venger. Plusieurs délégations romaines tentent de le faire plier en le suppliant de revenir à Rome, sans succès, jusqu’à ce qu’une délégation de femmes menée par sa mère avec sa femme et ses enfants réussisse enfin à le faire renoncer. Dans la plupart des versions rapportées par les anciens, les Volsques, trahis par Coriolanus, le tuent pour se venger.

Son histoire est racontée par divers historiens, latins et grecs. La principale source latine rapportant ces évènements est Tite-Live au livre II de son Histoire romaine (33-40), qui note lui-même l’existence d’un récit de Fabius Maximus qui évoquerait la mort de Coriolanus15. Valère Maxime mentionne également, de façon assez brève, la fin de l’histoire de Coriolanus et notamment le moment où il se laisse convaincre par sa mère et sa femme d’abandonner son entreprise belliqueuse à l’égard de sa patrie romaine (livre V, chapitre 2 ; l’histoire est aussi racontée un peu plus longuement au chapitre 4). Enfin, le chapitre 19 du De viris illustribus urbis Romae d’un pseudo Aurelius Victor retrace rapidement la vie de Coriolanus. Concernant les textes grecs, la source la plus importante est la « Vie de Coriolanus » et sa comparaison avec la vie d’Alcibiade dans les Vies parallèles de Plutarque. Denys d’Halicarnasse dans ses Antiquités romaines constitue une autre source (livres VI à VIII) ; enfin il semble que Dion Cassius dans les livres perdus de son Histoire romaine ait rendu compte lui aussi de l’histoire de Coriolanus. Il reste cependant difficile de déterminer quels étaient précisément les textes grecs et latins dont disposaient les humanistes. On peut cependant affirmer que le texte de Tite-Live était bien connu des lettrés du XVIe siècle, en témoignent les Discours sur la première décade de Tite-Live de Machiavel publiés de façon posthume en 1531. Pour le grec, les textes de Denys d’Halicarnasse circulent à l’époque mais ceux de Plutarque sont conservés au Vatican et il faut donc s’y rendre pour les consulter. L’histoire de Coriolanus ne fait donc sans doute pas partie des textes antiques les plus lus et étudiés par les humanistes.

La donne change toutefois avec le développement des traductions qui prennent une grande importance au XVIe siècle et permettent à la fois de rendre les textes anciens accessibles à un plus grand nombre mais aussi de se livrer à l’exercice de l’imitation des anciens, ce qui contribue à la recherche de modèles de prose qui préoccupe les humanistes français, là où l’Italie a déjà érigé le Décaméron de Boccace en modèle. Ce phénomène s’inscrit dans le cadre de la promotion de la langue française : François Ier lui-même encourage les entreprises de traduction, non seulement en poésie en demandant à Marot de traduire les sonnets du Canzoniere de Pétrarque, mais aussi en prose en commandant à Georges de Selve une première traduction des Vies Parallèles de Plutarque. En 1543, il publie donc une traduction de huit des Vies de Plutarque, dont celle de Coriolanus16. En 1559, Jacques Amyot, l’un des traducteurs français les plus connus et reconnus par ses contemporains, se rend au Vatican et donne à son tour une traduction, intégrale cette fois-ci, des Vies parallèles, qui aura plus d’importance. C’est tout d’abord le style d’Amyot qui en fait une oeuvre remarquable pour de nombreux humanistes ; Montaigne célèbre la « naifveté et la pureté du langage » employé et ajoute : « Nous autres ignorans estions perdus, si ce livre ne nous eust relevez du bourbier : sa mercy, nous osons à cett’ heure et parler et escrire »17. Pour les humanistes, la traduction est moins une translation parfaitement fidèle des textes anciens qu’une imitation visant à en rendre l’esprit, et cela implique parfois l’ajout de gloses pour rendre le récit plus accessible. Le travail de traduction d’Amyot est donc loué pour son style et pour sa clarté, il réussit ainsi à fournir un modèle qui imite les anciens par des moyens syntaxiques propres au français. On remarque notamment que sa traduction porte une forme d’oralité qui correspond au « jugement de l’oreille18 » et qui favorisera l’adaptation au théâtre des histoires comme celle de Coriolanus.

Une autre traduction a peut-être permis de contribuer à refaire surgir le personnage de Coriolanus en tant qu’orateur et stratège militaire : l’ouvrage de François de Belle-Forest qui recense et traduit des harangues militaires, publié en 1573 et qui comprend une traduction des discours de Coriolanus à partir du récit de Denys d’Halicarnasse19. On y retrouve ainsi trois discours prononcés par Coriolanus, le présentant à la fois comme un orateur efficace mais aussi un homme déterminé et implacable.

2. L’intérêt nouveau pour le personnage de Coriolanus à la fin du XVIeet au début du XVIIe siècle

En parallèle de ces traductions d’Amyot, qui rendent les textes anciens, particulièrement les textes grecs, plus accessibles, semble émerger un réel regain d’intérêt pour le personnage de Coriolanus que l’on retrouve notamment au théâtre et d’abord dans la pièce de Hermann Kirchner, professeur et poète allemand qui écrit en latin et qui publie en 1599 un Coriolanus tragicomica20. Il est le premier auteur à reprendre le motif de Coriolanus au théâtre, et le seul à l’avoir fait au XVIe siècle21. Il s’agit de la seule pièce mettant en scène Coriolanus qui soit écrite en latin, ce qui s’explique par le fait que, à la fin du XVIe siècle, le latin occupe toujours une place très importante dans les lettres et que, par ailleurs, l’allemand n’est pas encore standardisé et ne peut donc s’ériger encore en langue de culture. La pièce de Kirchner est également la seule à avoir été qualifiée de « tragicomédie », appellation qui peut paraître surprenante compte tenu de la nature de l’histoire de Coriolanus. Jacob Beam explique dans son article que l’aspect « comique » de la pièce peut renvoyer à des scènes ou actions comiques mais aussi au fait que, du point de vue des femmes romaines, l’issue n’est pas tragique car la ville est sauvée :

La deuxième partie du mot [tragicomédie] renvoie sans doute à plusieurs scènes ou actions qui se déroulent en parallèle de l’intrigue plus sérieuse, ou au fait que, quand bien même l’histoire des actes et des souffrances de Coriolanus est tragique dans son déroulement, l’issue tragique est évitée ; car, du point de vue des matrones romaines dont l’importance ici est bien plus grande que chez Shakespeare et ses sources, dans leurs tentatives de sauver Rome là où les efforts des hommes ont échoué, le dénouement est heureux car leur entreprise réussit22.

Le sujet est ensuite repris en français par Pierre Thierry en 1600 dans sa Tragédie de Coriolanus puis par Alexandre Hardy qui écrit sans doute son Coriolan en 1607 et le publie dans ses Œuvres en 1625 tandis que Shakespeare rédige sans doute sa Tragédie de Coriolanus en 1608, publiée en 1623 dans le Premier Folio. Dans le cas de la tragédie de Shakespeare, c’est d’ailleurs toujours Amyot qui constitue la source d’inspiration principale, à travers la très fidèle traduction anglaise publiée en 1579 que fait Thomas North de la version française des Vies parallèles donnée par Amyot. Le personnage de Coriolanus réapparait ensuite sur la scène des théâtres parisiens en 1638, année qui fournit deux tragédies sur cette histoire : le Véritable Coriolan de François de Chapoton et le Coriolan d’Urbain Chevreau. Plus tard dans le siècle, Gaspard Abeille écrit lui aussi un Coriolan (1676) et le dernier Coriolan représenté au théâtre est celui, beaucoup plus tardif, de la Harpe au siècle suivant en 1784. Force est donc de constater que l’histoire de Coriolanus a inspiré de nombreux dramaturges notamment à la toute fin du XVIe siècle et dans les premières années du XVIIe siècle.

Mais le personnage de Coriolanus n’intéresse pas que le théâtre, même si c’est dans cette forme d’art qu’on le retrouve le plus souvent. L’attention portée à Coriolanus dépasse en effet la littérature, ce qui confirme que ce thème trouve une résonnance particulière. Il est représenté dans un tableau de Poussin réalisé entre 1650 et 1655 intitulé Coriolan supplié par les siens (voir en annexe) qui se concentre donc sur la délégation des femmes, la dernière délégation qui tente et réussit enfin à convaincre Coriolanus de renoncer à se venger de Rome. On distingue sur la partie droite du tableau les visages suppliants et craintifs des femmes dont sa mère et son épouse ainsi que des enfants de Coriolanus, qui s’opposent sur la partie gauche du tableau à des hommes debout, armés et impassibles, probablement des Volsques, et au milieu, Coriolanus qui avait dégainé son épée semble hésiter à en faire usage ou la ranger dans son fourreau.

Isabelle Denis, dans le livre qui rend compte de l’exposition de 2007/2008 sur les tapisseries baroques au Metropolitan Museum de New York, met également en évidence la représentation de l’histoire de Coriolanus dans un ensemble de tapisseries du début du XVIIe siècle23. En 1606, une collection de tapisseries sur ce thème est tissée pour Henri IV, représentant l’intégralité de l’histoire de Coriolanus, de ses victoires contre les Volsques à sa mort. Adolph Cavallo étudie également ces tapisseries dans un article24 et indique que les dessins d’après lesquels les tapisseries ont été réalisées ont été effectués entre 1570 et 1590, avant même que les pièces de théâtre que nous avons mentionnées ait été composées, ils ont donc probablement été inspirés par la traduction d’Amyot, ce qui confirme son importance et le rôle qu’elle a joué dans le renouvellement de l’intérêt porté à Coriolanus.

L’histoire de Coriolanus a donc inspiré les artistes également en dehors du théâtre, ce qui nous permet d’émettre l’hypothèse que son intérêt n’était pas purement dramatique et théâtral ou lié uniquement à sa charge tragique. La représentation du destin de Coriolanus, on l’a vu, a connu le plus de succès au tournant entre le XVIeet le XVIIe siècle, et ce n’est sans doute pas un hasard. Isabelle Denis revient sur les raisons qui ont été attribuées à ce regain d’intérêt et en donne elle-même une explication. Elle cite un certain Pascal Bertrand pour lequel le lien entre Henri IV et Coriolanus s’explique par la similitude de leurs vies agitées, leurs forts caractères et l’ingratitude du peuple envers eux25. Il ajoute que le thème de l’obéissance des sujets n’aurait pu que plaire à Henri IV. Isabelle Denis exprime son désaccord. Selon elle, l’histoire de Coriolanus n’est effectivement pas sans lien avec la situation de la France à la fin du XVIe siècle mais elle constitue plutôt une sorte de mise en garde, car le personnage de Coriolanus, malgré ses qualités viriles et militaires, est plutôt négatif, ce qui ne permet pas de l’identifier au roi. Au contraire, elle considère cet ensemble de tapisseries comme une façon de se rappeler les tumultes des guerres de religion et surtout les trahisons de la noblesse envers Henri IV (elle rappelle par exemple le cas du Maréchal de Biron). Dans son introduction au Coriolan d’Hardy, Fabien Cavaillé rappelle que Térence Allott « date la pièce de l’année 1607 et rapproche la figure de Coriolanus du maréchal de Biron, traître à son roi et exécuté en 1602. »26. Si cette comparaison n’est pas explicitement faite par Hardy et qu’Allott ne fait qu’émettre une hypothèse, il est toutefois possible que les contemporains de Hardy y aient en effet trouvé un certain écho. Concernant la pièce de Pierre Thierry, qui précède celle de Hardy de quelques années, la comparaison de Coriolanus avec le duc de Biron est à considérer avec plus grande précaution encore car la tragédie est datée de 1600, et publiée dans les Œuvres premières en 1601, alors que l’exécution du duc de Biron pour trahison eut lieu en 1602. Une première trahison du duc de Biron, pardonnée par le roi, avait cependant déjà eu lieu à cette date. Qu’on puisse identifier le personnage de Coriolanus tel qu’il est représenté par Mont-Justin au duc de Biron ou non, cette histoire illustre néanmoins le contexte historique et politique français à la fin du XVIe siècle. La Tragédie de Coriolanus constitue en effet un témoignage des troubles que la France a connu avec les guerres de religion depuis le milieu du siècle et représente les évènements tumultueux qui se sont déroulés dans ces circonstances, notamment les multiples trahisons car les liens entre nobles protestants et catholiques étaient complexes et les changements de camp fréquents. L’histoire de Coriolanus illustre très bien ce phénomène avec un personnage qui, se sentant trahi par les siens, les trahit en s’alliant aux ennemis qu’il finit par trahir en abandonnant son projet de vengeance. La pièce de Pierre Thierry peut ainsi être lue à la fois comme un souvenir de la période troublée que la France est censée avoir laissé derrière elle avec l’édit de Nantes de 1598 ou bien comme une mise en garde pour dissuader les nobles de trahir leur nouveau souverain. Elliott Forsyth confirme en tout cas qu’il ne faut pas y voir d’allusion à des événements précis :

Quant au but didactique de l’ouvrage, il ne peut guère être recherché dans d’hypothétiques allusions à des événements contemporains. Il semble plutôt que, réfléchissant sur la confusion des années de guerre civile, l’auteur veuille avant tout démontrer à son public que le sentiment patriotique doit l’emporter sur son esprit de vengeance27.

B. Le traitement du sujet par Pierre Thierry

1. Les sources de la tragédie : entre respect scrupuleux et adaptation du récit de Plutarque

Les sources latines et grecques qui nous transmettent l’histoire de Coriolanus sont multiples. Si Mont-Justin les a peut-être consultées, sa source principale reste la version de Plutarque, dans la traduction qu’Amyot en a fourni en 1559. Depuis la Cléopâtre captive de Jodelle en 1553, Plutarque constitue en effet une source très importante pour les humanistes qui écrivent des tragédies, comme le rappelle Bruno Méniel : « La source la plus fréquente des tragédies humanistes est Plutarque, auteur de Vies, c’est-à-dire d’une historiographie à hauteur d’homme, attentive aux petites passions des grands personnages. »28 La Tragédie de Coriolanus correspond en effet à cette description : Coriolanus est un personnage issu d’une famille patricienne et dont le destin est contrarié, ce qui provoque en lui un sentiment d’injustice qui s’exprime par une colère hybristique.

C’est d’abord la structure de l’histoire de Plutarque que Pierre Thierry suit assez scrupuleusement. La pièce commence au milieu du récit de l’historien grec, au moment où Coriolanus est banni de Rome29 et fait ses adieux à sa famille. Chez Plutarque, il se rend ensuite auprès de Tullus, Capitaine des Volsques, ennemis des Romains contre qui il a déjà combattu et s’est illustré en tant que soldat par sa bravoure. La trame principale du récit de Plutarque connait ensuite une pause afin de raconter l’épisode du songe de Latinus30, épisode enchâssé qui interrompt l’intrigue principale dont il semble parfaitement détaché31. Ce passage du récit de Plutarque n’est repris par aucune des tragédies sur le sujet de Coriolanus, peut-être à cause de l’apparente discontinuité qu’il crée dans le récit. En effet, le personnage de Latinus n’intervient à aucun autre moment du récit et n’est présent qu’à l’acte II dans la pièce de Pierre Thierry, où il ne prononce qu’une seule réplique d’un peu plus de 100 vers, auquel aucun autre personnage ne répond. Cette intervention surprenante, voire déroutante, peut s’interpréter de plusieurs façons. Elle correspond tout d’abord au goût du théâtre humaniste pour les scènes de songe et de prémonition, qui sont souvent prises en charge par des personnages surnaturels au moment de l’exposition afin de permettre aux spectateurs de comprendre les enjeux de la pièce mais aussi parfois pour annoncer l’issue de la tragédie :

L’exposition est en général prise en charge par un personnage qui ne réapparaîtra plus par la suite : un homme d’une grande clairvoyance, comme un prophète, ou un être surnaturel, comme l’ombre d’un défunt ou une furie. La vision qu’adopte ce personnage est rétrospective, car il convient de fournir au spectateur les informations dont il a besoin pour comprendre la situation dramatique, mais aussi parfois prospective, car l’issue fatale de l’action est annoncée32.

Cette intervention de Latinus ne correspond pas pleinement à cette description établie par Bruno Méniel. Quoi qu’il n’apparaisse effectivement pas dans le reste de la pièce, Latinus n’intervient qu’à l’acte II et non à l’acte I dont l’exposition est assurée par Coriolanus lui-même. En revanche, une grande partie du discours de Latinus est en fait une prosopopée du dieu Jupiter qui lui est apparu en songe à deux reprises, c’est donc bien un « être surnaturel » qui prend ici la parole. Quant à la dimension rétrospective ou prospective, il s’agit ici d’expliquer l’absence de clémence et de soutien des dieux à l’égard de Rome dans cette situation difficile. Jupiter vient en songe indiquer à Latinus la raison du mécontentement divin, que Latinus ignore une première fois. Il se rend finalement au Sénat après avoir vu son fils mourir sous ses yeux en guise de châtiment mais il précise :

Ils [les Sénateurs] voyent leurs erreurs, au lieu de rougir d’honte

Pour avoir offencé, ils n’en font pas grand compte. (v.489-490)

Latinus, prévoyant alors le destin funeste qui attend Rome, implore les dieux d’accorder à la cité sa protection et ses dernières paroles remplissent le rôle prospectif du personnage qui assure généralement l’exposition :

Par Rome seulement Rome sera vaincue

Si toy pere Juppin justement irrité

Ne regarde en pitié ceste pauvre cité,

Et espousant le droit d’une juste querelle,

Ne nous mets à couvert soubs ta saincte tutelle.

Vains sont noz ennemis, vain sera leur effort

Si tu combats pour nous, nous servant de support. (v.507-512)

Ces dernières paroles de Latinus présentent les deux issues possibles de cette situation : ou Rome sera vaincue, ou bien, grâce à l’aide des dieux, ce sont les ennemis qui seront vaincus. Cette scène originale et surprenante n’est donc pas dénuée d’intérêt dramatique, ni tout à fait détachée du reste de la pièce, bien qu’elle opère une suspension de l’action dramatique par le récit d’un épisode apparemment extérieur à la tragédie.

Contrairement à Plutarque, Mont-Justin place la rencontre entre Tullus et Coriolanus après cet épisode, et l’amplifie en conservant certains éléments. En effet, un autre tableau se constitue ensuite au cours duquel Coriolanus parle tout seul et prend la décision de proposer son soutien aux Volsques puis on voit Tullus souhaiter de son côté que la fortune tourne en faveur des Volsques, discours qui n’existe pas chez Plutarque, et qui justifie la joie avec laquelle Tullus accueille l’offre de Coriolanus et la défend si ardemment au début de l’acte III. Cette adaptation des évènements reste néanmoins tout à fait cohérente avec la réaction de Tullus chez Plutarque qui répond à Marcius : « Tu nous apportes un très grand bien, en te donnant à nous ; attends-toi à en recevoir un plus grand encore de la part des Volsques.33 » L’acte III introduit également quelques modifications avec les délibérations entre les magistrats volsques concernant la décision d’accepter le soutien de Coriolanus. Chez Plutarque, Coriolanus est tout de suite bien accueilli et il lui suffit d’un discours pour être nommé co-capitaine avec Tullus dans la guerre contre les Romains. Là aussi, Mont-Justin ajoute une dimension dramatique supplémentaire qui soulève les soupçons sur les intentions de Coriolanus, qui est tout de même finalement nommé à la tête de l’armée sans même avoir besoin de convaincre les volsques par un discours. Le reste de la pièce suit quasiment l’ordre des évènements tels que Plutarque les rapporte, la délégation politique, représentée chez Mont-Justin par le personnage de Vitellus (qui n’existe pas chez Plutarque) est suivie de la délégation religieuse qui retournent l’une et l’autre à Rome sans avoir obtenu le succès espéré puis c’est au tour de la troupe des dames, mobilisée grâce à Valeria, soeur du célèbre Publicola, de se rendre auprès de Coriolanus et de finalement réussir, particulièrement grâce à sa mère Volumnia, à le faire renoncer à attaquer Rome. La principale modification apportée à cette partie du récit est en fait un réagencement des informations : la campagne menée par Coriolanus avant d’arriver devant Rome, difficile à représenter, est rapportée à Tullus par le personnage de Catius, qui est apparu à l’acte III en tant que personnage silencieux, et qui rend compte de ce qui s’est passé au cours de la campagne militaire et de la trahison de Coriolanus à l’issue de son entrevue avec la délégation des femmes. La fin de la pièce correspond fidèlement à la fin du récit raconté par Plutarque, avec la même inquiétude de Tullus de voir Coriolanus se défendre trop bien grâce à ses talents d’orateur et ainsi amadouer les Volsques, ce qui le pousse à provoquer sa mort.

Mont-Justin reste donc très proche de la version plutarquienne de l’histoire de Coriolanus, non sans en modifier, amplifier et réagencer un certain nombre d’éléments afin d’adapter son sujet au théâtre et d’en exploiter toute la portée dramatique. Ainsi, Mont-Justin ne manque pas de reprendre, de façon parfois très nette, des passages de la traduction d’Amyot, dont nous avons déjà souligné l’oralité remarquable. Ce phénomène est particulièrement flagrant à l’acte IV dans les différents discours des femmes romaines. L’intervention de Valeria en donne un bon exemple :

Si nous venons vers vous, dames vers autres dames,

Volumnia, et vous, Vergilie, un malheur,

Qui ainsy comme à nous vous doit toucher le coeur,

Pour estre un fleau public et un commun affaire,

Nous a pour la raison contrainte de ce faire,

D’un commun mouvement, et non point d’un mandat

Que nous ayons reçeu du peuple ou du Senat :

Mais je croy que ce sont ordonnances divines. (v.1254-1261)

Nous venons devers vous, ô Volumnia et Vergilia, Dames vers autres Dames, sans ordonnance du Senat, ny commandement d’aucun magistrat, ains par inspiration, à mon advis, de quelque Dieu34.

Plus loin, les propos de Volumnia à son fils reprennent également la traduction d’Amyot de façon assez fidèle ; ils seront également repris par Shakespeare de la même façon, à partir de la version de la Vie de Coriolanus de Thomas North :

Ha ! Coriolanus, noz habits et noz larmes

Parlent assez pour nous, ils te font assez veoir

Quel est le crevecoeur, quel est le desespoir

Qui nous porte vers toy et quelle est nostre vie

Et noz façons depuis ta fascheuse sortie. (v.1314-1318)

Tu peux assez cognoistre de toy mesme, mon filz, encore que nous ne t’en dissions rien, à voir nos accoustrements, et l’estat auquel sont nos pauvres corps, quelle a esté notre vie en la maison depuis que tu en es dehors35.
Quand nous resterions silencieuses et sans dire un mot, notre accoutrement et l’état de nos pauvres corps te feraient assez connaître quelle vie nous avons menée depuis ton bannissement36.

Plus qu’une simple source d’où serait simplement tirée une histoire, le récit de Plutarque et la traduction d’Amyot constituent donc un véritable matériau dramatique, à ajuster par endroits pour en augmenter la charge théâtrale ou tragique mais qui comporte déjà en lui-même une forme d’oralité et de dramaticité.

Concernant les modèles antiques pour le genre tragique en lui-même, Elliott Forsyth souligne l’influence relative des tragédies de Sénèque :

Thierry n’a d’ailleurs pas essayé de couler son drame dans le moule d’une tragédie sénéquienne : l’influence de Sénèque est certes partout présente, notamment dans le ton sentencieux des choeurs, la stichomythie des dialogues, la vision de Latinus et la place même que l’auteur réserve à la notion de vengeance (plus importante que dans la pièce de Shakespeare) ; mais cette influence ne nous paraît pas fondamentale, et le lecteur a l’impression que l’écrivain réussit dans une certaine mesure à se libérer des modèles latins traditionnels37.

2. Résumé de la pièce

Caius Marcius, patricien romain reconnu pour ses talents de guerrier et son courage, notamment dans la guerre contre les Volsques et la prise de leur cité de Corioles qui lui a valu le surnom de Coriolanus, est banni de Rome à cause de son hostilité envers la plèbe. Outré par le manque de reconnaissance des Romains envers les services qu’il a rendus à sa patrie, il rejoint alors les Volsques et offre de mener avec eux une guerre contre Rome pour assouvir sa vengeance. Le début de la campagne militaire est un succès et les Volsques finissent par faire le siège de Rome. Les Romains tentent alors de se faire pardonner de Coriolanus en lui proposant d’annuler son bannissement. Ils lui envoient plusieurs délégations, politique, religieuse et enfin, féminine, pour tenter le faire fléchir.

À l’acte I, Coriolanus, tout juste banni, fait éclater sa rage et sa colère dans une longue tirade qui s’achève par une promesse de vengeance. Sa femme Vergilie, accompagnée de leurs deux enfants, tente de le dissuader, sans succès et Coriolanus leur fait ses adieux. Le choeur commente les aléas de la fortune et l’envie suscitée chez les uns par la réussite des autres.

L’acte II est composé de deux tableaux. Le premier est celui du monologue de Latinus, qui raconte son rêve dans lequel lui est apparu Jupiter ; il s’inquiète de l’avenir de Rome et tient des propos qui pourraient être ceux d’un choeur. On voit ensuite Coriolanus prendre la décision de se rendre chez les Volsques puis de son côté Tullus, capitaine des Volsques et adversaire de Coriolanus, se lamenter sur le sort de son peuple et souhaiter prendre sa revanche. C’est à ce moment-là que Coriolanus arrive et propose à Tullus de s’allier aux Volsques et de déclarer la guerre à Rome. Tullus est ravi de voir ses prières exaucées. Il demande à Coriolanus comment un tel revirement de fortune a pu se produire et accepte sa proposition. Le choeur est divisé en deux : le « choeur premier » décrit les conséquences de la colère provoquée par une injustice subie et le « choeur second » met en évidence les effets de cette même colère sur celui qui l’éprouve.

L’acte III est constitué de trois tableaux. Tullus et d’autres magistrats volsques, Titius, Fidus et le Consul, délibèrent concernant Coriolanus : faut-il accepter de s’allier avec quelqu’un qui a été un ennemi et qui trahit sa patrie si facilement ? Ils en concluent que c’est une belle opportunité de se venger de Rome et finissent par accepter l’offre de Coriolanus en lui donnant les pleins pouvoirs dans cette guerre. Un premier choeur intervient, le choeur des Volsques, qui cherche à galvaniser les Volsques dans cette nouvelle guerre qui se prépare. On retrouve ensuite Coriolanus donnant ses instructions dans le campement militaire. Il est interrompu par Vitellus, envoyé par les patriciens et le peuple romains comme ambassadeur afin de lui annoncer qu’ils ont révoqué leur décision de le bannir. Coriolanus ne veut rien entendre et réclame qu’on accorde aux cités volsques prises par les Romains le droit de bourgeoise. Il donne trente jours aux Romains pour se décider. C’est ensuite au tour de la délégation religieuse, constituée du Grand Pontife et du Sacrificateur, de se lamenter sur la situation et de décider de se rendre auprès de Coriolanus pour tenter de le ramener à la raison, à nouveau sans succès. Le choeur est composé des devins et des sacrificateurs et émet une sorte de mise en garde adressée à Coriolanus contre l’audace hybristique.

L’acte IV s’ouvre sur le discours de Valeria qui s’indigne de voir la situation dans laquelle se trouve Rome et le manque de courage des Romains. Elle exhorte les dames romaines, représentées par Coelia, à aller trouver Volumnia, la mère de Coriolanus afin de la convaincre de tenter de parler à son fils, comme un dernier recours. Volumnia est certaine d’échouer mais accepte de se rendre auprès de son fils. Toutes les dames romaines l’accompagnent, y compris Vergilie et les enfants de Coriolanus. Face à cette délégation, Coriolanus ne fléchit pas et reste campé sur ses positions dans un premier temps, mais après avoir entendu les supplications de sa mère, de sa femme et de ses enfants, et les voyants s’agenouiller devant lui, il cède et renonce à cette guerre. Coriolanus entrevoit la fin funeste qui l’attend et fait ses adieux à sa famille. Le choeur des Antiates, habitants de la cité Volsque d’Antium, médite sur le pouvoir qu’ont les femmes sur les hommes et illustre ses propos d’exemples tirés de la mythologie.

Le cinquième et dernier acte commence avec les lamentations de Catius qui avait prédit cette trahison et dont les avertissements n’ont pas été écoutés. Tullus lui demande de lui raconter les évènements, car Catius a accompagné Coriolanus dans cette campagne militaire. À l’issue du récit de Catius, Tullus exprime sa volonté de punir Coriolanus de cette trahison en le tuant avant qu’il ne puisse s’exprimer car Catius et Tullus craignent que ses qualités oratoires ne lui permettent de se faire pardonner des Volsques. Catius part réunir le Sénat tandis que Coriolanus arrive et se confronte à Tullus et à ses reproches. Coriolanus estime avoir servi l’intérêt des Volsques. Tous deux arrivent devant le Sénat et Tullus parle le premier, accusant Coriolanus d'être un traître et un menteur qui a berné les Volsques. Le Consul tient à ce que les deux parties s'expriment et laisse donc la parole à Coriolanus pour écouter sa défense. Coriolanus affirme qu'il a tenu son engagement en remportant de nombreuses victoires avant d'arriver devant Rome et qu'il a simplement fait preuve de sagesse et de raison en n'engageant pas contre les Romains une guerre perdue d'avance pour eux. Tullus et Catius l'interrompent et finissent par se jeter sur lui pour le tuer.

3. Le personnel tragique : nouveaux personnages et nouveaux rôles

Si Pierre Thierry suit d’assez près le récit de Plutarque et qu’on retrouve dans la pièce les personnages principaux attendus, il se permet également d’apporter quelques modifications et de donner une plus ou moins grande importance à certains personnages, et même d’en inventer d’autres.

Volumnia

Elle est l’un des personnages les plus importants de la pièce. Bien que ce soit une délégation entière de femmes romaines qui se rend auprès de Coriolanus pour tenter de le faire renoncer à son projet, c’est bien Volumnia qui obtient de lui qu’il abandonne. Pourtant, elle n’apparait qu’à l’acte IV, à la différence des tragédies de Hardy, Shakespeare et même Chevreau, qui la font intervenir dans les premiers actes. Dans la pièce de Mont-Justin, on la voit d’abord échanger avec Valeria qui lui demande de s’associer aux femmes romaines afin de rendre visite à Coriolanus. Volumnia se présente alors comme un personnage fragile, elle est affaiblie par le poids de la vieillesse et par la douleur de voir son fils ainsi se comporter. Sa toute première prise de parole en témoigne :

Ô grand Dieu, je me meurs, je sen rompre mon ame

D’un regret trop cuisant, qui vivement l’entame !

Ainsy que Promethé, l’aigle du tout puissant

Becquette tous les jours ton poulmon renaissant,

Je sen de tous costez cent ardentes tenailles

A chasque heure du jour pinssoter mes entrailles. (v.1273-1278)

L’agitation de son esprit transparait dans la première exclamation et la comparaison avec le châtiment corporel de Prométhée exprime de façon hyperbolique la souffrance éprouvée par la mère qui se sent responsable du comportement de son fils. Volumnia, même si elle accepte l’offre de Valeria, est par ailleurs certaine de ne pas être en mesure de le faire changer d’avis :

Je n’atten plus de luy qu’une temerité,

Qu’un mespris orgueilleux : c’est sa façon commune,

Mais toutefois tentons avec vous la fortune. (v.1300-1302)

On la voit également très faible physiquement dans cette scène, à la fois parce que son malheur l’accable mais aussi à cause de sa condition physique, elle demande d’ailleurs à Vergilie de la soutenir pour éviter de défaillir et la conduire auprès de son fils :

Une froide sueur destrempe mon visage :

Mon genou dessoubs moy tremblote descharné,

Et mon chef va penchant contre bas prosterné.

Dirige bien mes pas ma guide plus fidelle :

Car mes yeux sont sillez d’une nuict eternelle.

Conduy-moy tastonnant : quel bruit enten-je icy ?

Suis-je vers Martius ? (v.1306-1312)

Cette description de la faiblesse du personnage, établie par Volumnia elle-même, avec de nombreux détails très visuels et des images fortes de son accablement, suscite chez le spectateur pitié et compassion, des émotions qui contrastent fortement avec la réaction froide de Coriolanus qui demande simplement « Quel nouveau accident vous guide icy mes dames ? » (v.1313) et réponds ensuite à sa mère avec mépris « Qu’ils gardent leur rappel : je n’ay que faire d’eux. » (v.1339). Mont-Justin s’écarte ici du récit de Plutarque, dans lequel la seule vue des membres de sa famille suffit à émouvoir et troubler Coriolanus avant même que sa mère ne prenne la parole :

En voyant ces femmes s’approcher, il [Coriolanus] fut d’abord frappé de stupeur, puis, ayant reconnu sa mère, qui marchait la première, il voulut d’abord persister dans sa décision inflexible et implacable ; mais, vaincu par l’émotion et profondément bouleversé à ce spectacle, il ne put se résoudre à rester assis à son approche ; il descendit précipitamment et, courant au-devant d’elle, il la salua la première et la tint très longuement embrassée ; puis il embrassa sa femme et ses enfants ; sans plus retenir ses larmes ni ses marques de tendresse, il se laissa emporter par la force de ses sentiments comme par un torrent38.

Ici la tragédie extrapole l’indication de Plutarque « il voulut d’abord persister dans sa décision inflexible et implacable » et ce n’est qu’au bout d’un certain nombre de répliques de Volumnia surtout mais aussi de Vergilie, de Valeria et des enfants, que Coriolanus cède enfin. On observe cependant dans cet échange un changement de posture dans l’attitude de Volumnia qui, face à son fils, fait preuve de plus de combativité. Elle tente de susciter la pitié de Coriolanus en insistant sur le désespoir dans lequel elle et les autres dames romaines sont plongées et dénonce sa « vengeance cruelle » (v.1333). Volumnia cherche également à émouvoir son fils en lui rappelant les liens qui l’unissent aux Romains et à elle tout particulièrement, sans succès. Elle adopte finalement un ton plus accusateur et cherche à susciter la culpabilité de Coriolanus en soulignant le manque de reconnaissance, de piété filiale, qu’il manifeste envers sa mère :

Quoy ? J’auray enfanté une ingrate vipere

Qui rongeray naissant le ventre de sa mère ? (v.1381-1382)

Elle n'hésite d’ailleurs pas à convoquer l’image de sa propre mort en prenant son fils à partie et en le provoquant :

Pour ce faire il me faut passer dessus le ventre :

C’est ton plus court chemin, c’est par là où l’on entre

Dans Rome triomphant : ensanglante tes mains

Tant avides de sang sur ces petis Romains. (v.1401-1404)

Le personnage de Volumnia est donc présenté comme ambivalent, capable de montrer une grande faiblesse mais faisant aussi preuve de fermeté devant son fils afin de mettre toutes ses chances de son côté pour sauver sa patrie, quitte à le blesser dans son amour propre en l’accusant de ne pas se comporter en homme vertueux (« mais di-moy, penses-tu / La vengeance estre propre aux hommes de vertu ? », v. 1431-1432).

Il faut enfin noter un élément surprenant concernant Volumnia, qui n’apparait dans aucune source de l’histoire de Coriolanus : elle est aveugle. On retrouve cette information à deux reprises, donnée de sa propre bouche : « Car mes yeux sont sillez d’une nuict éternelle » (v.1310), « J’ay porté dèz longtemps la perte de mes yeux » (v.1327). Cette caractéristique est singulière car il est assez rare de rencontrer des femmes aveugles dans la littérature. Chez les vieillards, la cécité représente la sagesse de ceux qui ne voient pas avec les yeux mais avec l’esprit, qui voient au-delà des apparences. Pour Volumnia, cela peut prendre plusieurs sens. Sa cécité pourrait d’abord indiquer qu’elle voit plus loin que l’apparente fermeté et inflexibilité de son fils dont elle connaîtrait la vraie nature. À l’inverse, cela pourrait relever plutôt de l’aveuglement, et du refus de voir les agissements de son fils qui la trahit et qui trahit sa patrie. On peut également formuler une troisième hypothèse qui serait celle d’un châtiment presque divin pour avoir engendré un tel fléau pour Rome, car Volumnia admet avoir sa part de responsabilité dans cette terrible situation.

Vergilie

La femme de Coriolanus fait partie des personnages attendus dans la pièce. Chez Plutarque elle est seulement présente en tant qu’épouse et ne joue qu’un rôle de second plan, mais Mont-Justin lui donne une importance nouvelle en la faisait apparaître dès le premier acte lorsque Coriolanus lui fait ses adieux. Elle essaye alors de le dissuader une première fois de prendre sa revanche sur Rome, lui demandant d’accepter ce sort que lui réserve la fortune pour un temps et de laisser les dieux se charger de le venger. Elle adopte à la fin de l’acte une rhétorique semblable à celle de Volumnia à la fin de l’acte IV et exhortant son mari à commencer sa vengeance en tuant sa propre femme et ses enfants :

Commencez de rougir de nostre sang vos armes,

Puisque nos pleurs sont nuls, que vaines sont nos larmes

Venez ça mes mignons : ce sont cy des Romains,

Jettez vous à ses pieds, donnez icy voz mains,

Joignez sur ses genoux vos dextres enfantines :

Là Martius ouvrez, leurs coulpables poictrines

Sont de voz ennemis. (v.245-251)

Elle finit par s’en remettre aux dieux avant que le choeur ne vienne clore le premier acte. Sa présence à l’acte I permet au spectateur de mesurer l’ampleur de la détermination de Coriolanus, et de justifier les refus qu’il oppose aux deux premières délégations qui viennent à lui à l’acte III. Vergilie revient avec la troupe des femmes à l’acte IV où elle se montre à la fois comme un soutien pour Volumnia et contribue, certes brièvement – par une seule réplique, à demander à son époux de renoncer à ses funestes projets en le comparant à un monstre, qui n’est plus vraiment son mari.

Valeria

Le personnage de Valeria, soeur de Publicola, qui est à l’origine de la délégation féminine, vient lui aussi de chez Plutarque. Il est repris par Shakespeare, qui lui désattribue ce rôle mais la fait intervenir dans d’autres scènes, et par Hardy qui « enrichit le petit rôle de Valérie en en faisant une porte-parole des dieux39 ». Chez Chevreau, elle disparaît et son rôle moteur dans la décision des femmes est repris par Verginie, nom de l’épouse de Coriolanus chez Chevreau40. Mont-Justin fait le choix de conserver ce personnage et ne le fait intervenir qu’au même moment que celui qu’indique Plutarque. Elle intervient donc au début de l’acte IV où elle commence par se lamenter du manque de combativité des Romains avant de suggérer aux dames romaines représentées par Coelia d’aller chercher Volumnia et de se rendre auprès de Coriolanus dans une dernière tentative de le faire fléchir. Cette première exhortation prononcée par Volumnia n’existe pas chez Plutarque, Mont-Justin s’empare ici de la narration pour la traduire en discours théâtral et montrer une progression dans les actions dramatiques. Valeria s’adresse ensuite à Volumnia et parvient à la convaincre de parler à Coriolanus. Elle intervient une dernière fois au moment où tous les personnages (Volumnia, Vergilie, les enfants et Valeria) concentrent leurs efforts pour faire plier Coriolanus. Pierre Thierry fait donc en sorte que l’intervention de Valeria ne soit pas unique, mais plutôt que le personnage soit à la fois à l’origine de cette entreprise et y prenne part jusqu’à la fin en contribuant à porter le coup de grâce à Coriolanus.

Les enfants :

Autres personnages présents chez Plutarque mais auxquels Mont-Justin donne une nouvelle importance, les enfants de Coriolanus et Vergilie existent ici en tant que personnages de la tragédie. Ils n’y ont certes que deux répliques d’un vers chacune (v.251 et v.1408) mais ils sont tout de même nommés, Metel et Fabritius (v.1460-1461), prénoms inventés par Mont-Justin car absents du récit plutarquien. Malgré leur très faible nombre de réplique, ils semblent être présents sur scène au cours de l’acte I lorsque Vergilie s’entretient avec Coriolanus qui leur fait ses adieux mais également à l’acte IV avec la délégation des femmes qu’ils accompagnent. Ce sont donc des personnages quasiment silencieux. Leur présence sur scène n’est cependant pas dénuée d’intérêt, ils permettent d’accentuer l’aspect tragique des actes dans lesquels ils se trouvent car, contrairement aux Romains qui ont décidé de bannir leur père, ils sont innocents mais subiront malgré tout les représailles de Coriolanus qui promettent de s’abattre sur la cité entière. Ils rendent la décision de Coriolanus encore plus cruelle, quoi que le vers 252 « Ces enfans de tant plus rengregent ma douleur » montre Coriolanus dans son rôle de père, qui semble quitter ses enfants et prévoir sa vengeance presque à contre-coeur ou du moins non sans en éprouver un certain chagrin. Les deux répliques des enfants, en elles-mêmes, ne font pas avancer l’intrigue, la première ne constitue même qu’un hémistiche et non un vers complet « Ah Monsieur, ah Monsieur ! » (v.251) et la seconde est quasiment identique « Ha Monsieur, ha Monsieur, ayez pitié de nous ! » (v.1408). Ces exclamations d’enfants à leur père sonnent comme une prière désespérée, déchirante, qui rappelle d’ailleurs celles d’Astyanax dans La Troade de Garnier, qui n’a que trois répliques, à l’acte II, avant de mourir, mais ces interventions sont de terribles et déchirants appels au secours qui ne trouvent pas de réponse : « Hé ma mere » (v.1115), « Hé, ma mere, il m’emmeine. » (v.1117) et « Helas! ma mere, helas! me lairrez-vous tuer ? » (v.1119). Par ailleurs, à la fin de l’acte V tous les enfants qui ont été tués pendant la pièce sont présents sur scène, présence silencieuse porteuse d’une grande violence41.

On peut noter que Shakespeare est le seul autre dramaturge à reprendre la présence des enfants de Coriolanus, qui passent de plusieurs (nombre indéterminé) chez Plutarque, à deux chez Mont-Justin pour que Shakespeare n’en garde qu’un seul, appelé Jeune Marcius. Ce nom à lui seul indique que cet enfant, bien que n’ayant qu’une seule réplique et peu de temps de présence sur scène, représente une autre version de Coriolanus, il refuse d’être condamné à mort par son père et promet de ne pas baisser les bras : « Il ne passera pas sur moi : je me sauverai jusqu’à ce que je sois plus grand, et alors je me battrai.42 »

Tullus

Comme chez Plutarque, Tullus apparait comme un personnage assez ambivalent. Lorsque que Coriolanus propose son soutien aux Volsques, il l’accueille avec joie et bienveillance, et Mont-Justin renforce même ce trait en construisant un désaccord parmi les Volsques concernant cette alliance avec Coriolanus, qui n’existe pas dans le récit de Plutarque, et qui se mêle avec un élément bien présent chez Plutarque : le besoin de se saisir d’un prétexte crédible afin de légitimer la guerre lancée contre les Romains alors même qu’une trêve de deux ans a été signée lors de la précédente guerre. Il est donc assez surprenant de voir qu’à l’acte V, l’amitié que Tullus offre à Coriolanus à l’acte II se transforme en haine mortelle, que Tullus justifie par la trahison de Coriolanus envers les Volsques. Coriolanus accuse Tullus de jalousie, mais rien ne vient confirmer cette hypothèse :

Ma gloire t’a plongé dans une jalousie,

Qui te faict envieux attenter à ma vie. » (v.1866-1867)

En effet, la pièce commence au milieu du récit rapporté par Plutarque, et omet donc certaines informations qui auraient pu rendre le personnage de Tullus moins ambigu, comme cette présentation du personnage de Tullus par Plutarque qui indique déjà une certaine rivalité entre les deux personnages :

Il y avait un homme de la ville d’Antium qui, en raison de sa richesse, de son courage et de l’illustration de sa famille, était honoré comme un roi chez tous les Volsques ; il s’appelait Tullus Attius. Marcius se savait haï de lui plus qu’aucun des Romains ; car ils avaient souvent échangé des menaces et des défis dans les batailles et fait assaut de bravades, en jeunes guerriers exaltés par l’amour de la gloire, et ils avaient ainsi ajouté à la haine commune aux deux peuples une haine mutuelle particulière43.

Cette concurrence est confirmée par Plutarque à la fin du récit par deux passages :

Cette retraite fut le premier grief relevé contre lui par ceux des Volsques qui depuis longtemps supportaient impatiemment et jalousaient son influence. Tullus lui-même était de ce nombre, non qu’il eût personnellement à se plaindre de Marcius, mais par une faiblesse naturelle à l’humanité : il souffrait de voir sa réputation entièrement éclipsée et d’être négligé par les Volsques, qui pensaient que Marcius était tout pour eux et prétendaient que les autres devaient se contenter de la part d’influence et d’autorité qu’il voudrait bien leur accorder44.
Quant à Marcius, quand il revint à Antium de son expédition, Tullus, qui le haïssait depuis longtemps et qui, par jalousie, ne pouvait plus le souffrir, trama un complot pour se défaire de lui sur le champ, de peut que Coriolan, s’il lui échappait alors, ne donnât plus prise de nouveau45.

Ainsi, là où Plutarque présente cette jalousie comme un fait avéré, Mont-Justin sème le doute et le suggère seulement à travers Coriolanus, dont l’accusation peut-être aussi bien fondée que mensongère afin de justifier le comportement de Tullus à son égard.

Latinus

Nous l’avons vu, Latinus fait partie des personnages présents chez Plutarque, que les autres dramaturges ne reprennent pas dans leur pièce. Sur l’interprétation de ce choix, voir le II, B, 1 de cette introduction.

Vitellus

Le personnage de Vitellus, envoyé en tant qu’ambassadeur par les sénateurs et le peuple romain, incarne à lui seul la première délégation envoyée à Coriolanus. Ce personnage n’a que deux répliques, assez courte, et ne fait qu’annoncer à Coriolanus la révocation de son bannissement. Il permet de montrer de façon efficace le premier refus de Coriolanus qui demande que soit accordé aux Volsques le droit de bourgeoisie, en n’utilisant qu’un seul personnage au lieu d’un collectif de « députés du Sénat46 » comme l’indique Plutarque.

Le Grand Pontife et le Sacrificateur

Ces deux personnages représentent la deuxième délégation, religieuse cette fois-ci, que Rome envoie auprès de Coriolanus. Dans le texte de Plutarque, il s’agit en fait d’envoyer « tous les prêtres des dieux, les célébrants des mystères, les gardiens des temples et les augures47 ». Ici, Mont-Justin en extrait deux personnages principaux, dont l’action échoue une nouvelle fois à faire plier Coriolanus. Leur intervention est suivie par le choeur des devins et des sacrificateurs, ce qui est intéressant ; on peut peut-être considérer que le choeur constitue pendant ce tableau le reste de la délégation, dont le Pontife ne fait a priori pas partie car il n’en existe qu’un selon l’organisation religieuse romaine. Le sacrificateur devient les sacrificateurs et les devins apparaissent, sans doute à partir de la traduction d’Amyot qui énumère les membres de la délégation religieuse ainsi (p.836) : « presbtre, religieux, ministres des Dieux & gardes des choses sacrees, & tous les devins ».

Fidus, Titius et le Consul

Ces personnages sont des inventions de Mont-Justin, afin de donner un visage aux Volsques qui, chez Plutarque, ne sont jamais précisément identifiés à part pour Tullus. Fidus et Titius sont présents uniquement au début de l’acte III, lors des délibérations concernant l’alliance avec Coriolanus, avec le Consul qui revient à l’acte V lors du jugement de Coriolanus. Cette scène de débat, de délibération, qui ne figure pas chez Plutarque, interroge la fiabilité de Coriolanus en soulevant la possibilité qu’il trahisse les Volsques car il a été capable de trahir sa propre patrie. Les délégations qui lui sont envoyées par Rome peuvent alors apparaître aux yeux des spectateurs comme des tests de sa fidélité et de sa loyauté, qu’il passe haut la main les deux premières fois avant de succomber.

Catius

Le personnage de Catius, un Volsque lui aussi, n’existe pas dans la version de Plutarque. Il est présent à l’acte III de façon silencieuse, Coriolanus s’adresse à lui pour lui donner des ordres concernant l’organisation des troupes militaires :

Cependant Catius, fay enclore ce camp

Tire là la tranchée, et fay tenir en reng

Le soldat escarté, mets la cavallerie

Aux ailes des drappeaux de nostre infanterie. (v.955-958)

Cette adresse à Catius, qui ne répond même pas aux ordres de Coriolanus, permet de montrer sa présence sur le campement militaire, aux côtés de Coriolanus. Cela n’aurait que peu d’intérêt si Catius ne devait pas, à l’acte V, faire à Tullus le rapport de ce qui s’est produit au cours de la campagne militaire à laquelle il n’assiste pas. Grâce à cette mention de Coriolanus, la présence de ce personnage est rappelée et le récit de l’acte final est légitimé par la participation de Catius dans cette guerre.

Coelia

Dernier personnage inventé par Mont-Justin, Coelia est la voix unique qui représente toute la troupe des dames romaines. Lorsque Valeria prend la parole au début de l’acte IV pour enjoindre les femmes romaines à agir, elle emploie bien le pluriel « Mes Dames », mais seule Coelia lui répond, en employant la première personne du pluriel, se plaçant ainsi en porte-parole de l’ensemble des femmes romaines : « commandez seulement, / Nous ne voulons sortir d’un seul commandement / Que vous proposerez. » (v.1247-1249). Elle n’a d’ailleurs qu’une seule réplique qui vise à acquiescer à la proposition de Valeria. On peut ensuite supposer que le reste des femmes et elle suivent Volumnia, Vergilie et Valeria auprès de Coriolanus.

4. L’originalité des choeurs

Les choeurs tels qu’ils figurent dans la tragédie de Mont-Justin n’existent dans un aucune autre pièce sur Coriolanus. La pièce d’Hermann Kirchner semble ne pas en contenir, ce qui est assez surprenant pour une pièce en latin de la fin du XVIe siècle. C’est en revanche moins étonnant pour les tragédies de Chevreau et Chapoton, qui écrivent à une époque où les choeurs ont quasiment disparu de la tragédie. Il est également rare de trouver des choeurs chez Shakespeare. Le cas de Hardy est un peu différent, car il écrit au début du XVIIe siècle, dans une période de transition vis-à-vis des choeurs qui tendent à disparaître sur scène pour éviter d’ennuyer les spectateurs mais sont parfois encore gardés dans la version imprimée des tragédies. Le Coriolan d’Hardy garde plusieurs choeurs, notamment celui des Romains et celui des Volsques mais ils sont très différents de ceux de Mont-Justin et de ceux de la tragédie humaniste en général car ils interviennent davantage en tant que personnages collectifs qui prennent part à l’action plutôt que comme personnages en retrait dont le rôle tient surtout du commentaire. Fabien Cavaillé les décrit ainsi :

Contrairement aux choeurs de la tragédie humaniste dont les interventions à l’entracte n’ont pas d’incidence sur l’action, le choeur dans le théâtre d’Alexandre Hardy fonctionne comme un personnage à part entière : il a un caractère, des passions, un rôle dans le drame, bref une véritable individualité48.

Les choeurs de la Tragédie de Coriolanus de Pierre Thierry obéissent à cette caractéristique des choeurs de la tragédie humaniste qui interviennent entre les actes et ne jouent aucun rôle dans l’intrigue. Il faut cependant s’arrêter sur leur composition originale. En effet, hormis le dernier acte qui ne comporte pas de choeur du tout, chaque acte comporte des choeurs de dénomination et de composition différente. Les strophes et les mètres employés varient également d’un choeur à l’autre et les mètres peuvent varier au sein d’un même choeur. L’acte I comporte un « choeur » indéterminé, constitué de sizains heptasyllabiques. À l’acte II le choeur est divisé en deux parties, un « choeur premier » en sizains hexasyllabiques suivi d’un « choeur second » en sizains lui aussi mais heptasyllabiques. L’acte III est le plus frappant concernant les choeurs. En effet, l’acte est divisé en deux parties qui s’achèvent chacune par un choeur différent, créant ainsi deux tableaux. Le premier tableau est celui de la délibération des Volsques concernant l’alliance avec Coriolanus et la déclaration de guerre à Rome ; il est suivi du choeur des Volsques en sizains qui alternent quatre octosyllabes puis un alexandrin et enfin un hexasyllabe. Le deuxième tableau représente quant à lui les deux premières délégations qui se rendent auprès de Coriolanus et il se conclut par le « choeur des devins et sacrificateurs », en quatrains heptasyllabiques, qui suit la prise de parole du Grand Pontife et du Sacrificateur, comme si leurs deux voix, s’étant exprimées comme des porte-paroles, laissaient la place au reste de la délégation. Le dernier choeur, celui de l’acte IV, est celui des Antiates, et intervient de façon assez surprenante car aucun personnage Volsque n’est présent dans cet acte. Il est composé de quatrains de trois hexasyllabes puis un alexandrin.

Ces choeurs, même lorsqu’ils entrecoupent l’acte III, n’ont aucune influence sur l’action et le déroulement de la pièce. Ils ne font que commenter l’action, apporter une réflexion philosophique, ou du moins méditative, sur les évènements qui viennent de se produire ou en réactions aux propos et comportement des personnages. Ils apportent une forme de recul et illustrent leurs analyses par des récits mythologiques de façon presque systématique, façon de donner une dimension universelle à leur propos à partir de l’exemple de l’histoire de Coriolanus. Ainsi, l’acte IV, au lieu de nous présenter un choeur de dames romaines comme on pourrait l’attendre après le choeur des devins et des sacrificateurs, présente une réflexion sur le pouvoir que les femmes ont sur les hommes à travers le choeur des Antiates, qui a pu observer Coriolanus cédant face aux dames romaines d’un point de vue extérieur. Bruno Méniel analyse le rôle des choeurs de la tragédie humaniste comme un prolongement de la culture humaniste du commentaire49 :

La tragédie humaniste fait entendre, à côté d’une parole qui est action, une parole qui est réaction et réflexion ; elle intègre son propre commentaire. Le personnage protatique et les choeurs fournissent au spectateur des clefs de lectures ; ils remplissent avant tout une fonction herméneutique. En insistant sur l’inconstance de la Fortune et sur la puissance des passions, notamment de la colère, ils mettent au jour le travail de la nécessité50.

Ce rôle de commentaire et de mise en évidence de la nécessité est effectivement endossé par les choeurs de la Tragédie de Coriolanus. À l’acte I, le choeur s’attache à rappeler le fonctionnement de la roue de fortune et les inconvénients qui viennent avec la bonne fortune et la renommée, et notamment « l’haineuse envie » (v.297). La titanomachie et la gigantomachie sont ensuite pris comme exemple pour illustrer ce phénomène inévitable. De même pour le choeur de l’acte II qui, après le ralliement de Coriolanus à Tullus et aux Volsques, commente les effets de la fureur lorsqu’elle est éprouvée par un homme qui est victime d’une injustice en donnant des exemples tirés de l’histoire de la guerre de Troie.

Bruno Méniel ajoute ensuite :

Alors que la forme de son discours et la tradition dramatique prédisposeraient le choeur au lyrisme, à l’expression de l’émotion, Horace, si important au XVIe siècle, lui assigne un objectif moral : « À lui de prendre le parti des bons et de donner les conseils d’un ami, / de modérer ceux qui s’emportent et d’aimer ceux qui ont crainte de faillir [...].51 »

Dans la Tragédie de Coriolanus, cette dimension morale des choeurs prend souvent la forme d’un avertissement, d’une mise en garde, adressée à une personne ou à un groupe de personnes. Cet aspect est particulièrement flagrant lorsque le choeur est caractérisé. Le choeur des devins et des sacrificateurs à l’acte III met en garde Coriolanus contre son comportement en énumérant la chute tragique de personnages mythologiques qui ont fait preuve de trop d’audace. Mais on observe la même tendance dans les choeurs des deux premiers actes. C’est d’abord Rome qui est mise en garde contre les conséquences qu’elle encourt en faisant preuve d’ingratitude :

Mais Rome, donne toy garde

Que le ciel sur toy ne darde

Quelque changement soudain :

Et que ton ingratitude

Ne te mette en servitude

Mesme soubs ta propre main. (v.387-392)

La seconde partie du choeur de l’acte III adopte le même type de discours sous forme d’une mise en garde aux allures de prophétie :

Et toy Tibre impetueux,

Qui nagueres soulois bruire

Coulant son nom glorieux,

Tu ne bruiras que son ire,

Meslant dans tes flots soudains

Le sang de tes citoyens. (v.761-766)

Le premier choeur de l’acte III s’écarte légèrement de ces prérogatives. Il fait office de transition entre la décision de déclarer la guerre à Rome et le tableau suivant dans lequel Coriolanus et les soldats sont déjà engagés dans la guerre et ont établi leur camp devant Rome. Le rôle du choeur des Volsques qui intervient entre ces deux tableaux est donc de créer une cohérence entre les deux tableaux. Le choeur exhorte donc les Antiens à trouver le courage d’aller se battre pour reprendre ce que Rome leur a volé, il est là pour galvaniser les troupes et leur assurer que la victoire est à portée de main :

Je voy ja cest aigle à deux testes

Qui nostre sang alloit succant,

Afin d’enrichir noz conquestes

Devant nous s’aller abaissant :

Puisque de Martius la prospere fortune

Nous est ores commune. (v.923-928)

5. Composition de la pièce et passage de la narration en prose au théâtre en vers

Les ajustements qu’opère Pierre Thierry ne se manifestent pas seulement dans les modifications apportées pour constituer le personnel tragique de la pièce. La Tragédie de Coriolanus resserre en effet son action pour faire commencer la pièce au plus près du dénouement, ce qui est fréquent pour les tragédies humanistes. Dans sa tragédie en latin, c’est d’ailleurs le choix que fait Hermann Kirchner dont la pièce s’ouvre sur le départ de Coriolanus pour Antium, chez les Volsques (« L’action commence avec le départ de Coriolanus pour Antium, après avoir été exilé par le peuple romain poussé par les tribuns52 »). Hardy fait le choix de débuter sa pièce légèrement avant, au moment où la foule demande que Coriolanus soit puni. Urbain Chevreau resserre quant à lui l’action de façon novatrice et fait commencer l’intrigue de sa pièce au moment où Coriolanus s’apprête à attaquer Rome. Mont-Justin se situe à mi-chemin de ces diverses propositions en faisant commencer sa pièce avec la scène des adieux à sa femme et à ses enfants. Ainsi, la promesse de vengeance formulée par Coriolanus dans la grande tirade qui ouvre le premier acte indique au spectateur que l’enjeu tragique de la pièce réside dans la possible destruction de Rome. On comprend aussi l’importance des rôles féminin dès le premier acte avec la présence de Vergilie (II, C, 3, a). Contrairement à Shakespeare et à Chapoton, qui proposent une vision plus large de l’histoire de Coriolanus en commençant leur pièce au début du récit de Plutarque, Mont-Justin invisibilise une grande partie des troubles politiques que connaît Rome et auxquels Coriolanus prend part. En effet, la question populaire disparait totalement de la tragédie, alors qu’elle fait partie des enjeux majeurs de la pièce de Shakespeare. Les personnages des tribuns ne sont par exemple pas repris, pas plus que le personnage de Menenius et sa fable des membres et de l’estomac, contée à la plèbe pour la convaincre du bien-fondé du système selon lequel est organisé la société. Ainsi, l’aspect politique de ce récit se trouve pour ainsi dire évacué – le motif du bannissement de Coriolanus n’est même jamais clairement mentionné, au profit de la question de l’action féminine et de la vengeance, notamment du point de vue juridique (II, C). En outre, ce resserrement de l’action permet de faire avancer l’intrigue tout en laissant la place au développement de passages plus délibératifs comme au début de l’acte III ou narratifs comme avec le récit de Latinus à l’acte II et celui de Catius à l’acte V.

La composition de la tragédie à partir d’un matériau littéraire en prose induit également certains changements et adaptations pour créer une tragédie en vers. Les discours prononcés par les personnages sont parfois retranscrits par Plutarque, comme celui que fait Coriolanus lorsqu’il offre son soutien à Tullus, celui de Valeria aux femmes romaines ou encore celui de Volumnia à son fils, le plus célèbre de cette histoire. Mais ces performances oratoires, car ce sont toujours les discours les plus beaux et les plus frappants qui sont réécrits par Plutarque, trouvent rarement une réponse aussi développée et retranscrite au discours direct de la part de l’interlocuteur. Il faut souvent se contenter de réponses brèves ou au discours indirect voire narrativisé. Par exemple, les adieux de Coriolanus à sa famille sont ainsi résumés par Plutarque « il embrassa sa mère et sa femme, qui se lamentaient, gémissaient et criaient53 », ce que Mont-Justin transforme en tout un échange à l’acte I entre Coriolanus et Vergilie qui tente de le dissuader de se venger de Rome, avant que Coriolanus ne fasse ses adieux à son épouse. De la même façon, l’épisode du songe de Latinus est rapporté sous forme narrative et en partie au discours indirect par Plutarque. Mont-Justin se saisit de toute cette histoire et invente la prosopopée de Jupiter et le long monologue de Latinus. La recherche d’un prétexte pour déclarer la guerre aux Romains est également utilisée par Pierre Thierry et amplifiée, devenant ainsi au début de l’acte III un débat pour déterminer si une nouvelle guerre et une alliance avec Coriolanus sont souhaitables ; le récit des premières victoires de Coriolanus sur des villes latines est intégré au récit de Catius à Tullus à l’acte V ; le discours de Coriolanus devant l’Assemblée des Volsques, que Plutarque suggère très bon, est lui aussi inventé par Pierre Thierry à partir des informations données par Plutarque sous forme narrative.

C. Les thèmes principaux de la pièce

1. Colère et vengeance comme ressorts tragiques

Nous l’avons vu (II, B, 5), la question politique de la vie collective en société disparait pour ainsi dire de la pièce de Mont-Justin. À l’inverse de chez Shakespeare, le resserrement du sujet au plus proche de son dénouement limite le nombre d’actions à représenter au fil des actes et la tragédie se concentre finalement sur l’évolution du personnage de Coriolanus et de son état d’esprit dans cette situation difficile. Ses réactions sont au coeur de l’enchainement des évènements tragiques qui se fait avant tout par la parole. L’histoire de Coriolanus s’y prête d’ailleurs particulièrement bien car l’éloquence constitue un enjeu fondamental ; toute la pièce peut être résumée par ses démonstrations rhétoriques plus ou moins efficaces, avec au premier plan les tentatives de convaincre Coriolanus de renoncer à se venger de Rome (II, C, 2, b) : le « spectacle de la parole » dont parle Emmanuel Buron au sujet de la tragédie humaniste54 semble correspondre parfaitement à la pièce de Pierre Thierry. L’émotion principale de la tragédie, qui motive toutes les actions du personnage de Coriolanus, est la colère provoquée par son bannissement qu’il estime injuste en plus de manifester l’ingratitude de ses concitoyens romains. Bruno Méniel, qui consacre un ouvrage entier à la question de la colère à la Renaissance, souligne la singularité de son rôle dans la tragédie : « La colère n’est donc pas, dans la tragédie humaniste, une passion comme les autres : elle est un ressort primordial de l’action.55 » Mais si l’on suit toujours l’analyse de la colère dans la tragédie que fait Bruno Méniel, Coriolanus semble aller un peu à contre-courant de la règle générale :

La colère des puissants, manifeste ou latente, tétanise les victimes. En dissuadant la révolte, elle a pour effet de paralyser l’action et fait de la tragédie humaniste un parcours immobile. En général, la tragédie de la fin du XVIe siècle ne met pas en scène des actions, mais plutôt des réactions émotives à des événements extérieurs. Le plus souvent, le protagoniste est soit la victime, soit un personnage meurtri par la mort de celle-ci, comme Porcie ou Cornélie. Sa plainte dénonce la puissance du Sort, de la Fortune, du Destin – termes que les dramaturges de l’époque ne distinguent pas toujours nettement –, mais aussi le pouvoir délétère des passions56.

Coriolanus est un effet un personnage victime de l’ingratitude de ses pairs, il devrait donc être paralysé dans sa capacité à agir, or c’est tout le contraire qui se produit et sa colère se meut en désir de vengeance qui va le pousser à s’allier aux Volsques et à lancer une campagne militaire contre Rome. En effet, Elliott Forsyth affirme que Coriolanus est partagé entre « sentiment patriotique » et « désir de vengeance »57 et souligne la singularité de cette situation dans laquelle la vengeance se dirige vers son propre pays d’origine58. Coriolanus est donc une victime particulière, il n’est pas victime de la colère des Romains qui l’ont banni, puisque ce bannissement était d’après lui plutôt motivé par l’envie, mais il éprouve lui-même de la colère. Ce sentiment, dû à l’impression d’une injustice, semble justifié mais la réaction de Coriolanus et son désir démesuré, hybristique, de vengeance finit par changer le cours de la tragédie. Là où l’on s’attend à voir Rome périr, un retournement de situation s’opère, montrant au spectateur un revirement de fortune sur scène, qui illustre les nombreuses allusions faites dans la pièce à la « vicissitude », aux « accidens », aux « changements » de fortune. C’est finalement Coriolanus qui périt par la colère qu’il suscite chez les Volsques en renonçant au projet de marcher sur Rome59, confirmant ainsi l’analyse de Françoise Charpentier : « lorsque la victime finale n’est pas celle que l’on prévoyait initialement, c’est souvent celui qui d’abord avait prémédité la mort qui en devient la victime (revirement).60 »

2. La question de la mise en scène

a. Théâtre à lire ou à jouer ?

Comme nous l’avons vu avec Bruno Méniel, même si Coriolanus transforme sa colère en désir actif de vengeance, la tragédie humaniste est d’abord une tragédie mettant en scène « des réactions émotives à des événements extérieurs61 ». La longue tirade de Coriolanus qui ouvre la pièce en témoigne, elle fait le point sur la situation tout en montrant les sentiments du personnage, ou du moins en lui permettant de se lamenter. Ce genre de discours se rencontre assez fréquemment dans la pièce, lorsque Tullus se lamente de la situation des Volsques, asservis au joug des Romains, à l’acte II par exemple ou encore au début de l’acte IV, lorsque Valeria fait le constat de la situation désespérée dans laquelle se trouve Rome. À cela s’ajoutent le long discours narratif de Latinus à l’acte II, qui n’a pas pour rôle de faire avancer l’action et que les autres dramaturges ne conservent pas, et celui de Catius à l’acte V, qui aurait pu être évité en plaçant Tullus sur le front aux côtés de Coriolanus. Les répliques longues, à valeur narrative, délibérative ou élégiaque se multiplient et peuvent donner l’impression d’une action interrompue ou discontinue, voire d’une tragédie dans laquelle rien ne se produit et qui illustrerait parfaitement le reproche traditionnellement fait à la tragédie humaniste d’être purement rhétorique, faite pour la lecture plus que pour le jeu62. Les longues tirades qui alternent avec des stichomythies peuvent laisser penser que la pièce constitue une sorte d’exercice rhétorique sous la forme d’une joute verbale. À l’acte V, le personnage de Catius qui a été aux côtés de Coriolanus au cours de la campagne qu’il a menée avec les Volsques jusqu’à Rome, souligne la nécessité de se venger de la trahison de Coriolanus sans lui laisser le temps de s’exprimer devant le Sénat, au risque de le voir sortir indemne de son procès grâce à son habileté oratoire :

Il est en ces discours, tu le sçais, admirable,

Beau diseur, eloquent : il peut par ses propos

Enchantant le Senat troubler nostre repos. (v.1718-1720)

Catius met ici en avant les qualités rhétoriques de Coriolanus qui doivent inciter les Volsques à se méfier de lui, reprenant l’idée selon laquelle la belle parole peut être dangereuse car elle est efficace. Par ces mots, Catius confirme que les nombreuses longues tirades de Coriolanus sont bien des démonstrations rhétoriques. Mais il ne faut pas oublier qu’une part très importante de la rhétorique antique est consacrée à la mise en scène du discours, appelée l’actio, qui s’intéresse à la façon dont un discours doit être prononcé (diction et gestes). Comme le souligne Emmanuel Buron63, un théâtre caractérisé par l’importance donnée à la rhétorique n’est pas pour autant dépourvu de théâtralité et il est même possible de parler de « spectacle de la parole » pour les tragédies de la Renaissance. Il souligne dans son article que :

Le lien du locuteur à son discours est nécessairement premier puisqu’il est constitutif de la fiction. Le personnage va donc s’exprimer, en un discours qui suppose qu’il doit être entendu. Il va mobiliser toutes les ressources du pathos, non tant pour convaincre un destinataire duquel la fiction le sépare, que pour peindre son intériorité au spectateur64.

Le discours est donc primordial, c’est à travers lui que se crée la fiction et que se dévoile le personnage. Dans l’exposition de la pièce, assurée par Coriolanus grâce à une tirade de plus de 200 vers, il est difficile de déterminer si le personnage est seul sur scène ou si sa femme et ses enfants, qui interviennent ensuite, entendent tout ou une partie de son long discours. Il apparait alors évident que le personnage ne s’adresse pas à un destinataire fictif, intégré à l’illusion dramatique, mais bien à lui-même et au spectateur qui le découvre ainsi en tant qu’homme blessé dans son orgueil, indigné et qui, ressassant les évènements récents, fait naître son désir de vengeance.

b. Quelle mise en scène peut-on imaginer ?

Si la tragédie humaniste est plus qu’un simple exercice de rhétorique mais bien une mise en scène de la parole, cela ne doit pas non plus empêcher toute tentative d’analyser matériellement comment la pièce pourrait être représentable. Une lecture précise de la pièce semble en effet permettre de définir ou d’imaginer un certain nombre d’éléments qui entrent en compte dans la représentation possible de la pièce. Il faut d’abord rappeler qu’il est impossible de savoir si elle a été représentée ou non. La pièce n’a probablement pas bénéficié d’un très grand écho ; l’impression à petit tirage nous le confirme, mais il reste qu’il ne va pas de soi au début du XVIIe siècle d’imprimer des pièces de théâtre. Fabien Cavaillé65 rappelle que les pièces de Hardy, pour être publiées, doivent être restituées par la troupe qui en a l’exclusivité. Il est peu vraisemblable que cela ait été un problème pour la pièce de Mont-Justin. Mais alors, l’impression de la pièce signifie-t-elle pour autant qu’elle n’a pas été représentée, ni même pensée pour l’être ? On peut imaginer que la famille de Dommartin, riche et puissante qu’elle semble avoir été, entretenait à sa cour une vie artistique et qu’elle ait permis à la pièce de Montjustin d’être imprimée. On peut imaginer aussi qu’elle en ait financé au moins une représentation donnée de façon privée pour la famille et son entourage en embauchant des comédiens et en finançant décors et costumes. Une telle représentation n’aurait probablement pas demandé énormément de moyens techniques par ailleurs, étant donnée l’importance des discours plus que des actions dans la pièce. Cette hypothèse impliquerait cependant que la famille dispose d’une troupe permanente ou attitrée, ce qui est peu probable était donné que le théâtre professionnel existait à peine à l’époque.

Représentée ou pas, il est tout de même possible que Pierre Thierry ait écrit sa tragédie en ayant à l’esprit un modèle de représentation66 et en l’imaginant représentée ou représentable. Tout d’abord, les personnages qui interviennent dans la pièce sont au nombre de 16, un nombre plus élevé que la quantité moyenne de personnages dans les tragédies du XVIe siècle. Il faut en effet compter que les « enfans de Coriolanus » sont deux, ce qui n’est pas précisé par Mont-Justin dans la liste des personnages, mais leurs deux noms, Metel et Fabritius, sont mentionnés par leur père à l’acte IV, au moment de faire ses adieux définitifs à sa famille :

À Dieu Madame à Dieu, d’un à Dieu éternel.

À Dieu ma Vergilie, à Dieu petit Metel,

À Dieu Fabritius (v. 1459-1461)

Concernant l’agencement de la scène, ou du moins les lieux qui doivent y figurer, il semble qu’il doive y en avoir au moins trois : un côté romain, un côté volsque et un lieu intermédiaire qui permettrait de passer de l’un à l’autre. L’acte I commence sûrement du côté romain car Coriolanus y fait ses adieux à Vergilie après avoir été banni. L’acte II doit être partagé entre Latinus à Rome, Tullus chez les Volsques et Coriolanus, lui, se déplace probablement du lieu intermédiaire au côté volsque de la scène. L’acte III s’ouvre sur un échange entre Tullus et quelques-uns de ses concitoyens volsques puis, après le choeur, s’ouvre le deuxième tableau et Vitellus représente la première délégation romaine qui vient rendre visite à Coriolanus. On comprend alors que Coriolanus se trouve à nouveau dans l’espace intermédiaire entre les deux villes ennemies qui représente sûrement le camp établi devant Rome par les soldats volsques menés par Coriolanus :

Pourquoy ne sortez-vous en bon ordre serrez

Dans un champ de bataille en esquadrons carrés ? (v.939-940)

Volumnia le confirme lorsqu’elle affirme à l’acte IV :

Je voy, mon filz armé pour un droit estranger,

Campé devant noz murs contre nous se renger (v.1283-1284)

La fin de l’acte III recentre la scène sur le côté romain avec le grand Pontife et le Sacrificateur qui décident d’aller parler à Coriolanus à leur tour. L’acte IV comporte le même schéma d’action : décision des femmes de demander secours à Volumnia à l’initiative de Valeria puis d’aller supplier Coriolanus de renoncer à son projet. Enfin l’acte V se passe certainement chez les Volsques avec le récit de Catius, le retour de Coriolanus et son procès puis sa mort. Notons par ailleurs que rien n’indique que Coriolanus meurt sur scène, même si l’on peut imaginer qu’il prononce ses dernières paroles en pleine agonie et que les derniers mots de la pièce prononcés par Tullus coïncident avec la mort de son rival. Quelques éléments indiqués dans les répliques des personnages, posent cependant question concernant cette mise en scène. À la fin de l’acte III, le Pontife et le Sacrificateur décident d’aller à leur tour voir Coriolanus :

Sus mon frere, prenons tous nos Dieux tutelaires,

Tous nos vases sacres, & sortans allons veoir,

Si quelque pieté pourra point esmouvoir

Ce coeur diamantin (v. 1038-1041)

Le Pontife suggère donc que le Sacrificateur et lui sortent de Rome pour aller voir Coriolanus. Mais dès le vers 1043 le grand Pontife annonce la venue de Coriolanus (« Mais ie le voy venir ») qui doit s’avancer vers eux : on peut donc se demander si les personnages ont eu le temps de sortir de Rome pour aller voir Coriolanus qui les apercevant s’est approché d’eux ou si au contraire ils n’ont pas eu le temps de sortir de Rome et que Coriolanus s’approche de Rome, mais cette deuxième hypothèse semble moins cohérente. Autre élément qui soulève un problème du même ordre, le début de l’acte IV met en scène toutes les femmes romaines, celles qui sont de la famille de Coriolanus et les autres menées par Valeria. Toutes ces femmes semblent donc se trouver au même endroit de la scène qui figure la ville de Rome, or Valeria et Coelia qui parlent au début ne sont sûrement pas entendues de Volumnia, Vergilie et les enfants car l’enjeu de leur discussion est justement de prendre la décision d’aller s’adresser à Volumnia. Les vers 1252-1253 confirment cependant que la famille de Coriolanus n’est pas loin puisque Coelia les aperçoit, ce qui déclenche la discussion entre Valeria et Volumnia :

Je voy Volumnia, qui tient sur son giron

Ses deux petits nepveux, elle fond toute en larmes.

Il est donc possible que la partie romaine de la scène soit divisée en deux espaces distincts pour respecter les indications suggérées par les paroles des personnages. À la fin de cet acte, on peut également souligner la rencontre entre Coriolanus et sa mère :

Volumnia.

Une froide sueur destrempe mon visage :

Mon genou dessoubs moy tremblote descharné,

Et mon chef va penchant contre bas prosterné.

Dirige bien mes pas ma guide plus fidelle :

Car mes yeux sont sillez d’une nuict eternelle.

Conduy-moy tastonnant : quel bruit enten-je icy ?

Suis-je vers Martius ?

Vergilie.

Madame, le voicy.

Coriolanus.

Quel nouveau accident vous guide icy mes dames ? (v.1306-1313)

L’enchaînement des répliques et l’emploi du verbe « conduire » indiquent bien ici que la délégation des femmes est sortie de Rome pour aller à la rencontre de Coriolanus dans le camp volsque devant Rome. Les paroles de Volumnia apportent d’ailleurs des informations supplémentaires quant à la représentation de la scène : Volumnia, aveugle et accablée, a besoin du soutien de sa belle-fille Vergilie pour se déplacer, elle est d’ailleurs au bord du malaise. Notons également que ces deux exemples, qui ne sont pas isolés dans la pièce, vont à l’encontre d’un phénomène que souligne Françoise Charpentier :

La liaison « à vue » n’est pas fréquente dans la tragédie humaniste, et l’occasion est rarement donnée de faire annoncer un personnage par un autre : « Je vois Un tel qui vient. »67

En effet, il est fréquent que l’arrivée d’un personnage soit signalée par un autre personnage au moment où il l’aperçoit, ce qui donne une forme de cohérence et de continuité aux répliques. Il faut aussi souligner que cela peut faciliter la lecture car un spectateur peut voir lui-même lorsqu’un nouveau personnage arrive et s’apprête à prendre la parole.

Enfin, l’acte V interroge également la configuration de la scène du côté des Volsques. En effet, Catius s’adresse à Tullus pour lui raconter ce qui s’est produit sur le champ de bataille, on suppose donc qu’ils se trouvent bien tous deux dans leur patrie. Coriolanus est censé être parti lui aussi de ce champ de bataille mais rien n’indique où il est allé :

Qu’on trousse le bagage avant le point du jour,

Je ne veux faire icy plus longtemps mon sejour :

Il faut demain partir (v.1463-1465)

Il est donc étrange qu’il reparaisse ensuite chez les Volsques qu’il devrait fuir, sachant le sort qu’ils lui réserveront. Dans le cinquième acte, on constate un autre élément surprenant : à la fin de leur discussion, Tullus demande à Catius de se rendre au Sénat et annonce l’arrivée de Coriolanus (on constate d’ailleurs ici qu’il s’agit d’une nouvelle « liaison "à vue" » comme les appelle Françoise Charpentier) :

Mais je le voy venir : va-t-en, je te supplie,

Amasser le Senat, je m’en vay après toy (v.1726-1727)

Cela implique qu’un endroit de la scène figure le Sénat ou alors que Catius sorte de la scène pour y revenir accompagné des sénateurs. Ces précisions contenues dans le discours des personnages posent donc aussi la question du déplacement des acteurs et de leur présence ou non sur scène. On peut noter que les enfants de Coriolanus, bien que jouant un rôle mineur d’amplification de la charge tragique des scènes, sont tout de même mentionnés dans la liste des personnages, ont quelques répliques pour manifester leur présence et sont fréquemment désignés par d’autres personnages (on a vu que Coriolanus s’adresse même à eux une fois en donnant leurs noms). Il est parfois difficile de déterminer cependant à partir de quand les personnages sont présents sur scène. Lors de son premier monologue qui ouvre la pièce, Coriolanus ne mentionne jamais sa femme ou ses enfants ni ne s’adresse à eux mais la première remarque de Vergilie avec qui il échange ensuite est « Ha monsieur, ces propos me vont rompans le coeur. » (v.204), ce qui suggère qu’elle a écouté le discours de Coriolanus au moins en partie, sûrement en présence des enfants. Autre exemple à l’acte III avec l’échange entre Coriolanus, le grand Pontife et le Sacrificateur : les deux dernières répliques des envoyés romains ne s’adressent plus à Coriolanus mais rien n’indique s’ils ont pris congé de lui pour se diriger vers Rome ou si c’est Coriolanus lui-même qui est sorti de scène. Ce que l’on peut en revanche soupçonner c’est que le grand Pontife et le Sacrificateur aillent rejoindre le choeur : ils n’interviennent plus ensuite dans la pièce et surtout ce choeur est alors appelé « choeur des devins et sacrificateurs ». D’ailleurs, le fait que le choeur représente tour à tour des citoyens de cités différentes pose question concernant la représentation possible de la pièce : comment manifester ce changement de nature au cours de la représentation pour s’assurer que les spectateurs l’aient saisi ? Le premier élément de réponse se situe dans le texte prononcé par le choeur lui-même dont le contenu est assez explicite : à l’acte III, le choeur des Volsques s’adresse à ses troupes et les exhorte à vaincre Rome, le choeur des devins et sacrificateurs s’adresse à Coriolanus et mentionne les prières qui lui ont été adressées. En outre, le rôle de commentateur de l’action qu’il endosse ne nécessite pas forcément une identification claire de la nature du choeur, qui n’est même pas caractérisé dans les deux premiers actes.

3. L’importance de l’éloquence

a. Les femmes romaines au centre de la pièce

La parole et l’éloquence restent tout de même au coeur des enjeux de la pièce, particulièrement dans leur représentation féminine. En effet, l’acte IV est monopolisé par des discours de femmes qui sont essentiels pour le dénouement de la tragédie et qui bousculent le cours des évènements prévus par la vengeance de Coriolanus. Le rôle de Volumnia, comme dans toutes les tragédies sur l’histoire de Coriolanus, est crucial, car c’est elle qui, plus que les autres, parvient à convaincre son fils d’abandonner son projet de vengeance et de revenir à la raison. Une vraie place est également faite à Valeria à qui Pierre Thierry redonne toute son énergie et sa détermination tandis que Shakespeare la fait passer au second plan. Le rôle de Coelia est également créé, désanonymisant ainsi la troupe des femmes à qui Valeria s’adresse et qui accompagnent Volmunia et Vergilie, même si son importance reste mineure. Le rôle de Vergilie revêt également une importance nouvelle grâce à son intervention au premier acte où elle tente de raisonner son époux une première fois, qui renforce sa contribution assez faible (une seule réplique) à l’offensive menée contre Coriolanus dirigée par Volumnia. Mont-Justin semble en tout cas porter une attention toute particulière aux personnages féminins et à leur capacité à agir, qui va là encore à l’encontre de Bruno Méniel qui affirme que la colère du personnage qui se trouve en position de force « tétanise les victimes68 ». Cet intérêt du dramaturge est confirmé par les propos de Mont-Justin dans la dédicace à Diane de Dommartin qui précède le début de la tragédie. Il lui assure en effet :

Vous verrez en ceste tragedie la courageuse magnanimité des Dames Romaines, et l’inesperé secours qu’elles donnerent à leur patrie, ja preste à courber le dos soubs un joug estranger.

Le comportement des femmes romaines, leur grandeur d’âme et l’aide inestimable qu’elles apportent à leur patrie sont exemplifiés par Pierre Thierry qui choisit de présenter sa tragédie à travers ce prisme plutôt que celui des thèmes de la politique ou de la vengeance, sortant des sentiers battus de la tragédie humaniste qui représente souvent les femmes dans un rôle de déploration et de lamentation, encore plus lorsqu’elles forment un groupe.

b. Echec et réussite de la parole

La délégation des femmes à l’acte IV opère en tout cas un tour de force, en parvenant à faire plier Coriolanus, elles offrent un bel exemple de discours efficace, qui atteint son objectif. On peut sans doute aller jusqu’à dire que l’efficacité de la parole est l’enjeu principal de la Tragédie de Coriolanus, voire qualifier la pièce de tragédie de la parole. Au dernier acte, le personnage de Catius attire volontairement l’attention sur les qualités de Coriolanus en matière d’éloquence pour en dénoncer l’efficacité perverse :

Il est en ces discours, tu le sçais, admirable,

Beau diseur, eloquent : il peut par ses propos

Enchantant le Senat troubler nostre repos. (v.1718-1720)

La pièce est en effet traversée par le motif de l’efficacité du discours qui tantôt triomphe, tantôt, le plus souvent, fait défaut. Le discours le plus efficace est bien sûr celui de Volumnia qui parvient enfin à convaincre son fils d’abandonner son projet de se venger de Rome en reprenant les cités Volsques vaincues et en rasant la cité. C’est par la persuasion et le recours à des sentiments que l’on peut rapprocher du pudor latin (dans le Gaffiot : « sentiment moral, moralité, honneur ») et de la pietas romaine (« sentiment qui fait reconnaître et accomplir tous les devoirs envers les dieux, les parents, la patrie », Gaffiot), que Volumnia parvient à obtenir le renoncement de son fils. L’actio qu’elle met en oeuvre dans son discours est également soulignée par ses propres propos :

Mais puis qu’il n’est ainsy, mes mignons quant à nous

Pour la seconde fois embrassons ses genoux :

Et ne nous levons plus qu’il ne le nous commande,

Que qu’il n’aye accordé nostre juste demande. (v.1439-1442)

La parole et les procédés rhétoriques employés par Volumnia sont donc bien pensés pour être accompagnés de gestes, et c’est même ce geste de supplication, explicitement mentionné qui achève de convaincre Coriolanus qui réplique tout de suite :

Madame, levez-vous. Las ! Que m’aves-vous faict ?

Vous triomphez de moy : car vous m’avez deffaict. (v.1443-1444)

On assiste donc ici à un véritable triomphe de la parole, peut-être d’ailleurs le seul véritable discours triomphateur de la pièce. En effet, Coriolanus adresse à Tullus un discours qui semble lui aussi porter ses fruits quand il s’offre à lui pour être tué ou autorisé à combattre Rome aux côtés des Volsques. Mais plusieurs éléments nous conduisent à nuancer la victoire que représente l’accueil chaleureux que Tullus réserve à Coriolanus. L’acte II met en scène Coriolanus qui prend la décision de trouver refuge chez les Volsques puis la réplique qu’il adresse à Tullus dans laquelle il admet qu’il est prêt à mourir si c’est le sort que lui réserve Tullus (« Il estime trop peu la perte de sa vie / Au pris de son honneur », v.613-614). Coriolanus manifeste donc une forme d’indifférence concernant son propre sort, l’enjeu de son discours en est donc modifié : si le choix de Tullus lui importe peu, nul besoin de le convaincre de choisir l’une ou l’autre option. Par ailleurs, la décision de Coriolanus de tenter sa chance chez les Volsques et son discours adressé à Tullus sont séparés par une intervention de Tullus qui se lamente justement du sort de son peuple qui accepte la soumission à Rome :

[...] et quoy ? Ne veux-tu point

En dessillant tes yeux republique Antienne,

T’opposer quelque fois à l’audace Romaine ? (V.564-566)

Le discours tenu par Tullus juste avant sa discussion avec Coriolanus rend l’enjeu du discours de Coriolanus bien moins grand aux yeux des spectateurs qui soupçonnent déjà que Tullus ne pourra pas refuser une telle offre, lui qui vient d’exprimer son désir de voir son peuple libéré et libre. La plupart des autres discours de la pièce illustrent l’échec ou le refus de la parole : Vergilie ne parvient pas à raisonner Coriolanus à l’acte I, le récit de Latinus n’a aucun effet sur les sénateurs romains à l’acte II, à l’acte III Titius échoue à dissuader Tullus de s’allier à Coriolanus, les délégations de Vitellus puis celle du grand Pontife et du Sacrificateur ne parviennent pas à dissuader Coriolanus d’accomplir son dessein, et, ultime et fatal échec, Coriolanus meurt à défaut de pouvoir justifier ses actes après des sénateurs volsques. Les dernières paroles de Coriolanus sont en effet des tentatives de prise de parole et de protestation :

Donnez moy audience,

Avant qu’estre jugé entendez ma raison. (v.1891-1892)

Sommes-nous au Senat ? Faictes moy la iustice. (v.1894)

Ô barbare inhumain ! Ô nation cruelle ! (v.1898)

La pièce s’achève sur les mots de Tullus qui dénonce le manque de fides (« sentiment du contrat », Gaffiot) et les paroles bafouées de Coriolanus qui s’était engagé auprès des Volsques :

Ainsi puissent perir tous ceux, qui comme toy,

Perfides fausseront leur honneur et leur foy. (V.1900-1901)

Un dernier exemple relève plutôt d’un refus de dialoguer : à l’acte IV, Volumnia regrette de n’avoir pas perdu l’ouïe en plus de la vue dont elle n’a plus l’usage, exprimant ainsi sa préférence pour une forme de déni qui lui permettrait de n’avoir pas à savoir que son fils se trouve dans une telle posture, car elle ne peut pas ignorer que, si son discours atteint son but, elle provoquera du même coup la mort de son fils :

J’ay porté dèz longtemps la perte de mes yeux

Trop impatiemment : mais que pleust ore aux Dieux

Que j’eusse encor perdu avec iceux l’ouye ! (v.1327-1329)

On peut peut-être rappeler ici les mots d’Emmanuel Buron sur la mort de la Cléopâtre de Jodelle qu’il qualifie d’« ultime symptôme non verbal69 » avant de conclure que les tragédies de Jodelle sont la « mise en forme de cette perte de la communication, la sublimation d’un échec de la parole.70 » L’histoire de Coriolanus et la pièce qu’en tire Montjustin semblent correspondre à cet échec de la communication et de la parole qu’illustrent les discours de les personnages, excepté celui de Volumnia, qui détourne in extremis la destinée tragique qui s’apprêtait à s’abattre sur sa patrie.

On peut ici repenser au Coriolanus de Shakespeare qui, quoique très différent de celui de Mont-Justin, saisit également les enjeux liés au langage et à la rhétorique dans la pièce, notamment à la scène 2 de l’acte III lorsque Menenius et Volumnia tentent de persuader Coriolanus de parler aux plébéiens et surtout de leur montrer ses cicatrices de guerre pour qu’ils acceptent qu’il devienne consul. Coriolanus estime qu’il n’a rien à prouver au peuple et refuse de dire des choses qu’il ne pense pas : « Me voudriez-vous traître à ma nature ? Dites-moi plutôt de paraître l’homme que je suis.71 » Quant à la Volumnia de Shakespeare, elle affirme « le geste, c’est l’éloquence72 », montrant ainsi sa maîtrise de la rhétorique et le lien étroit entre dire et agir au théâtre qui est déjà bien présent chez Mont-Justin dont la pièce concilie rhétorique et spectacle théâtral.

4. La justice et le droit au coeur des préoccupations

Du monologue d’ouverture au procès de Coriolanus qui clôt la tragédie, la pièce de Mont-Justin est traversée de préoccupations juridiques. La légitimité des actes des uns et des autres est fréquemment jugée et interrogée à travers le prisme du droit et de la justice. La multiplication des expressions et des formules liées à la justice, notamment dans le cadre de la guerre, tourne presque à l’obsession : « soutenir le droit » de tel ou tel peuple, déterminer s’il s’agit ou non d’une « juste querelle » ou d’une « juste colère » ou encore si le droit est de tel ou tel côté... Dès le premier acte, Vergilie tante de montrer à son époux que son désir de vengeance et donc de trahison ne sont pas justifiés aux yeux du droit, entendu ici au sens de raison :

[Coriolanus.]

Le droit combat pour moy.

Vergilie.

Le droit ? non, la raison

Ne s’accorda jamais avec la trahison. (v.231-232)

Le début de l’acte III amplifie également un bref passage du récit de Plutarque et crée toute une scène dans laquelle la question de la légitimité et du bien-fondé de déclarer une guerre à Rome est centrale :

Nous avons avec eux une heureuse alliance,

Et tresve pour deux ans : cela est tout certain,

L’honneur nous y semond, la foy nous y contraint :

Elle doit contre tous sans fraude estre gardée. (Titius, v.810-813)

La question juridique est ici liée à l’honneur et la foi (au sens de loyauté) qui s’opposent à la « fraude » que représenterait une transgression de la trêve mise en place. Titius défend cette trêve, non au nom du respect des lois, mais plutôt au nom du respect qu’ont les Volsques envers eux-mêmes et envers les engagements qu’ils ont pris, présentant ainsi une vision des lois comme étant subordonnées à la morale et à une forme d’intégrité.

Enfin à l’acte V se tient une assemblée du Sénat qui se transforme en procès de Coriolanus. On y entend le Consul se faire l’arbitre du débat et se soucier de juger en faisant preuve d’une certaine égalité sinon d’impartialité entre Tullus et Coriolanus qu’il demande à entendre tous les deux pareillement :

Bien, mais il faut ouïr l’une et l’autre partie.

Vous avez proposé : et toy, que responds-tu ?

D’autant qu’un tel faict doit estre bien debatu. (v.1847-1849)

Dans son étude de la colère à la Renaissance, Bruno Méniel s’intéresse également à la dimension juridique dans laquelle elle s’inscrit et notamment dans l’association entre « vengeance et loi »73. Il commence par rappeler que « les courants aristotéliciens et stoïciens s’accordent à considérer la colère comme un désir de vengeance74 » avant de citer Jacques Davy du Perron qui oppose fermement le désir de vengeance, causé par la colère et qui relève donc de la passion, de la punition juridique, déterminée à l’aide de la raison : « En la Justice, la punition est faicte par le magistrat, qui mesure l’injure, sans aucune passion : et de là tire-t’on la necessité de la Justice75 ». Bruno Méniel en conclut que « Par essence, la colère et la justice s’opposent. L’une appartient aux appétits irascibles, alors que l’autre est une vertu qui obéit à la raison.76 » En effet, c’est bien la raison qui s’oppose aux passions dans la Tragédie de Coriolanus. Nous l’avons vu avec Vergilie qui identifie le droit à la raison à l’acte I et la défense de Coriolanus à l’acte V, qui estime que c’était faire preuve de raison que de céder à la demande des dames romaines, le confirme :

Mais je me suis laissé emporter par des femmes ;

Ouy par la raison. Non non, il ne faut point

En une extremité reduire au dernier point

L’ennemy. (v.1875-1878)

Coriolanus admet ainsi que sa colère, bien que justifiée par le sentiment d’injustice éprouvée77 s’exprimait de façon déraisonnable. La fin de la pièce transfère cette hybris vengeuse aux personnages de Tullus et de Catius qui ignorent les méthodes judiciaires (le Consul est même obligé de les rappeler à l’ordre au vers 1890 : « Tout beau, faites silence. ») et interrompent la défense de Coriolanus pour obtenir la vengeance qu’ils souhaitent, à savoir sa mort.

Conclusion

Pierre Thierry, sieur de Mont-Justin, reste un auteur assez mystérieux. Malgré son oeuvre assez conséquente et, qui plus est, imprimée, il semble n’avoir pas bénéficié d’une grande audience et son succès devait se limiter à ses mécènes et leur entourage. Il est d’ailleurs peu probable que les dramaturges ayant mis en scène l’histoire de Coriolanus à leur tour, notamment Hardy et Shakespeare, aient eu connaissance de la tragédie écrite par Pierre Thierry.

La Tragédie de Coriolanus nous montre cependant qu’il maîtrise bien les textes anciens et les pratiques de la dramaturgie tragique de son époque, il s’inscrit ainsi dans la lignée des tragédies humanistes françaises du XVIe siècle, non sans talent ni originalité. Il s’empare en effet d’un sujet qui n’a encore jamais été traité en France et élabore une tragédie qui correspond aux caractéristiques de la tragédie humaniste, malgré sa date tardive qui la rapproche d’une période de renouvellement des genres théâtraux au début du XVIIe siècle. Mont-Justin y respecte également le récit de Plutarque qu’il suit assez scrupuleusement et s’inspire de la traduction d’Amyot tout en y apportant des modifications qui rendent compte d’une réelle interprétation théâtrale du récit initial en prose et mettent en avant un certain nombre d’aspects qui semblent tenir à coeur à l’auteur. Les femmes sont ainsi mises en avant dans un rôle actif et décisif pour le dénouement de la tragédie puisque ce sont elles qui font basculer le destin de Rome et par la même occasion celui de Coriolanus, en le ramenant à la raison mais aussi en le précipitant vers sa mort. Le droit et la justice sont aussi à l’honneur et se croisent aux questions de rhétorique et d’éloquence, notamment à l’occasion du procès de Coriolanus qui est finalement réduit au silence de la plus brutale des manières.

S’il n’a pas marqué ses contemporains ni même les siècles suivants, Pierre Thierry fait dans cette pièce des propositions théâtrales et tragiques intéressantes, y compris dans la façon de transposer de la prose en oeuvre dramatique en vers. Malgré une langue parfois un peu difficile voire alambiquée, il propose une tragédie tout à fait digne d’intérêt dont la lecture ajoute une nouvelle grille d’analyse à l’histoire de Coriolanus et son adaptation au théâtre en Europe entre la fin du XVIe siècle et le début du XVIIe siècle.


Bibliographie
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[1] La page de titre des Œuvres premières indique « Mon-Justin » mais les deux tragédies qui y figurent, Coriolanus et David persécuté, écrivent « Mont-Justin » ; La Chaste Iolande donne tantôt « Mon-Justin » puis « Montjustin » et la notice de la BNF pour le Cimetière d’Amour note « Mon-Jeutin ».
[2] Alexandre Hardy, « Introduction » de Coriolan, Terence Allott, University of Exeter, 1978, p.XVIII.
[3] Jacques Tortorel et Jean Perrissin, « Page de titre » du Premier volume contenant quarante tableaux ou histoires diverses qui sont mémorables touchant les guerres, massacres et troubles advenus en France en ces dernières années, 1569-1570, Estampe (gravure sur bois), 32x48.7cm, Musée Carnavalet Histoire de Paris.
[4] Jacques Tortorel et Jean Perrissin, « Au lecteur » du Premier volume contenant quarante tableaux ou histoires diverses qui sont mémorables touchant les guerres, massacres et troubles advenus en France en ces dernières années, 1569-1570, Estampe (gravure sur bois), 31.8x49cm, Musée Carnavalet Histoire de Paris.
[5] Elliott Forsyth, La Tragédie française de Jodelle à Corneille (1553-1640). Le Thème de la vengeance. Classiques Garnier, 1994, p.233.
[6] Cote : 003612883, http://explore.bl.uk/BLVU1:LSCOP-ALL:BLL01003612883. La page de titre a été reproduite en annexe.
[7] Cote L393D, https://primo.bib.uni-mannheim.de/permalink/f/19ojnqi/MAN_ALMA2198480740002561. La page de titre a été reproduite en annexe.
[8] Cote Rothschild 3188, 762 b, Consultation (bnf.fr).
[9] Pierre Thierry, sieur de Mon-Ieutin, Le Cimetière d’amour, Pontoyse, 1597 d’après la notice de la BNF Consultation (bnf.fr) (cote Rothschild 3188, 762 b).
[10] J. S. Street, French sacred drama from Bèze to Corneille : dramatic forms and their purposes in the early modern theatre, Cambridge University Press, 1983 : « Thierry used the humanist form to direct attention away from these brutal events and towards reflection on their moral origin in David’s sin », p.106.
[11] « Introduction » de Fabien Cavaillé, p.15 in Alexandre Hardy, Coriolan, éd. Fabien Cavaillé & Richard Hillman, Presses Universitaires François-Rabelais, 2019 : « Cependant, il est peu probable que la tragédie de Pierre Thierry ait pu inspirer Alexandre Hardy : les Œuvres Premières du sieur de Montjustin n’ont connu qu’un petit tirage. »
[12] Emile Picot et Paul Lacombe, Catalogue des livres composant la bibliothèque de feu M. le Baron James de Rothschild, Tome 4, Second supplément, éd. D. Morgand, Paris, 1912, p.580-81.
[13] Biographie nationale, vol. IV, Académie royale de Belgique, 1873, p. 55255, https://www.academieroyale.be/Academie/documents/FichierPDFBiographieNationaleTome2045.pdf.
[14] Emile Picot et Paul Lacombe, p.581 : « Malgré la rubrique de Pontoise, l'impression paraît avoir été exécutée dans les Pays-Bas. »
[15] Tite-Live, Histoire romaine, II, 40 : « Sur le genre de trépas, on n’est pas d’accord : Fabius, le plus ancien de tous nos historiens, dit qu’il mourut de vieillesse. Il rapporte, en tout cas, qu’à la fin de sa vie il répétait souvent : “L’exil est dur, surtout pour un vieillard » (« Apud Fabium, longe antiquissimum auctorem, usque ad senectutem uixisse eundem inuenio; refert certe hanc saepe eum exacta aetate usurpasse uocem, multo miserius seni exilium esse. »).
[16] La notice de la BnF concernant la réédition de 1548 indique que le titre comporte la mention « translatées par le commandement du très chrestien roy François I » et ajoute que « les vies présentes sont celles de Thémistocles, Camillus, Périclès, Coriolanus, Timoléon, Paule Émyle ».
[17] Citations respectivement relevées par Antoine Compagnon dans « Montaigne : de la traduction des autres à la traduction de soi. », Littérature, n°55 (numéro spécial : « La farcissure. Intertextualités au XVIe siècle »), 1984, pp. 37-44 et par Antoine Berman dans « La naissance de la grande prose française », Po&sie, vol. 135, no. 1, 2011, pp. 89-96.
[18] Antoine Berman, ibid.
[19] François De Belle-Forest, « Denys de Halycarnasse ». Harangues militaires, et concions de princes, capitaines, ambassadeurs, et autres manians tant la guerre que les affaires d’Estat, Nicolas Chesneau, rue St. Jacques, au Chesne verd, 1573, p. 30122.
[20] Une version de cette oeuvre est conservée à la bibliothèque Mazarine à Paris. Nous n’avons pas été en mesure de la consulter et nous référons aux propos de Jacob Beam dans son article « Hermann Kirchner’s Coriolanus » publié par PMLA en 1918 (vol. 33, n°2, p.269-301).
[21] Les autres Coriolanus que nous allons évoquer sont tous publiés au XVIIe siècle. Il est cependant difficile d’affirmer avec certitude que le Coriolanus de Kirchner est le seul à avoir été composé au XVIe siècle.
[22] Beam, p. 285 (notre traduction) : « the latter part of it must refer to the several comic scenes or actions which run side by side with the more serious plot, or to the fact that, while the story of the doings and sufferings of Coriolanus is tragical in its course, the tragic outcome is avoided; for, from the stand- point of the Roman matrons whose importance here is much greater than in Shakespeare and his sources, in their attempts to save Rome when the efforts of the men have failed, the outcome is happy because successful. »
[23] Isabelle Denis, « A New Look at the Story of Coriolanus », Tapestry in the Baroque : New Aspects of Production and Patronage, The Metropolitan Museum of Art Symposia, éd. Thomas P. Campbell et Elizabeth A.H. Cleland, 2010, p. 34-55.
[24] Adolph Cavallo, “The history of Coriolanus as represented in tapestries.” Brooklyn Museum Bulletin, vol. 17, no. 1, Brooklyn Museum, 1955, p. 5–22.
[25] Isabelle Denis, p.39-46.
[26] Cavaillé, « Introduction », p.15.
[27] Forsyth, p.235.
[28] Bruno Méniel, « La colère sur les planches », Anatomie de la colère, Une passion à la Renaissance. Classiques Garnier, 2020, p.440.
[29] Plutarque, « Vie de Coriolan », Vies parallèles, Classiques en poche, Les Belles Lettres, 2002, §21, p.153.
[30] Plutarque le nomme Latinius mais Amyot écrit Latinus (p.822).
[31] Plutarque, §24-25, p.159-165.
[32] Bruno Méniel, p.425.
[33] Plutarque, p.159.
[34] Amyot, p.840.
[35] Amyot, p.843.
[36] William Shakespeare, Coriolan, acte V, scene 3, p.427. Dans l’édition anglaise d’Oxford university press, p.338 : « Should we be silent and not speak, our raiment / And state of bodies would bewray what life / We have led since thy exile ».
[37] Forsyth, p.235.
[38] Plutarque, 34, p.183.
[39] Cavaillé, « Introduction », p.22.
[40] « Introduction », p.30-31 in Urbain Chevreau, Coriolan, Ed. Frédéric Sprogis (mémoire de master 1 sous la direction de Georges Forestier), Bibliothèque dramatique du CELLF, 2008-2009.
[41] Voir les pages 368-369 de l’introduction de la pièce par Emmanuel Buron dans l’anthologie Théâtre tragique du XVIe siècle, Jodelle, Des Masures, La taille, Garnier, éd Emmanuel Buron et Julien Goeury, GF Flammarion, 2020.
[42] Shakespeare, acte V, scène 3, p.428. Dans l’édition anglaise, p.340 : « He shall not tread on me. / I’ll run away till I am bigger, but then I’ll fight.».
[43] Plutarque, §22, p.155.
[44] Plutarque, §31, P.173.
[45] Plutarque, §39, p.193.
[46] Plutarque, §30, 3-4, p.171-173.
[47] Plutarque, §32, p.175-177.
[48] Cavaillé, « Introduction », p.23.
[49] Bruno Méniel, « La colère sur les planches » : « Le recul du choeur par rapport à l’action le prédispose à formuler un bilan des actions accomplies et à juger les comportements. Si l’humanisme a été une culture du commentaire, la tragédie qui s’écrit dans la seconde moitié du XVIe siècle en est l’héritière. », p.439.
[50] Bruno Méniel, « La colère sur les planches », p.438.
[51] Bruno Méniel, « La colère sur les planches », p.438.
[52] Jacob Beam, p.275 : « The action begins with the departure of Coriolanus for Antium, after he has been exiled by the Roman people urged on by the tribunes. In Shakespeare's drama this is Act iv, scene iii. Naturally, Kirchner's play, with the scope of its action half that of Shakespeare's, yet with its length greater, is not by any means as lively as the English drama. The Latin School- drama, as a type, however, was rhetorical rather than dramatic, and recitation and practice in the usage of Latin took higher place in the performance than the action itself. Hence no opportunity to make use of the long speeches of the historical sources is neglected »
[53] Plutarque, §21, p.153.
[54] Buron, Emmanuel. « La renaissance de la tragédie ou le spectacle de la parole. Vue et parole dans les tragédies d’Etienne Jodelle (1995) ». Lectures d’Etienne Jodelle. Didon se sacrifiant, éd. Emmanuel Buron et Olivier Halévy, Presses Universitaires de Rennes, 2013, p. 139168.
[55] Bruno Méniel, « La colère sur les planches », p.430.
[56] Bruno Méniel, « La colère sur les planches », p.434.
[57] Forsyth, p.233.
[58] Forsyth, p.235.
[59] Forsyth, p. 235 : « Cette vengeance, du reste, ne se réalise pas, et ce défaut même d’exécution suscite une contre-vengeance de la part de ceux qui se sentent comme trahis par l’abandon du projet. »
[60] Françoise Charpentier, Pour une lecture de la tragédie humaniste. Jodelle, Garnier, Montchrestien. Publications de l’Université de Saint-Etienne, 1979, p.34.
[61] Bruno Méniel, « La colère sur les planches », p.434.
[62] Bénédicte Louvat donne pour titre « tragédie à lire ou tragédie à voir ? » à l’une des parties de son ouvrage L’"Enfance de la tragédie" (1610-1642). Pratiques tragiques françaises de Hardy à Corneille. PU Paris-Sorbonne, 2014.
[63] Op. cit.
[64] Emmanuel Buron, p.140.
[65] Op. cit., p.9 : « Tout d’abord, la publication de pièces de théâtre n’a rien d’une évidence au début du XVIIe siècle puisque le poète vend sa production aux comédiens qui en deviennent les propriétaires. Pour la faire imprimer, l’auteur doit obtenir de la troupe qu’elle lui rende ses oeuvres ; or les acteurs refusent souvent, et à raison, de céder des ouvrages qui peuvent encore plaire sur scène. »
[66] L’expression est de Bernard Dort.
[67] Françoise Charpentier, p.40.
[68] Bruno Méniel, « La colère sur les planches », p.434.
[69] Buron, p.145.
[70] Buron, p.168.
[71] Shakespeare, p.386. Dans l’édition anglaise, p.267 : « Would you have me / False to my nature / Rather say I play / The man I am ».
[72] Shakespeare, p.388. Dans l’édition anglaise, p.271 : « Action is eloquence ».
[73] Bruno Méniel, « Condamner la colère. Le discours juridique », Anatomie de la colère, Une passion à la Renaissance. Classiques Garnier, 2020, p.125-144.
[74] Bruno Méniel, « Condamner la colère. Le discours juridique », p.130.
[75] Bruno Méniel, « Condamner la colère. Le discours juridique », p.131.
[76] Ibid.
[77] Bruno Méniel, « Condamner la colère. Le discours juridique », p.137 : « Pour le grammairien Donat (Ælius Donatus), commentateur de Térence, "La colère procède de l’injustice", elle est un sentiment de révolte devant l’iniquité. »

À MADAME
la Marquise Daurech,

MADAME,

EstantÉtant tout prestprès de dire un dernier à Dieuadieu aux Muses78 autant79 ingrates en mon endroit80, comme Mars m’a quelque foisquelquefois estéété peu favorable81, et desirantdésirant de faire payer à la fortune, au comble entier d’un paisible contentement, l’usure des hasards et fascheriesfâcheries qu’une ardente jeunesse m’a fait courir depuis quelquetempsquelque temps, desjadéjà voisin du port, et prestprêt à mouiller l’anchreancre82 ; la cognoissanceconnaissance de ma faute83
--- A2 ---

m’a fait rebrousser chemin, et tourner la proue droit à ce double mont84, pour vous en rapporter ce petit presentprésent85 : lequel moyennant qu’il vous plaise le couvrir sous l’aisleaile d’une favorable tutelle, se deffendradéfendra de luy mesmeslui-même86. Je sçaysais que meritantméritant si peu, il est indigne de la lecture d’un si bel esprit que le vostrevôtre87 : mais il me suffit qu’il serve pour arresarrhes88 du service très humble, lequel en moymoi vous est naissant meritoirementméritoirement acquis89, aymantaimant trop mieux estreêtre jugé temerairetéméraire qu’ingrat90. Vous verrez en cestecette tragédietragédie la courageuse magnanimité91 des Dames Romaines, et l’inesperéinespéré secours qu’elles donnerentdonnèrent à leur patrie, jadéjàpresteprête à courber le dos soubssous un joug estrangerétranger. Ce subjetsujet vous regarde, et voyant en vostrevotre front la vertu emprainteempreinte92, il s’envole, sortant de ma plume, en l’asyleasile de vostrevotre protection : recevez-le, s’il vous plait, Madame, en vostrevotre sauvegarde, obligeant par ce bien faitbienfait un

Votre trestrès humble et tres-obeissanttrès obéissant serviteur.

Pierre Thierry.

ARGUMENT.

Caius Marcius, ayant par sa valeur acquis le surnom de Coriolanus, pour estreêtre entré pesle meslepêle-mêle avec l’ennemi dans Corioles93, fait de notables services aux Romains tant contre Tarquin94, que contre les Volsques. Toutefois en une seditionsédition du peuple contre les Patriciens, prenant le parti de la noblesse, et au lieu de callercaler le voile95, ayant un peu parlé trop librement, est condamné par les Tribuns à mourir. NeantmoinsNéanmoins la cholerecolère du peuple estantétant un peu addoucieadoucie, cestcet arrestarrêt se termine en un bannissement perpétuelperpétuel96 : ce que97 le transporte en un tel despitdépit qu’oubliant l’amour de sa patrie, il se rengerange98 vers Tullus son capital99 ennemi, par le moyen duquel100 il est fait Capitaine generalgénéral des Volsques, qui aussi totaussitôt envoyent dénoncerdénoncer101 la guerre aux Romains. Coriolanus fourrage102 premièrementpremièrement103 les terres de leurs alliezalliés et emporte sur eux quelques villes de force. Mais poussé d’un nouveau despitdépit qui luylui survient, il levelève le siegesiège de devant Lavinium et se va rengerranger104 à deux lieues près de Rome. La division continuant dans la ville, les Romains paravant105 indomptables106, sont par eux mesmeeux-mêmes surmontezsurmontés107, et leur courage tellement abattu qu’ils n’ont pas le coeur de lever les armes. Ils envoyentenvoient leurs ambassadeurs vers Coriolanus avec un rappel de ban. Mais il se mocquemoque d’eux et leur concedeconcède pour tout, tresvestrêves pour trente jours. EstansÉtants donc reduitsréduits au dernier point de toute extremitéextrémité, ils font sortir leurs Sacrificateurs, Devins et ministres des Dieux, qui toutefois retournent sans rien faire108 ; ce qui occasionne Valeria, seursoeur du grand Publicola, d’aller prier Volumnia et Vergilie, mèremère et femme de Marcius, avec lesquelles elle le va treuvertrouver jusques enjusqu’en son tribunal ; où Coriolanus ne pouvant résisterrésister aux prieresprières de sa meremère, oubliant son courroux, et le deu de sa charge, fait lever dès le lendemain le siegesiège et retourne à Antium : où estantétant accusé au Se-109


--- A4 ---
 
[78] Mont-Justin semble avoir voulu mettre un terme à sa carrière de poète et d’auteur.
[79] « Autant » : aussi.
[80] Impossible de savoir en quoi l’auteur considère que les muses ont été ingrates envers lui. Considère-t-il qu’il manque de talent ? Ou bien que ses oeuvres n’ont pas rencontré le succès espéré ?
[81] Voir l’introduction sur la possible carrière militaire de Mont-Justin (I, A).
[82] Habituellement cette image suggère la mort imminente. Il semblerait plutôt ici que Mont-Justin l’utilise comme métaphore de son abandon de l’activité littéraire : il était bientôt revenu à la tranquillité du port.
[83] Là aussi il est difficile de déterminer à quoi renvoie exactement Pierre Thierry en l’absence de contexte plus précis. Il pourrait s’agir de se rendre compte de l’erreur que représenterait le renoncement à son occupation de poète.
[84] « Ce double mont » : le mont Parnasse, où vivent Apollon et les neuf muses des arts. La métaphore continue : le poète décide finalement de ne pas rentrer au port mais de repartir en mer afin de ramener ce livre à Diane de Dommartin.
[85] Cette pièce de théâtre.
[86] Se défendra d’autant mieux en étant sous votre protection.
[87] On retrouve ici le topos de l’humilité du poète et de son ouvrage, fréquent dans ce genre de dédicaces.
[88] « Arre » : gage, garantie.
[89] « Meritoirement » : d’une manière digne d’éloges. Que je vous devais dès ma naissance.
[90] « Temeraire » : trop hardi. « Ingrat » : qui manque de gratitude, de reconnaissance.
[91] « Magnanimité » : grandeur d’âme. Voir II, C, 3, a dans l’introduction sur l’importance des rôles féminins dans la pièce.
[92] « Emprainte » : imprimée.
[93] Plutarque, Vie de Coriolanus à propos de la prise de Corioles (§8, p.123) : « Alors, dans la mêlée où se confondaient amis et ennemis... ».
[94] Coriolanus s’est illustré dans la guerre contre Tarquin en défendant un soldat romain et en tuant son agresseur (Vie de Coriolanus, §3, 1-3, p.111-113).
[95] Se radoucir. L’expression « caller le (ou la – il s’agit d’un substantif masculin et féminin) voile » vient du vocabulaire de la marine et signifie initialement baisser la voile en cas de mauvais temps.
[96] Plutarque, Vie de Coriolanus, §19, p.149. Tout le début de l’argument résume des événements qui se sont produits avant le début de la pièce, la suite résume ce que la tragédie représente.
[97] Ce qui.
[98] « Se renger » : se rallier.
[99] « Capital » : principal.
[100] Grâce auquel.
[101] « Dénoncer » : déclarer.
[102] « Fourrager » : ravager.
[103] « Premierement » : d’abord, en premier.
[104] Va ranger ses troupes.
[105] Auparavant.
[106] Invincibles.
[107] « Par eux-mêmes surmontés » : vaincus d’avance à cause de leurs divisions internes.
[108] Reviennent sans avoir rien pu faire.
[109] Nous ne disposons pas de la fin de l’argument (se reporter au protocole d’édition).

ACTE PREMIER.


--- 1 ---
 
Coriolanus, Vergilie, les enfansenfants
de Coriolanus.

Coriolanus.

Ô ingrate cité, non meremère, mais marrastremarrâtre110

Des hommes vertueux111 ! QuoyQuoi ? Tu sembles t’esbatret’ébattre112

En la perte de ceux qui couronentcouronnent ton front

De cent et cent lauriers et qui prodigues vont

5Prodigues de leur sang, eternisanséternisant ta gloire

Dans l’airain immortel du temple de memoiremémoire113.

Ingrate mille fois et cruelle envers ceux

Qui pour faire ployer soubssous ton joug114 orgueilleux

L’estrangerétranger, soustenanssoutenant le droit de ta querelle115,

10T’enfantent tous les jours quelque gloire nouvelle.

Ha, qu’est-ce que n’ayai116 faictfait pour ta vaine grandeur ?

Et où ayai-je espargnéépargné ma vie et mon honneur,

Mes amis et mon sang, mes moyens, ma fortune ?

a on veua-t-on vu quelque heure escoulerécouler opportune

15Où je ne soy’sois estéété tousjourstoujours à mon devoir ?

Ô Rome, ingrate Rome ! Ah tu le peux sçavoirsavoir ;

Je t’en ayai trop signé de preuve et d’asseuranceassurance

Je dis117 avec mon sang : j’en ayai la recompenserécompense.

QuoyQuoi ? N’ayai-je pas bravé dessoubsdessous tes estandarsétendards

20Aux quatre coins du monde en cent lieux les hasards118 ?

N’ayai-je pas couronécouronné ton aigle à double testetête119,


--- 2 ---
 

Du chapeau triumphanttriomphant d’une heureuse conquesteconquête 120?

Lorsque victorieux sur le Coriolain

J’en forcayforçai ses remparsremparts et venant main à main

25Je te fis arborer ton aigle dans sa place,

Qui si longtemps avoitavait mespriséméprisé ton audace,

Et contre ton effort vaillamment combattu.

J’en porte encor121 le nom marque de ma vertu122,

Et c’est le seul loyer123 que j’ayeaie et que je puisse

30EspererEspérer à jamais pour un si long service.

Ha peuple sans raison ! Ne te souvient-il pas,

Lorsque tout esbranléébranlé, tu preparoispréparais tes pas

À une fuite honteuse, et portant sur ta face

La peur, ton coeur geloitgelait d’une couarde glace,

35Quand couvert de sueur, de poucierpoussière et de sang

Je me vins presenterprésenter au front du premier rengrang

Pour repousser l’effort des peuples Antiates ?124

Soldats effeminés, ô legionslégions ingrates !

N’avez-vous pas de moymoi l’honneur de ce laurier ?

40N’ayai-je pas fait tomber dessoubsdessous le fer meurtrier

Ceux qui faisointfaisaient glacer le sang dedans vozvos veines ?

Mais vains sont mes labeurs et mes victoires vaines.

ToyToy seul Comitius125 m’y as tendu la main,

J’en tientiens l’honneur de toytoi, non du peuple Romain.

45Monstre cent fois testutêtu, ignare populace,

TousjoursToujours le changement et l’inconstance a place126

Dedans ton coeur mutin ; les heroshéros genereuxgénéreux

Te sont d’eternitééternité à vrayvrai dire odieux :

Toute autre nation te semble estreêtre barbare :


--- 3 ---
 

50Mais l’Arabe areneuxaréneux127, et le fuyard Tartare128

N’en portent que le nom, tu en as les effectseffets129 :

Tu me le fais assez paroistreparaître par tes faits.

Aussi ton fondateur d’une louve cruelle

Avec le sang sucçasuça130 une cruauté telle131.

55Ensuivez son chemin, c’est celuycelui qui le premier

D’un traistretraître parricide a battu le sentier :

Quand ne pouvant porter132 la vertu de son frerefrère,

Ayant longtemps callé133 son injuste cholerecolère,

Afin de regnerrégner seul et maintenir son rengrang,

60Perfide il fit rougir le Tibre134 de son sang.

Mais es-tu le premier qui te plains de l’audace

Et des seditionsséditions de cestecette populace ?

Ha Coriolanus ! Ce sont là les lauriers135

Que tu as meritémérité par tes efforts guerriers.

65C’est le triomphe deu à un qui met en fuite

Le gros de l’ennemyennemi et qui à la poursuittepoursuite

Pesle meslePêle-mêle avec eux sans crainte de la mort,

Entre victorieux le premier dans leur fort136.

C’est donc la recompenserécompense et voilavoilà la couronne

70Qu’aux vainqueurs maintenant à Rome l’on ordonne.

Je vous atteste ô Dieux, ô Dieux, que j’ayai tousjourstoujours

Pour le bien du public usé mes plus beaux jours.

Ô PhebusPhébus tout voyant137, commençant ta carrièrecarrière,

Tu m’as maintefoismaintes fois veuvu tout souillé de poucierepoussière,

75Percer les esquadronsescadrons des ennemis peureux,

Çà et là escartezécartés, et suivre glorieux

L’honneur de la victoire. Ô quelle ingratitude !


--- 4 ---
 

Ô estrangeétrange accident ! Quelle vicissitude !

Tous ces labeurs sont vains ; ce peuple est plus legerléger

80Et mille et mille fois qu’un songe mensonger138,

Que le vent, que la mer. Ô muable ProthéeProtée139,

Ah ! Combien ta faveur est de peu de durée !

Heureux qui ne s’y fie et qui sur tes propos

Ne va jamais fondant l’appuyappui de son repos140.

85QuoyQuoi ? SoustenantSoutenant ton droit, race Patricienne141,

Et ayant en respect la noblesse ancienne,

Me faut-il succomber soubssous ce monstre testutêtu142,

Qui n’est jamais guidé du frein143 de la vertu ?

Je serayserai donc bravé d’une telle canaille,

90À qui j’ayai mis en main l’honneur d’une bataille,

Aux despensdépens de mon sang. Ha peuple sans raison

Qui tousjourstoujours est porté de quelque passion !

Tout ainsi comme on voidvoit au milieu des naufrages

Un navire agité, sans timon144, sans cordages,

95Voguer de tous costezcôtés à la merci du vent,

Penses-tu esbranslerébranler de quelque estonnementétonnement

Un coeur qui est armé d’une brave asseuranceassurance,

Pour cognoistreconnaître trop tard ton ingrate inconstance145 ?

Tes menassesmenaces, tes cris n’auront pas le pouvoir

100De me faire sortir d’un poinctpoint146 de mon devoir.

Libre je maintiendraymaintiendrai ma liberté premierepremière,

Et si un estrangerétranger me ferme la paupierepaupière147

J’emporterayemporterai l’honneur, malgré tout ton effort

D’estreêtre libre en vivant, et libre après ma mort148.

105Tu penses donc changer nostrenotre ancienne puissance


--- 5 ---
 

En aristocratie : et dessoubsdessous l’insolence

D’un peuple mutiné, en nous liant les mains,

SoubmettreSoumettre le SenatSénat et les Patriciens149 ?

Que nous sert-il d’avoir fuyansfuyant la tyrannie

110Jadis secous150 le joug d’une aspreâpre monarchie151 ?

Joug trop plus gracieux, et mille et mille fois

Plus douce la puissance insolente des rois ;

Que non point la fureur, et le honteux servage

D’un peuple sans raison, sans conseil, sans courage :

115Qui se laisse briguer152 et qui seditieuxséditieux

Est la terreur des bons, l’appuyappui des vicieux.153

Que te sert-il, Brutus, d’avoir inexorable

Jeté sur tes enfansenfants l’arrestarrêt irrévocableirrévocable

D’une cruelle mort154 ? (Belle severitésévérité)155

120Afin de maintenir l’ancienne liberté

Et l’honneur du Senat, preposantpréposant ta patrie

Aux lois de la nature et à ta propre vie156.

Que te sert-il, CoclesCoclès, combatantcombattant front à front,

D’avoir laissé couper derrier157 tes pieds le pont

125Pour soustenirsoutenir noznos droits158 ? Puisqu’une populace

Par une nouveauté tous tes exploits efface :

Et eslevantélevant sur nous son chef audacieux,

Va soubssous un joug nouveau supprimant tes nepveuxneveux159.

Que nous sert-il helashélas ! Ô Numa charitable,

130Ô grand legislateurlégislateur160, qu’un accord venerablevénérable

D’un SenatSénat justicier nous soitait estéété dressé

Et l’estatétat par les loixlois sainctementsaintement compassé161 :

Puisqu’une populace, une gent incognueinconnue162


--- 6 ---
 

Le souverain pouvoir maintenant s’attribue ?

135La seule volonté et les mutines voix

D’un monstre, pour jamais nous serviront de loixlois.

L’endure qui voudra ; pour moymoi, plustostplutôt la terre

CreveCrève163 dessoubsdessous mes pieds et qu’un grondant tonnerre

PrecipitéPrécipité des cieux me rende en poudre esparépars164,

140Ainsi comme jadis Phaëton165. Que ce dard,166

Ce dard jadis l’effroyeffroi du soldat Antiate167,

Rougi dedans mon sang, me transperce et m’abatte,

PlustostPlutôt je soysois sans yeux, sans jour et sans clarté,

Que je voyevoie en l’EstatÉtat aucune168 nouveauté,

145Et puis lorsalors que je veux d’une libre franchise

RéprimerRéprimer ton audace, audace ? mais sottise169 :

Au lieu d’une justice, on use d’un effort,

Et sans estreêtre entendu, on me condamne à mort170.

Ce sont là les statuts de ta belle police171,

150SoustenantSoutenant la vertu172 on m’impute le vice.

Pour parler librement, je suis seditieuxséditieux,

Je vous prenprends à tesmoinstémoins ô cieux, ô justes cieux,

De ma fidélitéfidélité. Ô roche Tarpeyennetarpéienne173

Peux-tu estreêtre instrument de la fureur Romaine ?

155Mais ce n’est encor174 tout : Car un nouveau despitdépit175

Me va sucçantsuçant les os, travaille mon esprit,

Me transporte hors de moymoi : une nouvelle rage

Fait bouillonner mon sang, me grossit le courage176.

Me voilavoilà donc d’un coup payé de mes labeurs ?

160Ce sont là les lauriers, ce sont là les honneurs177,

Que tu as meritémérité en tant et tant d’alarmes178,


--- 7 ---
 

Et c’est là le loyer179 d’avoir porté les armes

Pour un peuple envieux de ceux dont la valleurvaleur

Porte par l’univers le los180 de sa grandeur.

165QuoyQuoi ? Un bannissement t’en est la recompense,

Un exil, ô grands Dieux, j’en aurayaurai la vengeance181 !

Je n’ayai point offensé que pour avoir estéété

Soustiensoutien du bien public et de la liberté.

Je n’ayai point offensé, qu’estantétant pour ma patrie

170Prodigue de mon sang, de mon bien, de ma vie.

J’ayai, mais trop tard, cognuconnu que les faits genereuxgénéreux

Nous enfantent l’envie entre seditieuxséditieux.

Et je sçaysais à mon dam182 qu’une ingrate commune183

Ne peut jamais regirrégir l’une et l’autre fortune184.

175VoilaVoilà où j’ayai failli. Mais Rome, penses-tu

SoubmettreSoumettre aux accidents l’immortelle vertu ?

Crois-tu que Marcius n’aye185 point de courage,

Pour pouvoir repousser l’orage d’un orage186 ?

L’affront par un affront ? Tes sept monts orgueilleux187,

180Qui semblent s’eslevansélevant faire la guerre aux cieux,

Terreur de ce grand tout, et qui haussanshaussant leurs testestêtes

Sont encor188 aujourd’huyaujourd’hui riches de mes conquestesconquêtes189,

EsprouverontÉprouveront les fruictsfruits de ta temeritétémérité,

Et ceux que je pourraypourrai non sans cause irrité

185Je les mettraymettrai si bas que rasezrasés terre à terre,

Ils seront les tesmoingstémoins de ma juste cholerecolère.

Je semeraysèmerai du sel190 au haut de tes remparts,

Je ferayferai par le pied rompre tes boulevards191,

Je planterayplanterai le pal192 au milieu de ta place,


--- 8 ---
 

190Afin que la mémoiremémoire en nos nepveuxneveux s’efface,

Si quelqu’un s’en souvient, il dira seulement

« IcyIci jadis fut Rome »193 : ainsyainsi qu’un monument

On te revererarévèrera. Ô Mars, si ma pensée,

D’un desirdésir de bien faire a estéété embrasée

195Pour le peuple Romain et si un feu guerrier

M’a jamais ceint le front d’un immortel laurier

Pour soustenirsoutenir son droit, esleveélève à toytoi mon ameâme

Et d’une sainctesainte ardeur si vivement l’enflameenflamme,

Qu’avant que de mourir je fasse un jour sentir

200À ce peuple mutin que c’est d’un repentir194.

Non non, je sortiraysortirai195, ô Rome, ô Rome ingrate,

CercheCherche quelque faquin196, qui en cedantcédant te flateflatte.

C’est le propos d’un serf197 et non pas d’un vainqueur.

Vergilie.

Ha monsieur ! Ces propos me vont rompansrompant le coeur198.

Coriolanus.

205À l’homme vertueux toute terre est patrie.

Vergilie.

Rome vous a donné et l’essence et la vie.

Coriolanus.

Elle me les vend cher ravissant mon honneur.

Vergilie.

Il faut bien pour un temps cedercéder199 à un malheur.

Coriolanus.

Un coeur semblable au mien ne cedecède à la fortune.

Vergilie.

210C’est aux lieux genereuxgénéreux où elle est importune.200


--- 9 ---
 

Coriolanus.

OuyOui, mais j’ayai moyen de m’en pouvoir venger.

Vergilie.

La vengeance ne peut en rien vous soulager.

Coriolanus.

Non, je mourraymourrai content201 leur faisant guerre ouverte.

Vergilie.

Ô Dieux, de tous costescôtés cela tend à ma perte !

Coriolanus.

215Ne vivez-vous contente en mon contentement ?

Vergilie.

L’amour de ma patrie y met empeschementempêchement.

Coriolanus.

Y contrariez-vous ?

Vergilie.

HélasHélas mon Dieu je n’ose !

Mais le respect des Dieux justement s’y oppose.

Coriolanus.

Ces ingrats de leurs maux seront les seuls moteurs202.

Vergilie.

220Les Dieux sont justiciers, laissez-les pour vengeurs.

Coriolanus.

Les Dieux ne veuillentveulent veoirvoir régnerrégner l’ingratitude.

Vergilie.

Toute chose est subjettesujette à la vicissitude.

Coriolanus.

OuyOui, mais Rome aussi aura son changement.

Vergilie.

Attendez que quelque autre en sera l’instrument.

Coriolanus.

225Ce peuple est trop mutin : j’abbatrayj’abattrai son audace.


--- 10 ---
 

Vergilie.

L’espoir n’est encor203 mort de rentrer en sa grâcegrâce204 :

EstesÊtes-vous le premier que Rome a offensé ?

Coriolanus.

Je serayserai le premier, qui rendra terrassé

Son orgueil soubssous mes pieds, et qui rendra subjettesujette

230Dessoubsdessous mes estendarsétendards son aigle à double testetête.

Le droit combat pour moymoi.

Vergilie.

Le droit ? non, la raison

Ne s’accorda jamais avec la trahison.

Coriolanus.

QuoyQuoi, une trahison ? PlustostPlutôt perdre la vie.

Vergilie.

Qu’appellezappelez-vous combattre encontre sa patrie

235Contre ses citoyens, ses parensparents, ses amis ?

Coriolanus.

Mais mille fois plustostplutôt mes mortels ennemis.

Vergilie.

Le peuple, helashélas, a seul causé vostrevotre disgracedisgrâce !

Coriolanus.

C’est à luylui que j’en veux, mais il faut que j’efface

À la posteritépostérité du tout205 le nom Romain.

Vergilie.

240Ô grands Dieux, qu’est ce cyceci ? Ô trop cruel dessein !

Ha ! Puisque la rigueur du destin est si forte,

Avant ce changement, làs206 que ne suis-je morte ?


--- 11 ---
 

Sus, Monsieur, commencez, commencez dessus nous

À assouvir l’ardeur d’un injuste courroux.

245Commencez de rougir de nostrenotre sang vos armes,

Puisque nos pleurs sont nuls, que vaines sont nos larmes

Venez ça mes mignons207 : ce sont cyci208 des Romains,

JettezJetez vous à ses pieds, donnez icyici vozvos mains,

Joignez sur ses genoux vos dextres209 enfantines :

250Là, Marcius, ouvrez, leurs coulpablescoupables poictrinespoitrines

Sont de vozvos ennemis.

Les enfansenfants.

Ah Monsieur, ah Monsieur !

Coriolanus.

Ces enfansenfants de tant plus210 rengregentrengrègent211 ma douleur.

Vergilie.

He Dieu, que ferayferai-je ?

Coriolanus.

Console toytoi m’amie.

A DieuAdieu mon beau soleil, A DieuAdieu ma cherechère vie,

255Je cognoyconnais ta raison : mais un desirdésir vengeur

Est desjadéjà le plus fort campé dedans mon coeur :

Il faut, il faut mourir, ou avoir ma revencherevanche.

Vergilie.

Ô pauvre Vergilie ! Ô Dieu dont la puissance

Conserve ce grand tout, secourable JuppinJupin212

260Qui tiens dedans ta main l’invincible destin213

Oeillade s’il te plait, oeillade pitoyable

CesteCette pauvre cité214 : ne permets favorable

Que tant de temples sainctssaints soyentsoient d’un coup prophanezprophanés,


--- 12 ---
 

Et qu’on voyevoie ces monts desertsdéserts abandonnezabandonnés

265Sentir de l’estrangerétranger les efforts215 temerairestéméraires

Ô Dieux de noznos fouyersfoyers216 ! Ô grands Dieux tutelairestutélaires217

Et toytoi meremère Vesta218, qui nous as produit ceux

Dont nous portons encor219 les noms victorieux220 :

Souvienne toytoi de nous, maintienmaintiens nostrenotre querelle.

270RenRends ton Mars221 favorable et nous prenprends en tutelle222 !

Ô perepère Romulus, puisqu’ore223 avec les Dieux

Tu as pour nourriture un nectar224 savoureux,

Regarde en bas tes murs et ne permets, ô perepère,

Que de noznos ennemis ils sentent la cholerecolère.

275Ne permets, ne permets que dessus ton rempart

Soit jamais arboré l’estrangerétranger estandartétendard225

Et que mon Marcius aye226 jamais la gloire

D’emporter dessus nous l’honneur d’une victoire.

HelasHélas ! C’est mon marymari, mais l’une et l’autre fin

280Borneront d’un malheur le cours de mon destin227,

Et toytoi, ô Nemesis228, deessedéesse de vengeance,

EschangeÉchange ses fureurs en paisible clemenceclémence,

Ses courroux en amour, et le commun tormenttourment229,

Qui ja230 sur nous se panchepenche, en un contentement.

Choeur231.

285QuoyQuoi ? La vertu immortelle

RenaistRenaît tous les jours plus belle

Envers la posteritépostérité :


--- 13 ---
 

Elle va haussant la testetête

Riche de mainte conquesteconquête

290Depuis toute eternitééternité.

 

La fortune qui se joue

Sus232 le branslebranle d’une roue233

Se sent par elle arresterarrêter.

La langarde234 renommée

295De sieclesiècle en autre portée

TousjoursToujours la fait augmenter.

 

Mais pourtant l’haineuse envie235

L’a depuis tout temps suyviesuivie236 :

Ce monstre cent fois testutêtu

300Est bien si opiniastreopiniâtre

Qu’il grimpe pour la combatrecombattre

Au haut d’un rocher pointu.

 

Soit qu’elle237 soit eslevéeélevée

Sur la barrierebarrière estoilléeétoilée,

305Ou lorsqu’elle ceint ci basci-bas

De cent branches glorieuses

Nos templestempes victorieuses,

Elle talonne ses pas.

 

Jamais elle ne repose,

310Mais mutine elle s’oppose

À l’homme, qui vertueux

Veut eterniseréterniser sa vie,

Et mesmemême de cestecette envie

Exempts ne sont pas les Dieux.

 

315Lorsque ce porte -tonnerre238


--- 14 ---
 

Eusteut conquis dessus son perepère

Un sceptre victorieux

Et qu’il eusteut soubssous sa puissance

Le frein239 et l’obeyssanceobéissance

320Et des mortels et des cieux240 :

 

Aussi tostaussitôt dessus la terre

Une gent fort temerairetéméraire

MutineeMutinée s’eslevaéleva ;

Dont la main laborieuse

325Une escalade orgueilleuse

De rochers amoncela241.

 

DesjaDéjà d’une fierefière audace

CesteCette ligue le242 menassemenace,

Et son labeur va croissant :

330Des Dieux la troupe estonnéeétonnée

Se voyant environnée,

De peur va ja243 paslissantpâlissant.

 

Mars dans son ameâme guerriereguerrière

Sentant son ardeur premierepremière,

335Seul contre eux se va rengerranger :

Son pavois244 il leur oppose

Et sans paslirpâlir il propose

De les faire deslogerdéloger.

 

Vulcain, qui de jalousie

340Sent ja245 son ameâme saisie

Pour ce que vous sçavezsavez bien246 :

Ne permet pas que la gloire

D’une si belle victoire


--- 15 ---
 

Soit pour un ennemi sien.

 

345Soudain il court en sa forge247,

Et là, martelant, il forge

Un foudre cent fois pointu,

Duquel JuppinJupin fait resoudrerésoudre248

L’orgueil des géansgéants en poudre

350SoubsSous cestcet effort abbatuabattu.

 

Il leur fait quitter la place :

Il les broyebroie, il les terrasse,

Et d’un coup les fait broncher

Dans l’eternelleéternelle torture :

355Il donne pour sepulturesépulture

À chacun d’eux son rocher.

 

D’où vient, ô Rome mauvaise,

Qu’il semble que tu te plaise249

En la mort de tes enfansenfants ?

360Qui vont engravant250 ta gloire

Sur le front de la memoiremémoire,

Par leurs lauriers triomphants.

 

Ta muraille mifondée251

Fut tout aussi tostaussitôt lavée252

365Dedans un sang fraternel253 :

Quand une jalouse flameflamme

Touche traistreusementtraitreusement l’ameâme

De ton fondateur cruel.

 

Depuis lors tousjourstoujours l’audace

370D’une sotte populace

Va de jour en jour s’haussant.


--- 16 ---
 

Et les amesâmes genereusesgénéreuses

Sont de tout temps odieuses

À ce monstre ravissant.

 

375Les vertueux t’ont fait naistrenaître254

Changeant ta maison champestrechampêtre

En des palais sumptueuxsomptueux.

Sur tes guerrieresguerrières phalanges255

Ils portent aux lieux estrangesétranges256

380Ton honneur victorieux.

 

Sont eux257, qui t’ont affranchie

Du joug de la monarchie,

Qui t’ont remis au dessus :

Et qui font reluire entiereentière

385Ta liberté coustumierecoutumière

Sur tes monts sept fois bossus258.

 

Mais Rome, donne toytoi garde259

Que le ciel sur toytoi ne darde260

Quelque changement soudain :

390Et que ton ingratitude

Ne te mette en servitude

MesmeMême soubssous ta propre main261.

ACTE SECOND.


--- 17 ---
 
Latinus, Coriolanus, Tullus.

Latinus262.

Ô PhebusPhébus263 tout voyant, pithienepythienne264 lumierelumière,

Qui fais à ton resveilréveil tournoyant ta carrierecarrière

395EscarterÉcarter les brouilardsbrouillards que ta seursoeur nous produit265,

Qui rendrends vains et menteurs266 les songes de la nuictnuit,

Ô Dieu aux crins dorés, cent et cent fois encore,

Cent et cent autres fois aujourduyaujourd’hui je t’honore.

Je te renrends grâce, ô Dieu, ô Dieu dont la clarté

400Me dechassedéchasse267 la peur avec l’obscurité.

Quand j’y pense mon coeur pantelepantèle268 de destressedétresse :

Je sensens geler mon sang, mon poil d’effroyeffroi se dresse,

Une froide sueur me destrempedétrempe le sein269

D’horreur, d’estonnementétonnement et de glace tout plein :

405Il me sembloitsemblait dormant270 que ce porte -tonnerre271,

Ce vengeur indompté des enfansenfants de la terre272,

Ce JuppinJupin foudroyant, ce grand moteur273 des cieux

AinsyAinsi comme un esclairéclair, venoitvenait devant mes yeux ;

Son oeil estoitétait de feu : il portoitportait sur sa face

410Peinte divinement la fureur, et l’audace.

Ses gestes, sa façon274, son sourcil refroncé

MonstroitMontrait appertement275 qu’il estoitétait offensé :

Il bransloitbranlait276 en sa main cestcet effroyable foudre,

Foudre cent fois pointu, que pour broyer en poudre


--- 18 ---
 

415Les géants mutinezmutinés escartezécartés çà et là

Vulcain au mont d’Etna le premier martela277.

Je me tapis au lit : comme voidvoit278 l’alouette

Au vol du hobereau279 qui de longtemps la guette,

Se musser280 doucement, pour gauchir281 sa fureur,

420SoubsSous un gazon moussu pantelante282 de peur.

Ayant trois fois branslébranlé sa testetête venerablevénérable,

Il me parla ainsi d’une voix effroyable283 :

« Est-ce ainsyainsi284, Latinus, que le peuple Romain

Se souvient des faveurs qu’il a eu de ma main285 ?

425A ilA-t-il ainsi des Dieux, voire de moymoi memoiremémoire ?

De moymoi, moymoi qui tousjourstoujours pour maintenir sa gloire

N’a borné sa grandeur que par les quatrequatre coins

De ce grand univers286 ? Je vous prenprends à tesmoinstémoins,

Ô fleuves infernaux287, et par vous tous je jure

430Que j’avoyavais mis en eux ma plus soigneuse cure288,

Les faisant prospererprospérer dès le commencement

Que289 Romulus jettajeta le premier fondement290

De leurs murs orgueilleux291 : portant leur renommée

Dès l’Africain brulébrûlé jusques292 au froid Borée293.

435Leve toyLève-toi, leve toylève-toi 294 : advertiavertis promptement

Le peuple et le SenatSénat du mescontentementmécontentement

Que par eux j’ayai receureçu : mais bientostbientôt la vengeance

Talonnera de près leur trop ingrate offenceoffense.

Ô quel respect des Dieux contre toute raison295 !

440Ils ont pollu296 les jeux de ma procession :

Ils les ont prophanéprofanés et ce par la cadancecadence297

D’un fascheuxfâcheux baladin298, contre mon ordonnance299,


--- 19 ---
 

Et contre les statuts de ma religion300. »

Il eusteut dit, et ainsi que301 dans le tourbillon

445D’une nuit ombrageuse, aussi tostaussitôt il s’enserre302

Et du ton esclatantéclatant d’un horrible tonnerre,

Me resveilleréveille en sursaut tout tremblotant d’effroyeffroi,

Tout moite de sueur, et du tout303 hors de moymoi.

J’essuye304 peu à peu de mes draps mon visage :

450Mais quoyquoi ? J’ayai trop de coeur, trop brave est mon courage

Pour estreêtre fait jouet d’un songe mensonger305,

Comme il estoitétait venu, il s’escoulaécoula legerléger306.

Mais je sensens aussi tostaussitôt que ces humeurs premierespremières307

Viennent appesantir sur les yeux mes paupierespaupières308,

455Et qu’un somnesomme309 nouveau me vient sillerciller310 les yeux.

Non je ne dormoydormais pas, quand ce grand royroi des cieux

Horrible foudroyant, ainsyainsi que de s’amie311

SemelesSémélé il fut veuvu aux despensdépens de sa vie312 :

Me vient troubler les sens, me fait trembler le coeur

460Et refroidir mon sang313 d’une paslepâle frayeur.

« QuoyQuoi ? dit-il, Latinus, tu fais si peu de compte314

Des mandats315 de JuppinJupin : va au SenatSénat et conte

La vérité du fait. Quant à toytoi, le tourment

EnsuyvraEnsuivra le mesprismépris de mon commandement316. »

465Alors je m’esveillayéveillai ; ô douleur trop extremeextrême !

Je me sensens aussi tostaussitôt sortir hors de moy mesmemoi-même317

Et bouillonner mon sang, mon coeur me tressallirtressaillir318,

Mes nerfs et mes tendons mollement deffaillirdéfaillir.

Je demeure impuissant, j’apprenapprends à mon dommage319

470Ce que peuvent les cieux : trop tard je deviendeviens sage320 :


--- 20 ---
 

Je vienviens au repentir. Il n’est plus temps, ô Dieux,

Et ce qui m’est plus grief321, je voyvois devant mes yeux

Mon enfant supportant322 le pechépéché de son perepère,

EsprouverÉprouver323 innocent une injuste cholerecolère,

475Mourir subitement, sans l’avoir meritémérité,

Et du peuple Romain porter l’iniquité324.

Pardonne, ô JuppiterJupiter, aux lois de la nature325 !

Las326, je t’ayai veuvu, mon fils, ma cherechère genituregéniture327,

PerirPérir ! Que je te plains ! Alors dans mon grabat328

480Je me feifis transporter au milieu du SenatSénat :

Tous les perespères conscriptsconscrits329 me donnent audience.

Je leur fayfais mon rapport : ô divine clemenceclémence,

Je n’ayai pas commencé le cours de mon propos

Que je sensens dans mes os un paisible repos,

485Mes nerfznerfs se renforcer, se remettre mes veines

Qui d’une humeur peccante330 estoientétaient paravant331 pleines.

Je me levelève sus332 pieds : ce soudain changement

Les rend pour la plus partplupart ravis d’estonnementétonnement.

Ils voyent333 leurs erreurs, au lieu de rougir d’honte

490Pour avoir offencéoffensé, ils n’en font pas grand compte334.

Ces prodiges, ô Dieux, sont les avant coureursavant-coureurs

De toute eternitééternité de vozvos justes fureurs.

Rome, tu n’as jamais eu aucuns tels orages

Où n’aye335 precedéprécédé quelques divins presagesprésages.

495Vous nous advertissezavertissez alors que vozvos courroux,

Ô grands Dieux immortels, panchentpenchent desjadéjà sur nous,

Ne vous irritez plus et, par vos sacrifices,

Expiez nos pechezpéchés et vous rendez propices336 !


--- 21 ---
 

MiserableMisérable cité337, je voyvois devant mes yeux

500Un malheur supprimer338 tous tes faits genereuxgénéreux.

Las339 ! Je prevoyprévois desjadéjà quelque nouveau desastredésastre,

Juste fureur des cieux, s’esleverélever pour t’abattre,

Pour t’abattre du tout340 et abaisser le front

De tes monts orgueilleux341, qui trop superbes vont

505Leurs chefs audacieux eslevansélevant sur la nue342 :

Par Rome seulement Rome sera vaincue343

Si toytoi perepère JuppinJupin justement irrité

Ne regarde en pitié344 cestecette pauvre cité,

Et espousantépousant le droit d’une juste querelle345,

510Ne nous mets à couvert346 soubssous ta sainctesainte tutelle.

Vains sont noznos ennemis, vain sera leur effort

Si tu combats pour nous, nous servant de support347.

Coriolanus348.

QuoyQuoi, Coriolanus ? Tu paslispâlis à cestecette heure :

Il faut venir au point où il faut que l’on meure349.

515Plus douce est mille fois une honorable mort,

Que remordre son frein350, ayant receureçu un tort.

Non non, un crevecoeurcrève-coeur351 doit hausser noznos courages.

Le nocher352 seulement se cognoitconnaît aux orages :

En une adversité se monstre nostrenotre coeur,

520Tu ne fus onc353 vaincu, sois donc tousjourstoujours vainqueur.

FayFais cognoistreconnaître aux Romains que cestecette tienne espéeépée

Tant de fois dans le sang des Antiens354 plongée,

TrencheTranche aussi bien sur eux que contre l’estrangerétranger :

Les Volsques l’ont sentusenti. Mais, peuple trop legerléger355,

525Un despitdépit356 renaissant qui jusque auxjusqu’aux os m’entame,


--- 22 ---
 

Et qui en action tient sans cesse mon ameâme357,

Te fera, mais trop tard, cognoistreconnaître358 ton erreur,

Et ses effectseffets sanglants, enfansenfants de ma fureur.

Sus donc, c’est trop tarder, l’occasion trop belle

530T’a ouvert les desseins359 d’une juste querelle.

Il faut poser en bas ce surnom de Romain360,

VoidsVois-tu pas qu’Antium te tend desjadéjà la main ?

Il ne te reste plus qu’une brave asseuranceassurance

Pour avoir de ce tort une heureuse vengeance.

535Si contre elle tu as autrefois combatucombattu,

Cela n’importe en rien. L’immortelle vertu

MesmeMême des ennemis est tousjourstoujours estimée :

Sa mémoiremémoire jamais ne s’abbatabat supprimée,

L’on la voidvoit tous les jours produire à ses enfansenfants

540MesmeMême en adversité des lauriers triumphanstriomphants.

Tullus, qui a souvent espreuvééprouvé361 la puissance

Des escadrons362 Romains par ta seule vaillance,

Bien que ton ennemi, honorant ta valleurvaleur363,

Aura pitiepitié de toytoi, et t’aura en honneur364 :

545Je le m’en vayvais treuvertrouver365, ombrageant mon visage

De ce manteau de deuil366, en certain tesmoignagetémoignage367

De mon adversité368. De ta sainctesainte fureur,

Ô grand Dieu des combats369, fayfais naistrenaître dans mon coeur

Le desirdésir immortel d’une haineuse vengeance,

550Et abbaabats370 soubssous mes pieds la superbe insolence

De cestcet hydre testutêtu371, qui mespriseméprise les Dieux,

Et qui tousjourstoujours s’oppose aux hommes vallereuxvaleureux372.

Tullus373.


--- 23 ---
 

Jusque àJusqu’à quand Antium, ô ma cherechère patrie,

Courberas-tu le dos dessoubsdessous la tirannietyrannie

555De cestcet aigle Romain, cestcet aigle ravissant374,

Qui du sang des humains se va tousjourstoujours paissant375 ?

Verra onVerra-t-on, verra onverra-t-on sur nos fronts tousjourstoujours peinte,

Au dam376 de nostrenotre honneur, une couarde crainte ?

Verra onVerra-t-on pour jamais377 les Volsques genereuxgénéreux

560EstreÊtre faits le jouet d’un peuple audatieuxaudacieux378 ?

D’un monstre insatiable379, à qui toute la terre

Que ce grand OceanOcéan entre ses bras enserre,

Semble estreêtre peu de cas, pour assouvir un point

De son ambition380 : et quoyquoi ? Ne veux-tu point

565En dessillantdécillant381 tes yeux, républiquerépublique Antienne,

T’opposer quelque fois à l’audace Romaine ?

SoubsSous l’ombre d’alliance382, on ravit tes cités,

SoubsSous le nom d’une paix de mille hostilités

L’on te va supprimant383 : une guerre honorable

570Plus douce est mille fois qu’une paix dommageable.

Il vaut trop mieux mourir conservant son bonheur

Que vivre en servitude. Ô Dieux, où est l’honneur,

La resolutionrésolution et cestecette ardeur guerriereguerrière

De garder contre tous la liberté premierepremière ?

575QuoyQuoi ? Une seule perte a eu tant de pouvoir

De te faire sortir en tout de ton devoir384.

Ne sçais tusais-tu que la chansechance est muable et diverse ?

Coriolanus.

ConsidereConsidère Tullus385, d’une fortune adverse

Les bisardsbizarr’s accidensaccidents386 et voyvois comme en sa main


--- 24 ---
 

580De ce grand tout elle a d’eternitééternité le frein387.

VoyVois celuycelui qui jadis soubssous les bandes388 Romaines

A faictfait paslirpâlir de peur les troupes Antiennes :

Ton mortel ennemyennemi, qui tousjourstoujours a estéété

Le seul propugnateur389 de vostrevotre liberté,

585Qui en particulier en ce qu’il a peupu faire

S’est tout ouvertement demonstrédémontré390 ton contraire.

VoyVois Coriolanus. Car j’ayai pour tout guerdon391

De mes labeurs passés seulement ce surnom :

Le reste m’est ostéôté par la vicissitude392

590Qui tourne en l’univers et par l’ingratitude

D’un peuple furieux393. Je me presenteprésente à toytoi :

Mais quoyquoi ? Je n’y vienviens point poussé de quelque effroyeffroi,

Ou craignant de mourir, si l’eusse voulu faire394

Je ne m’eusse hasardé395 en une telle affaire :

595Mais poussé d’un desirdésir de me pouvoir venger,

Car c’est le seul moyen qui me peut soulager.

Croy-moyCrois-moi, si j’ayai estéété soustenantsoutenant ma patrie,

Patrie que dis-je ? liberalliberal de ma vie396,

Et si j’ayai quelquefois armé du droit Romain

600Dessus vozvos citoyens ensanglanté ma main,

J’en suis au repentir. Pense aussi qu’une rage

D’un trop juste desdaindédain397, qui enfle mon courage

M’en fera faire autant398, cent et cent fois pour vous

Poussé d’un seul despitdépit, d’où renaitrenaît mon courroux :

605La raison m’y conduit, et je le peux bien faire,

Ayant estéété nourrynourri soubssous leur loyloi militaire :

Je lilis dedans leurs coeurs, leurs secrets plus couverts


--- 25 ---
 

À mes yeux dessillezdécillés399 sont clairement ouverts.

Mais toutefois Tullus à une heure opportune,

610Si tu ne veux tenter comme moymoi la fortune,

VoicyVoici ton ennemi : il est entre tes mains ;

Haste luyHâte-lui son destin par tourmenstourments inhumains :

Il estime trop peu la perte de sa vie

Au prisprix de son honneur400 : croycrois que la seule envie

615De tirer sa raison401 d’un mescontentementmécontentement

L’a fait precipiterprécipiter dans un tel changement.

Tullus.

Je vous renrends grâce, ô Dieux, ô Dieux, qui pitoyables402

En noznos adversitezadversités nous estesêtes secourables :

Qui avez de nous soingsoin, qui pour nous maintenir403

620Des vostresvôtres ne perdez jamais le souvenir,

Lorsque quelque accident de près nous importune.

D’où nous vient ce bonheur ? Quelle bonne fortune

Te pousse, Marcius ? Leve toyLève-toi404, ô grand Dieu,

Qui eusteut osé penser de te voir en ce lieu ?

625Mon Coriolanus, aye405 cestecette asseuranceassurance406

Qu’ores407 veux enterrer du tout408 la souvenance

De ce quequi s’est passé. L’honneur que tu nous fais,

Prenant nostrenotre parti, efface tes meffaictsméfaits.

Non non, les Volsques sont tesmoinstémoins de ta vaillance ;

630Ils en ont à leur dam409 assez d’experienceexpérience :

Pour mon particulier410, n’attenattends d’un ennemi

Les effectseffets rigoureux411 : car je te suis amyami.

Mais d’où peut provenir cestecette vicissitude412 ?

Coriolanus.


--- 26 ---
 

D’une seditionsédition413, et d’une ingratitude.

Tullus.

635Que le peuple Romain ne cognoitconnait ta valleurvaleur !

Coriolanus.

Il la cognoitconnait par trop414 : mais il l’a en horreur.

Tullus.

Après avoir cueilli les fruictsfruits de ton service ?

Coriolanus.

Pour estreêtre courageux415 il m’attribue un vice.

Tullus.

Que peut-on supposer416 à l’homme vertueux ?

Coriolanus.

640QuoyQuoi ? Qu’il est un mutin, et un seditieuxséditieux.

Tullus.

D’où luylui vient ce soubçonsoupçon ?

Coriolanus.

D’autant que417 je traverse

Le peuple, soustenantsoutenant le droit de la noblesse.

Tullus.

A elleA-t-elle peupu souffrir que l’on te facefasse tort ?

Coriolanus.

Elle a prinspris l’espouvanteépouvante : elle craint trop la mort.

645Non non, ce sont poltrons sans arrestarrêt, sans courage,

Hauts en prospérité, mais si tostsitôt qu’un orage

Commence à s’esleverélever, leur audace s’abat :

Ils n’ont que le caquet418 au milieu d’un SenatSénat.

Tullus.

Courage Marcius, aye419 bonne esperanceespérance,


--- 27 ---
 

650Je te mettraymettrai bientostbientôt pour avoir ta revancherevanche

Dans une pleine mer420, mais il faut seulement

De quelque nouveauté inventer l’argument421 :

Il les faut resveillerréveiller422 : je sçaysais que ta venue

Rendra nostrenotre Antium et non sans cause esmeueémue423.

655Ah, qu’ils auront d’espoir, et d’asseuranceassurance en toytoi,

Qui leur servoisservais jadis de terreur et d’effroyeffroi !

Tu seras leur rempart et armezarmés de ta grâcegrâce424

Aussi tostAussitôt des Romains ils ne craindront l’audace.

Je les vavais advertiravertir425, cependant426 de mes biens,

660De moymoi, de mon creditcrédit427, sers-t’ensers-t-en comme des tiens ;

Attendant que le temps nous ouvre en cestcet affaire428

Les moyens de monstrermontrer ce que nous sçavonssavons faire.

Coriolanus.

N’ayai-je donc pas treuvétrouvé entre mes ennemis,

Tout ce que j’esperoyespérais de mes plus chers amis,

665Que j’avoyavais obligé de mon sang, de ma vie429 ?

Quelle est donc, Marcius, quelle est donc ta patrie ?

Ou celle qui t’honore en ta prosperitéprospérité,

Ou celle qui t’advoueavoue430 en ton adversité ?

Tu fais parade encor431 Rome de mes conquestesconquêtes,

670Et Antium de moymoi n’a receureçu que des pertes.

Rome, t’ayant servi, je me voyvois dechassédéchassé432 :

Antium me reçoit pour l’avoir offencéoffensé433.

Rome a eu mes labeurs, le plus beau de mon eageâge :

Antium n’a de moymoi qu’un évidentévident dommage,

675Je n’en serayserai ingrat. Si ce peuple a sentusenti,

Ce que pesepèse mon bras434, ce que peut ma vertu,


--- 28 ---
 

Rome tu coignoistrasconnaîtras435 combien a de puissance

Un outrage receureçu, quand il a prinspris naissance

Dans un juste despitdépit. Les Dieux sont justiciers,

680Ils n’aiment les ingrats et entre cent lauriers

La vertu ja436 de soysoi437 trop glorieuse et belle,

Encontre438 tout effort439 se maintient immortelle.

Choeur premier440.

Comme dans les flots pers441

Les poupes442 agittéesagitées

685Vont courant à travers

Des campaignescampagnes salées443,

Voisines des rochers,

En despitdépit des nochers444.

 

Ou bien comme un poulain,

690Qui jamais dans sa bouche

N’a remaschéremâché un frein445,

Quand l’esperonéperon le touche,

Va emportant l’arrestarrêt446

Qui le détientdétient subjectsujet447.

 

695De mesmemême la fureur

D’un tort ou d’un outrage,

Gravé dedans le coeur

D’un homme de courage,

Sur le vol448 d’un despitdépit

700Transporte son esprit.

 

Fille de NemesisNémésis449,


--- 29 ---
 

Par une humeur subtile,

Pour une BriséïsBriséis,

Tu450 fis jadis qu’Achille,

705Qui desiroitdésirait l’aveoiravoir

Oublia son devoir451.

 

C’est toytoi qui les TroiensTroyens

Et les Grecs mis en guerre,

Les murs Neptuniens452

710Bouleversas par terre

Et qui as renversé

Leur rempart terrassé.

 

C’est cestecette mesmemême ardeur,

Ce mesmemême feu, cestecette ire453,

715Qui toucha jusque aujusqu’au coeur

L’inexorable Pirrhe,

Quand il rougit cruel

Du grand JuppinJupin l’autel454.

 

Ce desirdésir inhumain,

720CesteCette rage soudaine,

LuyLui fait tremper sa main

Au sang de PolixenePolixène,

Souillant par un fait tel

Le tombeau paternel455.

Choeur second456.


--- 30 ---
 

725La cholerecolère est un poison,

Qui s’espandantépandant dans nostrenotre ameâme,

Va dechassantdéchassant457 la raison :

Peu à peu elle l’enflameenflamme,

Et d’un voillevoile tenebreuxténébreux

730Nous vient obscurcir les yeux458.

 

Combien un juste courroux459

GaigneGagne sur nous de puissance,

Qui va esloignantéloignant de nous

Et des Dieux la souvenance

735Et nos parensparents, et l’amour

Du lieu de nostrenotre sejourséjour460.

 

Marcius, qui tant de fois,

Exposa pour sa patrie,

Et pour soustenirsoutenir ses droits,

740Et ses moyens, et sa vie

Qui dessoubsdessous ses estendarsétendards

A combattu les hasards461,

 

Ce guerrier victorieux462

Qui à son aigle à deux testestêtes

745A fait porter genereuxgénéreux

Les lauriers de cent conquestesconquêtes

Faisant esleverélever les fronts

De ces sept superbes monts,

 

Ce Marcius, qui vainqueur

750Entre dedans Corioles,

Poussé de cestecette fureur


--- 31 ---
 

Et d’un despitdépit qui l’affole463,

Maintenant de sa cité

Asservit la liberté464.

 

755Aux Romains, qui ont receureçu

Les fruictsfruits d’un bien long service,

D’un despitdépit qu’il a conceuconçu,

Il prepareprépare un precipiceprécipice465

Pour les y faire rengerranger466

760Armé d’un droit estrangerétranger467.

 

Et toytoi Tibre468 impetueuximpétueux,

Qui nagueresnaguères469 souloissoulais470 bruire

Coulant son nom glorieux,

Tu ne bruiras que son ire471,

765MeslantMêlant dans tes flots soudains472

Le sang de tes citoyens.

[262] Le personnage de Latinus n’a aucun lien direct avec les autres personnages et n’est repris dans aucune des autres tragédies mettant en scène l’histoire de Coriolanus. Son intervention correspond pourtant à un passage de la Vie de Coriolan de Plutarque (§24-25, p.159-163) : dans cette période de troubles et de discorde civile que traverse Rome, les signes divins sont attentivement scrutés, et l’histoire de Latinus à qui Jupiter est apparu en songe, est l’un de ces présages.
[263] Phébus est l’un des noms d’Apollon.
[264] « Pithiene » : relatif à la Pythie, en l’occurrence à la Pythie de Delphes où se trouve l’oracle d’Apollon. Vers 394-395 : Apollon est doublement associé à la lumière : il est d’une part associé au soleil et c’est donc lui qui amène la lumière du jour, d’autre part la lumière du jour est associée à la vérité, qui s’oppose ici aux rêves trompeurs dont pense avoir été victime Latinus.
[265] Vers 394-395 : la soeur d’Apollon est Diane. On la connaît surtout en tant que déesse de la chasse mais elle est également identifiée à la lune.
[266] « Vain » : chimérique, qui n’est pas fondé sur la raison. « Menteur » : se dit des choses dont les apparences sont trompeuses.
[267] « Dechasser » : faire partir, chasser. La clarté d’Apollon fait disparaître la peur de Latinus en même temps qu’elle chasse l’obscurité de la nuit.
[268] « Panteler » : battre la chamade.
[269] « Sein » : torse.
[270] « Dormant » : alors que je dormais.
[271] Désigne Jupiter dont le tonnerre est un des attributs. Le vers 407 le désigne comme « foudroyant », ce qui renvoie à l’un de ses autres célèbres attributs : la foudre.
[272] « Ce vengeur indompté des enfans de la terre » : référence à la titanomachie qui a déjà été évoquée par le choeur à l’acte I. Jupiter est celui qui s’est vengé des Titans, qui sont les enfants d’Ouranos et de Gaïa, la terre, et qui se sont ralliés à Cronos que Jupiter affronte.
[273] « Moteur » : qui meut, qui fait mouvoir. Dieu est le premier moteur de l'Univers.
[274] « Façon » : manière de se comporter.
[275] « Appertement » : clairement.
[276] « Bransler » : remuer, agiter, bouger.
[277] Vers 413-416 : le foudre de Jupiter a été fabriqué par Vulcain dans sa forge située sous l’Etna. Latinus fait ici à nouveau référence à la gigantomachie dont il a été question dans le choeur de l’acte I. Il faut comprendre les vers 414 à 416 ainsi : foudre [...] que Vulcain [...] martela pour broyer en poudre les géants rebelles (« mutinez ») dispersés.
[278] « Comme void » : comme on voit.
[279] « Hobereau » : petit rapace qui ressemble au faucon.
[280] « Se musser » : se cacher.
[281] « Gauchir » : chercher quelque détour, quelque échappatoire pour surprendre son ennemi, ou se défaire de lui.
[282] « Pantelante » : haletante. (Voir la note du vers 401 : le verbe panteler qualifie le plus souvent la respiration mais peut aussi s’appliquer aux battements du coeur).
[283] Latinus rapporte ensuite les paroles de Jupiter au discours direct dans une prosopopée qui s’étend du vers 423 au vers 464.
[284] Il faut attendre le vers 440 pour que Jupiter révèle enfin le motif de sa colère qu’il désigne ici seulement par l’adverbe « ainsi ».
[285] Jupiter est l’un des dieux protecteurs de Rome.
[286] Vers 426-428 : anachronique : à son apogée, l’empire romain recouvre en effet une grande partie du monde connu, aussi bien à l’est et à l’ouest qu’au nord et au sud, tout autour de la Méditerranée. A l’époque de Coriolanus en revanche, qui vit la fin de la monarchie et les débuts de la République, Rome n’est encore qu’une cité-état.
[287] Cinq fleuves coulent aux Enfers ; le plus connu d’entre eux est le Styx, les quatre autres sont l’Achéron, le Phlégéthon, le Cocyte et le Léthé.
[288] « Cure » : soin, souci.
[289] Dès le commencement que.
[290] « Jetta le premier fondement » : commença la construction. Coriolanus a déjà mentionné la fondation de Rome par Romulus à l’acte I. Voir la note du vers 54.
[291] « Orgueilleux » : ce mot en poésie veut dire quelquefois hauteur.
[292] Nous maintenons cette forme pour le compte syllabique.
[293] « Depuis l’Africain brulé jusques au froid Borée » : « l’Africain brulé » renvoie aux territoires africains sur lesquels le soleil tape si fort qu’il brûle la végétation. Le « froid Borée » est le vent du Nord. Ce vers rappelle les premiers vers du sonnet XXII des Antiquités de Rome de Du Bellay : « Quand ce brave séjour, honneur du nom Latin / Qui borna sa grandeur d’Afrique, et de la Bize » (voir aussi le vers 506 qui comporte une autre référence aux Antiquités de Rome).
[294] Jupiter s’adresse à nouveau à Latinus.
[295] Jupiter s’étonne et s’indigne de la façon dont les Romains montrent leur respect aux dieux : ils ne font pas preuve de raison ni de bon sens.
[296] « Pollu » : du verbe « polluer », signifie souiller, profaner.
[297] « Cadance » : rythme de la musique sur laquelle le danseur règle ses mouvements.
[298] « Fascheux » : qui provoque la fâcherie, le mécontentement. « Baladin » : terme péjoratif qui désigne un danseur, ici celui qui se trouve en tête de la procession.
[299] « Ordonnance » : volonté, commandement.
[300] « Statut » : règle et constitution de quelque fondateur d'ordre religieux. Les propos de Jupiter restent très allusifs quant à la cause de son mécontentement. Pour mieux comprendre il faut se référer au passage de Plutarque repris ici (§24, 3, p.159) : « le danseur placé en tête de la procession faite en son [Jupiter] honneur était extrêmement mauvais et déplaisant. » Un peu plus loin, le récit explique ces paroles mystérieuses (§24, 6-9, p.159-161) : une procession de Jupiter s’était retrouvée derrière un convoi d’esclaves qui emmenait un autre esclave au forum pour l’y mettre à mort et le fouettait sur le chemin. Ce spectacle avait indigné les participants de la procession mais personne n’était intervenu.
[301] « Ainsi que » : comme.
[302] « Enserrer » : enfermer, contenir. Comprendre : il disparait, la vision se résorbe.
[303] « Du tout » : Complètement.
[304] Nous maintenons cette forme pour le compte syllabique.
[305] « Mensonger » : trompeur.
[306] « Leger » : frivole, peu important, peu considérable.
[307] Les « humeurs premières » dont il est question ici sont celles qui ont provoqué l’endormissement de Latinus avant qu’il ne soit réveillé par son rêve. L’expression « humeurs premières » désigne habituellement les quatre humeurs dont est composé le corps humain.
[308] « Viennent appesantir sur les yeux mes paupieres » : rendent lourdes mes paupières.
[309] « Somne » : sommeil.
[310] « Siller » : fermer.
[311] « S’amie » : son amante. De la même façon que par s’amie Semeles il fut veu... il me vient troubler les sens.
[312] Sémélé est l’une des amantes de Jupiter. Elle meurt brûlée après avoir demandé à Jupiter de lui montrer son vrai visage sur les conseils de Junon, épouse de Jupiter jalouse. Jupiter lui ayant fait une promesse, il lui apparait avec sa foudre et ses éclairs, qui brûlent la jeune femme, enceinte de Bacchus que Jupiter ôte de son ventre in extremis pour le placer dans sa cuisse.
[313] Selon la théorie des humeurs, le sang est ordinairement du côté de la chaleur.
[314] « Tu fais si peu de compte » : tu accordes si peu d’importance.
[315] « Mandat » : terme de droit canon ici employé dans le sens de mission, charge confiée à quelqu’un.
[316] Le tourment suivra immédiatement (comme une conséquence) le peu d’importance que tu as accordé à mes ordres.
[317] Latinus se trouve dans un état second, une sorte de transport.
[318] « Tressallir » : battre vivement. Le DMF recense de très rares occurrences de « tressallir » pour « tressaillir ».
[319] « J’appren à mon dommage » : j’apprends en en subissant les dommages, les pertes.
[320] « Sage » : raisonnable.
[321] « Grief » : prononciation monosyllabique. Et ce qui m’est encore plus douloureux.
[322] « Supporter » : souffrir, subir les conséquences.
[323] « Esprouver » : subir.
[324] « Porter » : subir. « Iniquité » : injustice. On s'en sert aussi plus généralement pour signifier le péché, la corruption de la nature et des moeurs, le débordement des vices.
[325] L’idée qu’il existe des lois naturelles naît au XVIe siècle et se développe au XVIIepuis au XVIIIe siècles.
[326] « Las » : hélas.
[327] « Geniture » : progéniture.
[328] « Grabat » : couchette, petit lit.
[329] « Peres conscrits » : sénateurs. On les appelle souvent « pères conscrits » car leur nom est inscrit sur l’album sénatorial.
[330] « Peccant » : terme de médecine. C'est une épithète qu'on donne aux humeurs, quand elles ont de la malignité, ou de l'abondance. Toutes les maladies ne sont causées que par des humeurs peccantes qu'il faut évacuer. (Du verbe latin pecco : être défectueux, pécher).
[331] « Paravant » : auparavant, précédemment. Nous maintenons cette forme pour le compte syllabique.
[332] « Sus » : sur.
[333] Nous maintenons cette forme pour le compte syllabique.
[334] Voir la note du vers 461.
[335] Nous maintenons cette forme pour le compte syllabique.
[336] « Vous rendez propices » : soyez-nous favorables.
[337] « Miserable cité » : Rome.
[338] « Supprimer » : annuler.
[339] « Las » : hélas.
[340] « Du tout » : complètement.
[341] « Tes monts orgueilleux » : les sept collines de Rome.
[342] « Nue » : sorte de nuages peu épais.
[343] Ce vers fait écho au sonnet III des Antiquités de Rome de Du Bellay : « Et Rome Rome a vaincu seulement ». On peut également noter dans le sonnet VI : « Rome seule pouvait à Rome ressembler / Rome seule pouvait Rome faire trembler ».
[344] « Regarder en pitié » : considérer avec pitié, prendre en pitié.
[345] « Et espousant le droit d’une juste querelle » : et prenant notre parti dans cette juste querelle.
[346] « Ne nous mets à couvert » : ne nous protège.
[347] « Support » : soutien, aide.
[348] Les interventions successives des différents personnages à l’acte II posent question concernant l’agencement de l’espace scénique et les déplacements des personnages. Nous supposons que Latinus, qui parle seul, se trouverait du côté de la scène qui représente Rome. Coriolanus qui intervient après lui vient d’être banni de Rome et de faire ses adieux à sa femme, mais il n’est pas encore chez les Volsques puisque Tullus, troisième personnage à intervenir dans cet acte, parle seul lui aussi, et doit être situé du côté de la scène qui représente les Volsques et la cité d’Antium. Il faut donc que durant cet acte, Coriolanus prononce sa première réplique dans un endroit intermédiaire entre Rome et Antium, puis pénètre chez les Volsques, à l’endroit de la scène où se trouve Tullus pour qu’ait lieu l’échange entre les deux généraux.
[349] Il faut venir au moment de mourir.
[350] « Remordre son frein » : ronger son frein, contenir sa colère.
[351] « Crevecoeur » : ce qui crève le coeur, qui provoque de la souffrance, des regrets.
[352] « Nocher » : pilote. C’est seulement dans la tempête qu’on reconnaît le bon pilote.
[353] « Onc » : jamais.
[354] Voir la note du vers 141.
[355] « Leger » : inconséquent, imprudent.
[356] « Despit » : colère.
[357] « Et qui en action tient sans cesse mon ame » : qui tient mon âme en action, agitée.
[358] « Cognoistre » : reconnaitre.
[359] « Dessein » : volonté de faire.
[360] « Il faut poser en bas ce surnom de Romain » : il faut renoncer au nom de romain. L’emploi du terme « surnom » est intéressant car il renvoie aussi au cognomen « Coriolanus » qui lui a été attribué après sa victoire à Corioles. On constate d’ailleurs que lorsque Tullus s’adresse à lui un peu plus tard (vers 623), il commence par l’appeler « Marcius » et non « Coriolanus », qui continue cependant d’être employé ensuite.
[361] « Espreuvé » : constaté, fait l’expérience.
[362] « Escadron » : groupe de cavaliers d’une armée.
[363] « Honorant ta valleur » : montrant du respect et de l’estime pour ta valeur.
[364] « T’aura en honneur » : te montrera de l’estime et du respect.
[365] Je m’en vais le trouver. On peut imaginer que Coriolanus commence à ce moment-là à se diriger vers le côté de la scène qui représente Antium.
[366] Vers 545-546 : indication scénique de costume qui reprend et détourne un élément présent dans le texte de Plutarque (§22, p.155). En effet, dans la version plutarquienne Coriolanus se déguise de sorte à ne pas être reconnu par les Volsques avant de pouvoir parler à Tullus. Ici, Coriolanus revêt un « manteau de deuil » qui a donc plutôt pour but de susciter la pitié et de montrer qu’il ne vient pas en ennemi.
[367] « En certain tesmoignage » : en témoignage certain, assuré.
[368] « Adversité » : malheur.
[369] « Ô grand Dieu des combats » : Mars.
[370] Impératif du verbe abattre.
[371] « Hydre » : monstre mythologique aquatique à plusieurs têtes. C’est le peuple romain qui est désigné par cette métaphore.
[372] Cette tirade de Coriolanus présente une énallage qui porte sur les différents pronoms employés par Coriolanus, notamment pour se désigner lui-même. La deuxième personne du singulier du vers 513 renvoie à Coriolanus qui s’apostrophe lui-même. Il utilise ensuite un « on » (v.514) puis la première personne du pluriel (v.517 et 519) est employée comme un pluriel de majesté : Coriolanus perle encore de lui-même. Les vers 520 à 542 reprennent l’auto-apostrophe de Coriolanus à la deuxième personne du singulier avant un retour à la première personne du singulier dans les vers 525 et 526. La deuxième personne (« te ») du vers 527 correspond au peuple romain à qui Coriolanus s’adresse. Des vers 530 à 544, la deuxième personne renvoie à nouveau à Coriolanus qui s’adresse à lui-même puis il emploie à nouveau la première personne jusqu’à la fin de son discours.
[373] Monologue de Tullus qui se lamente du sort des Antiens et formule son désir de revanche. Coriolanus n’entend probablement pas ce discours, ou alors, à l’insu de Tullus. Les deux hommes n’interagissent ensemble qu’à partir de la réplique suivante.
[374] La référence à l’aigle romaine était déjà présente à l’acte I (voir la note du vers 21). « Ravissant » : participe présent du verbe « ravir » qui signifie voler, dérober. L’aigle comme symbole militaire devient également ici un symbole de puissance redoutable et inquiétant.
[375] Vers 555-556 : l’image est forte : l’aigle romaine se nourrirait du sang de ses ennemis humains, Rome est donc accusée de cannibalisme. On retrouve ce motif dans le Coriolanus de Shakespeare (voir à ce sujet Stanley Cavell, « ‘Who Does the Wolf Love?’ Reading Coriolanus. » Representations, no 3, 1983, p.120 ; Russell M. Hillier, « ‘Valour Will Weep’: The Ethics of Valor, Anger, and Pity in Shakespeare’s Coriolanus. ». Studies in Philology, vol. 113, no 2, 2016, p.35896 et Peter J. Leithart, « City of in-gratia: Roman ingratitude in Shakespeare’s Coriolanus. » Literature and Theology, vol. 20, no 4, 2006, p.34160).
[376] « Au dam » : au détriment.
[377] « Pour jamais » : pour toujours.
[378] L’adjectif « audacieux » est ici péjoratif.
[379] C’est le peuple romain qui est qualifié de « monstre ». A l’acte I, Coriolanus emploie lui-même ce substantif à trois reprises pour désigner les Romains, et plus particulièrement les plébéiens (v.45, 87, 136). Il est également repris par le choeur de l’acte I aux vers 299 et 374.
[380] Vers 563-564 : qui cherche à assouvir son ambition de grandeur sans accorder d’importance aux autres peuples de la terre.
[381] « Dessiller » : ouvrir.
[382] « Soubs l’ombre d’alliance » : en prétextant des alliances.
[383] Vers 568-569 : on utilise les traités de paix pour supprimer la république antienne.
[384] Vers 575-576 : il vous a suffi d’une seule défaite (« perte ») pour vous faire renoncer à accomplir votre devoir de citoyen et à défendre votre cité.
[385] Coriolanus et Tullus doivent enfin être au même endroit de la scène, qui représente la cité volsque, ce qui permet à Coriolanus de s’adresser directement à Tullus : les souhaits des deux généraux, exprimés précédemment dans leur tirade respective vont être exaucés.
[386] Vers 578-579 : les hasards singuliers qui sont causés par un sort qui m’est ennemi.
[387] Vers 578-580 : c’est la fortune qui tient les rênes du monde.
[388] « Bande » : désigne les troupes de soldats.
[389] « Propugnateur » : défenseur. Le propos est étrange : Coriolanus semble affirmer qu’il a toujours défendu la liberté des Volsques.
[390] « Démonstré » : montré.
[391] « Guerdon » : récompense.
[392] « Vicissitude » : changement, passage d’un état à un autre.
[393] « Furieux » : fou, marqué par une violente colère.
[394] Vers 593-94 : le complément de la proposition hypothétique est difficile à identifier du point de vue du sens, nous suggérons de comprendre « si j’eusse voulu mourir ».
[395] « Hasarder » : risquer, agir de façon imprudente.
[396] Ce vers à la formulation un peu obscure fonctionne comme une proposition incise qui vise à minimiser les liens qui unissent Coriolanus à sa cité par une épanorthose : Rome n’est pas sa patrie mais seulement la cité qui lui a donné la vie.
[397] « D’un trop juste desdain » : suscitée par un mépris justifié.
[398] J’en ferai autant pour vous que ce que j’ai fait contre vous.
[399] Voir la note du vers 565.
[400] Vers 611-614 : Coriolanus offre à Tullus de le tuer en guise d’alternative s’il refuse cette alliance contre Rome : il préfère mourir que de perdre son honneur.
[401] « Tirer sa raison » : obtenir une vengeance, une réparation d’une injure qu’on a reçue.
[402] « Pitoyable » : qui éprouve de la pitié.
[403] « Maintenir » : faire subsister.
[404] Rien ne permettait de le dire avant mais cette indication suggère que Coriolanus s’est agenouillé devant Tullus pendant son discours ou au moins à la fin de sa tirade lorsqu’il remet sa vie entre ses mains.
[405] Nous maintenons cette forme pour le compte syllabique.
[406] « Aye ceste asseurance » : sois certain.
[407] « ores » : maintenant.
[408] « Du tout » : complètement.
[409] « À leur dam » : à leur détriment.
[410] « Pour mon particulier » : en ce qui me concerne.
[411] Vers 631-632 : n’attends pas de moi que j’agisse en ennemi avec toi.
[412] « Vicissitude » : retournement de situation.
[413] Début d’un échange de stichomythies entre Coriolanus et Tullus.
[414] « Par trop » : trop.
[415] « Pour estre courageux » : parce que je suis courageux.
[416] « Supposer » : faire une fausse allégation, ou accusation.
[417] « D’autant que » : parce que.
[418] « Caquet » : abondance de paroles inutiles qui n'ont point de solidité, se dit aussi d'une promesse sans effet.
[419] Nous maintenons cette forme pour le compte syllabique.
[420] On peut penser que les Antiens se rendaient à Rome en bateau en remontant la côte ouest puis le Tibre. Plutarque ne mentionne cependant pas ce voyage en bateau. Il est plus probable que l’évocation de la « pleine mer » renvoie à l’image du pilote employée au vers 518 : Coriolanus sera bientôt le pilote habile au milieu de la tempête.
[421] Vers 151-152 : les Volsques ne peuvent pas attaquer les Romains sans avoir un motif pour le faire : c’est le sujet du début de l’acte III.
[422] Réveiller les Antiens.
[423] « Esmeue » : en mouvement.
[424] « Grace » : faveur. Comprendre : armés de la faveur que tu leur fais.
[425] « Je les va advertir » : indication scénique fournie par Tullus lui-même : il va quitter la scène dès la fin de sa réplique, ce qui signifie que Coriolanus prononce la réplique suivante en étant seul sur scène.
[426] « Cependant » : pendant ce temps.
[427] « Credit » :  ce qu'on prête à quelqu'un dans la créance qu'on a qu'il paiera bien.
[428] « Affaire » existe aussi bien au masculin qu’au féminin en moyen français.
[429] Vers 663-665 : les amis de Coriolanus devraient lui être redevables parce qu’il a versé son sang et mis en péril sa vie pour eux et pour sa cité, contrairement à ses ennemis qui n’ont aucune obligation envers lui et lui offrent pourtant leur soutien. Cette réplique est construite sur une série d’antithèses, de parallélismes et de chiasmes qui soulignent l’aspect contre-nature de cette situation, l’injustice des Romains et la magnanimité des Volsques.
[430] « Advouer » : reconnaître, protéger.
[431] Nous maintenons cette forme pour le compte syllabique.
[432] « Dechasser » : rejeter, chasser.
[433] Alors que je l’ai offencé.
[434] « Ce que pese mon bras » : la force de mon bras.
[435] « Cognoistre » : faire l’expérience.
[436] « Ja » : déjà.
[437] « De soy » : d’elle-même, en elle-même.
[438] « Encontre » : contre.
[439] Effort contraire, ennemi.
[440] Le choeur de l’acte II se compose de deux parties. Cette première partie est constituée de sept sizains en hexasyllabes et s’attache à décrire les effets terribles que peut avoir la colère d’un homme victime d’une injustice.
[441] « Pers » : de couleur bleue ou qui tire sur le bleu.
[442] « Poupe » : arrière d’un bateau, désigne ici les navires entiers par métonymie.
[443] « Campaignes salées » : métaphore pour désigner les mers.
[444] « Nocher » : batelier.
[445] Vers 690-691 : qui n’a jamais été bridé par un mors.
[446] « Arrest » : pièce du harnais qu’on met à un cheval.
[447] Vers 689-94 : l’image du poulain incontrôlable figure dans le Discours des misères de ce temps (vers 191-196) de Ronsard où il est comparé à la France qui n’obéit plus à la raison dans les combats qui la divise.
[448] « Vol » : transport, causé ici par le dépit.
[449] Némésis est une déesse qui représente la colère des dieux et le châtiment qui en résulte (voir la note du vers 281). Selon certaines sources antiques, Hélène, la femme qui a causé la guerre de Troie, est la fille de Némésis.
[450] Le choeur apostrophe la fureur.
[451] Ce sizain et le suivant reprennent des motifs homériques présents dans l’Iliade. Briséis est une des prisonnières des Grecs pendant la guerre de Troie. Elle a été capturée par Achille mais elle lui est prise par Agamemnon qui a dû renoncer à sa propre prisonnière Chryséis à cause d’un oracle d’Apollon. Cela provoque la colère d’Achille, que raconte l’épopée homérique.
[452] Neptune aurait bâti les murs de Troie.
[453] « Ire » : colère.
[454] Pirrhe (ou Pyrrhus) est le fils d’Achille. Pendant la guerre de Troie, il tue le roi Priam et son fils Polites sur l’autel de Zeus.
[455] Pirrhe immole également Polyxène, fille de Priam, sur la tombe d’Achille. La Troade de Robert Garnier, tragédie de 1579, met en scène ces événements.
[456] La seconde partie du choeur est constituée de sept sizains en heptasyllabes et montre les effets de la colère sur celui qui l’éprouve, et notamment Coriolanus dont le comportement témoigne la fureur et l’hybris.
[457] « Dechasser » : chasser, faire fuir.
[458] On peut peut-être voir ici une référence à l’Ajax de Sophocle. Ajax, grand guerrier grec de la guerre de Troie, est furieux de ne pas avoir obtenu les armes d’Achille, qu’Ulysse a reçues. Il décide alors de massacrer les chefs grecs, mais Minerve intervient et brouille sa vision de sorte qu’Ajax croie qu’il atteint sa cible alors qu’il tue un troupeau de moutons.
[459] Il est intéressant de voir que malgré ses conséquences funestes, la colère est toujours considérée comme étant « juste », justifiée.
[460] Vers 733-736 : qui éloigne le souvenir de notre propre personne, des dieux et de nos parents et l’amour du lieu où l’on vit.
[461] « Hasard » : péril, risque.
[462] Pour que ce vers soit un heptasyllabe, il faut que guerrier ait trois syllabes ou que victorieux en ait quatre.
[463] « Affoler » : rendre fou.
[464] Vers 753-754 : prive sa cité de liberté en l’assujettissant.
[465] « Precipice » : métaphore pour désigner un grand malheur.
[466] « Renger » : occuper une place.
[467] La vengeance de Coriolanus est rendue légitime car la guerre est décidée par les Volsques et encadrée par le droit. Le début de l’acte III revient d’ailleurs sur la légitimité de cette guerre dans une conversation entre Tullus, Titius, Fidus et le Consul : c’est donc une décision militaire mais aussi politique et juridique.
[468] « Tibre » : fleuve italien qui traverse Rome.
[469] « Nagueres » : il y a peu.
[470] « Souloir » : avoir pour habitude de.
[471] « Ire » : colère. Le « nom glorieux » et l’« ire » dont il est question sont ceux de Coriolanus.
[472] « Soudain » : rapide, impétueux.

ACTE TROISIEMETROISIÈME

Tullus, Titius, Fidus, le Consul.

Tullus.

Que les Dieux immortels n’ayent473 soin des humains,

Qu’ils ne prennent beninsbénins474 leurs affaires en mains,

Qu’ils ne sointsoient justiciers tenanstenant soubssous leur tutelle,

770Encontre tous les droits d’une juste querelle475,

Alors qu’on se contient aux bornes du devoir,


--- 32 ---
 

Leurs faictsfaits de jour en jour nous le font à sçavoirsavoir476.

Sont eux477, perespères conscriptsconscrits478, sont eux qui font la guerre

TousjoursToujours à l’orguilleuxorgueilleux, et leur grondant tonnerre

775PrecipitéPrécipité d’enhauten haut casse plutostplutôt le front

Superbe et eslevéélevé de l’Olympique mont,

Ou les tours des grands rois, que ou479 la maisonettemaisonnette

Du pauvre laboureur, ou de la bergerette480.

Ils nous tesmoignenttémoignent bien qu’ils ont pitié de nous,

780AyansAyant esteinctéteint l’ardeur de leur premier courroux.

Par quels voeux, ô grands Dieux, et par quels sacrifices

Vous avons-nous rendus envers nous si propices481 ?

Il ne tient plus qu’à toytoi trop couarde cité

D’arracher aux Romains l’ancienne liberté

785Et de veoirvoir à cestecette heure en son estatétat antique

Les statuts et les droits de la chose publicquepublique482.

VenerableVénérable SenatSénat, quoyquoi ? VerrayVerrai-je tes yeux

TousjoursToujours appesantis d’un sommeil otieux483,

Et ton coeur entouré de cestecette froide crainte

790Qui depuis peu de temps sur ta face est emprainteempreinte ?

Je voyvois des hommes trop, mais peu, peu d’Antiens,

Peu de Volsques guerriers484 : ceux cyceux-ci sont des Romains,

Des Romains ? Mais plutostplutôt un peuple tributaire,

Leurs serfs, et leurs subjectssujets par le droit de la guerre,

795Qui ont laissé tollir485 contre toutes les loixlois,

SoubsSous l’ombre d’une paix, noznos villes et nos droits.

Quelle tresvetrêve, ô grand Dieu ? C’est une couverture486

Où se caslecale487 Antium, ta ruïne488 future.

Ce sont, ce sont les lacs489 où ils490 surprennent ceux


--- 33 ---
 

800Qui se laissent piper491 de ce nom doucereux492.

Serions-nous les premiers, soubssous cestecette tromperie ?

N’ont-ils pas tant de fois voilé493 leur perfidie,

Quand du commencement494 traistrestraîtres à leurs voisins,

Ils ravirent trompeurs les filles des Sabins495 ?

805C’est là le stratagemestratagème, et c’est la piperie496

Où ils vont endormant un peuple qui s’y fie,

Afin de puis après497 le prendre à pied levé498

L’ayant entretenu d’un propos emmieléemmiellé499.

Messieurs, vous en verrez trop tosttôt l’experienceexpérience500.

Titius.

810Nous avons avec eux une heureuse alliance,

Et tresvetrêve pour deux ans501 : cela est tout certain502,

L’honneur nous y semond503, la foyfoi504 nous y contraint :

Elle doit contre tous505 sans fraude506 estreêtre gardée.

Tullus.

QuoyQuoi ? envers ceux qui l’ont ja* tant de fois faussée507 ?

Titius.

815Ils ont en nostrenotre endroit leur propos maintenu.

Tullus.

Ce quequi peut aveniradvenir n’est encor508 avenuadvenu.

Nous recevrons trop tard, je didis509 à noznos dommages,

Les fruictsfruits510 d’avoir estéété trop simples511 et peu sages.

Titius.

N’avons-nous pas sentusenti512 ce que peut leur courroux ?

Tullus.

820Les Dieux et la raison combatointcombattaient contre nous,

Et qui plus, Marcius, toute leur asseuranceassurance513,


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Qui vous a tant de fois tesmoignétémoigné sa vaillance514,

Et qui a pour un jour515 sur quarante Antiens516

Perçant vozvos esquadronsescadrons ensanglanté ses mains ;

825Ce grand guerrier de qui et l’oeil et la parolleparole517

Vous faisoitfaisait frissonner, cil* qui dans Corioles

Au front518 de vostrevotre camp, pesle meslepêle-mêle avec ceux

Qui fuyointfuyaient devant luylui, entra victorieux519 :

Et ce mesmemême, Messieurs, qui à cestecette canaille

830Qui bransloitbranlait nous voyant mistmit en main la bataille520 :

Quand tout couvert de sang pour plus les asseurerassurer521,

Sortant de Coriole522 il se vient presenterprésenter

À la testetête du gros de cestecette populace,

Et de fuyards peupla vostrevotre sanglante place :

835Je didis523 de vozvos enfansenfants. Mais s’il a quelque foisquelquefois

CombatuCombattu vaillamment pour maintenir les droictsdroits

Ou les pretentionsprétentions d’une ingrate patrie,

À cestecette heure il remet entre vozvos mains sa vie :

Vous prend pour protecteurs, et pour vous soustenirsoutenir,

840DessoubsDessous vozvos estandarsétendards il veut vaincre ou mourir.

Sa vaillance vous l’a et par trop524 faictfait paroistreparaître,

Elle parle pour luylui, vous le pouvez cognoistreconnaître525.

Il faut par les cheveux prendre l’occasion526 :

Le peuple et le SenatSénat sont en seditionsédition527 :

845La ville en deux partis est toute divisée,

Et d’elle mesmeelle-même elle est toute esbranléeébranlée.

La noblesse a au coeur emprainteempreinte sa vertu528 :

Ce qui est separéséparé est demi combatucombattu529.

Un peuple bien unyuni tous les jours se renforce :


--- 35 ---
 

850Autrement peu à peu il va perdant sa force.

Titius.

Marcius est vaillant : mais qui s’y peut fier ?

Encontre ses amis soustenirsoutenir l’estrangerétranger :

Cela n’est pas croyable530.

Tullus.

Un desirdésir de vengeance

Et un affront receureçu, ont beaucoup de puissance.

Titius.

855Il veut faire sa paix nous mettant en danger.

Tullus.

Sa paix ? rien de moins du tout : mais il veut se venger531.

Titius.

Regardons bien premier532 si juste est sa querelle ;

Fidus.

Ne laissons escoulerécouler cestecette occasion belle,

Belle didis-je vraymentvraiment, puisque tu as pour toytoi,

860Antium, ce guerrier jadis* tout ton effroyeffroi,

Il ne nous manque plus qu’une audace guerriereguerrière,

Pour remettre au-dessus la liberté premierepremière.

Envoyons répéter533 les villes aux Romains

Qu’ils ont injustement arraché de nos mains.

Titius.

865Nous en serons blasmezblâmés de la posteritépostérité.

Tullus.

Ils ont les premiers faictfait actes d’hostilité :

Ils nous font assésassez veoirvoir leur volonté inique534.

Encor535 depuis trois jours, faisansfaisant des jeux publique536,


--- 36 ---
 

Mutins, à son de trompe ils ont fait commander

870À tous les citoyens d’Antium de vuidervider

Leur ville dans une heure537.

Le Consul.

CesteCette tresvetrêve un naufrage

À la fin causera et un commun538 dommage

À la chose publique. Mais il ne faut qu’on pense

Qu’ils ayent539 en un jour abattuabattu l’asseuranceassurance

875Des Volsques, ha non, non ! C’est par trop endurer,

Il ne faut plus paslirpâlir, il se faut rasseurerrassurer.

Nous sommes tous nourris ainsi qu’eux aux alarmes540,

Qui plus541 ? L’occasion542 nous met en main les armes,

Le droit et la raison. Qui ne suit son bonheur

880Le laissant escoulerécouler, c’est à faute de coeur543.

Voyons de ce Romain si la fortune heureuse,

Qui tousjourstoujours a estéété sur nous victorieuse,

Contre nos ennemis aura mesmemême pouvoir

Et qu’un chacun de nous se tienne en son devoir

885Lorsqu’il faudra partir. Tu cognoisconnais nostrenotre affaire,

Demeure avec que nous pour un conseil de guerre544,

Tullus : pour generalgénéral545 contre nos ennemis,

Marcius y cognoitconnait la langue et le pays.

Par ainsyainsi qu’un chacun luylui rende obeyssanceobéissance

890Comme à cil* qui aura sur tous pleine puissance :

Le tout despenddépend de luylui. Ayons espoir aux Dieux :

Car fortune est tousjourstoujours prospereprospère aux courageux546.

Choeur des Volsques547.


--- 37 ---
 

C’est aujourd’huyaujourd’hui qu’il faut remettre

Au-dessus nostrenotre liberté548 :

895Il ne faut désormaisdésormais permettre

Que nostrenotre honneur nous soit ostéôté

Et que soubssous une paix faictefaite à notre dommage

L’on nous couvre549 un servage550.

 

Une guerre est moins enuyeuseennuyeuse551 :

900Moins dangereux est un combat,

Qu’une paix ignominieuse,

Qui sans combattrecombattre nous abbatabat :

L’homme ne doit jamais sa liberté survivre,

Qui seule le fait vivre552.

 

905Sus* courage, troupe Antiate,

Il ne faut qu’un effort vainqueur

Des Romains tout à coup t’abatte

Ou te facefasse perdre le coeur553.

Non non, jamais le cours de la boule muable554,

910Du sort n’est longtemps stable.

 

Ce grand guerrier de qui la face,

Les yeux, le maintien, et la voix

A fait555 ruisseler une glace

Dedans tes veines maintefoismaintes fois556

915EspousantÉpousant courageux le droit de ta querelle

Te prentprend soubssous sa tutelle557.

 

ResveilleRéveille, Antium, ton courage

Armé de sa seule faveur558 :

Il faut secouer559 le servage


--- 38 ---
 

920De cestecette Romaine rigueur560.

SoubsSous des chefzchefs genereuxgénéreux Rome a peinte sa gloire

Au front de la memoiremémoire561.

 

Je voyvois ja* cestcet aigle à deux testestêtes

Qui nostrenotre sang alloitallait sucçantsuçant562,

925Afin d’enrichir noznos conquestesconquêtes

Devant nous s’aller abaissant :

Puisque de Marcius la prospereprospère fortune

Nous est ores* commune.

Coriolanus, Vitellus.563

Coriolanus564.

Rome, voicyvoici le temps, voicyvoici l’heure opportune

930Où il faut esprouveréprouver les effectseffets de fortune565 :

C’est par trop566 prospererprospérer, voicyvoici l’occasion

Qui te fera venir au point de la raison567,

Et cognoistreconnaître trop tard, ce que peut un outrage

Gravé dedans le coeur d’un homme de courage.

935Où sont, dydis maintenant568, où sont tous tes lauriers,

Tes tribuns, ton SenatSénat, tes superbes569 guerriers ?

Où est en ce danger570, mutine populace,

Où est-elle, di moydis-moi, cestecette premierepremière571 audace ?

PourquoyPourquoi ne sortez-vous en bon ordre serrezserrés

940Dans un champ de bataille en esquadronsescadrons carrés ?

Dea572, vous vous estonnezétonnez573 du son d’une trompette.

Que l’on vous voyevoie un peu, vozvos tribuns574 à la testetête :


--- 39 ---
 

Ils sont à nous, Messieurs575, ils ont perdu le coeur :

Ils n’ont que le caquet576 : les poltrons577, ils ont peur.

945Vous sçavezsavez bien gronder578 au milieu d’une place ;

Mais quand il faut venir main à main, une glace

Vous reffroiditrefroidit le sang579 : ah mutins, ah mutins,

Vous n’aurez, vous n’aurez affaire à des faquins580,

Qui se laissent gaignergagner d’une douce parolleparole.

950Vous avez ja* estéété réduits au Capitole581

Et je vous chasseraychasserai de Rome entieremententièrement,

Faisant courir le soc582 dessus le fondement

De vozvos superbes tours ; mais ce n’est tout de dire

Cela sert seulement pour ranimer mon ire583.

955Cependant Catius584, fayfais enclore585 ce camp586

Tire là la tranchée et fayfais tenir en rengrang

Le soldat escartéécarté587, mets la cavalleriecavalerie

Aux ailes des drappeauxdrapeaux de nostrenotre infanterie588.

PrevoyPrévois à589 nostrenotre garde, et aux munitions590 :

960Surtout ne soyons point despourveusdépourvus591 d’espions,

Afin d’estreêtre advertisavertis de ce qu’ils ont en l’ameâme592 :

En quel estreêtre593 est ce peuple, et quels desseingsdessein il trame.

Il a prinspris l’espouventeépouvante : il est nostrenôtre à demydemi594

Mais il ne faut pourtant mesprisermépriser l’ennemyennemi

965En quel estatétat qu’il soit : car fortune diverse

En nos prosperitesprospérités bien souvent nous traverse595 :

Comme un cheval sans frein596, elle court à travers

(Sans cesse baoulant597) de ce grand univers.

Vitellus598.


--- 40 ---
 

Marcius, les Romains soubssous la seule esperanceespérance

970Qu’ils ont de ta vertu599, et ayansayant souvenance

De tes labeurs passezpassés, de ton los600, de ta foyfoi601,

M’ont pour ambassadeur envoyé devers toytoi :

L’ordre Patricien et la troupe peu caute602

Du peuple, qui cognoitconnait, bien que trop tard, sa faute,

975Ont revoquérévoqué l’arrestarrêt603 de ton bannissement,

Te prianspriant d’oublier ce mescontentementmécontentement,

Et ne les point contraindre à te donner bataille.

Coriolanus.

Hors de devant mes yeux ! DiDis à cestecette canaille604,

S’on605 pense que je soyesois un jouet à tous vents,

980Qui se laisse piper606, subjetsujet aux changements607 :

Pour mon particulier j’ayai receureçu une offense,

J’ayai belle occasion d’en avoir ma revancherevanche608

Je l’aurayaurai, je l’aurayaurai, en voicyvoici les moyens,

Je leur vendrayvendrai bien cher609 la perte de mes biens.

985Mais comme generalgénéral des Volsques, qu’on s’asseureassure

Que je ferayferai icyici pour dix ans ma demeure,

Ou les Romains viendront au point de la raison610.

Qu’ils ne pensent venir à composition611,

Que premier je ne voyevoie entieremententièrement les terres

990Que l’on nous612 a ravi aux precedentesprécédentes guerres,

EstreÊtre en nostrenotre pouvoir ; nous y seront remis613

Ou bien vous nous aurez à jamais ennemis.

Portez ailleurs le joug de vostrevotre tyrannie.

Je veux qu’on nous accorde un droit de bourgeoisie614.

Vitellus.

995Patientez un peu.


--- 41 ---
 

Coriolanus.

OuyOui, pour trente jours :

Je vous ferayferai tomber sur le ventre vozvos tours,

Si dedans ce temps làtemps-là je n’ayai de vozvos nouvelles,

Mettant fin par le fer615 à toutes nos querelles.

Le grand Pontife, le Sacrificateur, Coriolanus616.

Le grand Pontife617.

Terreur de l’univers, ô monarque des Dieux618,

1000Qui guides de ta main le mouvement des cieux

D’un accord619 immortel, maintenant toutes choses

Depuis que du Chaos620 elles furent esclosesécloses :

NostreNotre grand protecteur, et toytoi porte tridentporte-trident621,

Qui dedans le cristal622 d’un muable623 occeanocéan,

1005Dans les flots mutinezmutinés624 des campaignescampagnes salées625

Tiens tout puissant le frein des bandes escailléesécaillées626 :

Donnant pour toute loyloi627 à ce peuple muet628

Ta voix, qui les contient soubssous ton pouvoir subjetsujet629.

Et toytoi, ô noir Pluton630, qui des nuitées sombres631

1010De toute eternitééternité erres parmyparmi les ombres,

Qui commandes là-bas, et qui prudent conduictconduis

D’un propos le fuseau des filles de la nuictnuit632,

Qui traces le filletfilet de toute destinée633,

Ô PhoebusPhébus tout voyant634, ô nocturne PhoebéePhébé635,


--- 42 ---
 

1015Et toytoi mèremère Vesta636, Romulus, et vous tous,

Ô grands Dieux immortels, d’où provient ce courroux

Qui cause noznos malheurs ? Quelle faute avenueadvenue637

Dans Rome a contre nous votre ire tant esmeueémue638 ?

C’est vous, ô Dieux, c’est vous qui ores* des Romains

1020Avez sillécillé639 les yeux, et qui liez leurs mains.

Qui eusteut jamais pensé un si soudain desastredésastre640 ?

Ce peuple est ja* vaincu et qui plus sans combattre,

Vaincu : de qui vaincu641 ? Damnable ambition !

Seulement du discord d’une seditionsédition.

Le Sacrificateur.

1025Ô sinistre accident ! JettonsJetons l’anchreancre sacrée642 :

Ouvrons les temples sainctssaints, et pour rendre appaiséeapaisée

La fureur de noznos Dieux conceuëconçue643 contre nous,

Pressons devotementdévotement la terre des genoux644.

Ô grands Dieux, qui d’enhauten haut prevoyezprévoyez noznos misères :

1030Qui vous estesêtes tousjourstoujours monstrezmontrez envers nous pères645 ;

Qui avez maintenu jadis* cestecette cité

Au paisible repos d’une prosperitéprospérité :

HelasHélas, ne permettez qu’un seul jour nous efface

Tant et tant de lauriers. DesjaDéjà dans nostrenotre place646

1035On n’entend que des cris, des plaintes et des pleurs :

On ne voidvoit que tormenstourments, que sinistres malheurs.

Ayez pitiepitié de nous, ne soyez plus contraires647.

Le grand Pontife.

Sus* mon frerefrère, prenons tous nos Dieux tutelairestutélaires648,

Tous nos vases sacrés, et sortanssortant allons veoirvoir

1040Si quelque pietépiété pourra point esmouvoirémouvoir


--- 43 ---
 

Ce coeur diamantin649 : d’une audace650 asseuréeassurée

En noznos habits plus sainctssaints traversons son armée.

Mais je le voyvois venir651 : quel port audacieux652 ?

Ha quelle gravité653 ! Si le respect des Dieux

1045Sur ton coeur indompté a eu jamais puissance,

Marcius, comme ayant d’iceux* et ta naissance,

Et l’estreêtre654, et la valleurvaleur, qui te fait honorer :

Si tu crois que sont eux655, qui te font prospererprospérer,

Voy lesVois-les icyici presensprésents656 : au nom d’eux je te prie,

1050Sont ceux de ton fouyerfoyer, sont ceux de ta patrie657,

De donner quelque frein au trop ardent courroux,

Que tu as trop bouillant658 conceuconçu encontre nous,

Et envers ta cité monstre toymontre-toi charitable.

Un Dieu bien qu’offensé n’est point inexorable659.

1055Mais Coriolanus, au lieu d’une douceur,

Qui devroitdevrait pour nous veoirvoir660 faire amoliramollir ton coeur,

Tu ne peux estreêtre esmeuému par prièresprières neni* larmes :

VienViens donc avec le droit661 et pose bas les armes,

Puis propose les points de ton intention662.

Coriolanus.

1060Que je quitte ma prinseprise ? Ô la belle raison663 !

Le Pontife.

QuoyQuoi, tu nous veux forcer contre toute police664 ?

Coriolanus.

Je ne suis point tyran, mais j’aymeaime la justice.

Le Pontife.

Appelles-tu justice avoir l’espéeépée en main ?

Coriolanus.


--- 44 ---
 

Je l’appelle vraymentvraiment665 contre un peuple inhumain.

Le Pontife.

1065Contre tes citoyens et contre ta patrie ?

Coriolanus.

Ceux qui ont desirédésiré la perte de ma vie,

Ceux qui m’ont tant de fois innocent pourchassé,

Qui m’ont de la maison de mes pères chassé

Par un bannissement : ô superbe666 insolence !

1070Pour mon particulier667, je leur remets l’offense668,

Et comme citoyen, bien que soysois669 le plus fort,

Je n’empescherayempêcherai point un raisonnableraisonnable accord.

Mais quant aux Antiens, qui couranscourant ma fortune670

Adverse, m’ont rendu leur prospereprospère commune671,

1075MesmeMême je didis672 au fort de mon plus grand malheur,

M’ont humains confié leur droit et leur honneur :

Je mourraymourrai avec eux : la raison m’y appelle,

Ou je verrayverrai la fin d’une juste querelle.

Quittez673 ce que sur eux sans droit674 vous possedezpossédez :

1080Venez à la raison, ou bien vous deffendezdéfendez675.

ChoisissesChoisissez vostrevotre mieux : vous sçavezsavez676 vostrevotre affaire :

Vous avez en vozvos mains ou la paix ou la guerre.

Que je ne vienne au point677 quand j’en ayai le moyen ?

Qu’on ne m’en parle plus, car je n’en ferayferai rien :

1085Cela est resolurésolu et mon devoir678 m’y pousse.

La force par la force à bon droit se repousse.

Et je sçaysais que JuppinJupin, qui ce grand tout maintient,

Fait rendre à un chacun ce quequi luylui appartient.

Le grand Pontife.


--- 45 ---
 

Ha qu’il est obstiné ! Vaine est nostrenotre prière,

1090Elle sert seulement d’amorce à sa cholèrecolère :

AinsyAinsi comme d’Etna dans les flans ombrageux,

On voit tout eschauffééchauffé ce forgeron boiteux679,

D’un peu d’eau ranimer et la flamme et la braise,

Qui des Cyclopes680 nudsnus fait rougir la fournaise ;

1095Lorsqu’il va martelant ses rets industrieux681,

Les armes d’Achilles682, ou les courroux des Dieux.

Le Sacrificateur.

Son coeur est endurci : car tant plus on le prie,

Tant plus on parle bas, tant plus on s’humilie683,

Plus il s’enorgueillit. Ô perepère tout puissant,

1100Qui vas dessoubsdessous tes pieds toute audace abbaissantabaissant684 :

Secourable JuppinJupin, qui d’un seul coup de foudre

Peux cestecette ronde masse685 en mille parts resoudrerésoudre686 :

Qui des audacieux t’oppose à la fureur :

Qui maintenant le droit, vas dissipant l’erreur,

1105Repousse cestecette gent et barbare et inique687 :

VienViens prendre le timon688 de la chose publique :

Et pilote prudent, conduyconduis nostrenotre vaisseau

Par les traistrestraîtres escueilsécueils689 calezcalés690 dessoubsdessous cestecette eau :

Guide-le, PèrePère sainctsaint, à travers de l’orage691,

1110Afin qu’ayant mouillé l’anchreancre dans le rivage,

Nous chantions à jamais la clementeclémente douceur,

Et le nom glorieux de nostrenotre protecteur.

Choeur des devins et Sacrificateurs692.


--- 46 ---
 

Cil* qui mesprisantméprisant les Dieux,

Va dessus sa propre gloire

1115Fondant trop audacieux693

Le rempart de sa victoire :

 

CognoitConnait, mais trop tard souvent

Les effectseffets d’une arrogance,

Car celuycelui tousjourstoujours descentdescend,

1120Qui à trop monter s’avance694.

 

Si tu vivoisvivais PhaëtonPhaéton,

Tu fuiroisfuirais cestecette lumierelumière,

Qui te fit dans l’AcheronAchéron

PrecipiterPrécipiter ta carrierecarrière695.

 

1125Icarus abaisseroitabaisserait :

Son audace trop apperteaperte696,

Et plus il ne nommeroitnommerait

La mer du nom de sa perte697.

 

Si les Dieux vont la fureur

1130RetardansRetardant de leur justice698 :

De tant plus699 sur le pecheurpécheur

Va s’agravantaggravant le supplice.

 

Le pechépéché nous fait sentir

Qu’il enfante sa vengeance

1135Et tousjourstoujours un repentir

Va talonanttalonnant une offense.

 

Encor700 un vautour glouton

Va becquetant la poitrine


--- 47 ---
 

Du PrometheanProméthéen larron

1140Sur la roche Caucasinecaucasienne701.

 

Et Tantale pense en vain

ParmyParmi sa soif renaissante

Souler702 son perjureparjure sein

D’une eau tousjourstoujours refuyante703.

 

1145En vain d’un tourment nouveau

Les traistrestraîtres seurssoeurs Danaïdes

Vont sans repos portansportant l’eau

Dans leurs tonneaux tousjourstoujours vuidesvides704.

 

Non les Dieux sont justiciers :

1150Minos est juge equitableéquitable705,

Contre eux tous efforts guerriers

Sont fondezfondés dessus le sable.

 

Marcius, que penses-tu

De bastirbâtir ton asseuranceassurance

1155Dessus ta propre vertu,

Au mesprismépris de leur puissance ?

 

Tu ne fais compte de nous706,

De noznos prieresprières et larmes,

Animé d’un seul courroux

1160Qui t’a faictfait lever les armes.

 

Poussé d’un despitdépit haineux,

Tout pour un coup707 tu oublie708

Avec le respect des Dieux,

Et les tiens et ta patrie.

 

1165La victoire ne gistgît pas

En une troupe infinie709,


--- 48 ---
 

Quand les Dieux guidansguidant noznos pas

Rendent nostrenotre force unie710.

 

Sont711 noznos pechezpéchés, ô grands Dieux,

1170Qu’amollissent712 nos courages,

Qui nous ont sillécillé713 les yeux

Au milieu de ces orages.

 

Prenez le timon714 en main

De nostrenotre chose publicquepublique

1175Et rendez tout l’effort vain

De cestecette brigade inique715.

 

Chasse, NemesisNémésis, d’icyici

Ta fille aisneeaînée Discorde716,

Et change nostrenotre soucysouci

1180En une heureuse concorde717.

 

Ou fayfais sortir du tombeau

ScevoleScévole à l’ameâme guerriereguerrière,

Qui à ce tirantyran nouveau

Facefasse la peur toute entière718.

[473] Nous maintenons cette forme pour le compte syllabique.
[474] « Benin » : favorable, bienveillant.
[475] La formule est éloquente, elle montre une fois de plus l’importance du droit et de la justice dans la pièce, particulièrement en ce qui concerne les questions diplomatiques relatives à la guerre.
[476] Vers 767-772 : les faits des dieux nous font savoir que...que...que. On retrouve ici le thème de la révolte humaine contre les dieux indifférents présent notamment chez Jodelle dans le choeur des Troyens à l’acte I de Didon se sacrifiant.
[477] « Sont eux » : ce sont eux (les dieux).
[478] « Peres conscipts » : sénateurs. Voir la note du vers 481. C’est à eux que Tullus adresse son discours dans le but de les convaincre du bien-fondé de déclarer la guerre à Rome.
[479] Du point de vue du sens, ce « ou » semble être en trop mais sans lui le vers deviendrait fautif.
[480] « Bergerette » : petite bergère. Vers 774-778 : le tonnerre des dieux s’abat plutôt sur les dieux eux-mêmes ou les grands de ce monde que sur les modestes travailleurs. C’est le principe même de la tragédie, qui met en scène les changements de fortune des grands de ce monde.
[481] « Propice » : favorable.
[482] « Chose publique » : traduction littérale du latin res publica qui désigne d’abord l’état, le gouvernement de façon générale avant de renvoyer à la république en tant que régime politique spécifique. Vaincre Rome permettrait aux Volsques de priver les romains de leur liberté et la cité reviendrait à un état plus ancien dans lequel les citoyens disposaient de moins de droits que sous la république.
[483] « Otieux » : ce mot vient du latin otium et semble traduire l’adjectif otiosus : inactif, oisif. Tullus reproche au Sénat son inertie et son manque de combativité.
[484] Vers 791-792 : parmi les Antiens et les Volsques, peu ont l’attitude de guerriers. Dans les vers suivants, Tullus accuse certains des siens d’être devenus des romains. Les vers 793 et 794 précisent cette accusation sous forme d’incise à valeur d’épanorthose : en gagnant la guerre, les romains ont soumis les Volsques et ont fait d’eux un « peuple tributaire », « leurs serfs » et « leurs subjects ».
[485] « Tollir » : ôter, supprimer. Les Volsques romanisés ont accepté de soumettre leurs villes et leurs droits contre une paix illégale.
[486] « Couverture » : sens figuré, désigne ce qui dissimule, leurre.
[487] « Se casler » : se dissimuler, se cacher.
[488] Le tréma indique que la prononciation doit être bisyllabique pour que l’alexandrin soit complet. Nous maintenons donc cette forme.
[489] « Lacs » : attaches, liens qui entravent.
[490] Les romains.
[491] « Piper » : tromper.
[492] Le nom de « trêve ».
[493] « Voilé » : caché.
[494] « Du commencement » : dès le début.
[495] Vers 803-804 : Tullus termine son monologue par l’évocation de l’enlèvement des Sabines par les Romains au tout début de l’histoire de Rome.
[496] « Piperie » : tromperie.
[497] « Puis après » : ensuite.
[498] « Prendre à pied levé » : On dit proverbialement Prendre quelqu'un au pied levé, pour dire, Prendre avantage contre lui du moindre mot qui lui échappe. (Académie Française, 1694).
[499] « Emmielé » : d’une douceur trompeuse. Vers 805-808 : les Romains font de belles promesses pour amadouer leurs adversaires et profiter de la confiance qui leur est accordée pour mieux les trahir et obtenir ce qu’ils veulent.
[500] Il est intéressant de noter que Tullus, pour convaincre les sénateurs Volsques de se fier à Coriolanus et de déclarer la guerre aux Romains, insiste sur la fourberie des Romains. Si l’on s’en tient à ces propos, Tullus ne devrait pas se fier non plus à Coriolanus, ni conclure d’accord avec lui : cela crée une certaine ironie pour le lecteur instruit de cette histoire qui connait la trahison finale de Coriolanus.
[501] Ce détail est présent chez Plutarque (Vie de Coriolan, §26, 2, p.163).
[502] « Certain » : assuré.
[503] « Semondre » : exhorter.
[504] « Foy » : engagement que l’on prend et qu’on assure de respecter.
[505] « Contre tous » : contre toute forme d’opposition.
[506] « Sans fraude » : sans tromperie déloyale.
[507] « Faussée » : trahie.
[508] Nous maintenons cette forme pour le compte syllabique.
[509] « Je di » : je veux dire, c’est-à-dire.
[510] « Fruicts » : conséquences.
[511] « Simple » : naïf.
[512] « Sentir » : faire l’expérience.
[513] Marcius, grâce à qui ils étaient assurés de l’emporter.
[514] Sur le champ de bataille en combattant contre vous.
[515] « Pour un jour » : au prix d’un seul jour.
[516] Ce nombre de quarante Antiens dont Coriolanus serait venu à bout à lui seul semble être une invention de Mont-Justin, on ne retrouve rien de tel chez Plutarque.
[517] Cette remarque anticipe le dernier acte : Catius évoque lui aussi les compétences oratoires de Coriolanus (v.1718-1720), ce qui indique qu’elles sont unanimement reconnues, mais à la différence de Tullus qui les présente ici comme louables chez celui qui fut l’adversaire des Volsques, elles sont devenues redoutables et dangereuses aux yeux de Catius à l’acte V après la trahison de Coriolanus qui fait de nouveau de lui un ennemi des Volsques. Notons également que ces qualités oratoires sont mentionnées par Plutarque (Vie de Coriolan, §27, 1 : « Marcius, appelé dans l’assemblée, y prit la parole ; sa harangue fit voir qu’il était aussi habile à parler qu’à combattre et qu’il était un homme de guerre d’une intelligence et d’une audace extraordinaires » p.165 et §39, 6 : « car Marcius comptait parmi les orateurs les plus habiles » p.195).
[518] « Front » : partie antérieure d’une armée qui fait face à l’ennemi.
[519] Vers 825-828 : Tullus rappelle les exploits militaires de Coriolanus contre les Volsques (voir Plutarque, Vie de Coriolan, §8, p.121-123).
[520] Vers 829-830 : et ce même, Messieurs, qui nous voyant mit en main la bataille à cette canaille qui branlait.
[521] Après la prise de Corioles, Marcius rejoint le consul Cominius pour lui annoncer cette nouvelle et Plutarque rapporte qu’il est couvert de sang et de sueur, ce qui effraie d’abord les soldats qui l’aperçoivent (Vie de Coriolan, §9, 5, p.127).
[522] Nous conservons l’orthographe « Coriole » au lieu de « Corioles » car le mot comporte une diérèse pour former un alexandrin. La graphie « Corioles » ajouterait alors une syllabe en trop.
[523] « Je di » : je veux parler.
[524] « Trop » : normément.
[525] « Cognoistre » : reconnaître.
[526] L’expression « prendre l’occasion aux cheveux » signifie se saisir d’une occasion favorable.
[527] Tullus parle du peuple et du Sénat romains.
[528] La vertu de Coriolanus.
[529] Formulation sentencieuse.
[530] Vers 852-57 : passage en stichomythies.
[531] Ce vers est fautif, il comporte 13 syllabes : le premier hémistiche compte 7 syllabes au lieu de 6.
[532] « Premier » : d’abord.
[533] « Répéter » : réclamer.
[534] « Inique » : méchant, cruel.
[535] Nous maintenons cette forme pour le compte syllabique.
[536] Nous conservons volontairement l’adjectif « publique » tel qu’il figure dans l’imprimé, sans rétablir le pluriel attendu après « jeux », car il semblerait qu’il ne s’agisse pas d’une erreur mais d’un effet délibéré afin de créer une rime visuelle avec le mot « inique ». Ce phénomène est présent à plusieurs reprises dans la pièce. Les jeux publics dont il est question ici sont sans doute des jeux (spectacles, divertissements) donnés en l’honneur de la victoire sur les Volsques.
[537] Ce dont Tullus accuse les Romains des vers 866 à 871 est mentionné par Plutarque dans la Vie de Coriolanus (§26,2, p.163).
[538] « Commun » : partagé par tous.
[539] Nous maintenons cette forme pour le compte syllabique.
[540] « Alarme » : signal pour annoncer l’approche de l’ennemi. Être nourri aux alarmes signifie ici avoir été élevé pour défendre sa patrie.
[541] « Qui plus ? » : quoi de plus ?
[542] « Occasion » : circonstance favorable.
[543] « C’est à faute de coeur » : c’est parce qu’il manque de courage.
[544] Ce vers est fautif, il ne comporte que 11 syllabes, le premier hémistiche n’étant composé que de 5 syllabes : nous ajoutons donc la syllabe [que], qui est la plus probable. Chez Plutarque, le conseil est convoqué par Tullus lui-même. Mont-Justin suit d’assez près le récit de la Vie de Coriolanus (§26-27, p.163-167), mettant même en scène dans cette première partie de l’acte III l’hésitation des Volsques à entrer en guerre contre les Romains. En revanche, Plutarque parle d’une harangue de Coriolanus précédant sa nomination en tant que général de guerre que Mont-Justin ne représente pas.
[545] « Pour general » : en tant que général.
[546] Ce vers a valeur d’apophtegme.
[547] Le choeur des Volsques intervient de façon assez surprenante au milieu de l’acte III et le sépare ainsi en deux parties distinctes (voir à ce sujet le II, B, 4 de l’Introduction). Ce choeur est composé de sizains constitués de 4 octosyllabes suivis d’un alexandrin puis d’un hexasyllabe selon une alternance fmfmf’f’.
[548] Vers 893-894 : faire à nouveau passer notre liberté au premier plan.
[549] « Couvrir » : dissimuler.
[550] « Servage » : esclavage, asservissement.
[551] « Ennuyeux » : dommageable.
[552] Vers 903-904 : l’homme ne doit pas survivre à la suppression de sa liberté car c’est la seule chose qui le fait vivre.
[553] « Coeur » : courage.
[554] « La boule muable » : la Terre. Cette périphrase renvoie au lexique de la vanité du monde, motif poétique topique.
[555] « A fait » : accord de proximité.
[556] Vers 911-914 : t’a glacé le sang.
[557] On retrouve ici la rime « querelle/tutelle » des vers 769-770 : là où les dieux ont été incapables de porter secours aux Volsques, Coriolanus leur apporte son aide.
[558] « Faveur » : soutien.
[559] « Secouer » : se libérer, se défaire.
[560] « Rigueur » : inflexibilité, sévérité.
[561] Vers 921-922 : Rome a peint sa gloire en se plaçant sous les ordres d’hommes honnêtes et à l’âme noble. La question de la memoria est à nouveau mise en avant.
[562] C’est la deuxième fois que l’aigle romain est associé à la consommation de sang humain (voir les vers 555 et 556 et les notes correspondantes).
[563] Les prénoms des personnages présents sur scène sont indiqués, comme au début d’un nouvel acte. L’acte III est en fait constitué de trois tableaux distincts mettant en scène des personnages différents : l’échange entre Tullus et les magistrats volsques puis, après le premier choeur, deux délégations romaines venues tenter de convaincre Coriolanus de ne pas attaquer Rome, celle de Vitellus puis celle des représentants de la religion.
[564] Cette réplique de Coriolanus est prononcée en l’absence de Vitellus. Les propos de Coriolanus ne s’adressent qu’à lui-même et à Catius (voir la note du vers 955).
[565] « Où il faut esprouver les effects de fortune » : subir les aléas de la fortune.
[566] « Par trop » : trop. Rome a trop longtemps prospéré.
[567] « Venir au point de la raison » : revenir à la raison.
[568] Il est difficile de trancher le sens précis de cette incise. On peut la comprendre de deux façons : soit « Dis maintenant où sont... », soit « où sont-ils maintenant, dis-le ».
[569] « Superbe » : orgueilleux.
[570] « En ce danger » : face à ce danger.
[571] « Premier » : ancien.
[572] « Dea » : interjection qui marque une affirmation. Prononciation monosyllabique.
[573] « S’estonner » : se troubler, être pris de stupeur.
[574] Les tribuns de la plèbe Brutus et Sicinius ne sont pas présents dans la tragédie de Mont-Justin. Shakespeare et Hardy les incluront dans leur pièce, pour l’un sous ces deux noms, conformément au récit de Plutarque, chez l’autre il ne reste qu’un seul tribun appelé Licinie. La Vie de Coriolan (§7, 1-2, p.119-121) rapporte d’ailleurs qu’ils auraient fait partie des premiers représentants élus des plébéiens. Ce sont eux qui ont mené les sécessions de la plèbe causées par la disette qui surviennent avant les événements représentés par la tragédie.
[575] Coriolanus s’adresse sans doute non seulement à Catius mais aussi à d’autres soldats ou généraux volsques.
[576] « Caquet » : abondance de paroles inutiles qui n'ont point de solidité.
[577] « Poltron » : lâche.
[578] « Gronder » : exprimer son mécontentement, employé ici dans un sens péjoratif et ironique.
[579] Vers 946-947 : quand il faut en venir au combat physique, votre sang se glace.
[580] « Faquin » : terme de mépris et d'injure qui se dit d'un homme de néant, d'un homme qui fait des actions indignes d'un honnête homme.
[581] Il n’existe pas de tel événement dans le récit de Plutarque.
[582] « Soc » : partie en fer de la charrue qui s’enfonce dans le sol pour creuser la terre. Cette image renvoie à l’anéantissement des tours de Rome prévu par Coriolanus, permettant ainsi de labourer la terre là où elles étaient érigées.
[583] « Ire » : colère.
[584] Catius n’est pas mentionné en tant que personnage présent dans cette partie de l’acte car il n’intervient pas par la parole, mais cette interpellation du personnage volsque par Coriolanus indique clairement sa présence sur scène à ses côtés. Catius ne revient sur scène qu’au cinquième acte pour rapporter à Tullus les agissements de Coriolanus dans cette campagne militaire.
[585] « Enclore » : enfermer, fermer par une clôture.
[586] On ne devine le contexte d’énonciation de cette réplique que par ces propos adressés à Catius. La scène ne se déroule ni à Rome ni à Antium mais dans l’espace intermédiaire qui sépare les deux cités et représente ici le camp militaire des Volsques.
[587] Vers 956-957 : fais revenir dans le rang le soldat qui s’en est écarté.
[588] « Aux ailes des drappeaux de nostre infanterie » : de part et d’autre des enseignes de l’infanterie.
[589] « Prevoy à » : pourvoir à, s’occuper de.
[590] « Munitions » : moyens de défense, matériel de guerre.
[591] « Despourveu » : privé de, en manque de.
[592] « De ce qu’ils ont en l’ame » : de ce qu’ils prévoient de faire.
[593] « Estre » : état.
[594] « Il est nostre à demy » : il est déjà à moitié vaincu.
[595] Vers 965-966 : la « fortune diverse » renvoie à un sort variable. L’image créée grâce à la rime avec « traverse » est singulière.
[596] « Frein » : mors.
[597] « Baouler » : ce verbe n’est attesté dans aucun dictionnaire. Il s’agit sans doute d’une variante régionale du verbe « bouler » qui signifie « rouler ».
[598] Rien n’indique l’arrivée de Vitellus sur scène auprès de Coriolanus.
[599] « Vertu » : qualités morales, sagesse.
[600] « Los » : réputation, honneur.
[601] « Foy » : loyauté.
[602] « Caute » : avisée.
[603] « Arrest » : décision juridique.
[604] « Canaille » : personne méprisable, crapule. Le terme désigne ici l’ensemble des romains, patriciens et plébéiens.
[605] « S’on » : si on. Nous maintenons cette élision pour le compte syllabique.
[606] « Piper » : tromper.
[607] Vers 978-981 : Dis à cette canaille cela : pour mon particulier j’ai reçu une offense...
[608] Vers 981-982 : la rime est caduque (« offense/revenche »).
[609] « Je leur vendray bien cher » : je leur ferai payer cher.
[610] Vers 986-987 : soit les romains reviennent à la raison et acceptent les revendications des Volsques, soit Coriolanus est prêt à faire le siège de la cité pendant longtemps : « Icy » désigne sans doute le camp militaire des Volsques dressé non loin de Rome.
[611] « Composition » :  capitulation, traité, accord où l'on fait grâce, ou remise.
[612] L’emploi du pronom de première personne du pluriel est ici significatif. Si Coriolanus l’a utilisé dans sa précédente réplique, c’était pour désigner les soldats volsques en tant qu’unité militaire dont il fait à présent partie ; mais il renvoie ici aux guerres passées entre Volsques et Romains en s’associant aux Volsques comme victime lui aussi de la perte des cités volsques à l’issue des guerres contre les Romains aux côtés desquels il a pourtant combattu.
[613] « Nous y seront remis » : nous serons quittes.
[614] Le droit de bourgeoisie permet de bénéficier des droits accordés à une ville. Ce droit est mentionné dans le dictionnaire de Furetière : « Le droit de bourgeoisie à Rome ou de Citoyen Romain, donnoit de grands avantages : on l'accordoit même à des estrangers, comme à St. Paul. ». Dans Les Six livres de la République de Johannes Bodin publié en 1577, on trouve un chapitre (livre I, chapitre VI) intitulé « Du citoyen, et la diffierence d'entre le citoyen, le suget, l'eſtranger, la ville, cité, et République » dans lequel l’auteur étudie les différents statuts juridiques des habitants d’une cité. Il cite Plutarque qui définit le droit de bourgeoisie ainsi « le droit de bourgeoisie est avoir part aux droits, et privileges d'une cité, qui se doit entendre selon la condition et qualité d'un chacun. » (p.57).
[615] « Par le fer » : par les combats.
[616] Les personnages présents sur scène changent à nouveau. Vitellus est sorti de scène pour laisser place à la deuxième ambassade romaine qui tente de convaincre Coriolanus d’abandonner cette guerre. Les premières répliques de cette scène sont en revanche prononcées en l’absence de Coriolanus. On peut imaginer que l’ambassade religieuse passe progressivement du côté romain de la scène pour aller à l’endroit qui représente le camp volsque.
[617] Le titre de pontifex maximus est attribué au prêtre qui est à la tête du collège des pontifes qui sont les prêtres chargés de la jurisprudence religieuse selon le Gaffiot.
[618] Jupiter.
[619] « Accord » : harmonie éternelle, stabilité du monde.
[620] Nous conservons la majuscule pour le terme « Chaos » en raison de la référence à la Théogonie d’Hésiode dans laquelle le Chaos est l’élément premier qui a existé avant même la terre et les dieux et donna naissance à l’Erèbe et la Nuit. (Hésiode, Théogonie, V. 116 et 123).
[621] Neptune, dont l’un des attributs est le trident.
[622] « Cristal » : eau claire, image topique.
[623] « Muable » : qui est sujet aux changements.
[624] « Mutinez » : rebelles.
[625] « Campaignes salées » : mers.
[626] « Tiens tout puissant le frein des bandes escaillées » : gardes le contrôle des animaux marins à écailles, des bancs de poissons. « Bandes escaillées » est une périphrase métaphorique topique.
[627] « Loy » : règle, commandement.
[628] « Ce peuple muet » : le peuple formé par les animaux marins. Il s’agit là aussi d’une métaphore topique.
[629] « Qui les contient soubs ton pouvoir subjet » : qui les contient en tant que sujets. Sujet est au singulier pour conserver la rime visuelle avec « muet » au vers précédent.
[630] Dieu du monde souterrain et donc des Enfers.
[631] À partir de ce vers et jusqu’à la fin de la tirade se multiplient les tournures interrogatives adressées aux dieux, marquant la détresse et l’incompréhension du personnage.
[632] Référence aux Parques, les trois soeurs qui tissent les fils du destin des individus.
[633] La construction de ce vers pose question. Le verbe « tracer » est à la deuxième personne du singulier et a donc pour sujet « Pluton » alors que du point de vue du sens il paraitrait plus cohérent que les « filles de la nuict » en soient le sujet. L’expression « tracer le fillet » est singulière, elle signifie ici « tisser le fil ».
[634] Voir la note du vers 73.
[635] Elle est la fille de Gaïa et Ouranos, et une titanide. L’adjectif épithète « nocturne » renvoie à son identification à la lune.
[636] Voir les notes des vers 267 et 268.
[637] « Avenue » : advenue.
[638] Vers 1017-1018 cette interrogation parait ironique aux yeux du spectateur qui a encore en tête l’épisode raconté par Latinus : Jupiter lui a donné la réponse à cette question en songe mais les sénateurs l’ont ignoré.
[639] « Siller » : fermer.
[640] « Desastre » : malheur.
[641] « De qui vaincu ? » : vaincu par quoi ?
[642] « Jeter l’ancre sacrée » est une expression qui signifie « recourir à ses dernières ressources ». Plutarque l’utilise lui-même à ce moment-là en jouant sur cette expression lexicalisée qui correspond bien au contexte puisque c’est le Sacrificateur, qui fait partie de la délégation religieuse, qui l’emploie : « le Senat ayant ouy leur rapport jetta l’ancre sacree, ainsi que lon dit en commun proverbe, comme estant la chose publicque en extreme peril de tourmente » (Amyot, p.836).
[643] Prononcer trois syllabes : [con-ceu-ë] et [con-çu-e].
[644] Avec nos genoux.
[645] « Qui vous estes tousjours monstrez envers nous pères » : qui vous êtes comportés comme des pères avec nous.
[646] « Dans nostre place » : chez nous à Rome.
[647] « Contraires » : ennemis, adversaires.
[648] « Tutélaire » : qui garde, qui protège.
[649] « Diamantin » : en diamant. Le diamant est connu pour être le matériau naturel le plus dur.
[650] « Audace » : hardiesse, courage.
[651] Le vers précédent et ce premier hémistiche sont des indications scéniques précieuses : l’ambassade religieuse doit être représentée dans une tenue distinctive et elle traverse effectivement le camp des Volsques au moment où les personnages s’expriment. L’arrivée de Coriolanus dans la scène est amorcée par cette indication, qui permet ensuite au grand Pontife de s’adresser à lui à la deuxième personne.
[652] « Audacieux » est ici employé en part négative, au sens d’insolent.
[653] « Gravité » : dignité, prestance, sérieux (renvoie à la gravitas romaine).
[654] « L’estre » : la vie.
[655] « Que sont eux » : que ce sont eux.
[656] La délégation religieuse représente physiquement les dieux venus rappeler Coriolanus à l’ordre.
[657] « Sont ceux de ton fouyer, sont ceux de ta patrie » : ce sont les dieux de ton foyer, ce sont les dieux de ta patrie.
[658] « Bouillant » : ardent, emporté.
[659] « Inexorable » : inflexible.
[660] « Pour nous veoir » : en nous voyant.
[661] « Vien donc avec le droit » : reviens du côté de la justice.
[662] Comprendre : expose-nous ce que tu comptes faire, « intention » est à entendre dans le sens de « volonté, disposition d’esprit ».
[663] « Raison » : argument. Exclamation antiphrastique.
[664] « Police » : lois, règles de la cité.
[665] « Vrayment » : en vérité.
[666] « Superbe » : orgueilleux.
[667] « Pour mon particulier » : en ce qui me concerne.
[668] « Je leur remets l’offense » : je les pardonne.
[669] « Bien que soy » : bien que je sois.
[670]  « Courir la fortune » : vivre une vie pleine d’aventure.
[671] « M’ont rendu leur prospere commune » : m’ont fait profiter de leur prospérité.
[672] « Je di » : je le dis, je l’affirme.
[673] « Quitter » : renoncer à.
[674] « Droit » : ce dont il est légitime de disposer.
[675] « Venez à la raison, ou bien vous deffendez » : revenez à la raison ou défendez-vous.
[676] « Sçavoir » : connaître.
[677] « Point » : niveau au-delà duquel quelque chose change d’état. Coriolanus parle du point de déclenchement de la guerre.
[678] Le devoir de Coriolanus est désormais envers Antium et les Volsques.
[679] Il s’agit de Vulcain, qui est toujours représenté comme étant boiteux. Sa forge se situe sous le volcan Etna.
[680] Les Cyclopes sont les assistants de Vulcain dans sa forge.
[681] « Rets » : filets. « Industrieux » : fait avec industrie, bien fait.
[682] Prononcer Akhillès pour que l’alexandrin soit correct. Lors de la guerre de Troie, les armes d’Achille lui sont dérobées par Hector. Thétis, la mère d’Achille, demande donc à Héphaïstos (Vulcain en latin) de lui en forger de nouvelles. Le bouclier d’Achille est longuement décrit dans l’Illiade (XVIII, 478-617) : il représente entre autres deux cités, dont l’une est assiégée par des troupes ennemies qui offrent soit de détruire la ville soit d’en partager tous les biens avec les habitants, qui contre-attaquent en tendant une embuscade à leurs adversaires. Cet élément rappelle la situation dans laquelle se trouve Rome.
[683] « Tant plus on... tant plus on... » : plus on ... plus on...
[684] « Abbaisser » : réduire, limiter.
[685] « Cette ronde masse » : la Terre.
[686] « Resoudre » : dissoudre, réduire à néant.
[687] « Inique » : méchant, cruel.
[688] « Timon » : gouvernail.
[689] « Par les traistres escueils » : à travers les rochers dangereux.
[690] « Calez » : cachés, dissimulés.
[691] Ce vers semble être un souvenir des psaumes bibliques, ce qui est étonnant dans le contexte profane de la pièce.
[692] Le deuxième choeur de l’acte III est composé de quatrains en heptasyllabes (mfmf). Il est assuré par un ensemble de devins et de sacrificateurs. On peut penser que le personnage du Sacrificateur rejoint ce choeur, il n’y a en revanche pas de personnage de devin dans le reste de la pièce. Ce choeur énonce d’abord des vérités générales qu’il illustre par de nombreuses références mythologiques de personnages qui ont fait preuve de trop d’audace et ont voulu concurrencer les dieux en faisant preuve d’hybris, comme une mise en garde adressée à Coriolanus.
[693] « Fonder » : construire. Vers 1113-1116 : celui qui construit sa victoire non en s’en remettant aux dieux mais en se reposant sur sa propre gloire.
[694] Vers 1119-1120 : vers à dimension morale et proverbiale.
[695] « Precipiter ta carrière » : finir ta course. Voir la note du vers 140 qui retrace le mythe de Phaéton. Phaéton a emprunté à son père le Soleil (la « lumière ») son char mais en a perdu le contrôle et a fini sa course foudroyé par Zeus. L’Achéron et l’un des fleuves des Enfers.
[696] « Appert » : évident, manifeste.
[697] Icare et son père, Dédale, qui construisit le labyrinthe du Minotaure, y sont enfermés par le roi Minos et la reine Pasiphaé. Pour s’en échapper, Dédale leur confectionne des ailes avec des plumes et de la cire mais recommande à son fils de se pas trop s’approcher trop de la mer ni du soleil pendant leur vol. Icare désobéit et s’approche trop près du soleil, ce qui fait fondre la cire qui maintenait ses ailes en place : il meurt précipité dans la mer qui prit ensuite son nom, la mer Icarienne.
[698] Vers 1129-1130 : si les Dieux vont retardans la fureur de leur justice.
[699] « De tant plus » : d’autant plus.
[700] Nous maintenons cette forme pour le compte syllabique.
[701] « Larron » : voleur (épithète fréquemment attribuée à Prométhée). Vers 1137-1140 : Prométhée est un titan, il a volé le feu sacré du mont Olympe pour le donner aux humains. Pour le punir, Zeus le condamne à un terrible châtiment : Prométhée, attaché à un rocher sur le mont Caucase (la « roche Caucasine »), se fait dévorer le foie par un vautour tous les jours car son foie repousse chaque nuit. Dans d’autres versions l’oiseau impliqué dans le châtiment est un aigle, comme le mentionne Volumnia à l’acte suivant (v.1275-1278).
[702] « Souler » : rassasier.
[703] Vers 1141-1144 : Tantale, fils de Zeus, a servi son fils Pélops en repas aux Dieux. Pour le punir, il est condamné à passer l’éternité dans le Tartare sous un arbre et près d’un fleuve dont l’eau se dérobe dès qu’il se penche pour y boire.
[704] Vers 1145-1148 : les Danaïdes sont les 50 filles du roi Danaos. Elles épousent les 50 fils d’Egyptos, frère de Danaos mais celui-ci apprend que les époux vont tuer ses filles. Il les prévient et ce sont ses filles qui massacrent leurs époux lors de la nuit de noce. Elles sont condamnées aux Enfers où leur tâche sans fin est de remplir un tonneau troué.
[705] Après sa mort, le roi Minos devient l’un des juges des Enfers.
[706] « Tu ne fais compte de nous » : tu ne tiens pas compte de nous.
[707] « Tout pour un coup » : tout d’un coup.
[708] Nous conservons volontairement le verbe « oublie » tel qu’il figure dans l’imprimé, sans rétablir la terminaison en « -es » attendue à la deuxième personne du singulier, car il semblerait qu’il ne s’agisse pas d’une erreur mais d’un effet délibéré afin de créer une rime visuelle avec le mot « patrie ». Voir la note du vers 868.
[709] « Infini » : démesuré.
[710] Vers 1165-1168 : la victoire ne réside pas dans le fait d’avoir un grand nombre de troupes militaires (comme Coriolanus), c’est le soutien des dieux qui compte car ils nous [les Romains] permettent d’être une force unie.
[711] « Sont » : ce sont.
[712] Elision : qui amollissent.
[713] « Siller » : fermer.
[714] « Timon » : gouvernail.
[715] « Brigade » : troupe de soldats. « Inique » : méchant, cruel.
[716] Selon le Gaffiot, la Discorde, identifiée à Eris en dans la mythologie grecque, est la fille de la Nuit, tout comme Némésis selon Hésiode (Théogonie, 223-25), elle n’est donc pas sa fille mais sa soeur. La Discorde est à l’origine des guerres et des querelles.
[717] La concorde, concordia civilis, est très importante à Rome car elle garantit l’unité et la stabilité de la cité.
[718] Scaevola a tenté d’assassiner le roi étrusque Porsenna qui faisait le siège de Rome au moment de la guerre qui visait à remettre les Tarquins sur le trône après leur expulsion de Rome. Il ne parvient qu’à tuer son secrétaire et est mené devant Porsenna. Il affirme être là pour le tuer et, pour lui prouver sa détermination, plonge sa main droite dans un feu allumé pour un sacrifice. Le roi impressionné le libère et envoie des ambassadeurs à Rome pour mettre fin à la guerre.

ACTE QUATRIEMEQUATRIÈME.

Valeria, Coelia, Volumnia, Vergilie,
Coriolanus, les enfansenfants.

Valeria719.

1185RoyneReine de l’univers, qui n’as point de seconde720,

Chef -d’oeuvre de nature, ô grand faubourg du monde721,

Rome, qui as tousjourstoujours faictfait paroistreparaître722 ton front


--- 49 ---
 

Sur toute autre cité, ainsyainsi qu’on voit un mont

Sa testetête audacieuse esleverélever sur la plaine,

1190Ou aux forestsforêts d’Ida723 quelque superbe chesnechêne

Hausser son chef feuillu par -dessus les roseaux.

Rome, qu’as tousjourstoujours veuvu quelques lauriers nouveaux

Ceindre de tes enfansenfants les templestempes724 belliqueuses,

MaintenansMaintenant tes grandeurs contre tous glorieuses,

1195Terreur de l’univers, invincible cité,

Qui les armes au poing as guerriereguerrière porté

Le los725 de ton renom, de l’un à l’autre polepôle :

Hélas, quel changement ! Ah mon cher Publicole,

Que penses-tu de nous, quand tu vois dèzdès là-bas726

1200La gloire des Romains voisine727 du trespastrépas ?

Et ceux qui728, seulement armezarmés de ta presenceprésence,

SentointSentaient grossir leurs coeurs d’une brave asseuranceassurance729,

DesjaDéjà soubmissoumis au joug730, et vaincus à demydemi,

Trembler au seul regard d’un guerrier ennemi731,

1205Se tapir dans leurs murs, sans oser comparoistrecomparaître

Et s’il faut dire ainsyainsi, mesmemême le recognoistrereconnaître732 ?

On leur a beau prescherprêcher733 et leur remettre aux yeux734

De leurs predecesseursprédécesseurs les actes généreux,

Ils ont perdu le coeur735, ils n’ont plus de courage :

1210Tout ainsyainsi comme on voidvoit736 un mastinmâtin737 de village

Trembloter pantelant738 au seul regard du loup,

Fuir la testetête basse et perdre tout à coup,

Mussé739 en quelque coingcoin, son audace740 premierepremière,

Au lieu de s’avancer, reculer en arrierearrière ;

1215Son maistremaître qui survient a beau le forhuer741,


--- 50 ---
 

Le battre, le flatter, pensant l’encourager,

Tout cela est en vain : sa force est abbatueabattue

Et sans plus s’herisserhérisser742 il va baissant la queue.

Ah timides poltrons ! Ah peuple effeminéefféminé743,

1220Auquel le nom Romain est ores744 prophanéprofané745 !

Rentrez couards, rentrez aux ventres de vozvos meresmères !

Magnanime CoclesCoclès746 et vous genereuxgénéreux freresfrères,

Qui sur le bord du pont combattantscombattant mains à mains

RepoussastesRepoussâtes jadis la fureur des Toscains,

1225Que dites-vous de veoirvoir cestecette timide crainte

Aux fronts de vozvos nepveuxneveux747 honteusement emprainteempreinte,

Et du peuple Romain le courage abattuabattu ?

Ha constant Scevola748, helashélas que ne vis-tu,

Pour delivrerdélivrer encor749 de cestecette tirannietyrannie,

1230Et d’un danger nouveau les tiens et ta patrie !

Mais puisque noznos maris ont tous le coeur si bas

Qu’ils postposent750 l’honneur à la peur d’un trespastrépas,

Qu’ils aymentaiment mieux fleschirfléchir751, que de prendre les armes,

Il ne faut pour cela perdre l’espoir : Mes DamesMesdames,

1235AymonsAimons le bien public et d’un commun accord

Faisons vers Marcius nostrenotre dernier effort752.

Allons tout de ce pas vers madame sa mèremère :

Elle, et non autre753, peut addouciradoucir sa cholerecolère,

Ou il sera plus dur que les rocs argentins754.

1240CedonsCédons-nous755 en courage aux filles des Sabins,

Qui couvranscouvrant756 sagement de leurs maris l’offense,

Firent d’un grand discord une heureuse alliance757 ?

Coelia.

Madame, vozvos propos, vozvos faictsfaits et vostrevotre coeur,


--- 51 ---
 

Nous servent de tesmoinstémoins que758 vous estesêtes la seursoeur

1245Du grand Publicola, qui malgré tout l’orage

A sauvé son pays d’un dangereux naufrage759,

EnnemyEnnemi des tyrans : commandez seulement,

Nous ne voulons sortir760 d’un seul commandement

Que vous proposerez. Sus tentez761 la fortune,

1250Nous vous seconderons, puisqu’elle est opportune :

Le droit nous y conduit762, suyvonssuivons l’occasion :

Je voyvois Volumnia, qui tient sur son giron

Ses deux petits nepveuxneveux763, elle fond toute en larmes.

Valeria764.

Si nous venons vers vous, dames vers autres dames,

1255Volumnia, et vous, Vergilie765, un malheur,

Qui ainsyainsi comme à nous vous doit toucher le coeur,

Pour estreêtre un fleaufléau766 public et un commun affaire767,

Nous a pour la raison768 contraintecontraintes de ce faire,

D’un commun mouvement, et non point d’un mandat769

1260Que nous ayons receureçu du peuple ou du SenatSénat :

Mais je croycrois que ce sont ordonnances770 divines.

Faisons un plus grand bien que jamais les Sabines771 :

Cela despenddépend de vous, et vous avez en mains,

Madame772, le repos773 de tous vozvos citoyens,

1265Et le plus seursûr moyen de graver nostrenotre gloire

Immortelle à jamais au temple de mémoiremémoire774.

C’est vous qui pouvez tout, vous avez le pouvoir

D’esbranlerébranler ce rocher775 qui se doit esmouvoirémouvoir

D’un seul de vozvos propos : c’est vostrevotre enfant, Madame,

1270Ou il sera sans coeur, sans esprit et sans ameâme,


--- 52 ---
 

Ou il aura pityépitié et de vous et de nous,

AppaisantApaisant le despitdépit, qui cause son courroux.

Volumnia776.

Ô grand Dieu, je me meurs, je sensens rompre mon ameâme

D’un regret777 trop cuisant778, qui vivement l’entame !

1275AinsyAinsi que PromethéProméthée, l’aigle du tout puissant

Becquette tous les jours ton poulmonpoumon renaissant779,

Je sensens de tous costezcôtés cent ardentes tenailles780

À chasquechaque heure du jour pinssoterpinçoter781 mes entrailles782.

Las783 ! J’ayai ma bonne part en vostrevotre adversité784,

1280Et ce malheur public m’a desjadéjà cher coustécoûté :

Cela est en commun, mais j’ayai pour mon partage

Un regret, qui, mutin, m’afflige davantage.

Je voyvois mon filzfils armé pour un droit estrangerétranger785,

Campé devant noznos murs contre nous se rengerranger786,

1285Et poussé des fureurs d’une injuste vengeance

TascherTâcher à supprimer787 le lieu de sa naissance.

Ô ma cherechère patrie ! Hélas ne faut-il pas

Que tu t’aides de moymoi, qui ne fayfais plus cy basci-bas788

Que languir789, attendant qu’une Parque meurtrieremeurtrière790

1290Pitoyable à mes cris791, me ferme la paupierepaupière ?

Vergilie.

Madame, tous ces pleurs ne vous servent de rien.

Volumnia.

Ils allegentallègent mes maux, c’est bien le seul moyen

De deschargerdécharger792 mon coeur, ce sont mes seules armes.

Valeria.


--- 53 ---
 

Non non, il ne pourra resisterrésister à des dames,

1295Son coeur s’amollira793.

Volumnia.

Il est trop endurci,

Je le sçaysais, je le sçaysais, il a jusques794 icyici,

Les Dieux m’en sointsoient tesmoinstémoins, honoré sa patrie

Mille fois plus que moymoi et que sa Vergilie795 :

Mais puisque son courroux l’a si avant porté

1300Je n’attenattends plus de luylui qu’une temeritétémérité796,

Qu’un mesprismépris orgueilleux : c’est sa façon commune797,

Mais toutefois tentons avec vous la fortune.

Jettons nous Jetons-nous à ses pieds, le coeur me va serrant,

La force peu à peu dans moymoi va deffaillantdéfaillant.798

1305Ma fille, soustien moysoutiens-moi.

Vergilie.

ma DameMadame, courage.

Volumnia.

Une froide sueur destrempedétrempe mon visage :

Mon genou dessoubsdessous moymoi tremblote799 descharnédécharné800,

Et mon chef va penchant contre bas prosterné801.

Dirige bien mes pas ma guide plus fidellefidèle :

1310Car mes yeux sont sillezcillés d’une nuictnuit eternelleéternelle802.

Conduy-moyConduis-moi tastonnanttâtonnant : quel bruit enten-jeentends-je icyici ?

Suis-je vers Marcius ?

Vergilie.

Madame, le voicyvoici.

Coriolanus.


--- 54 ---
 

Quel nouveau accident803 vous guide icyici mes dames ?

Volumnia804.

Ha ! Coriolanus, noznos habits et noznos larmes

1315Parlent assez pour nous, ils te font assez veoirvoir

Quel est le crevecoeurcrève-coeur805, quel est le desespoirdésespoir

Qui nous porte806 vers toytoi807 et quelle est nostrenotre vie

Et noznos façons808 depuis ta fascheusefâcheuse sortie809.

Ô PhoebusPhébus tout voyant810, dèzdès là-haut811 voidsvois-tu bien

1320Un malheur icyici bas pour comparer au mien ?

QuoyQuoi ? Survivre l’honneur de ma cherechère patrie812

Ou entendre bientostbientôt la perte de ta vie813 ?

Non, je n’attendrayattendrai point l’une ni l’autre fin :

J’avancerayavancerai le cours d’un trop fascheuxfâcheux destin814.

1325Las815 ! VerrayVerrai-je tousjourstoujours cestecette cholerecolère extremeextrême

Bouillir dedans ton sang et t’osterôter de toy mesmetoi-même816 ?

J’ayai porté817 dèzdès longtemps818 la perte de mes yeux819

Trop impatiemment820 : mais que pleustplut ore821 aux Dieux

Que j’eusse encor822 perdu avec iceux l’ouyeouïe !

1330Las823 ! Je n’eusse entendu cestecette tienetienne furie824,

Ton ire inexorable825 et les seditionsséditions

Que tu vas pratiquant aux autres nations826 :

Te couvrant d’un manteau d’une juste querelle

Pour pouvoir assouvir ta vengeance cruelle827.

1335Que te manque ilmanque-t-il plus, n’es-tu pas bien vengé

D’avoir tes citoyens à ton vouloir rengérangé828,

DestruitDétruit leurs alliés829 ? Ton haine830 est immortelle

Le peuple et le SenatSénat à Rome te rappelle831.

Coriolanus.


--- 55 ---
 

Qu’ils gardent leur rappel : je n’ayai que faire d’eux.

Volumnia.

1340Le ciel d’eternitééternité832 s’oppose aux orgueilleux.

Coriolanus.

L’orgueil m’y conduit833, par les Dieux je t’atteste834.

Volumnia.

Qui t’y a donc poussé ?

Coriolanus.

Un affront manifeste.

Que servent ces propos ? Vous sçavezsavez bien le tort

Qu’ils m’ont fait pourchassanspourchassant ma ruïne835 et ma mort ?

1345PourquoyPourquoi m’empeschez vousempêchez-vous d’en avoir la vengeance ?

Volumnia.

Mais pour l’amour de moymoi, perds-en la souvenance836.

Coriolanus.

AymezAimez-vous mieux ma mort, que de mes ennemis837 ?

Volumnia.

Ce sont tous tes parensparents, ce sont tous tes amis :

Ha Coriolanus, ma cherechère genituregéniture !

1350Embrassant tes genoux838, ores839 je te conjure

Par ces cheveux grisarsgrisards, par ce poil argenté,

Par ce ventre qui t’a neuf mois entiers porté,

Par ces bras descharnezdécharnés et par cestecette poitrine

Que tu as tant pressée d’une lèvre enfantine840,

1355D’appaiserapaiser ton courroux et cesser ton effort,

EschangeantÉchangeant cestecette guerre en un paisible accord.

Quel plaisir auras-tu nous voyant en alarmes841 ?

Coriolanus.


--- 56 ---
 

Sont eux842, qui ont causé que j’ayai levé les armes,

Sont eux qui l’ont voulu, et qui m’ont là rengérangé843,

1360Madame, c’est trop tard. Car j’ayai ja844 engagé

Mon honneur et ma foyfoi845. Que je perde la vie

PlutostPlutôt qu’on voyevoie en moymoi aucune perfidie846.

Ce que vous demandez n’est pas en mon pouvoir.

Ceux cyCeux-ci ne sont contraints de suivre mon vouloir,

1365Si je vavais procurant leur honte et leur dommage847.

Volumnia.

Non, tout ce que je veux est à leur avantage.

Coriolanus.

Que demandez-vous donc ?

Volumnia.

Le repos848 des Romains,

Et une heureuse paix.

Coriolanus.

Elle est entre vozvos mains.

Ils demandent la paix : mais ils ne veulent rendre

1370Ce que d’eux justement Antium peut prétendreprétendre.

Il faut venir au point849 où bientostbientôt l’on verra

Duquel costécôté des deux fortune tournera850.

Ce n’est rien pour le droit d’entendre une partie851.

Qu’on nous concedeconcède aussi un droit de bourgeoisie852,

1375AinsyAinsi comme aux Latins853 : puis nous voilavoilà d’accord854 ;

Autrement, ils verront qui sera le plus fort,

Et à qui le premier deffaudra le courage855 :

Pour mon particulier856, mon devoir m’y engage,

Ma charge m’y contraint857 ; ou bien je veux mourir,


--- 57 ---
 

1380Ou jusque aujusqu’au dernier point mon devoir maintenir858.

Volumnia.

QuoyQuoi ? J’aurayaurai enfanté une ingrate viperevipère859

Qui rongerayrongerait naissant le ventre de sa meremère ?

AinsyAinsi comme Hecuba860, j’ayai produit un flambeau,

Comme PasiphaëPasiphaé quelque monstre nouveau861.

1385Ô enfant monstrueux862, n’as-tu donc point de honte

De paroistreparaître à mes yeux, faisant si peu de compte863

De celle qu’à bon droit tu devroisdevrais honorer,

MesprisantMéprisant mes propos qui devrointdevraient t’estonnerétonner864 ?

Tu n’as sucçésucé mon sang, il n’a rien de semblable :

1390Tu as estéété nourrynourri d’un tygretigre irraisonableirraisonnable.

Mais puisque ta fureur et ton vouloir mutin

Ne se peut865 apaiser et n’a point d’autre fin

Sinon de866 supprimer le los867 de ta patrie,

Privant tes citoyens et d’honneur et de vie,

1395Sus commence par moymoi et ouvre ce costécôté868

De ton fer parricide : il l’a bien mérité

Puisqu’il nous a produit un monstre en la nature869,

Un vautour carnassier870 qui veut pour sa pasturepâture

Le sang de ses amis, un cruel sans pitié,

1400Sans respect neni des Dieux, neni de toute amitié.

Pour ce faire il me faut passer dessus le ventre871 :

C’est ton plus court chemin, c’est par là où l’on entre

Dans Rome triomphant : ensanglante tes mains

Tant avides de sang sur ces petispetits Romains872.

1405J’aurayaurai donc enfanté une peste commune873,

Un nauffragenaufrage874 public, une haine ou rancune,

Enfant de NemesisNémésis875, un immortel courroux ?


--- 58 ---
 

Les enfansenfants.

Ha Monsieur, ha Monsieur, ayez pitié de nous !

Vergilie.

Un barbare PelopsPélops876 seroitserait plus exorable877

1410Un tygretigre moins cruel, un ours plus pitoyable878.

Ce n’est plus Marcius, il n’en a que le nom,

Puisqu’il va preposantpréposant879 sa propre passion

Au bien de son pays, à sa meremère, à sa femme :

C’est un monstre sans coeur, un fantosmefantôme sans ameâme.

1415La pitiepitié, les respects, ne le peuvent toucher :

Il a estéété conceuconçu dans les flancs d’un rocher880,

Qui n’aymeaime estantétant ayméaimé ne meritemérite qu’on l’aymeaime881.

Volumnia.

Mais ne fayfais rien pour nous : je te prie par toy mesmetoi-même,

Par ce qui t’est plus cher, par tes faictsfaits genereuxgénéreux,

1420Qui rendront à jamais ton nom victorieux

Sur la mort et le temps, ma cherechère genituregéniture,

Ne force désormaisdésormais les loixlois de la nature882 :

Aye883 pityépitié de nous.

Valeria.

Ha Monsieur, la valleurvaleur

A tousjourstoujours pour compagne une humaine douceur884.

1425CestCet Hercule guerrier, laissa gagner son ameâme

Posant les armes bas au propos d’une dame885.

Volumnia.

Que ne nous respondsréponds-tu ?886 Mais voyez comme il dort887 !

Sus donne promptement ou l’arrestarrêt888 de ma mort


--- 59 ---
 

DesjaDéjà trop paresseuse889, ou celuycelui de ma vie :

1430Je ne survivraysurvivrai point les miens neni ma patrie.

J’ayai l’ameâme en trop bon lieu890 : mais di-moydis-moi, penses-tu

La vengeance estreêtre propre aux hommes de vertu891 ?

Tu poursuis les ingrats et plus qu’une viperevipère892,

Tu l’es, ô Marcius, toy mesmetoi-même envers ta meremère :

1435Tu nous as cher vendu893 les torts que l’on t’a faictsfaits :

Mais tu ne m’as encor894 recognureconnu les biens faictsbienfaits895,

Je devroydevrais sans contrainte impetrantimpétrant ma priereprière896,

Par ma seule presenceprésence appaiserapaiser ta cholerecolère.

Mais puisqu’il n’est ainsyainsi, mes mignons897, quant à nous

1440Pour la seconde fois898 embrassons ses genoux :

Et ne nous levons plus qu’il ne le nous commande,

Et qu’il n’ayeait accordé nostrenotre juste demande.

Coriolanus.

Madame, levez-vous. Las899 ! Que m’avesavez-vous faictfait ?900

Vous triomphez de moymoi : car vous m’avez deffaictdéfait901.

1445Ô que cestecette victoire est pour vous glorieuse :

Mais pour moymoi, vostrevotre enfant, funeste et malheureuse :

Seule vous m’aurez donc sans armes combatucombattu

Et par vozvos tristes pleurs mon courage abatuabattu ?

Ha Madame, en rendant à maints hommes la vie,

1450Par un mesmemême moyen, la mienne m’est ravie902 !

Mais j’aymeaime bien mourir en vozvos commandemenscommandements.

Vos vouloirs, vozvos désirs, sont mes contentemenscontentements.

Rome honore Romule, il l’a premier fondée :

Mais elle vous doit plus, vous l’avez conservée903.

1455Vous m’avez combatucombattu, non eux904, par vozvos propos :


--- 60 ---
 

Parachevez905 vozvos jours en paisible repos :

Pendant que loin de vous, des miens, de ma patrie,

Je trameraytramerai906 le cours de ma lugubre907 vie.

À DieuAdieu Madame à Dieuadieu, d’un à Dieuadieu eterneléternel.

1460À DieuAdieu ma Vergilie, à Dieuadieu petit Metel,

À DieuAdieu Fabritius908, la fortune prospereprospère

Vous soit autant qu’elle est contraire à vostrevotre perepère909.

Qu’on trousse le bagage910 avant le point du jour911,

Je ne veux faire icyici plus longtemps mon sejourséjour :

1465Il faut demain partir, au son de la trompette :

Que la cavalleriecavalerie se rengerange à ma cornette912,

Les pietonspiétons913 aux drappeauxdrapeaux, chacun à son devoir :

Je sçaysais qu’il ne faut point poursuivre au desespoirdésespoir

Son ennemi forcé914. D’autant qu’une infortune

1470Ainsi comme aux vaincus aux vainqueurs est commune915.

Volumnia.

Courage Marcius, que tousjourstoujours puisses-tu

Moissonner en repos916 les fruictsfruits de ta vertu.

Pour rendre un tel bien faictbienfait, si je n’ayai la puissance,

Que les Dieux pour le moins t’en donnent recompenserécompense917,

1475Qu’ils facentfassent prospererprospérer le cours de tes labeurs918,

Qu’ils ayent919 soingsoin de toytoi, te comblanscomblant de faveurs.

ViVis en espoir920 mon fils, tousjourstoujours le froid borée921

Ne court, tousjourstoujours la mer ne demeure agitée922 :

Après l’hiver survient un printemps gracieux,

1480Le jour suit de la nuictnuit le voile tenebreuxténébreux923.

Pour jamais924 un malheur n’importune noznos amesâmes :

Ton accord925 se fera. Mais quant à nous, mes DamesMesdames,


--- 61 ---
 

Allons pour ce bien faitbienfait rendre aux Dieux immortels

Un cantique d’honneur, dressons leurdressons-leur des autels :

1485AprestonsApprêtons tous les jours des nouveaux sacrifices,

Pour tousjourstoujours envers nous les maintenir propices926.

Choeur des Antiates927.

Combien dessus nostrenotre ameâme

A de pouvoir la femme,

Nous pouvant esmouvoirémouvoir

1490Et nous faire partir hors de nostrenotre devoir928 !

 

JuppinJupin929 pour nous surprendre930,

Des cieux la fit descendre :

VenusVénus luylui fit les yeux931,

Et Pithon932 l’anima de propos doucereux933.

 

1495Elle apporte en ce monde

Une boiteboîte fecondeféconde934,

FecondeFéconde de tous maux,

D’horreur, de trahison, de soucysoucis, de travaux.

 

L’homme la voyant belle,

1500D’une fureur935 nouvelle,

Soudain en fut esprisépris,

Et dans les lacs936 trompeurs de ses discours surpris.

 

Depuis lors ce cordage937

Nous détient en servage,

1505Et soubssous ce joug facheuxfâcheux938

Sont rendus à jamais les hommes et les Dieux939.

 

JuppinJupin pour une amie940


--- 62 ---
 

DelaisseDélaisse l’ambrosieambroisie941,

Et il se change encor942

1510Tous les jours en toreautaureau, en un cignecygne, ou en or943.

 

Hercul944 pour une femme,

Rendit son nom infame,

Par un labeur nouveau,

Quand faineantfainéant changea sa masse en un fuseau945.

 

1515Marcius cestecette peste946

T’arrache de la testetête

Le laurier glorieux,

Que nous avions gaignégagné par noznos faictsfaits belliqueux947.

 

Que nous sert d’avoir mises

1520En toutes entreprises

NozNos vies aux hasards948

Combattant vaillamment soubssous les faveurs949 de Mars950 ?

 

Que nous sert que l’aurore,

Qui ce grand tout redore951,

1525Nous aye952 veuvu cent fois

Hors de nostrenotre pays suer soubssous le harnois953 ?

 

Et qu’un chascunchacun endure

De coucher sur la dure :

Que nous sert que noznos corps

1530SointSoient tous les jours offerts954 à mille et mille morts ?

 

Si, alors que la gloire

D’une belle victoire

Rend notre nom vainqueur,

Par fraude955 on veut tollir956 le profit et l’honneur.

 

1535Ton aigle à double testetête957


--- 63 ---
 

EstoitÉtait, Rome, subjectesujette958

SoubsSous les Volsques guerriers :

Une femme959 nous vient arracher ces lauriers.

 

Tes superbes phalanges960,

1540Qui aux peuples estrangesétranges961

Ont publié962 ton nom,

Eussent963 porté au front la gloire d’Antium.

 

Mais quoyquoi ? Elle est trahie :

Heureux qui ne se fie

1545Dessus ses ennemis964,

Et qui sur l’estrangerétranger n’a point son espoir mis.

 

Une viellevieille MeduseMéduse965

D’une subtile ruse,

A remis au dessusau-dessus,

1550Rome, par ses propos, tes monts sept fois bossus966.

 

CesteCette victoire heureuse

Aux Romains, dangereuse

Marcius est pour toytoi,

Car ce n’est peu de cas d’avoir faussé sa foyfoi967.

 

1555La trahison enfante

Une fin violente,

Et d’un sanglant effecteffet

TousjoursToujours l’on voidvoit de près talonner le meffaictméfait968.

[719] L’acte IV s’ouvre sur un monologue de Valeria, patricienne romaine et soeur de Publicola, figure illustre et consul des premières années de la République (Plutarque lui consacre d’ailleurs l’une de ses Vies). Elle s’adresse d’abord à Rome puis à son frère, avant de convoquer la mémoire de Coclès et de Scevola, déjà mentionnés respectivement aux actes I (v.123, voir la note correspondant) et III (v. 1182, voir la note correspondant). Enfin, elle interpelle la troupe des nobles dames romaines pour les enjoindre de la suivre et de convaincre Volumnia de parler à Coriolanus. Parmi ces femmes, seule Coelia interagit avec elle, les autres sont seulement présentes sur scène, silencieuses.
[720] « Qui n’as point de seconde » : qui n’as pas d’égale, qui est unique.
[721] « Faubourg » : partie de la ville située en dehors de l’enceinte. Cette expression a pour but de valoriser Rome mais son sens précis reste assez obscur.
[722] « Paroistre » : se distinguer des autres par son éclat.
[723] Un ouvrage du naturaliste Pierre Belon décrit le mont Ida en Crète et ses forêts peuplées de chênes : « Celle partie [du mont Ida] qui regarde la ville de Candie, est bien munie de forests, esquelles les Erables sont fort madrez, & chesnes verds en quantité » (Pierre Belon, Observations de plusieurs singularitez et choses memorables de divers pays estranges, 1553, livre I, chapitre XVI, p. 17-18).
[724] « Temples » : tempes (il ne s’agit pas d’une erreur d’imprimeur, « temples » est une forme attestée du mot).
[725] « Los » : réputation.
[726] « Depuis là-bas » : depuis les Enfers. Publicola est déjà mort lorsque survient cet épisode de l’histoire de Rome, comme le rappelle Plutarque (Vie de Coriolan, 33, 2).
[727] « Voisine » : proche.
[728] Vers 1201-1206 : Et quand tu vois trembler... ceux qui... . Il s’agit d’une seconde proposition complétive du verbe « voir » (v. 1199).
[729] Vers 1201-1202 : lorsque Publicola était à la tête des troupes, les soldats étaient confiants.
[730] « Joug » : servitude, sujétion.
[731] Valeria fait ici référence à Coriolanus.
[732] Le sens précis du verbe « recognoistre » est ici difficile à établir. L’entendre au sens de « regarder » semble cependant être l’hypothèse la plus probable.
[733] « Prescher » : louer.
[734] « Leur remettre aux yeux » : leur remontrer, leur remettre sous les yeux.
[735] « Coeur » : courage.
[736] « Tout ainsy comme on void » : de la même façon qu’on voit.
[737] « Mastin » : gros chien domestique.
[738] « Panteler » : avoir le coeur qui bat la chamade et respirer avec difficulté, en haletant.
[739] « Mussé » : caché.
[740] « Audace » : témérité.
[741] « Forhuer » : appeler les chiens à la chasse, leur donner un signal.
[742] « S’hérisser » : dresser ses poils en signe d’hostilité.
[743] « Efféminé » : faible de corps et d’esprit.
[744] « Ores » : maintenant.
[745] « Prophané » : rendu profane, dépossédé de son caractère sacré.
[746] Vers 1222-1224 : Horatius Coclès est un héros romain. Voir la note du vers 123 pour expliquer ces vers. Les Toscains sont les Etrusques qui occupaient entre autres des cités de Toscane.
[747] « Nepveux » : descendants.
[748] Vers 1228-1230 : voir la note du vers 1184. La tyrannie et le danger nouveau dont parle Valeria renvoient à la menace volsque menée par Coriolanus.
[749] Nous maintenons cette forme pour le compte syllabique.
[750] « Postposer » : négliger, faire passer après. Vers 1231-1233 : Valeria reproche aux romains de faire passer l’honneur de Rome après leur peur de mourir.
[751] « Fleschir » : céder, se soumettre.
[752] Vers 1234-1236 : l’apostrophe « Mes Dames » nous indique ici que Valeria ne s’adresse pas seulement à Coelia qui figure dans la liste des personnages mais bien à un groupe de femmes. Par ailleurs, la répartition des personnages sur scène pose question. En effet, cette indication d’un mouvement vers Volumnia indique que les dames romaines et la famille de Coriolanus ne se trouvent pas au même endroit. Pourtant ces deux groupes se tiennent forcément du côté de la scène qui représente Rome : il faut donc sans doute que cet espace soit lui-même constitué de deux endroits distincts.
[753] « Et non autre » : et personne d’autre.
[754] « Argentin » : en argent.
[755] « Céder » : être inférieur à quelqu’un en quelque chose.
[756] « Qui couvrans sagement de leurs maris l’offense » : qui cachant avec sagesse l’offense de leurs maris. Voir la note suivante.
[757] Voir la note du vers 804 sur l’enlèvement des Sabines. Ici Mont-Justin fait plus précisément référence à la guerre qui a suivi l’enlèvement et qui s’est terminée grâce à l’intervention des femmes sabines sur le champ de bataille pour demander la fin de la guerre. Cela aboutit à la réconciliation des deux peuples qui s’allient pour ne former qu’une seule nation.
[758] « Nous servent de tesmoins que » : sont les témoins du fait que.
[759] Vers 1245-1247 : ces vers font référence au rôle qu’a joué Publicola dans le bannissement des Tarquins de Rome après le viol de Lucrèce par Sextus Tarquin, fils du roi Tarquin le Superbe, et l’instauration de la République. Quatre hommes dont Publicola et Lucius Tarquinius Collatinus, le mari de Lucrèce qui s’est suicidée, s’allient pour chasser les rois de Rome et deviennent les premiers consuls de la République mais les Tarquins tentent de reprendre le pouvoir et Collatinus doit s’exiler pour empêcher définitivement le retour de la royauté.
[760] « Sortir » : s’écarter.
[761] « Tenter » : éprouver, mettre à l’épreuve.
[762] « Nous y conduit » : nous y autorise, nous donne une bonne raison de le faire.
[763] Ses deux petits-enfants, les enfants de Coriolanus et de Vergilie. L’intervention de nouveaux personnages est permise grâce aux vers 1252-1253 qui désignent les personnages avec lesquels les dames romaines vont maintenant interagir, ce qui indique également qu’il y a bien eu mouvement entre la mise en marche décidée au vers 1237 et l’apparition de Volumnia.
[764] Cette réplique de Valeria s’inspire largement de la traduction de la Vie de Coriolan par Jacques Amyot qui commence ainsi : « Nous venons devers vous, ô Volumnia et Vergilia, Dames vers autres Dames, sans ordonnance du Senat, ny commandement d’aucun magistrat, ains par inspiration, à mon advis, de quelque Dieu. » (Amyot p.840, voir aussi chez Plutarque 33, 1, p.181-183).
[765] Vergilie n’a pas encore été mentionnée, cette adresse au personnage permet de confirmer sa présence sur scène.
[766] « Fleau » : prononciation monosyllabique.
[767] « Affaire » est un substantif aussi bien masculin que féminin dans la langue du XVIe.
[768] « Pour la raison » : à juste titre.
[769] « Mandat » : mission confiée par quelqu’un qui autorise à faire quelque chose en son nom.
[770] « Ordonnance » : loi, commandement.
[771] Voir la note du vers 804 sur les Sabines et plus loin le vers 1242.
[772] Valeria s’adresse ici seulement à Volumnia.
[773] « Repos » : tranquillité, absence d’inquiétude.
[774] Vers 1265-1266 : ces vers renvoient à la conception romaine de l’histoire qui se comprend comme le souvenir, la memoria, des hauts faits qui marquent la cité.
[775] Il s’agit de Coriolanus. Voir le vers 1239 où Valeria compare déjà le fils de Volumnia à des « rocs argentins ».
[776] Cette réplique est la première prise de parole de Volumnia dans la pièce, tandis que Vergilie est déjà apparue à l’acte I avec les enfants. Elle n’intervient dans aucun autre acte que le quatrième et elle semble d’abord plutôt faible et impuissante lorsque les femmes menées par Valeria viennent la trouver. Cette faiblesse féminine laisse place à une attitude plus ferme lorsqu’elle s’adresse ensuite à Coriolanus pour le convaincre de renoncer à son entreprise guerrière.
[777] « Regret » : tristesse, chagrin.
[778] « Cuisant » : douloureux.
[779] Vers 1275-1276 : voir la note du vers 1140.
[780] « Tenaille » : pince en fer qui permet de maintenir en place ou d’arracher quelque chose.
[781] « Pinssoter » : diminutif de pincer. La forme « pinçotter » existe dans le dictionnaire de Cotgrave (1611) mais « pinssoter » ne semble être une forme attestée nulle part.
[782] Les vers 1275 à 1278 sur Prométhée rappellent certains passages de la Didon se sacrifiant de Jodelle, notamment pour la rime « tenailles / entrailles » (voir les vers 409, 938, 1279-1280, 2268).
[783] « Las » : hélas.
[784] « J’ay ma bonne part en vostre adversité » : je partage bien votre adversité.
[785] « Armé pour un droit estranger » : pour défendre un pouvoir étranger, une puissance étrangère.
[786] « Se renger » : se mettre du côté de l’ennemi.
[787] « Supprimer » : détruire.
[788] « Cy » : ici.
[789] « Languir » : attendre la mort, dépérir.
[790] Voir la note du vers 1012 sur les Parques.
[791] « Pitoyable à mes cris » : éprouvant de la pitié en entendant mes cris.
[792] « Descharger » : soulager.
[793] « S’amollir » : s’adoucir.
[794] Nous maintenons cette forme pour le compte syllabique.
[795] Coriolanus a défendu Rome lors de nombreuses batailles. Dans la tragédie de Shakespeare, les cicatrices qu’il garde de ses combats sont l’objet d’une grande fierté, notamment pour Volumnia, comme on le comprend à l’acte II, scène 1, lorsqu’elle apprend dans une lettre que son fils est blessé : « Oh ! il est blessé ! et j’en rends grâce aux Dieux. », p.356 (« O, he is wounded, I thank the gods for’t. », p.212).
[796] « Temerité » : hardiesse inconsidérée.
[797] « Commun » : habituel.
[798] Vers 1304-1312 : ces vers contiennent de nombreuses indications de jeu précieuses. L’émotion affaiblit Volumnia dont la vieillesse réduit déjà la mobilité. On apprend au vers 1310 qu’elle est aveugle, détail qui n’existe dans aucune version de l’histoire de Coriolanus, ce qui justifie l’aide qu’elle reçoit de Vergilie pour se déplacer ainsi que l’indication donnée de la présence de son fils grâce aux questions qu’elle adresse à Vergilie (v. 1311-1312). On remarque également que la relation entre Volumnia et Vergilie, alors qu’elle est inexistante chez Plutarque et plus conflictuelle chez Shakespeare, est marquée par une forme de solidarité familiale et féminine ; les deux femmes font d’ailleurs front commun pour convaincre Coriolanus à la fin de l’acte, quoi que Volumnia conduise les négociations.
[799] « Trembloter » : diminutif de trembler. On retrouve ici le suffixe -oter déjà présent dans le verbe « pinssoter » au vers 1278.
[800] « Descharné » : maigre, sans force.
[801] Cette posture traduit l’accablement de Volumnia.
[802] « Siller » : fermer. Voir la note du vers 1305 : Volumnia est aveugle.
[803] « Accident » : malheur.
[804] Là encore, le début de cette première réplique de Volumnia à Coriolanus reprend largement le texte de Plutarque à travers la traduction d’Amyot : « Tu peux assez cognoistre de toy mesme, mon filz, encore que nous ne t’en dissions rien, à voir nos accoustrements, et l’estat auquel sont nos pauvres corps, quelle a esté notre vie en la maison depuis que tu en es dehors ».
[805] « Crevecoeur » : grande peine.
[806] Accord de proximité.
[807] « Qui nous porte vers toy » : qui nous mène à venir te voir.
[808] « Façons » : mode de vie, façon de vivre.
[809] « Fascheux » : qui cause de la peine. « Sortie » : départ.
[810] C’est la troisième fois dans la pièce que le dieu Apollon est désigné ainsi (voir les vers 73 et 393).
[811] « Dèz là-haut » : depuis là-haut.
[812] « Survivre l’honneur de ma chere patrie » : continuer à vivre alors que ma patrie aurait perdu son honneur.
[813] Volumnia a pleinement conscience des conséquences qu’aurait le renoncement de Coriolanus à attaquer Rome : les Volsques se sentant trahis, le tueraient. Cette lucidité ne transparait pas dans le discours de Volumnia à Coriolanus dans l’acte V de la pièce de Shakespeare. Dans le Coriolan d’Hardy, à la scène 4 de l’acte III, la mère de Coriolan n’énonce pas non plus à voix haute la possibilité de la mort de son fils s’il renonce à attaquer Rome ; en revanche Coriolan évoque sa mort certaine au moment de faire ses adieux à sa mère : « Ne l’[les retrouvailles] esperez plustost qu’en l’Herebique salle / Adieu ma Mere, Adieu ma Compagne loyalle. » (p.50). Hardy reprend d’ailleurs cet élément à Plutarque qui rapporte la réponse de Coriolan à sa mère : « Tu as vaincu, dit-il, et ta victoire est heureuse pour ma patrie, mais funeste pour moi. » (p.187).
[814] « J’avanceray le cours d’un trop fascheux destin » : je précipiterai le sort.
[815] « Las » : hélas.
[816] « T’oster de toy mesme » : te faire sortir de toi-même, te rendre fou.
[817] « Porté » : supporté.
[818] « Dèz longtemps » : depuis longtemps.
[819] « La perte de mes yeux » : la perte de la vue. C’est la seconde indication de la cécité de Volumnia.
[820] « Impatiemment » : en supportant difficilement. S’oppose au verbe « porter » du vers précédent ce qui rend l’image un peu confuse : Volumnia supporte sa cécité tout en la jugeant insupportable.
[821] « Ore » : maintenant.
[822] Nous maintenons cette forme pour le compte syllabique.
[823] « Las » : hélas.
[824] « Furie » : fureur extrême.
[825] « Ton ire inexorable » : ta colère que rien ne peut faire fléchir.
[826] Vers 1331-1332 : Coriolanus est accusé d’être un fauteur de trouble qui alimente guerres et désordres.
[827] Vers 1333-1334 : Volumnia accuse ici son fils de mener cette guerre par vengeance personnelle et non pour de justes motifs. On constate une fois de plus à quel point le droit de la guerre notamment est au coeur des préoccupations de la pièce.
[828] D’une certaine façon les Romains ne sont rangés à la volonté de Coriolanus puisqu’ils réclament son retour.
[829] À cause de Coriolanus, le traité de paix signé entre les Volsques et les Romains a été violé.
[830] Le masculin pour « haine » n’est pas courant mais il se rencontre dans certains textes du XVIe siècle.
[831] Le verbe s’accorde au singulier avec « le Sénat » par proximité mais aussi pour conserver la rime visuelle avec « immortelle ».
[832] « D’eternité » : depuis toujours.
[833] « L’orgueil m’y conduit » : l’orgueil me pousse à agir ainsi. Il est intéressant de voir ici que Coriolanus assume son comportement face à sa mère et le revendique, ce qu’il ne fait pas du tout dans le récit de Plutarque.
[834] « Je t’atteste » : je te le certifie.
[835] Le tréma indique que la prononciation doit être bisyllabique pour que l’alexandrin soit complet. Nous maintenons donc cette orthographe.
[836] « Perds-en la souvenance » : perds le souvenir du tort qu’ils t’ont fait et de la vengeance que tu veux en avoir.
[837] « Que de mes ennemis » : que celle de mes ennemis.
[838] Indication de jeu.
[839] « Ores » : maintenant.
[840] Vers 1351-1354 : Volumnia utilise une anaphore dans laquelle elle énumère les parties de son corps dans le but de susciter la pitié de son fils en le ramenant à leur lien filial.
[841] « En alarmes » : dans un état de crainte, d’inquiétude.
[842] « Sont eux » : ce sont eux. Même construction pour le vers suivant.
[843] « Renger » : soumettre, réduire à.
[844] « Ja » : déjà.
[845] « Ma foy » : maparole.
[846] « Perfidie » : trahison, manque de loyauté.
[847] Vers 1363-1365 : Coriolanus s’est mis au service des Volsques, ce sont eux qui sont censés prendre les décisions dans cette guerre, et non Coriolanus, qui a seulement été désigné pour mener les troupes et les éventuelles négociations et défendre l’intérêt des Volsques : céder à sa mère irait à l’encontre de l’engagement qu’il a pris.
[848] Voir la note du vers 1264 pour le mot « repos ».
[849] « Venir au point » : arriver au moment.
[850] Du bon ou du mauvais côté. Voir la note du vers 174.
[851] « Ce n’est rien pour le droit d’entendre une partie » : tournure sentencieuse : on ne peut pas se contenter d’entendre seulement une partie.
[852] Voir la note du vers 994 sur le droit de bourgeoisie.
[853] Référence au droit latin dont bénéficient les cités latines. Dans les cités de droit latin, seuls les magistrats sont des citoyens romains mais les habitants de la cité bénéficient de la protection de la juridiction romaine.
[854] « Puis nous voila d’accord » : et nous serons d’accord.
[855] « Et à qui le premier deffaudra le courage » : et qui manquera de courage le premier.
[856] « Pour mon particulier » : pour ma part.
[857] Vers 1378-1379 : m’engage à faire preuve de courage pour défendre les intérêts des Volsques.
[858] « Ou jusque au dernier point mon devoir maintenir : faire mon devoir jusqu’au bout.
[859] Chez Shakespeare, ce sont les tribuns qui accusent Coriolanus d’être une vipère (« viper » et « viperous traitor » à l’acte III, scène 1, p.261 et 263). Dans un article consacré à la pièce de Shakespeare, Russel M. Hillier rappelle qu’à la Renaissance existe une croyance selon laquelle les vipères naissent en dévorant le ventre de leur mère pour en sortir. L’image de la vipère se rencontre fréquemment dans les tragédies grecques, notamment chez Eschyle dans les Choéphores et chez Euripide dans l’Oreste et l’Ion (voir Liliane Bodson, « Nature et fonction des serpents d'Athéna », Mélanges Pierre Lévêque, Tome 4 : Religion, Besançon, Université de Franche-Comté, 1990, p. 45-50, note 37).
[860] La comparaison avec Hécube ne figure pas dans le texte de Plutarque, mais l’image est en revanche également présente dans le Coriolanus de Shakespeare à l’acte I, scène 3, dans la bouche de Volumnia : « Le sein d’Hécube allaitant Hector n’était pas plus aimable que le front d’Hector crachant le sang sous le coup des épées grecques... », p.338 (« The breasts of Hecuba, / When she did suckle Hector, looked not lovelier / Than Hector’s forehead when it spit forth blood / At Grecian sword », p.180-181). La figure d’Hécube est souvent représentée en poésie et au théâtre au XVIe siècle, en particulier en tant que mère et femme endeuillée. L’image est un peu différente ici puisqu’elle n’est pas représentée comme chez Shakespeare en tant que mère d’Hector mais plutôt en tant que mère de Pâris et donc, indirectement, responsable de la guerre de Troie.
[861] Pasiphaé est la mère du Minotaure, né de son union avec un taureau blanc envoyé par Poséidon.
[862] On trouve ici un écho de l’Hippolyte de Robert Garnier, tragédie dans laquelle on entend Thésée se lamenter à l’acte IV : « Tu vis monstreux enfant, tu vis donque impuny, / Apres m’avoir, ton pere, en ma couche honny ? » (v.1767-1768).
[863] « Faire peu de comptes » : avoir peu d’égards.
[864] « Estonner » : troubler, ébranler.
[865] Accord de proximité.
[866] Vers 1393-1394 : n’a pas d’autre dessein que de.
[867] « Lot » : renommée.
[868] « Costé » : les côtes. Comprendre : enfonce ton épée entre mes côtes.
[869] Vers 1396-1397 : les côtes de Volumnia, et par extension son ventre, ont donné naissance au monstre qu’est devenu Coriolanus et méritent donc la mort.
[870] Les mentions d’animaux sauvages et féroces se multiplient dans ce passage : « vipère » v.1381, « tygre » v.1390 et 1410, « ours » v.1410 et ici le « vautour carnassier ». L’image du vautour carnassier s’inscrit par ailleurs dans la continuité des références au mythe de Prométhée déjà évoqué par le choeur des devins et des sacrificateurs de l’acte III (v.1137-1140, voir la note du vers 1140) ainsi que par Volumnia aux vers 1275-78, mais elle convoquait l’image de l’aigle et non celle du vautour.
[871] « Il me faut passer dessus le ventre » : il faut me passer sur le corps.
[872] « Ces petis Romains » : il s’agit des enfants de Coriolanus qui sont bien présents sur scène mais n’interviennent qu’une seule fois pour une courte réplique au vers 1408.
[873] « Une peste commune » : un fléau public.
[874] « Nauffrage » : ruine, malheur.
[875] Voir la note du vers 281.
[876] Pélops est un titan qui obtint la main de sa femme Hippodamie en gagnant contre le père de la jeune fille dans une course de char. Une version de l’histoire rapporte que Pélops doit sa victoire à une ruse malhonnête pour saboter le char du roi Oenomaos, père d’Hippodamie, ce qui entraîna un accident mortel pour le roi.
[877] « Exorable » : facile à convaincre.
[878] « Pitoyable » : capable d’éprouver de la pitié.
[879] « Preposer » : faire passer avant, donner plus d’importance.
[880] Nouvelle comparaison de Coriolanus à une matière minérale pour illustrer sa dureté, son inflexibilité (voir les vers 1239 et 1268 et les notes correspondantes). Le sens est particulièrement fort ici car il renvoie à la conception de Coriolanus. On peut peut-être y voir une allusion à son état d’orphelin de père, rappelé par Plutarque au tout début de la Vie de Coriolan (§1, 2, p.109) qui explique pourtant que l’exemple de Coriolanus dément tous les défauts souvent attribués aux orphelins.
[881] Vers à valeur sentencieuse.
[882] Volumnia souligne que l’entreprise de son fils est contre-nature. Dans la tragédie de Shakespeare, l’idée de contre-nature est également mobilisée, mais par Coriolanus lui-même au moment où il cède à la requête de sa mère après avoir écouté son discours : « O mère ! mère ! qu’avez-vous fait ? [...] Voyez ! les cieux s’entrouvrent, les Dieux abaissent leurs regards et rient de cette scène contre nature », p.430 (« O mother, mother ! / What have you done ? Behold, the heavens do ope, / The gods look down, and this unnatural scene / They laugh at. », p.342-344).
[883] Nous maintenons cette forme pour le compte syllabique.
[884] Vers 1423-1424 : la valeur d’un homme s’accompagne toujours d’une humaine douceur.
[885] Vers 1425-1426 : pour expier un meurtre qu’il avait commis, l’oracle d’Apollon recommande à Hercule de se vendre comme esclave à Omphale, reine de Lydie. Il accomplit pour elle un certain nombre de travaux jusqu’à ce qu’elle lui rende sa liberté et l’épouse. Ce mythe a souvent été interprété comme un bouleversement des rôles amoureux, moqué par Ovide (Fastes, II, v. 317-326), Properce (Élégies, IV, 9).
[886] Les propos de Volumnia retrouvent ici partiellement ceux de Plutarque notamment avec cette reprise du discours traduite par Amyot ainsi : « Que ne me respons tu, mon filz ? ». Le geste de supplication de la fin de la réplique où Volumnia et les enfants de Coriolanus se jettent à ses genoux est également repris de Plutarque, en guise de coup de grâce porté à Coriolanus avant qu’il ne renonce à son projet. Chez Plutarque, l’indication de ce geste ne relève en revanche plus du discours rapporté de Volumnia mais bien du récit en lui-même, que Mont-Justin intègre aux paroles de son personnage (vers 1439 à 1442) en guise d’indications scéniques. (Amyot traduit Plutarque ainsi : « En disant ces paroles, elle se jetta elle mesme, avec sa femme et ses enfans, à ses pieds. », p.846).
[887] « Dormir » : rester inactif, ne pas agir.
[888] « Arrest » : décision.
[889] « Paresseux » : qui est lent, qui tarde.
[890] « En trop bon lieu » : trop noble.
[891] Vers 1431-1432 : penses-tu que la vengeance est propre aux hommes de vertu ?
[892] On retrouve encore l’image de la vipère dans la bouche de Volumnia cf. vers 1381.
[893] « Vendre » : faire payer.
[894] Nous maintenons cette forme pour le compte syllabique.
[895] « Tu ne m’as encor recognu les biens faicts » : tu n’as même pas reconnu le bien que je t’ai fait.
[896] « Impétrer » : obtenir en suppliant. Le sens se comprend mais la construction « impétrant ma prière » est assez surprenante.
[897] « Mes mignons » : mes chéris (elle s’adresse à ses deux petits-enfants).
[898] Ce geste est effectué pour la première fois au vers 1350.
[899] « Las » : hélas.
[900] Plutarque indique que Coriolanus relève sa mère, ce que Mont-Justin fait passer dans le discours du personnage. Par ailleurs, les paroles de Coriolanus qui renonce finalement à son entreprise contre Rome sont assez laconiques chez Plutarque (Amyot, p. 846 : « O mère, que m’as-tu fait ? et en lui serrant etroittement la main droitte : Ha, dit il, mère, tu as vaincu une victoire heureuse pour ton païs, mais bien malheureuse et mortelle pour ton filz : car je m’en revois vaincu par toy seule. ») ; Mont-Justin reprend les propos de Coriolanus mais intègre également la suite du récit à la réplique avec les adieux de Coriolanus à sa famille et les ordres donnés de lever le camp pour retourner à Antium.
[901] « Deffaire » : vaincre.
[902] Vers 1450-1451 : ce qui rends à maints hommes la vie est la même chose qui me ravit la mienne.
[903] Les vers 1453-1454 font écho aux propos de Volumnia (v. 1296-98) qui affirmait que son fils avait fait plus pour sa patrie que sa femme ou qu’elle-même. Coriolanus surenchérit ici en affirmant que Rome doit plus à Volumnia qu’à son fondateur Romulus.
[904] C’est vous qui m’avez vaincu, pas eux (les Romains).
[905] « Parachever » : mener à son terme, finir.
[906] « Tramer » : poursuivre.
[907] « Lugubre » : qui est signe de deuil, de mort.
[908] Première et unique mention des prénoms des enfants de Coriolanus.
[909] Vers 1461-1462 : que la fortune vous soit aussi prospère qu’elle est contraire (défavorable) à votre père.
[910] « Qu’on trousse le bagage » : qu’on plie bagage.
[911] « Le point du jour » : l’aube.
[912] « Cornette » : étendard.
[913] « Piétons » : infanterie, soldats qui combattent à pied.
[914] Vers 1468-1469 : il ne faut point poursuivre son ennemi et le forcer au désespoir.
[915] Vers 1469-1470 : la construction de cette maxime est claire mais le sens est difficile à saisir ; pourquoi une infortune serait-elle partagée à la fois par les vaincus et par les vainqueurs ?
[916] « En repos » : dans la tranquillité.
[917] Vers 1473-1474 : que les dieux te récompensent d’avoir si bien agi si je ne peux pas le faire moi-même.
[918] « Labeur » : travail, activité.
[919] Nous maintenons cette forme pour le compte syllabique.
[920] « Vi en espoir » : continue ta vie en gardant espoir.
[921] Voir la note du vers 434.
[922] Vers 1477-1478 : le froid borée ne court pas toujours, la mer ne demeure pas toujours agitée.
[923] Vers 1477-1480 : Volumnia tente de rassurer son fils et lui assure que la fortune lui sourira bientôt à nouveau. Les images utilisées sont topiques (succession des saisons, de la nuit et du jour) et rappellent à la fois la roue de fortune et les thèmes de l’inconstance du monde. Notons également que ces propos vont à l’encontre de l’idée clairement énoncée aux vers 1321-1322 qui montre que Volumnia sait que son fils risque la mort en renonçant à son projet.
[924] « Pour jamais » : pour toujours. Comprendre le vers ainsi : un malheur n’importune pas nos âmes pour toujours.
[925] « Accord » : état de paix et d’harmonie intérieure.
[926] Vers 1482-1486 : chez Plutarque, les femmes reçoivent la gratitude du peuple et du Sénat romains. On leur offre d’accéder à toutes leurs requêtes mais elles ne demandent rien d’autre que la construction d’un temple dédié à Fortuna Muliebris (Vie de Coriolan, §37, p.189-191).
[927] Ce choeur est le dernier de la pièce car l’acte V n’en comporte pas. Il est composé de quatrains de trois hexasyllabes puis un alexandrin (ffmm) et porte sur le pouvoir qu’ont les femmes sur les hommes en donnant des exemples tirés de la mythologie.
[928] « Nous faire partir hors de nostre devoir » : nous détourner de notre devoir.
[929] « Juppin » : Jupiter.
[930] « Surprendre » : tromper.
[931] Cet élément n’est pas présent chez Hésiode selon qui Vénus donne à Pandore la beauté (voir les notes du vers suivant).
[932] Il s’agit du dieu Hermès. Pithon n’est pas une de ses épithètes fréquentes mais ce nom renvoie à l’un de ses attributs, le caducée, sur lequel se trouvent des serpents. Selon Hésiode il fait à Pandore le don de la parole (Les Travaux et les Jours, v.77-82).
[933] Vers 1491-1502 : le choeur retrace l’histoire (rapportée par Hésiode dans Les Travaux et les Jours, v.50-105) de la création mythologique de la femme par Zeus, pour se venger du vol du feu apporté aux hommes par Prométhée. La première femme est Pandore, façonnée dans l’argile par Héphaïstos. La boîte dont il est question des vers 1495 à 1498 est la fameuse boîte de Pandore donnée par Zeus qui contient tous les maux de l’humanité. Pandore a interdiction de l’ouvrir mais parmi les dons des dieux au moment de sa création se trouve la curiosité qui la pousse à ouvrir la boîte et libérer les maux.
[934] Ronsard utilise l’expression « boite féconde » pour désigner la boîte de Pandore dans l’Ode 51 publiée dans un recueil collectif intitulé La Muse chrestienne, publié en 1582.
[935] « Fureur » : violent transport, délire.
[936] « Lacs » : filets.
[937] « Cordage » : attache, lien qui enchaîne les hommes aux femmes.
[938] « Joug » : servage. « Fâcheux » : pénible, douloureux.
[939] Il est intéressant de noter que les dieux et les hommes sont présentés comme égaux face aux charmes des femmes.
[940] « Amie » : amante.
[941] « Ambrosie » : nourriture des dieux.
[942] Nous maintenons cette forme pour le compte syllabique.
[943] Ces trois métamorphoses renvoient à trois épisodes mythologiques dans lesquels Zeus use d’un stratagème pour obtenir les faveurs des femmes qu’il désire. La transformation en taureau fait référence au mythe d’Europe, que Zeus, transformé en cet animal, enlève jusqu’à une île où, sous forme humaine, il s’accouple avec la jeune femme. Zeus se transforme en cygne pour séduire Léda, union qui donne naissance à Hélène. Enfin, Danaé, enfermée dans une tour par son père à cause d’un oracle, rencontre Zeus transformé en une pluie d’or qui tombe sur la jeune femme, donnant ensuite naissance à Persée. Ces trois épisodes mythologiques sont racontés par Ovide dans les Métamorphoses (Europe : II, 833-875 ; Léda : VI, 109 ; Danaé : IV, 611 ; VI, 113 ; XI, 117).
[944] Nous maintenons cette forme pour le compte syllabique.
[945] Vers 1511-1514 : le choeur fait à nouveau référence au mythe d’Hercule et Omphale (voir la note du vers 1426). Dans certaines représentations du mythe, Omphale fait filer la laine à Hercule.
[946] « Peste » : fléau. Il s’agit ici du fléau que représentent les femmes et la délégation des femmes qui a fait plier Coriolanus.
[947] « Belliqueux » : guerriers.
[948] Vers 1519-1521 : que nous sert-il d’avoir mis nos vies en danger dans diverses entreprises ?
[949] « Soubs les faveurs » : avec le soutien.
[950] Mars est le dieu de la guerre.
[951] « Redorer » : répandre sa lumière sur. « Ce grand tout » renvoie au monde.
[952] Nous maintenons cette forme pour le compte syllabique.
[953] « Harnois » : équipement du soldat. Il faut comprendre le vers ainsi : faisant la guerre loin de chez nous à la sueur de notre front.
[954] « Offert » : exposé.
[955] « Fraude » : tromperie, déloyauté.
[956] « Tollir » : faire disparaître, effacer.
[957] Voir la note du vers 21.
[958] « Subjet » : soumis.
[959] Volumnia.
[960] Voir la note du vers 378. « Superbe » : plein de fierté.
[961] « Estranges » : étrangers.
[962] « Publier » : rendre public, faire connaître.
[963] « Eussent » : aurait sans cela.
[964] Vers 1544-1545 : heureux qui ne se fie à ses ennemis.
[965] Volumnia.
[966] « Monts sept fois bossus » : les sept collines de Rome.
[967] Ce n’est pas quelque chose de peu d’importance de trahir sa parole.
[968] Vers 1557-1558 : une faute est toujours suivie de près par des conséquences sanglantes. Dans les deux dernières strophes, le choeur anticipe la fin tragique qui attend Coriolanus.

ACTE CINQUIEMECINQUIÈME


--- 64 ---
 
Catius, Tullus, Coriolanus, le Consul.

Catius969.

Je l’avoyavais bien preditprédit que quelque grand poison

1560Se calloitcallait970 soubssous le miel971 de cestecette trahison :

J’avoyavais assez preveuprévu que cestecette grande armée972

Se rompant973 d’elle mesmeelle-même en iroitirait en fumée974,

Tout ainsyainsi comme on voidvoit un brouillard s’esleverélever

Dessus le point du jour975, puis soudain s’avalleravaler976,

1565Se dissiper en rien et tomber en rosée

SoubsSous les rais977 du soleil. Ô dure destinée !

Je pense qu’Apollon978 endurcissant vozvos coeurs979

A rendu mes propos veritablesvéritables, menteurs980.

On dit qu’anciennement981 à Cassandre s’amie982

1570Il donna pour gagner son coeur de prophetieprophétie

L’irrévocableirrévocable don983, mais voyant sa durté984

Et son bien faictbienfait forclos du loyer meritémérité985,

Ne luylui pouvant osterôter ce presentprésent estimable,

D’autant qu’un don des Dieux est tousjourstoujours perdurable986,

1575Fit que tous ses propos paroissointparaissaient mensongers,

Et ainsyainsi comme un songe987 ils s’escoulointécoulaient légerslegers988.

Elle avoitavait beau crier sur le port en furie989

Quand ParisPâris s’embarquoitembarquait pour vollervoler990 l’Achaïe991,

« Ah mon frerefrère ! Où vas-tu ? Tu nous ramenerasramèneras

1580Quant à toytoi un flambeau992 : tu nous consumeras993. »


--- 65 ---
 

Elle avoitavait beau à dire, errante eschevelléeéchevelée,

Au travers des remparsremparts de sa ville abusée994,

Lors995 que ses citoyens996 trop superstitieux997

TirointTiraient dedans leurs murs ce cheval monstrueux998 :

1585« Messieurs, que faictesfaites-vous ? Ce monstre-cyci enserre999,

Non comme vous pensez1000, la fin de cestecette guerre :

Ouvrez ces flancs cavezcavés1001, les Grecs y sont enclos1002 » ;

C’est parler aux rochers1003, vains furent les propos,

Vains les pleurs, vains les cris, de la prestresseprêtresse folle :

1590MesleeMêlée avec le vent s’escouleécoule sa parole.

Elle n’esmeutémeut en rien les coeurs de ses Troyens :

Tels ont estéété les miens envers les Antiens1004.

Nous confier1005 deçeusdéçus1006 d’une faintefeinte cholerecolère,

D’un reconciliéréconcilié sur la foyfoi mensongeremensongère1007,

1595C’est estreêtre sans raison, c’est estreêtre trop legerléger1008 :

Et c’est faire du loup, comme on dit, le berger.

Sa valleurvaleur nous avoitavait produit1009 une esperanceespérance

Que l’on a veuvu mourir en prenant sa naissance1010.

Reposer nostrenotre honneur dessus noznos ennemis,

1600Et sur un qui desjadéjà perfide1011 à ses amis

AvoitAvait faussé la foyfoi aux siens, à sa patrie1012 :

Qu’appelez-vous cela qu’une pure folie1013 ?

C’est toytoi Tullus, c’est toytoi, qui te laissant pipperpiper1014

Dans un tel changement nous as faictsfait engager,

1605Qui nous as faisfait courir la fortune contraire1015

Et les adversitezadversités1016 d’un homme temerairetéméraire,

D’un muable ProthéeProtée1017, et d’un voillevoile1018 à tout vent

Qui n’a point d’autre but qu’un divers changement.


--- 66 ---
 

Tullus.

Que Coriolanus a sa foyfoi violée1019

1610Dessus l’autel des Dieux si sainctementsaintement1020 jurée ?

Ô que les hommes sont pervers1021 et mensongers1022 !

Catius.

Cil1023 qui est traistretraître aux siens, l’est bien aux estrangersétrangers.

Tullus.

Il y estoitétait poussé, disoitdisait-il, d’une injure1024.

Catius.

C’estoitétait nostrenotre ennemyennemi.

Tullus.

Ô menteur, ô perjureparjure1025 !

1615Est-ce ainsi que tu veux subjuguer1026 les Romains ?

Catius.

Il en a trèstrès bien eu le pouvoir en ses mains.

Tullus.

Qui l’a donc empeschéempêché ?

Catius.

Les propos d’une femme.

Il s’entend1027 avec eux, et soubssous main1028 il nous trame1029

Quelques lacs cauteleux1030.

Tullus.

Ô Dieux qui l’eusteût pensé ?

1620Mais dy moydis-moi Catius, comme tout s’est passé1031 !

Catius.

DèzDès lors que le SenatSénat sur la trouppetroupe Antienne

LuyLui eusteut donné peu caut1032, puissance souveraine1033 ;

Il nous faictfait battre aux champs1034, et pour nous donner coeur1035,


--- 67 ---
 

Il est tousjourstoujours premier aux coups et au labeur1036 :

1625Par promesse et par dons, nous hausse le courage1037,

Il nous fait avancer et passant il saccage1038,

Après qu’il nous vidvit tous ensemble ralliezralliés1039,

Les terres des Romains et de leurs alliezalliés1040.

Il va droit à Circes1041, qui presque sans l’attendre

1630Volontairement vient entre ses bras se rendre1042.

Il force en leurs remparts les ToleriniensTolériniens1043 :

Il passe sur le ventre1044 à nos Bolaniens,

De là, il vient camper1045 les murs de Lavinie1046 ;

Mais d’un plus haut desirdésir ayant l’ameâme saisie,

1635Il faictfait lever le camp pour nous encourager,

Et de Rome se vient devant les murs ranger

En esquadronsescadrons quarréscarrés d’une belle ordonnance1047.

Il n’a faute de coeur1048, de conseil, d’asseuranceassurance.

Aux ailes des drappeauxdrapeaux1049, il loge1050 ses archers,

1640À la teste du gros de ses chevaux légerslégers

Il suit au petit pas. Nous voilavoilà en bataille1051

Presque le long du jour1052. Mais quoyquoi ? cestecette canaille1053,

Qui a pris l’espouventeépouvante1054 au lieu de s’en venger,

Se tapit1055 dans ses tours sans en oser bouger.

1645Marcius, qui ne veut cependant leur ruïne1056

Pour n’estreêtre soubçonnésoupçonné tient pourtant bonne mine1057 :

Fait enclore1058 son camp usant de son pouvoir,

Contenant sagement chacun en son devoir1059,

Il envoyeenvoie espierépier1060 en quel point1061 est la ville :

1650Bref, il ne veut permettre une heure estreêtre inutile1062.

Cependant1063 un murmur1064 court parmyparmi la cité


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L’on n’entend que des cris, l’on voidvoit de tout costécôté

Cent et cent accidents1065 : c’est lors1066 que la noblesse1067

Ne s’en veut point meslermêler et le peuple se laisse

1655Transporter par la peur de ces divisions.

ChacqueChaque jour vont naissansnaissant mille confusions,

Enfin l’on se résout d’eviteréviter cestcet orage

Non de force1068 : ains1069 taschanstâchant d’adoucir le courage1070

De Coriolanus, ils le font rapelerrappeler,

1660PensansPensant par ce rappel tout à coup l’esbranlerébranler1071.

Mais luylui, qui ne veut pas du premier coup se rendre,

Les appelle mutins1072 et ne les veut entendre,

MenasseMenace de raser terre à terre leurs tours1073,

Leur donnant neantmoinsnéanmoins tresvetrêve pour trente jours.

1665PenetrantPénétrant à travers de cestecette tromperie,

Je vyvis tout aussi tostaussitôt dès lors sa perfidie1074 :

Les Romains cependant en cestecette adversité1075

Se sentanssentant redigezrédigés1076 à toute extremitéextrémité1077,

Comme desesperezdésespérés jettent l’anchreancre sacrée1078

1670Et voyansvoyant leur affaire1079 estreêtre tant desploréedéplorée1080

Font sortir leurs devins, leurs sacrificateurs,

Qui n’ont pas le pouvoir d’adoucir ses fureurs.

Les voilavoilà subjuguezsubjugués1081 prestsprêts à poser les armes,

Quand sur le point du jour1082 une troupe de dames,

1675TrainansTrainant l’habit de deuil1083, l’on voidvoit se presenterprésenter

Devant son tribunal1084 ; lors1085 sans plus contester1086,

Il change tout à coup en larmes sa cholerecolère,

DèzDès aussi tostaussitôt qu’il voidvoit et sa femme et sa meremère,

Il descentdescend tout joyeux, et les vient caresser,


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1680Les sucçersucer, les baiser, et toutes embrasser1087 ;

Sa meremère commença à parler la premierepremière

Mais le voilavoilà vaincu d’une seule priereprière1088.

Son courage abbatuabattu, son vouloir renversé

Son courroux immortel soubssous les pieds terrassé.

1685Et estantétant ja1089 tout prestprès de venir à la prise1090

Il quitte les desseins1091 d’une belle entreprise,

Il trousse le bagage1092 et au son des clairons

Il nous fait rebrousser1093 chascunchacun dans nos maisons

Lors1094 que noznos ennemis avointavaient perdu courage.

Tullus.

1690Ô grands Dieux immortels ! Ô perfide, ô volage1095,

Ingrat des amitiés qu’en ton adversité

Tu as receureçu de nous ! Avions-nous meritémérité,

Pour t’avoir secouru, un semblable mercedemercède1096 ?

À ce qui est passé, rien n’y sert le remederemède1097.

1695C’en est faictfait, c’en est faictfait : mais, traistretraître, asseure-toyassure-toi

Que ce n’est peu de cas1098 de violer sa foyfoi 1099,

On ne voidvoit rien en toytoi qu’une vicissitude1100,

Et tu vas poursuivant, dis-tu, l’ingratitude,

Puis te jactant1101 encor1102 d’un acte malheureux,

1700Tu t’oses présenter, effronté, à noznos yeux1103,

Ô tirantyran cauteleux1104 ! SoubsSous le nom de service1105,

Tu nous vas preparantpréparant un soudain precipiceprécipice1106.

Ainsi le plus souvent du subtil hameçon

Hors de son elementélément est tiré le poisson1107.

1705Ne voidsvois-tu, Catius, comme il est en la gracegrâce1108

Pour estreêtre un grand causeur de cestecette populace1109 ?


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Nous ne sommes plus rien, luylui seul a tout pouvoir :

Il nous supprimera. Mais il y faut pourveoirpourvoir1110.

L’occasion1111 nous met dedans noznos mains sa vie,

1710Il ne faut point laisser cestecette faute impunie.

Accusons-le de crime1112 et monstronsmontrons au SenatSénat

Qu’il est homme à tout vent1113, et que perfide il a

Contre tous les statuts1114 de la loyloi militaire1115,

Fortune luylui mettant en main son adversaire,

1715DesjaDéjà à demyà demi submissoumis dessoubsdessous noznos estandartsétendards1116,

Fait deslogerdéloger son camp de devant leurs remparts :

Qu’il s’entend avec eux1117, cela est vray semblablevraisemblable1118.

Catius.

Il est en ces discours, tu le sçaissais, admirable,

Beau diseur, eloquentéloquent1119 : il peut par ses propos

1720Enchantant1120 le SenatSénat troubler nostrenotre repos1121.

Tullus.

Il le faut prevenirprévenir1122, et troublant l’audience1123

En tirer sur les lieux1124 une prompte vengeance.

Qui osera lever le front après sa mort1125

Et nous tirer en droit1126 pour luylui avoir fait tort ?

1725Finissons tout d’un coup1127 son discours et sa vie :

Mais je le voyvois venir1128 : va-t’en, je te supplie,

Amasser1129 le SenatSénat, je m’en vayvais après toytoi 1130.

Ha Coriolanus ! Est-ce donc là la foyfoi 1131,

La foyfoi que tant avoisavais et tant de fois promise1132 ?

1730Est-ce donc là le but de ta belle entreprise ?

Est-ce le loyer1133 deu aux soldats Antiens,

Qui trop credulescrédules ont confié en tes mains


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Leur honneur et leurs biens ? Qui couranscourant ta fortune1134,

Lorsqu’elle t’a estéété adverse et importune1135,

1735Pour toytoi n’ont espargnéépargné leurs vies neni leur sang,

Te donnansdonnant dessus eux d’honneur le premier rengrang ?

Ô Dieux ! Qu’il est fâcheuxfâcheux de lire au fond d’une ameâme

D’un signe1136 exterieurextérieur quel dessein elle trame1137 !

D’une douceur souvent s’emmieleemmielle le poison1138 :

1740Dans un simple maintien1139 loge la trahison.

Souvent de beaux propos la discorde1140 est couverte,

Et le serpent mussé1141 au fond de l’herbe verte.

J’y suis estéété trompé, pour toytoi j’ayai engagé

Mon honneur et ma foyfoi 1142. N’es-tu pas bien vengé,

1745Pour avoir des Romains une injure1143 receuereçue ?

Penses-tu ta menace1144 estreêtre à nous incognueinconnue ?

Nous voyons au travers de tes conceptions1145 :

Mais responréponds, je te prie, paye-nous de raisons1146.

PourquoyPourquoi ne suivoissuivais-tu le point1147 de ta conquesteconquête,

1750Lors1148 que tes ennemis allointallaient baissansbaissant la testetête

Sans oser se monstrermontrer ? Que ne les forçoisforçais-tu1149 ?

Ce qui est esbranléébranlé1150 est desjadéjà combatucombattu1151.

PourquoyPourquoi fis-tu lever le camp, lors que ta ville

PloyoitPloyait1152 desjadéjà le dos dessoubsdessous un joug servile

1755Et nous tendoittendait les bras ? Tu t’entensentends avec eux.

Puis tu nous vas paissant1153 de propos doucereux1154.

Mais, qui ne voidvoit à l’oeil quelle est ta perfidie ?

Tu auras une fin convenable à ta vie1155.

Croy-moyCrois-moi, je te mettraymettrai bientostbientôt au repentir1156.

Coriolanus.


--- 72 ---
 

1760Et moymoi je te ferayferai et mourir et mentir1157.

Non, il n’est pas en toytoi 1158 d’osterôter de la memoiremémoire

De la posteritépostérité1159 mes labeurs et ma gloire.

Il n’est en ton pouvoir de pouvoir supprimer

Ou augmenter mon los1160. Tout ainsyainsi que1161 la mer

1765Ne se va point haussant pour toutes les rivieresrivières,

Et les fleuves qui vont finissansfinissant leurs carrierescarrières

Dedans son moite seingsein1162. Car contre les Romains

J’ayai trop1163 plus faictfait que toytoi, nyni tous les Antiens1164.

Et au lieu d’un honneur, j’en encourencours1165 une honte :

1770Mais ce n’est pas à toytoi que je doydois rendre compte1166,

Si j’ayai bien ou mal faictfait, chacun sçaitsait son pouvoir1167,

Par ainsyainsi contien toycontiens-toi aux bornes du devoir1168.

Tullus.

VienViens respondrerépondre1169 au SenatSénat des effectseffets1170 de ta charge1171,

Et aux crimes desquels chacun de nous te charge1172 :

1775VienViens t’en justifier.

Coriolanus.

Penses-tu que la peur,

Pour estreêtre menassémenacé1173, se campe1174 dans mon coeur ?

Non, pour si peu de cas ne s’abbatabat mon courage :

Je demeure invincible au milieu d’un orage,

Tout ainsyainsi comme on voidvoit dans le flot mutiné1175

1780Un rocher esleverélever son chef1176 environné

D’une onde, qui tousjourstoujours contre luylui pirouette1177,

Constamment menassermenacer les nues1178 de sa testetête1179.

Propose1180 seulement, allons, despesche toydépêche-toi :

Le droit et la raison parlent assez pour moymoi1181.


--- 73 ---
 

Tullus.

1785Si j’ayai, PeresPères conscriptsconscrits1182, quelque foisquelquefois trop credulecrédule

EslevéÉlevé à vozvos yeux, comme un nouveau Hercule1183,

Marcius, enchanté du miel de ses propos1184,

L’amour de mon pays, le publicque1185 repos1186,

Et le desirdésir de veoirvoir hors d’un joug tributaire1187

1790Ma natale Antium, m’ont forcé de ce faire :

Et c’est ce mesmemême amour duquel je suis contrainctcontraint,

Mais par trop tard, hélas, d’accuser ce Romain1188,

1189 je souloysoulais1190 fonder ma plus seuresûre esperanceespérance,

De trahison vers1191 vous, et d’une intelligence1192

1795Avec les ennemis. Que1193 sert un long discours ?

La tresvetrêve qu’il leur a donné pour trente jours,

Son retour inconstant, la fin de cestecette guerre,

L’accusent desjadéjà trop : ô homme temerairetéméraire1194 !

Ô perfide, ô ingrat ! Qui l’eusteut jamais pensé ?

1800Entendant le discours qu’il avoitavait pourpensé1195,

Lorsqu’il me vint en dueildeuil en mon fouyerfoyer attendre

Se jetterjeter à mes pieds, me suppliant de prendre

Pitoyable en mes mains sa vie, et son honneur1196.

Où est, dydis Marcius, ce desirdésir, qui vengeur

1805BouillonnoitBouillonnait dedans toytoi ? Lorsque fondant en larmes

Tu me dis1197 : « Ô Tullus, si en levant les armes

Tu n’as point de vouloir d’encor1198 un coup tenter

Le sort en me donnant moyen de me venger1199 :

VoicyVoici ton ennemyennemi, fuyfuis1200 je te supplie

1810Par un mesmemême tormenttourment1201 ses malheurs et sa vie.

Je veux jusque àjusqu’à la mort vostrevotre droit soustenirsoutenir1202,


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Et combatantcombattant pour vous ou bien vaincre ou mourir. »

Ainsi soubssous le manteau d’une cauteleuse ire1203

Ce miroir1204 d’amitié, le valereuxvaleureux Zopyre

1815Soumit soubssous le Persan le BabilonienBabylonien1205.

Ce sont tes lacqslacs1206 tendus et c’estoitétait le moyen

Duquel, nous endormant, tu nous taschoistâchais surprendre1207

Par tes discours fardezfardés1208, et, surpris1209, nous cher vendre1210

L’erreur de nous avoir appuyé sur ta foyfoi 1211 :

1820Tel estoitétait ton dessein. Mais ingrat, respon-moyréponds-moi,

Si avec les Romains tu n’as intelligence,

Puisque tu ne parloisparlais que de tirer vengeance

D’un tort receureçu : pourquoypourquoi, n’as-tu pas faictfait leur sang

Regorger1212 en leur place ainsi comme un estangétang ?

1825L’occasion1213 t’ouvrant les moyens de ce faire,

Que n’as-tuas-tu esgaléégalé leurs remparts à la terre ?

ManquoisManquais-tu en beliersbéliers, en soldats, en pouvoir ?

QuelcunQuelqu’un de nous est-il sorti de son devoir ?

N’avoisavais-tu pas sur nous souveraine puissance ?

1830Ne t’a ona-t-on pas rendu entiereentière obeyssanceobéissance ?

Que ne nous faisoisfaisais-tu entrer victorieux

Dedans Rome, honorant d’un laurier glorieux

Immortel à jamais ceux desquels l’esperanceespérance

Plus ferme1214 se fondoitfondait sur ta seule vaillance1215 ?

1835Et qui te supportant1216 en ton adversité

T’eslevoitélevait au plus haut d’une prosperitéprospérité1217.

Te laissant emporter1218 aux prieresprières des dames,

Perfide aux Antiens, tu poses bas1219 les armes.

Tu fais lever le camp, quand tu vois ta cité


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1840ReduitteRéduite au dernier but de toute extremitéextrémité1220.

Qui est celuycelui à qui ta trahison couverte1221,

DessoubsDessous un voile feint, n’est clairement ouverte ?

Nous penses-tu encor1222 par propos esbranlerébranler1223 ?

Catius.

C’est un traistretraître, un mechantméchant, il ne s’en peut laver1224 :

1845Nous sommes tous tesmoinstémoins de ses faictsfaits, de sa vie.

Le Consul.

Bien, mais il faut ouïr l’une et l’autre partie1225.

Vous avez proposé1226 : et toytoi, que respondsréponds-tu ?

D’autant qu’un tel faictfait doit estreêtre bien debatudébattu.

Coriolanus.

VenerableVénérable SenatSénat, d’une immortelle envie

1850De toute eternitééternité la vertu est suivie :

Depuis le sieclesiècle d’or1227 les hommes genereuxgénéreux1228

À fortune, aux meschansméchants, sont tousjourstoujours odieux1229.

Je vous prenprends à tesmoinstémoins, vous qui dans nos pensées,

Ô Dieux, allez lisanslisant les choses plus cachées,

1855Que jamais je n’ayai eu rien si cher que l’honneur

Des soldats Antiens, et que pour la faveur

Que les Volsques m’ont fait, jamais l’ingratitude

Ne m’a touché le coeur d’une vicissitude1230.

Vous avez assez veuvu, ô cieux, ô justes cieux,

1860Quel a tousjourstoujours estéété mon amour envers eux.

Mais tu as proposé1231, Tullus, que mon voyage1232,

Au lieu de quelque fruictfruit1233, leur produictproduit un dommage :

C’est le laurier duquel me veux récompenser,

J’ayai faictfait ce que jamais tu n’as osé penser :


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1865Ma gloire t’a plongé dans une jalousie1234

Qui te faictfait envieux attenter1235 à ma vie.

Pour preuve, n’ayai-je pas les ToleriniensTolériniens,

Circes, Lavinium1236, que j’ayai mis en leurs mains ?

Qui plus1237, j’ayai contraint Rome, à tout autre indomptable1238,

1870De recercherrechercher de moymoi1239 un accord honorable1240

Aux Volsques : je m’entenentends avec les ennemis

Si l’on croit tes propos ; pourquoypourquoi ayai-je donc mis

Les lieux où j’ayai passé et à sang et à flammes ?

Mais je me suis laissé emporter par des femmes ;

1875OuyOui par la raison1241. Non non, il ne faut point

En une extremitéextrémité reduireréduire au dernier point1242

L’ennemyennemi. Ne sçaissais-tu combien les inconstances

De fortune muable ont sur nous de puissances ?

Je n’apprendrayapprendrai de toytoi que c’est de mon devoir1243.

Tullus.

1880QuoyQuoi ? Les Romains estointétaient desjadéjà soubssous ton pouvoir :

Ils estoientétaient ja1244 vaincus, nous avions l’avantage1245.

Coriolanus.

Ce peuple, tu le sçaissais, n’a si peu de courage1246 :

Que demandesdemandez-vous plus qu’un honorable accord ?

Tullus.

Ha meschantméchant, s’accorder quand on est le plus fort1247 !

1885Girouette à tous vents1248, larron1249 de nostrenotre gloire.

Coriolanus.

Une honnorablehonorable paix vaut mieux qu’une victoire.

Catius.


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QuoyQuoi, traistretraître, oses-tu bien te monstrermontrer à noznos yeux ?

Ô ingrat : mais voyez qu’il est audacieux !

Coriolanus.

Entendez1250 moymoi parler.

Le Consul.

Tout beau, faites silence.

Tullus.

1890Il fait du resolurésolu1251.

Coriolanus.

Donnez moymoi audience :

Avant qu’estreêtre jugé, entendez ma raison1252.

Catius.

De quel masque1253 veux-tu voiler ta trahison ?

Coriolanus.

Sommes-nous au SenatSénat1254 ? Faictes moyfaites-moi la justice.

Catius.

Penses-tu par la langue1255 éviteréviter le supplice ?

Tullus.

1895Il corrompra le peuple : il le faut prevenirprévenir1256.

À mort !

Catius.

À mort ! À mort !

Tullus.

Ha traistretraître, il faut mourir1257 !

Coriolanus.

Ô barbare inhumain1258 ! Ô nation1259 cruelle !

Tullus.

Va, va devant Minos1260 disputer ta querelle1261.

Ainsi puissent perirpérir tous ceux qui comme toytoi,

1900Perfides fausseront leur honneur et leur foyfoi 1262.

[969] C’est le personnage Volsque de Catius, qui est apparu brièvement à l’acte III aux côtés de Coriolanus sur le champ de bataille, qui ouvre l’acte V. Il se lamente de la trahison de Coriolanus qu’il dit avoir anticipée. Pourtant, il ne fait pas partie des personnages qui délibèrent au début de l’acte III au sujet de l’association avec Coriolanus et d’une nouvelle guerre contre les Romains.
[970] « Se caller » : se cacher.
[971] « Miel » : douceur. La trahison de Marcius envers les Romains était favorable aux Volsques, douce comme le miel.
[972] L’armée des Antiens.
[973] « Se rompre » : se disperser. On retrouve ici l’image des Antiens qui s’enfuient face au danger présente chez Plutarque lorsque Coriolanus s’empare de la ville (Vie de Coriolan, §8, 6, p.123).
[974] « En iroit en fumée » : disparaîtrait sans rien laisser derrière elle.
[975] « Le point du jour » : l’aube.
[976] « S’avaller » : se résorber, de dissoudre de lui-même.
[977] « Rais » : rayons.
[978] Apollon est mentionné ici en référence au mythe de Cassandre qui est évoqué ensuite.
[979] « Endurcissant voz coeurs » : vous (les Antiens) rendant plus courageux.
[980] Comme Cassandre dont l’histoire est rappelée dans les vers suivants, Catius connaissait la vérité mais n’a été cru de personne.
[981] « Anciennement » : autrefois.
[982] « S’amie » : la femme aimée. Vers 1569-1576 : Cassandre est la fille de Priam et Hécube, roi et reine de Troie. Apollon s’éprend d’elle qui reçoit donc du dieu le don de prophétie contre la promesse qu’elle se donne ensuite à lui, ce que Cassandre lui refuse au dernier moment. Pour se venger, il fait en sorte que personne ne croie jamais ses prédictions.
[983] « L’irrevocable don » : les dons des dieux ne peuvent être repris.
[984] « Sa durté » : son refus. Nous maintenons cette forme pour le compte syllabique.
[985] « Et son bien faict forclos du loyer merité » : et son geste généreux privé de la récompense ainsi méritée.
[986] « Perdurable » : éternel.
[987] « Songe » : rêve, vision.
[988] « Léger » : sans conséquence.
[989] Vers 1577-1591 : Catius revient dans ces vers sur deux événements dont Cassandre avait prévu l’issue funeste et que ses avertissements n’ont pas évité pour autant : l’enlèvement d’Hélène par Pâris, le frère de Cassandre, qui provoque la guerre de Troie puis le piège du cheval de Troie.
[990] « Voller » : ravir, dérober.
[991] Région du Péloponnèse, berceau des Achéens, où se trouve Sparte, cité grecque de laquelle Hélène est la reine.
[992] Le flambeau est à comprendre ici comme la cause d’un incendie qui va tout détruire : il s’agit d’Hélène.
[993] « Consumer » : détruire.
[994] « Abusé » : à qui on nuit, on porte atteinte.
[995] « Lors » : alors.
[996] « Citoyens » : concitoyens.
[997] « Superstitieux » : qui craint les dieux de façon inappropriée, trop scrupuleux. C’est par scrupule religieux que les Troyens, croyant à une offrande, ont fait entrer le cheval de Troie dans leur cité, convaincus par la ruse de Sinon.
[998] « Monstrueux » : qui relève du fantastique, du contre nature. Il s’agit du cheval de Troie.
[999] « Enserrer » : enfermer, contenir.
[1000] « Non comme vous pensez » : contrairement à ce que vous pensez.
[1001] « Cave » : creux.
[1002] « Enclore » : enfermer.
[1003] « Parler aux rochers » : parler dans le vide, parler à un mur.
[1004] Comme les propos de Cassandre n’ont pas été écoutés par les siens, les propos de Catius ont été ignorés par les Antiens.
[1005] « Se confier de » : faire confiance à, se reposer sur.
[1006] « Deçeu » : trompé, berné.
[1007] « D’un reconcilié sur la foy mensongere » : fondé sur la promesse mensongère d’un réconcilié. Le substantif « réconcilié », synonyme de « réconciliation », n’est pas attesté dans les dictionnaires et ne se rencontre pas dans les textes contemporains.
[1008] « Leger » : inconséquent.
[1009] « Nous avoit produit » : avait fait naître chez nous.
[1010] « Que l’on a veu mourir en prenant sa naissance » : mort-né.
[1011] « Perfide » : traître, déloyal.
[1012] « Avoit faussé la foy aux siens, à sa patrie » : avait trahi sa loyauté envers les siens et sa patrie.
[1013] « Qu’appelez-vous cela qu’une pure folie ? » : comment appelez-vous cela sinon une pure folie ?
[1014] « Pipper » : tromper.
[1015] « Qui nous as fais courir la fortune contraire » : qui nous as fait aller au-devant de malheurs.
[1016] « Adversité » : hostilité.
[1017] Voir la note du vers 81. Catius dénonce ici la capacité de Coriolanus à changer d’opinion.
[1018] La voile d’un bateau peut être au masculin dans la langue du XVIe siècle.
[1019] « Violer sa foy » : trahi sa promesse. L’accord fautif en « -ée » permet la rime visuelle avec le terme « jurée » au vers suivant.
[1020] « Sainctement » : conformément à la piété.
[1021] « Pervers » : mauvais, corrompu.
[1022] « Mensonger » : menteur.
[1023] « Cil » : Celui.
[1024] « Injure » : tort, offense.
[1025] « Perjure » : celui qui viole un serment.
[1026] « Subjuguer » : littéralement « mettre sous le joug », assujettir par la force.
[1027] « S’entendre » : être complice.
[1028] « Soubs main » : en secret.
[1029] « Tramer » : préparer un complot, une machination.
[1030] « Lacs » : filets. « Cauteleux » : sournois, déloyal.
[1031] Dans le récit de Plutarque, Coriolanus revient à Antium et Tullus, déjà informé des événements, commence à préparer sa vengeance. Mont-Justin invente le personnage de Catius et s’en sert pour faire le récit de ce qui s’est passé. Le même évènement est donc représenté deux fois, la première fois lorsqu’il a lieu à l’acte III et la seconde fois rapporté par le discours de Catius et médié par son point de vue de Volsque qui vient d’être trahi.
[1032] « Peu caut » : peu prudent.
[1033] Vers 1621-1622 : à l’acte III, le Consul donne à Coriolanus « pleine puissance » (v. 890). Chez Plutarque, il est nommé général en chef conjointement avec Tullus (§27, 1, p.165-167) mais le rôle du Sénat n’est pas explicitement mentionné dans cette décision.
[1034] « Battre aux champs » : battre le tambour pour rythmer la marche des soldats.
[1035] « Coeur » : courage.
[1036] « Il est tousjours premier aux coups et au labeur » : premier à se lancer dans le combat.
[1037] « Par promesse et par dons, nous hausse le courage » : il nous encourage en nous faisant des promesses et des cadeaux.
[1038] « Saccager » : dévaster, détruire.
[1039] Ce vers semble reprendre un détail du récit de Plutarque (§28, 1, p.167). Cette tirade constitue un retour en arrière et narre des événements qui se sont produits entre l’acte II et l’acte III mais que la pièce ne met pas en scène. Le récit de Catius permet de reprendre la chronologie de cette campagne des Volsques contre Rome d’après le récit de Plutarque (§28-32, p.165-179 et §34-36, p.183-189).
[1040] Vers 1626-1628 : selon Plutarque, Coriolanus part d’abord en campagne avec un petit nombre de Volsques sur le territoire des Romains, préférant partir au plus vite, avant même que tous les soldats soient enrôlés (§27, p.165-167). La locution « tous ensemble » indique que les soldats ont maintenant tous rejoint le front.
[1041] La ville mentionnée par Plutarque est Circéi (Circeii dans le Gaffiot), traduite « Circees » par Amyot.
[1042] Vers 1629-1630 : Amyot traduit « Circees peuplee par les Romains, laquelle se rendit vouluntairement et pource ne souffrit aucun dommage », p.829.
[1043] « Il force en leurs remparts les Toleriniens » : forcer les Tolériniens à rentrer dans leurs remparts.
[1044] « Passer sur le ventre » : vaincre par tous les moyens.
[1045] « Camper » : établir le campement. L’emploi transitif est inhabituel.
[1046] Vers 1631-1633 : ces noms de cités sont donnés par Plutarque.
[1047] Vers 1635-1637 : chez Plutarque, Coriolanus lève le siège de Lavinie et se dirige vers Rome car le Sénat rejette la demande des plébéiens d’abroger la condamnation de Coriolanus et de le rappeler à Rome. Le détail des « esquadrons quarrés » ne figure pas dans le récit antique.
[1048] « Il n’a faute de coeur » : il ne manque pas de courage.
[1049] Même expression qu’au vers 958 : de part et d’autre des enseignes.
[1050] « Loger » : placer.
[1051] « En ordre de bataille » : rangés en ordre de bataille.
[1052] « Presque le long du jour » : presque toute la journée.
[1053] Catius désigne ici les Romains.
[1054] « Qui a pris l’espouvente » : qui a pris peur.
[1055] « Se tapir » : se cacher.
[1056] Le tréma indique que la prononciation doit être bisyllabique pour que l’alexandrin soit complet, nous maintenons donc cette orthographe. Catius soupçonne Coriolanus de n’avoir jamais voulu se battre contre les Romains et de n’avoir voulu leur causer aucun dommage, il aurait donc volontairement retardé le moment de combattre.
[1057] « Tenir mine » : donner telle apparence, laisser paraître tel ou tel air. Ici Coriolanus doit, selon Catius, ne laisser rien paraitre de ses plans, faire comme s’il allait bel et bien attaquer Rome.
[1058] « Enclore » : fermer, ici pour empêcher les troupes de sortir.
[1059] « Contenant sagement chacun en son devoir » : faisant en sorte que chacun respecte sa mission.
[1060] « Espier » : espionner.
[1061] « Point » : état.
[1062] « Il ne veut permettre une heure estre inutile » : il n’autorise pas qu’une heure s’écoule sans qu’elle ait été utile.
[1063] « Cependant » : pendant ce temps.
[1064] « Murmur » : bruit confus, agitation. Nous maintenons cette forme pour le compte syllabique.
[1065] « Accident » : événement fâcheux.
[1066] « Lors » : alors.
[1067] La noblesse désigne ici les patriciens, les sénateurs. Vers 1651-1660 : ces vers semblent reprendre ce que nous rappelions dans la note du vers 1637 en modifiant la temporalité de ces événements. Chez Plutarque, le début de la campagne menée par Coriolanus cause un grand désordre dans Rome, ce qui mène les plébéiens à proposer au Sénat de faire revenir Coriolanus. Le Sénat refuse, ce qui pousse Coriolanus à se rapprocher de Rome et, seulement à ce moment-là le Sénat cède à cette requête. Ici, Catius semble insinuer que c’est l’arrivée de Coriolanus près de Rome qui trouble la ville et que le Sénat, d’abord hostile à un rappel de Coriolanus, finit par accepter. On constate un défaut dans l’argumentation de Catius : si Coriolanus a un accord avec les Romains, pourquoi seraient-il affolés de le voir si près d’attaquer Rome ?
[1068] « Non de force » : pas par la force.
[1069] « Ains » : mais plutôt, mais au contraire.
[1070] « Courage » : sens péjoratif ici de fermeté excessive.
[1071] « Esbranler » : troubler, émouvoir, dans le but de rendre Coriolanus moins inflexible.
[1072] « Mutin » : séditieux.
[1073] « Raser terre à terre leurs tours » : raser leurs tours au niveau de la terre.
[1074] « Perfidie » : trahison, déloyauté.
[1075] « Adversité » : situation difficile, épreuve.
[1076] « Redigé » : ramené, réduit à.
[1077] « Extremité » : situation difficile, décision extrême.
[1078] « Jettent l’anchre sacrée » : recourent à leurs dernières ressources (voir la note du vers 1025).
[1079] « Affaire » : situation.
[1080] « Desploré » : désespéré, sans issue favorable.
[1081] « Subjugué » : vaincu.
[1082] « Sur le point du jour » : à l’aube.
[1083] « Traîner » : pendre jusqu’à terre. Ce détail sur les habits de deuil portés par les femmes fait écho aux toutes premières paroles du discours de Volumnia qui attire l’attention de Coriolanus sur l’état physique dans lequel se trouvent les femmes qui viennent le voir, en insistant notamment sur leurs vêtements.
[1084] Plutarque précise en effet que lorsque les femmes arrivent Coriolanus est « assis en son tribunal avec les marques de souverain Capitaine » (selon la traduction d’Amyot). Il semble y avoir une confusion de la part de Mont-Justin sur le sens de tribunal, entendu chez Plutarque au sens du siège du juge qui exerce ses fonctions mais qui semble renvoyer ici plutôt au lieu où l’on rend la justice.
[1085] « Lors » : alors.
[1086] « Contester » : s’opposer.
[1087] Vers 1679-1680 : ces quatre verbes à l’infinitif sont de sens assez proche et signifient embrasser, serrer dans ses bras, avoir des gestes affectueux. Ces marques de tendresse qui précèdent la première prise de parole de Volumnia sont rapportées par Plutarque. En revanche, à l’acte IV, les choses ne se déroulent pas ainsi, Coriolanus n’a aucun geste de tendresse pour sa famille et commence par rester ferme sur ses positions avant de céder.
[1088] Catius déforme la réalité : à l’acte précédent, Volumnia ainsi que Vergilie ont dû insister longtemps avant que Coriolanus finisse par céder. Même chez Plutarque, alors qu’il ne parle pas pendant toute la durée du discours de sa mère, ce qui montre son trouble, il ne renonce à ses projets qu’après un long silence.
[1089] « Ja » : déjà.
[1090] « Et estant ja tout prest de venir à la prise » : alors qu’il était tout près de prendre la cité.
[1091] « Quitter les desseins » : renoncer.
[1092] « Il trousse le bagage » : il plie bagage.
[1093] « Rebrousser » : retourner.
[1094] « Lors » : alors.
[1095] « Volage » : inconstant.
[1096] « Mercede » : salaire, récompense.
[1097] « A ce qui est passé, rien n’y sert le remede » : tournure emphatique, il n’y a pas de remède à ce qui s’est passé.
[1098] « Que ce n’est peu de cas » : que ce n’est pas sans importance, sans conséquence.
[1099] « Foy » : serment.
[1100] « Vicissitude » : inconstance, caractère changeant.
[1101] « Se jacter » : se targuer.
[1102] Nous maintenons cette forme pour le compte syllabique.
[1103] Coriolanus n’est pas encore apparu dans l’acte V, il intervient seulement plus tard. En revanche, Plutarque nous indique bien qu’après sa décision de ne plus attaquer Rome, il revient à Antium (Vie de Coriolan, §39, p.193-197).
[1104] « Tiran » : homme qui abuse du pouvoir qu’il possède. « Cauteleux » : trompeur, déloyal.
[1105] « Service » : aide qu’on apporte à quelqu’un.
[1106] « Precipice » : malheur, désastre.
[1107] Vers 1703-1704 : dimension proverbiale de ces vers qui soulignent l’efficacité de la ruse.
[1108] « Être en la grâce » : avoir les faveurs.
[1109] Vers 1705-1706 : il est en la grâce de cette populace pour être un grand causeur. « Causeur » : qui parle trop, qui promet beaucoup sans tenir parole. L’adjectif « grand » qui est associé à ce substantif indique cependant que ce discours atteint son objectif et que Coriolanus est un grand orateur.
[1110] « Pourveoir » : faire ce qui est exigé par la situation, prendre des mesures pour y remédier.
[1111] « Occasion » : circonstance favorable.
[1112] « Crime » : action faite contre la loi.
[1113] « À tout vent » : changeant, inconstant.
[1114] « Statut » : règle.
[1115] L’accusation portée contre Coriolanus doit être fondée sur le droit.
[1116] Ce vers est fautif, il comporte 13 syllabes : le premier hémistiche compte 7 syllabes au lieu de 6. Vers 1714-1715 : alors que fortune remettait entre ses mains le sort de l’adversaire qui était déjà à moitié soumis sous nos étendards.
[1117] « S’entendre avec » : être complice, avoir un accord secret.
[1118] Vers 1711-1717 : ces vers montrent le plan de vengeance contre Coriolanus en train de s’échafauder.
[1119] « Beau diseur » : bon orateur. L’éloquence de Coriolanus est soulignée par Plutarque (39, 6) : « il estoit entre autres choses homme très eloquent » traduit Amyot.
[1120] « Enchanter » : tromper, séduire.
[1121] « Troubler notre repos » : nous causer du souci, de l’inquiétude. Formule euphémisante.
[1122] « Prévenir » : empêcher.
[1123] « Troubler » : interrompre. « Audience » : séance où l’on plaide sa cause auprès des juges.
[1124] « Sur les lieux » : à cet endroit-même.
[1125] Le projet de vengeance de Tullus est énoncé ici clairement : le but est de faire périr Coriolanus. Chez Plutarque, ce dessein est explicitement mentionné également mais ce projet est motivé en grande partie par la jalousie de Tullus et donc par vengeance personnelle. Mont-Justin ne conserve pas cet élément et justifie cette entreprise par la volonté de punir un acte injuste.
[1126] « Tirer en droit » : convoquer en justice.
[1127] « Tout d’un coup » : du même coup, en même temps.
[1128] Coriolanus est visible par Tullus, mais trop loin encore pour entendre ce qu’il dit à Catius aux vers 1726-1727. Il ne s’adresse à lui, en en étant entendu, qu’à partir du vers 1728.
[1129] « Amasser » : rassembler.
[1130] Les vers 1726-1727 nous fournissent des indications sur la mise en scène ainsi que sur la suite de l’acte. Catius sort certainement de scène pour y revenir plus tard avec les sénateurs. Une autre possibilité serait que l’espace scénique représentant Antium soit séparé en deux parties dont l’une représenterait le Sénat, hypothèse qui serait cohérente avec les propos de Tullus à Catius, « je m’en vay après toy », et avec l’emploi du verbe « venir » par Tullus au vers 1777 qui implique un mouvement en direction de quelque chose qui se trouve plus loin (« Vien respondre au Senat »).
[1131] « Foy » : loyauté.
[1132] « La foy que tant avois et tant de fois promise » : la formulation est étrange, il faut sans doute comprendre « la loyauté que tant et tant tu nous avais promise ».
[1133] « Loyer » : rémunération, récompense.
[1134] « Courir la fortune » : aller à l’aventure. L’emploi de cette expression avec le possessif « ta » est singulier et semble souligner le fait que les Volsques ont associé leur destin à celui de Coriolanus au risque de se mettre en danger.
[1135] « Adverse » : défavorable. « Importune » : pénible.
[1136] « Signe » : indice.
[1137] « Tramer » : préparer en secret.
[1138] On enveloppe le poison d’un doux miel pour mieux le faire accepter. L’image du miel qu’on utilise pour couvrir le goût d’autre chose est un lieu commun, qu’on retrouve notamment chez Lucrèce dans le De la nature (I, v.935-42).
[1139] « Maintien » : allure, comportement. « Simple » a ici le sens mélioratif de « honnête », il faut donc comprendre « simple maintien » comme une apparence honnête.
[1140] « Discorde » : désordre, trouble.
[1141] « Mussé » : caché. Les vers 1741-1742 sont de tournure proverbiale. L’image du serpent caché qui illustre la trahison est topique, on la retrouve notamment chez Virgile dans les Bucoliques (3, 90) et dans les Géorgiques (II, 290).
[1142] Vers 1743-1744 : à l’acte III, Tullus a plaidé en faveur de Coriolanus et de son ralliement aux Volsques, il s’en est presque porté garant.
[1143] « Injure » : offense.
[1144] « Ta menace » : le danger que tu représentes.
[1145] « Conception » : projet, intention.
[1146] « Paye-nous de raisons » : donne-nous tes arguments.
[1147] « Suivre le point de la conqueste » : aller jusqu’au bout de la conquête.
[1148] « Lors » : alors.
[1149] « Que ne les forçois-tu ? » : pourquoi ne les as-tu pas forcés à se battre ?
[1150] « Esbranlé » : déstabilisé.
[1151] « Combatu » : vaincu.
[1152] « Ployer » : plier, céder.
[1153] « Paître » : nourrir.
[1154] « Doucereux » : d’une douceur affectée.
[1155] « Tu auras une fin convenable à ta vie » : tu auras la fin que tu auras mérité par rapport à la vie que tu as eue, qui correspond à la vie que tu as menée.
[1156] « Je te mettray bientost au repentir » : je te ferai bientôt regretter tes agissements.
[1157] Cette menace de mort de Coriolanus envers Tullus n’existe pas chez Plutarque. Par ailleurs, cette surenchère (non seulement mourir mais aussi mentir) est intéressante car Tullus n’a pas annoncé clairement à Coriolanus son intention de le tuer, quoi que le vers 1758 en donne une idée.
[1158] « En toy » : en ton pouvoir.
[1159] Être absent des mémoires des générations futures revient à être effacé de l’histoire.
[1160] « Los » : renommée.
[1161] « Tout ainsy que » : de la même façon que.
[1162] Vers 1764-1767 : les rivières et les fleuves qui se déversent dans la mer ne font pas monter le niveau de la mer, ne la font pas déborder, tout comme les paroles de Tullus ne diminueront pas la gloire de Coriolanus.
[1163] « Trop » : beaucoup.
[1164] La rime « Romains/Antiens » rappelle visuellement l’opposition entre les deux cités.
[1165] « Encourir » : s’exposer à subir.
[1166] « Rendre compte » : rendre des comptes.
[1167] « Sçavoir » : connaître. Comprendre : chacun connaît les limites de son pouvoir, de ses prérogatives.
[1168] « Par ainsy contien-toy aux bornes du devoir » : restes-en à ce que ton devoir te dicte de faire.
[1169] « Respondre » : rendre compte, justifier.
[1170] « Effect » : résultat.
[1171] En tant que général de guerre.
[1172] Vers 1773-1774 : rupture syntaxique (zeugma), réponds de... et aux...
[1173] « Pour estre menassé » : parce que je suis menacé.
[1174] « Se camper » : s’installer.
[1175] « Mutiné » : agité.
[1176] « Chef » : sommet.
[1177] « Pirouetter » : virevolter.
[1178] « Nues » : nuages.
[1179] Vers 1780-1783 : cette fois-ci, la comparaison de Coriolanus à un roc inflexible vient du personnage lui-même, et plus des femmes de la délégation de l’acte IV, et elle est plus positive ici : Coriolanus se pose en héros invincible qu’aucune tempête ne peut atteindre.
[1180] « Proposer » : avancer des arguments.
[1181] Coriolanus laisse Tullus s’exprimer en premier face au Sénat, considérant que le droit et la raison sont de son côté de façon tellement évidente qu’une argumentation n’est même pas nécessaire. On peut penser qu’à la fin de cette réplique Coriolanus et Tullus sont arrivés devant le Sénat, ce qui permet à Tullus de s’adresser aux sénateurs dans la tirade qui suit.
[1182] « Peres conscripts » : sénateurs.
[1183] Hercule est le personnage mythologique à qui rien ne résiste, puisqu’il est venu à bout de ses douze travaux et a accompli de nombreux autres exploits au cours de sa vie.
[1184] Tullus est dans une position délicate car il a lui-même recommandé Coriolanus au Consul à l’acte III. Il choisit donc de se défaire de toute responsabilité en accusant Coriolanus de l’avoir lui aussi trompé et d’avoir profité de l’amour qu’il porte à sa patrie.
[1185] Nous maintenons cette forme pour le compte syllabique.
[1186] « Publicque repos » : la tranquillité publique, la paix de la cité.
[1187] « Tributaire » : dont on ne peut s’affranchir.
[1188] Coriolanus.
[1189] « Où » : sur lequel.
[1190] « Souloir » : avoir coutume de.
[1191] « Vers » : envers.
[1192] « Intelligence » : collaboration, alliance.
[1193] « Que » : à quoi.
[1194] « Temeraire » : qui agit avec une trop grande hardiesse.
[1195] « Pourpenser » : réfléchir mûrement.
[1196] Les vers 1801 à 1804 font référence à la première entrevue entre Coriolanus et Tullus à l’acte II. Le vers 546 nous apprenait en effet que Coriolanus avait revêtu des habits de deuil pour paraître devant Tullus. En revanche, rien n’indiquait que Coriolanus était allé précisément dans la demeure de Tullus, ce que sous-entend le vers 1802, et qui correspond d’ailleurs au récit de Plutarque (§23,1, p.155-159) dans lequel Coriolanus pénètre chez Tullus déguisé et sans y être invité. Les vers 1803-1804 renvoient à la demande de Coriolanus à Tullus d’avoir pitié de lui et d’accepter qu’il remette entre ses mains sa vie mais aussi son honneur et surtout la possibilité de se venger.
[1197] Tullus rejoue la scène qui s’est déroulée entre Coriolanus et lui à l’acte II, sûrement dans le but de renforcer ses accusations d’hypocrisie et de mensonge envers son rival romain.
[1198] Nous maintenons cette forme pour le compte syllabique.
[1199] Vers 1808-1809 : tu ne veux pas encore une fois tenter le sort (t’engager dans une entreprise dont le succès n’est pas assuré).
[1200] « Fuir » : le verbe est ici employé dans un sens singulier, sans doute celui d’achever, supprimer.
[1201] Le contexte ne permet pas d’identifier avec certitude de quel tourment parle Coriolanus dont Tullus rejoue le discours, il s’agit sans doute de la mort.
[1202] « Vostre droit soustenir » : défendre votre droit.
[1203] « Une cauteleuse ire » : une colère trompeuse.
[1204] « Miroir » : apparence, illusion.
[1205] Les vers 1814 à 1816 font référence à un épisode raconté par Hérodote au livre III de ses Histoires. Zopyre est un satrape perse qui, pour permettre au roi Darius Ierde prendre la ville de Babylone, se coupa le nez et les oreilles et s’introduisit chez les Babyloniens en faisant croire que ses mutilations étaient le fait de Darius et qu’il voulait se rallier aux Babyloniens pour se venger. Il obtient le commandement des armées babyloniennes et les clefs de la ville qu’il utilisa pour ouvrir les portes à l’armée perse.
[1206] « Lacq » : filet, piège.
[1207] « Surprendre » : tromper.
[1208] « Fardé » : rendu attrayant par des artifices.
[1209] Une fois surpris.
[1210] « Nous cher vendre » : nous faire payer cher.
[1211] « L’erreur de nous avoir appuyé sur ta foy » : l’erreur de nous être fondés sur ta promesse.
[1212] « Regorger » : déborder, inonder.
[1213] « Occasion » : circonstance favorable.
[1214] « Ferme » : solide. L’expression « plus ferme » se comprend ici dans un sens quasi adverbial.
[1215] Vers 1834-1835 : les Antiens.
[1216] « Supporter » : soutenir.
[1217] « Au plus haut d’une prospérité » : au sommet de la gloire.
[1218] « Emporter » : fléchir, convaincre.
[1219] « Poser bas » : déposer.
[1220] « Au dernier but de toute extremité » : au dernier point de toute extrémité.
[1221] « Couvert » : caché.
[1222] Nous maintenons cette forme pour le compte syllabique.
[1223] « Esbranler » : troubler.
[1224] « Se laver » : se défaire, se débarrasser.
[1225] On observe ici le souci d’une justice équitable.
[1226] « Proposer » : avancer des arguments.
[1227] Renvoie au mythe de l’âge d’or décrit dans Les Travaux et les Jours d’Hésiode qui correspond au premier âge de l’humanité dans lequel règne un printemps perpétuel caractérisé par l’abondance mais aussi l’innocence et le bon naturel des hommes. Coriolanus sous-entend que l’âge d’or a été le premier et le dernier moment de l’histoire de l’humanité où la vertu des uns n’a pas suscité la jalousie ou la haine des autres.
[1228] « Généreux » : d’âme noble.
[1229] « Odieux » : haï, détesté. Vers 1850-1854 : Coriolanus commence sa tirade en montrant son respect au Sénat avant de prononcer une maxime qui rappelle les propos du choeur de l’acte I.
[1230] « D’une vicissitude » : par un changement malheureux.
[1231] « Proposer » : soutenir, alléguer quelque chose devant une instance judiciaire.
[1232] « Mon voyage » : la campagne menée jusqu’à Rome.
[1233] « Fruict » : bénéfice, profit.
[1234] C’est dans la bouche de Coriolanus que Mont-Justin place finalement l’accusation de jalousie qui est attestée comme un fait avéré chez Plutarque. L’opposition des deux points de vue dans ce procès final est intéressante et remet en question les motivations des uns et des autres, ce qui permet de créer des personnages aux caractères ambigus et nuancés.
[1235] « Attenter » : porter atteinte.
[1236] Ces trois cités sont mentionnées par Catius dans son récit du début de l’acte V.
[1237] « Qui plus » : de plus.
[1238] « À tout autre indomptable » : que personne d’autre que moi ne pouvait dompter.
[1239] « De recercher de moy » : à venir chercher auprès de moi.
[1240] « Honorable » : qui fait honneur à.
[1241] Cette insistance a valeur d’autocorrection et de justification : Coriolanus n’a pas seulement été convaincu par des femmes qui ont su l’attendrir, il a reconnu dans leurs propos une forme de raison et de vérité face auxquelles on ne peut que s’incliner.
[1242] Vers 1876-1877 : référence au vers 1841. Coriolanus oppose ici le « oui » de la raison au « non » de l’anéantissement à tout prix de l’ennemi revendiqué par Tullus.
[1243] « Je n’apprendray de toy que c’est de mon devoir » : je n’apprendrai pas de toi ce que c’est que faire mon devoir.
[1244] « Ja » : déjà.
[1245] Cette réplique est la première d’un échange en stichomythies qui va clore la pièce.
[1246] « N’a si peu de courage » : n’est pas dépourvu de courage.
[1247] « S’accorder quand on est le plus fort » : convenir d’un accord alors qu’on est en position de force !
[1248] « Girouette à tous vents » : girouette qui change avec le vent.
[1249] « Larron » : voleur.
[1250] « Entendre » : écouter.
[1251] « Faire du resolu » : se comporter de façon audacieuse.
[1252] « Raison » : arguments.
[1253] « Masque » : prétexte.
[1254] « Sommes-nous au Sénat ? » : sommes-nous bien au Sénat ?
[1255] « Par la langue » : par les discours.
[1256] « Prévenir » : empêcher.
[1257] Le vers 1897 est très morcelé, partagé entre 3 répliques de Catius et Tullus. Les mots employés sont violents ; il est très probable que Tullus et Catius se jettent à ce moment-là sur Coriolanus pour le tuer.
[1258] Coriolanus s’adresse sans doute à Catius en agonisant.
[1259] Il s’agit ici des Volsques.
[1260] Minos est l’un des juges des Enfers (voir la note du vers 1150).
[1261] « Disputer ta querelle » : plaider ta cause.
[1262] Trahir leur honneur et leur loyauté. C’est Tullus qui a le dernier mot de la pièce, affirmant que la faute de Coriolanus a été justement punie.